L'arme du crime
:
la référence médicale chez Platon
la condamnation de toutes les figurations, oratoires,
picturales ou graphiques, tirées d'un savoir-faire qui ignore
l'essence de ce qui est représenté pour se concentrer sur les
modalités du vraisemblable.
Au livre X de la République, en 599 b, Platon adresse
ainsi un reproche similaire aux poètes :
Ne
demandons
pas de comptes à Homère, ni à n 'importe
quel autre
parmi les poètes, ne leur posons pas la question de
savoir
si
tel d'entre eux était capable de pratiquer la médecine et
si, plutôt, il ne fait pas qu'imiter le langage du médecin.
L'opposition de l'acte médical à la parole sophistique
dépend donc d'une opposition plus générale des arts
véritables, fondés sur un savoir
objectif,
aux prétendus arts
des Φαντάσματα . Les arts du pilote de navire, du
musicien, du charpentier, de l'architecte, du sculpteur, du
dramaturge, de l'archer, etc. côtoient donc celui du
médecin parmi les arts véritables, de même que les poètes
et les critiques littéraires côtoient les rhéteurs parmi les
faiseurs de simulacres. Cependant, la rhétorique
sophistique est manifestement la cible privilégiée de Platon,
et, de même, la médecine occupe une place prépondérante
du côté des arts véritables. Comme le remarque Robert
Joly, la plupart du temps, la médecine « est évoquée seule,
ou le développement qui lui est consacré est le plus
ample »4.
Or, ce privilège de la médecine est paradoxal. En effet,
quand il utilise la médecine pour contester la rhétorique
sophistique, Platon met en avant deux caractères propres à
tout art véritable : d'une part, la limitation de ses
compétences à un objet particulier, d'autre part, l'exactitude
qui découle de ce savoir qui porte sur l'être et non sur les
apparences. Et pourtant, lorsqu'il envisage la médecine
pour elle-même, hors de toute polémique contre la
sophistique, Platon n'a de cesse de contester ces deux
4. R. Joly, «Platon et la médecine», Bulletin de l'association
Guillaume
Budé.
Lettres
d'humanité,
20, 1961,
435-451.
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Noesis n°2