L`Épreuve de la lecture d`un texte philosophique

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Robert Tirvaudey
L’Épreuve de la lecture
d’un texte
philosophique
Tome 2
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« Le commencement de la philosophie, c’est le
sentiment de conflit des hommes entre eux ; on
cherche d’où vient le conflit ; on juge avec méfiance la
pure et simple opinion ; l’on examine si cette opinion
est juste, et l’on découvre une règle comme on a
découvert la balance pour les poids et le cordeau pour
les lignes droites et courbes. Voilà le début de la
philosophie. Toutes les opinions sont-elles justes ?
Comment pourraient-elles l’être si elles se
contredisent ? Toutes ne sont donc pas justes, mais du
moins celles qui sont les nôtres. Et pourquoi celles-ci
plutôt que celles des Syriens ou Egyptiens ? Pourquoi
les miennes plutôt que celles de tel ou tel ? Pas plus les
unes que les autres. Il ne suffit donc pas qu’une chose
paraisse vraie pour qu’elle le soit ; quand il s’agit de
poids et de mesures, la simple apparence ne suffit pas,
et nous avons inventé une règle pour chaque cas. Ici
donc, n’y a-t-il pas une règle supérieure à l’opinion ?
Comment ce qu’il y a de plus nécessaire chez les
hommes pourrait-il être impossible à deviner et à
découvrir ? Il y a donc une règle. Et pourquoi ne la
cherchons nous pas, ne la découvrons nous pas, et,
l’ayant découverte, ne l’employons nous pas sans la
transgresser jamais, fût-ce pour tendre le doigt ? »
Épictète, Entretiens, II, § XI.
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I
L’explication philosophique
d’un texte
L’explication appartient au même titre que la
dissertation aux formes ou genres littéraires qui ont
permis à la pensée philosophique de s’exprimer par des
œuvres. Elle a reçu ses lettres de noblesse, de manière
assez naturelle, avec l’ouverture de la philosophie
grecque tardive, que s’est voulue l’exégète des écrits
majeurs des penseurs classiques, Platon et Aristote. Ce
serait donc une erreur de ne voir dans l’explication que
sa modalité scolaire puisque c’est un exercice qui
éprouve la capacité du philosophe à saisir et exposer
tout à la fois la thèse principale et le cheminement
rationnel qui y conduit. Le présupposé de cette épreuve
est donc l’organicité ou l’unité philosophique d’un
écrit proposé, et la difficulté sera de déceler cette
totalité pour nourrir et orienter la réflexion. La lecture
ou l’explication d’un texte philosophique est un autre
exercice philosophique. Lire un écrit selon une
tournure et une posture philosophique est penser. Car
penser, c’est toujours penser avec d’autres qui pensent.
Ou pour le signifier autrement, philosopher c’est de
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prime abord se confronter à d’autres penseurs. Penser
philosophiquement, c’est penser avec et contre un
philosophe. Penser avec dans la mesure où le
questionnement est un legs, un héritage. Mais ce legs
suppose une reprise critique ne fut-ce que pour évacuer
le dogmatisme ou l’encyclopédisme. Le philosophe
n’est pas un citophile, il ne doit pas se complaire dans
l’art d’une seule prouesse de la mémoire.
Qu’est-ce qu’un texte philosophique ?
Un texte n’est pas philosophique parce qu’il ferait
référence à la philosophie, par exemple le roman dit
« philosophique ». Il n’est pas non plus tel parce que
rédiger par un philosophe. Freud est l’auteur d’une
œuvre propre à la psychanalyse et tient en horreur la
philosophie. Mais il met en place des lignes
problématiques. P. Valéry se veut un « antiphilosophe » cependant son écriture poétique se
déploie sur fond d’un questionnement proprement
philosophique. Ce qui spécifie un écrit spécifiquement
philosophique, par contraste avec une œuvre littéraire,
c’est avant tout sa dimension rationnelle : lignes qui se
rapportent à l’intelligence spéculative, questionnante,
écriture qui invite à penser, qui exige un travail
critique. L’écriture philosophique mérite ce qualificatif
dès lors que l’on ne poursuit qu’une seule et unique
tâche : la recherche de la vérité. La démarche
rationnelle étayée par une argumentation vise à
dévoiler la vérité absolue, une et indivisible. C’est du
moins la postulation d’une telle entreprise. Ce qui
n’interdit pas, loin s’en faut, un retour critique. Car
tout philosophe ne se veut pas le détenteur du Vrai,
mais un témoin (au sens étymologique). C’est
pourquoi l’amant de la vérité en appelle vivement à
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l’entreprise critique. Socrate, dans le Gorgias, dit
« aimer la réfutation », Descartes demande à la
communauté des philosophes de son temps (Spinoza,
Hobbes, Bourdin, Caterus, Mersenne, Gassendi,
Arnaud) de procéder à une lecture réfutative des
Méditations métaphysiques (1628-1629). Ce qui
explique qu’il faut aborder cet ouvrage de 1641 en
liaison avec Les Nouveaux essais sur l’entendement
humain de Leibniz qui sont une reprise critique des
Essais sur l’entendement humain de J. Locke. Plus
proche de nous, Sartre répond en 1946 aux objections
qui lui ont été adressées en prononçant la conférence :
L’existentialisme est-il un humanisme ? Et peut se
comprendre comme une réponse à la Lettre sur
l’humanisme de Heidegger de 1946.
Une autre propriété qualifie la teneur
philosophique d’un essai : sa systématicité, son allure
englobante. La systématisation n’est pas ici à saisir
sous l’angle négatif d’un dogmatisme replié sur luimême. Tout philosophe structure un ensemble de
questions, de thèses liées par une logique interne.
Même Kierkegaard ou Nietzsche, ennemis du
« système philosophique », déplient leur pensée sous
une forme rationnelle, mettent en avant des
hypothèses en correspondance les unes avec les
autres. On peut donc dire que rien n’est superfétatoire
dans un écrit philosophique, et qu’en droit, toute idée
repose sur une raison d’être. Il est donc de l’ordre non
de l’épreuve mais de la preuve en exhumant la vérité
quelque soit le mode argumentatif : raisonnement par
l’absurde, hypothétique, par supposition, par
induction, déduction, réfutation, etc.
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Qu’entendre par explication de texte ?
Une explication de texte a pour but de rendre
explicite les enjeux d’un texte et les objectifs de
l’auteur, qui sont le plus souvent implicites. Et l’angle
d’attaque le plus assuré pour faire jaillir la pertinence
d’une position philosophique est incontestablement le
jeu critique sous peine de verser dans l’obscurantisme
ou de sombrer dans la pensée molle. Aussi la critique
est-elle l’instrument d’investigation le plus incisif
pour dévoiler la fécondité d’une pensée. Explicare dit
le latin signifie un « hors de », autrement dit une
sortie momentanée pour mieux rattraper le texte en
son ensemble. La notion de « pli » désigne la
nécessité de dégager le mouvement et la dynamique
d’un passage, de dévoiler la structure logique perçue
dans ce qu’elle peut avoir de vivifiant, l’articulation
et l’acheminement de la pensée. Il s’agit donc
d’exprimer un sens et une progression. Un texte n’a
rien d’inerte : c’est une pensée qui se dévoile, qui
avance pas à pas, qui pro-gresse pour parvenir à une
idée claire et distincte. Lorsque Heidegger déclare
que : « La science ne pense pas », il suit une voie
argumentée selon une modalité critique pour épingler
la ligne problématique du savoir scientifique.
Si telle est l’essence d’une authentique explication,
si elle vise à découvrir une biologie structurelle, il en
résulte que nous devons dès l’introduction mettre en
place la thématique, c’est-à-dire ce dont il est
véritablement question, ou encore sur quoi porte
réellement l’extrait proposé ; pour ensuite lever
l’hypothèse nucléaire, ce que défend l’auteur afin de
mettre en œuvre la problématique à laquelle il se
confronte, et le tout en suivant une étude ordonnée.
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On apportera un soin particulier aux concepts nodaux,
ceux sans lesquels un écrit perdrait inévitablement
toute signification.
L’étude rigoureuse ne consiste absolument pas en
en dégager le « plan », non plus qu’à le suivre mot à
mot. L’expression même de « plan », qui désigne plus
une organisation dans l’espace qu’une progression
dans le temps, répugne à la dynamique du
raisonnement philosophique. Plutôt que de présenter
des grandes « parties » simplement juxtaposées qui
brisent le fil conducteur problématique, il est
nécessaire de percevoir les articulations qui sont les
conditions du mouvement de pensée. L’ordre des
raisons en effet n’est pas uniquement synonyme
d’agencement indifférencié : il suppose une hiérarchie.
À cet égard, l’explication linéaire mot à mot ne diffère
de la recherche du « plan » à tout prix que par le degré,
toutes deux substituent la succession à la progression,
et ne se distinguent entre elles que par l’apparente
hauteur de vue de l’une et la prétendue précision de
l’autre.
Pour le signifier en raccourci, l’explication
philosophique comprend essentiellement cinq tâches
à exercer. On doit d’abord s’attacher à l’explication
elle-même. Ex-pli-care signifie se situer à l’extérieur
pour déplier le nœud problématique philosophique sur
fond des concepts nodaux afin d’en dégager les
enjeux philosophiques en suivant un examen critique.
Nous pouvons ainsi décliner comme suit les
exigences à satisfaire :
– Décrypter la thématique du texte,
– Déplier la logique interne,
– Prendre soin des concepts centraux,
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– Épingler les enjeux philosophiques,
– Sonder critiquement la thèse formulée par
l’auteur.
La conclusion récapitule les résultats de l’étude :
– le problème dont traite ce texte,
– la réponse qu’il y apporte,
– la portée de cette thèse,
– les difficultés et objections qu’elle soulève,
– le point sur lequel le débat s’est établi,
– votre position finale dans ce débat ainsi que
votre principal argument.
En quoi consiste la critique philosophique ?
Dans les textes officiels, il est rappeler : « L’élève
doit exercer son esprit critique en rendant compte de
la façon dont le texte répond à une interrogation
philosophique directement liée à la liste des notions
du programme, sans que soit exigible la connaissance
de la doctrine de l’auteur ». Ce n’est pas là une simple
injonction pour bonifier l’épreuve de philosophie au
baccalauréat, c’est le devoir essentiel de tout travail
conceptuel philosophique.
Il est une inconséquence à la fois pédagogique et
surtout philosophique qui consiste à exiger des
apprentis philosophes de faire preuve d’esprit critique
afin d’éviter de se soumettre à l’argument d’autorité
sans prendre soin de mettre en place un scénario
critique. Le lecteur est alors tétanisé, plongé dans le
désarroi conceptuel : soit la critique est présentée
formellement alors elle apparaît comme purement
oratoire et rhétorique, sans contenu matériel ; soit elle
est effective sans aménagement, c’est-à-dire sans se
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donner la peine d’en dégager la forme, la logique.
Bien souvent, trop souvent la critique se réduit à un
examen ou encore à une discussion. Ce qui n’est pas
faux mais bien insuffisant pour conduire une critique
digne de ce nom. Elle doit être plus profonde qu’une
simple demande tournée sur le mode interrogatif, plus
véhémente et corrosive qu’une pâle « discussion » qui
en appellerait à une autre thèse supposée
contradictoire ou contraire. La critique est une
violence retenue, contenue d’une hypothèse de
travail. Car il est des thèses irrecevables,
insoutenables qui ne concernent pas uniquement des
thèses idéologiques et/ou politiques. La critique ne
doit pas s’adosser à une polémique qui n’est qu’un
exercice stérile. Certes, tout professeur de philosophie
encourage les élèves à s’appliquer à la critique mais
trop souvent sur le mode timoré de la retenue.
L’encouragement à l’entreprise critique est
accompagné de tout un arsenal de prudence et de
précautions qui neutralise le caractère destructeur de
l’instance éminemment philosophique. Philosopher
n’est pas adopter la hauteur du témoin impartial, la
posture d’un spectateur passif simplement armé de la
lucidité. Critiquer, ce n’est pas détruire, mais
comprendre. Détruire, c’est en rester à la lettre du
texte, à son apparence première, alors que
comprendre, c’est aller à l’esprit et au contenu vrai.
La destruction est dogmatique, la vraie critique
philosophique est compréhension de la problématique
interne et évaluation mesurée de l’intérêt de la
réponse apportée. Le terme « critique » dérive du
terme grec kritikē (κριτική), signifiant « (l’art de)
discerner », c’est-à-dire le fait de discerner la valeur
des personnes ou des choses. Dans le domaine
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philosophique, Kant utilise le terme pour désigner un
examen de réflexion de la validité et les limites de la
capacité de l’homme ou d’un ensemble de
revendications philosophiques. En philosophie
moderne, il désigne une enquête systématique sur les
conditions et conséquences d’un concept, d’une
théorie, d’une discipline, ou une approche et une
tentative de comprendre ses limites et la validité. Un
point de vue critique, en ce sens, est le contraire d’un
dogmatique.
Kant a écrit : « Nous traitons avec un concept
dogmatique… si nous le considérons comme contenu
sous un autre concept de l’objet qui constitue un
principe de raison et de le déterminer conformément à
sa présence. Mais nous l’acceptons en tant que seule
critique si on l’a considère uniquement comme
référence à nos facultés cognitives et, partant, les
conditions subjectives de le penser, sans engagement
de décider quoi que ce soit quant à son objet. »
Critique de la faculté de juger, section 74.
La critique est un exercice méthodique du
discernement. Voilà pourquoi « toute philosophie doit
être critique du langage » (L. Wittgenstein, Tractatus
4.0031). La critique est le moteur de l’activité
philosophique. Preuve étant les plus forts ouvrages
philosophiques s’ouvrent par un titre qui révèle la
méthode critique : Critique de la philosophie du droit,
Critique de Kant, réponses aux objections, Critique de
la raison dialectique.
La réflexion philosophique consiste à s’interroger
sur et à soumettre à l’épreuve de la critique
rationnelle les sens ambigus voire contradictoires des
termes employés pour les « transformer » en concepts
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plus clairs et plus distincts, voire pour produire de
nouveaux concepts, sinon de nouveaux termes (ex : le
libéralisme c’est la doctrine qui fonde les relations
sociales et économiques sur l’autonomie des
individus (qui n’est pas l’indépendance) et les droits
de l’homme et le pouvoir politique sur l’expression
des individus-citoyens), afin, au regard de l’histoire
de la pensée philosophique et de la cohérence logique
de l’analyse et de sa concordance aux faits, de
déconstruire les ambiguïtés et les faux-semblant de
l’idéologie (ex : l’idéologie ultra-libérale ou antilibérale), en vue de prendre conscience des
difficultés, de l’enjeu et conséquences réelles de nos
actions, tout autant dans leurs fins que dans leurs
moyens. (Principe de responsabilité). L’enjeu
philosophique montre la qualité et l’importance de la
thèse apportée par un penseur dans sa recherche de la
solution d’un problème. Il est ce qui fait taire les
questions : À quoi bon l’histoire de la philosophie ?
Les philosophies du passé ne sont-elles pas
dépassées ? La thèse hobbesien sur le langage a-t-elle
encore un sens après l’avènement de la linguistique ?
L’idée de bonheur telle qu’elle est pensée par Kant
n’est-elle pas propre à son siècle ?
Relevons une constatation qui donne à comprendre
l’urgence et la nécessité de conduire un examen
critique. L’histoire de la philosophie a pour fil
conducteur le jeu critique. Une philosophie est d’abord
nouvelle et elle se fait gloire de réfuter celles qui
précèdent. Mais cette réfutation n’est pas
absolue : Bergson, par exemple, a du d’abord entrer en
sympathie avec Plotin, avec Rousseau, en reconnaître
la pertinence pour enfin, en marquer les limites : ce
n’est pas une réfutation au sens strict du terme.
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La philosophie de Plotin et celle de Rousseau vont
l’accompagner jusqu’à sa mort et, souhaitait-il, après
sa mort. Il semble bien que Bergson porte ces deux
philosophies en lui ou plutôt qu’il soit porté par elles
comme on porte un enfant sur un chemin qu’il va
continuer. Avant de « Réfuter » Spencer, Bergson l’a
porté en lui. C’est vrai de Descartes qui réfute Aristote
mais qui ne le perd jamais de vue. Kant admire
Rousseau et Hegel admire Kant. Une philosophie reste
toujours vivante, même après sa réfutation ce qui
semble nous indiquer qu’elle ne peut être réfutée,
abandonnée. On comprend que la critique est une
réappropriation d’une pensée autre pour la faire nôtre
et non une dénégation sur le mode d’une tabula rasa.
Il faut lutter ou contrarier une tendance spontanée
d’accorder une crédibilité, une confiance à un auteur.
Or l’esprit philosophique est, pour reprendre
Bachelard, anti-naturel. Aussi la critique est-elle
l’instance la plus haute, la plus profonde pour sonder
une hypothèse et son arsenal d’arguments. Nous
pouvons commencer par rappeler la critique la plus
acerbe et sévère, c’est-à-dire la contradictio in adjecto
qui n’est ni simple oxymore ni pure paradoxe.
Remarquons qu’il est souvent périlleux de déceler une
contradiction dans les termes, notamment lorsqu’il
s’agit d’un texte concis. Toutefois certaine thèse roule
sur une contradiction interne. Soit la thèse fondatrice
de Freud qui affirme l’existence d’un inconscient
psychique enferme une contrariété dans le jeu des
concepts. En effet, si par inconscient on entend ce dont
nous ne sommes pas conscients et si le psychique
désigne la conscience, soutenir l’idée d’un inconscient
psychique, c’est suggérer une conscience inconsciente
d’elle-même. Dès lors peut-on parler de l’existence
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d’un inconscient psychique sans se contredire ? Une
science de l’inconscient est-elle pensable ?
Autre voie de réfutation plus difficile à décrypter
mais tout aussi destructrice. La pétition de principe
qui consiste à poser comme démontrer ce qu’il
convient de démontrer. À titre d’illustration, prenons
la thèse darwinienne. Dans L’origine des espèces
(1859), il inaugure une nouvelle hypothèse : un être
vit en raison de sa capacité à survivre dans son
milieu. Mais comment savoir qu’il a survécu en
s’adaptant ? Mais comment sait-on qu’il s’est
adapté ? Parce qu’il a survécu. On s’enfonce alors
dans un cercle vicieux et dès lors l’hypothèse est
insoutenable.
Bien souvent, en philosophie comme ailleurs, on
verse dans le sophisme de l’affirmation des
conséquences. Or ce n’est pas parce que les
conséquences d’une théorie sont vérifiées que la
théorie est vraie pour autant. Il se pourrait qu’une
autre thèse plus vérace nous échappe.
Face à une thèse convaincante et puissance, on
peut avoir recours à une critique généalogique. Ce
chemin généalogique remonte à la genèse, à l’origine
de la soutenance d’une thèse. Ainsi, par exemple,
Nietzsche, dans La Généalogie de la morale, se
retourne contre Kant en détruisant les présupposés.
Critique radicale qui s’attaque à la racine de
l’émergence de la formulation d’une théorie du devoir
moral.
On peut en appeler à la critique interne : elle
consiste à juger de la pertinence de l’argumentaire, de
sa clarté et de sa possibilité à atteindre l’enjeu. Une
fois la critique interne achevée, on questionne l’enjeu.
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Ce qui nous amène directement à la critique externe
du texte.
Moins violence mais tout aussi corrosive est la
critique externe : la critique externe consiste à sortir
momentanément d’un passage. Elle consistera dans
un premier temps à aller dans le sens de l’auteur puis
en second point à montrer les limites de sa pensée en
s’appuyant sur des auteurs qui vont dans le sens
opposé de l’auteur. Une fois la critique externe
terminée, on passe à la conclusion.
Le doute non en son sens cartésien qui est une
méthode qui doute de tout pour ne plus avoir à douter
de tout, mais sceptique en un sens étymologique qui
dit skeptomé, c’est-à-dire suspendre son jugement en
examinant minutieusement et soigneusement les
concepts en jeu, est une arme de questionnement
réfutative : Où sont nos pensées quand on n’y pense
pas ? Comment remonter à l’origine des nos pulsions
les plus enfouies ?
Remettre en cause l’argumentation n’interdit pas
de questionner la portée des exemples, la légitimité
d’une opposition ou d’une définition, la valeur
démonstrative des arguments.
Nous pouvons montrer que le texte n’envisage
qu’un aspect du problème, montrer à partir de quels
présupposés ce choix est fait, dans quel univers
culturel il se situe.
Montrer que le texte n’envisage pas bien le
problème étudié : le point de vue de l’auteur n’est pas
pertinent parce qu’il est trop marginal, qu’il passe à
côté de l’essentiel, qu’il ne voit pas le véritable
problème.
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La critique ne doit en aucun cas être ad hominen,
autrement dit s’attaquer à la personne du philosophe
lui
reprochant
son
éventuelle
misogynie
(Schopenhauer), son homosexualité (Foucault), ses
positions politiques (Lukacs, Heidegger). S’appuyer
sur la biographie pour démanteler la position
philosophique ne dit rien. Cette approche n’est pas
opératoire.
Qu’est-ce qu’un enjeu philosophique ?
L’enjeu philosophique se dégage naturellement de
son explication si celle-ci a été bien menée. Il s’agit
d’évaluer ce que le texte peut apporter à la réflexion
philosophique ainsi que les « limites ». On ne peut
demander à un texte de contenir toute la pensée d’un
auteur. Par « limites », on entend les limites de
l’argumentation elle-même et celles dues au point de
vue, nécessairement partiel et particulier, de l’auteur.
On s’interrogera sur la portée de l’argumentation, et
on analysera les présupposés du texte, à partir du
relevé des propositions non démontrées. L’enjeu est
une manière de réactiver un texte appartenant à
l’histoire afin d’en montrer l’actualité, non au sens
journalistique, mais dans le souci de savoir en quoi
encore aujourd’hui un texte est précieux pour donner
à comprendre une problématique toujours actuelle.
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