L’ÉVOLUTION DES ESPÈCES L’évolution un cas d’espèces Comme l’a formulé très justement Dobzhansky en 1973(1) « rien en biologie n’a de sens si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Autrement dit, l’évolution fournit le cadre général pour toute approche scientifique du vivant. De ce fait, l’évolution est un thème majeur de l’étude du vivant et à ce titre ce concept joue un rôle structurant dans de nombreuses approches sur le vivant à l’Université Paul Sabatier. >>> Etienne DANCHIN, directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB, unité mixte dOSSIER UPS/CNRS/ENFA). Aujourd’hui les approches évolutionnistes changent très rapidement, à tel point qu’il est tout à fait possible que plus tard, lorsque les historiens des sciences regarderont notre période, ils aient tendance à utiliser des mots forts comme par exemple ‘révolution’ pour décrire la période que nous vivons. Ces changements ont deux origines à la fois différentes et en même temps connexes. D’une part, de nombreux auteurs défendent l’idée que l’on ne peut pas comprendre les processus évolutifs sans intégrer le développement dans toutes ses dimensions. C’est l’approche qualifiée souvent d’Evo-Dévo pour évolutiondéveloppement. D’autre part, il est apparu de plus en plus clairement que l’hérédité ne se limite pas seulement à une transmission d’information génétique entre générations mais implique plusieurs autres processus importants susceptibles d’influencer profondément les dynamiques évolutives. Dans ce contexte, depuis des décennies, de nombreux auteurs ont affirmé que l'hérédité ne se réduit pas au seul transfert d'information génétique entre générations. L'importance de l'hérédité non génétique a été mise en évidence dans plusieurs domaines de la biologie. Le plus florissant depuis deux à trois ans est le domaine de l’hérédité épigénétique qui est 1. Dobzhansky T (1973) "Nothing in Biology Makes Sense Except in the Light of Evolution". The American Biology Teacher 35: 125-129. page 20 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16 L’évolution des espèces >>> Le réseau des diverses formes d’hérédité et leurs interactions. Ces formes d’hérédité sont placées selon un gradient depuis l’hérédité ‘dure’ (information numérisée et peu sujette à modification lors de la transmission) jusqu’à l’hérédité dite molle (information encodée de manière analogique et plus susceptible de modifications lors de la transmission). définie comme l’étude de la variation transmise (on dit héritable) qui n’est pas due à des changements dans la séquence de l’ADN mais à des changements dans le niveau d’expression des gènes que l’on appelle souvent épimutation. Celles-ci résultent de modifications du ‘packaging’ de l’ADN pouvant activer, réduire ou complètement inactiver l’expression des gènes concernés. Elles peuvent profondément changer le phénotype (i.e. l’aspect extérieur) des individus. Elles expliquent, par exemple, comment des cellules ayant la même séquence d’ADN, peuvent prendre des formes aussi différentes que des neurones ou des cellules de foie, de rein, d’os ou encore de peau. Les épimutations peuvent aussi expliquer des changements drastiques de forme comme par exemple le type de symétrie de la fleur d’une plante donnée, ce qui peut fortement affecter leur capacité à transmettre leurs gènes. Le point important est qu’une série de mécanismes conduisent à l’hérédité de ces épimutations. Cette variation est alors héritable et donc ouverte à la sélection naturelle. Nous commençons seulement à étudier l’impact évolutif de ces épimutations. De ce fait, plusieurs auteurs appellent de leurs voeux la mise en place d’une "nouvelle synthèse des mécanismes de l'évolution" intégrant le développement. Des chercheurs du Centre de Biologie du Développement (CBD, unité mixte UPS/CNRS) travaillent actuellement sur l’importance du développement comme processus évolutif. page 21 Il faut cependant aller encore plus loin en intégrant aussi l’hérédité non génétique. C’est ce qu’affirment des chercheurs du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB, unité mixte UPS/CNRS) qui travaillent sur certaines formes d’hérédité non génétique. Prendre en compte toutes les formes d’hérédité, génétique ou non, ramènera l'hérédité à ce qu'elle n'aurait jamais du cesser d'être, multidimensionnelle. Cette nouvelle synthèse est en émergence actuellement, et les chercheurs de l’UPS y travaillent activement. Cette émergence remet en fait en cause des dogmes profondément établis, aussi bien dans le grand public que parmi les chercheurs eux-mêmes. Cette nouvelle synthèse permettra de prendre en compte toute la richesse des mécanismes de l'évolution, richesse actuellement sous-estimée par la non prise en compte de l'hérédité non génétique. En d’autre terme, les sciences de l’évolution sont en train de vivre une profonde évolution. Ce dossier se situe dans ce contexte. Il fournit une série de flashs montrant la diversité des approches de l’évolution dans les laboratoires de notre université tout en montrant leur participation aux grandes avancées en cours dans ce domaine. Contact : [email protected] L’évolution des espèces Evolution morphologique chez les insectes dOSSIER Le décryptage des génomes bouleverse notre vision des mécanismes de l’évolution. Si les gènes animaux apparaissent très conservés, on découvre l’importance de la variation de leurs interactions. >>> François PAYRE, directeur de recherche CNRS au Centre de biologie du développement (CBD, unité mixte UPS/CNRS). © C. Fresillon/CNRS Depuis l’antiquité, l’extraordinaire diversité Micro ou Macro mutations morphologique des animaux a frappé les esprits et son étude a eu un impact majeur pour la théorie de Les mécanismes de l’évolution font l’objet de vifs débats théoriques. L’évolution pourrait procéder par l’évolution. On sait aujourd’hui que l’ensemble des l’accumulation au cours du temps de mutations de gènes d’une espèce, son génome, gouverne le plan faible effet individuel, ou micromutations. Au d’organisation du corps. Les gènes interagissent entre contraire, seules des mutations brutales d’effet majeur, eux en formant des réseaux de régulation complexes qui ou macromutations, seraient capables de modifier en déterminent les caractères morphologiques au cours du développement. Le séquençage des génomes a provoqué profondeur les programmes du développement. une véritable révolution. En effet, les gènes et leurs produits, les protéines, sont étonnamment conservés, l’opportunité de tester expérimentalement ces depuis les animaux les plus primitifs jusqu’à l’homme. brutale, tout ou rien, de l’expression du gène dans Comment l’évolution des gènes a-t-elle alors permis l’épiderme, confirmant l’importance de variations l’apparition d’une telle diversité morphologique ? majeures. Cependant, ce changement résulte de Comme souvent, c’est l’interaction entre disciplines qui déclenche des avancées. Notre équipe au « Centre de mutations dans au moins trois régions distinctes! biologie du développement » étudie la différentiation n’est pas suffisante pour changer la morphologie. Au de l’épiderme qui produit des structures cuticulaires, les trichomes, caractérisant la morphologie externe des moins dans ce cas, une modification majeure à l’échelle macroscopique peut être due à l’accumulation de drosophiles. Il existe une grande diversité des trichomes « micro » mutations. La diversification évolutive des trichomes offrait hypothèses. Nos travaux ont montré une modification Prise individuellement, l’évolution d’une seule région entre espèces d’insectes. Pour comprendre cette évolution morphologique, nous collaborons avec Evolution « entre » les gènes l’équipe de David Stern à Princeton (USA), qui s’intéresse à la variation évolutive. Cette approche Les modifications identifiées n’affectent pas directement le gène, c'est-à-dire la région qui code alliant évolution et développement (Evo-Devo) a permis la protéine, mais des régions génomiques avoisinantes, des découvertes apportant un éclairage nouveau aux des trichomes différents, nous avons identifié les régions du génome responsables de cette diversification. qui régulent son expression. Ces mutations modifient le code d’interaction entre le gène et ses gènes régulateurs, situés en amont dans le réseau de régulation. Le décodage de cette grammaire de régulation entre gènes du développement nous permettra de mieux comprendre les mécanismes intimes de l’évolution. Les séquences intergéniques constituent De manière surprenante, c’est la modification d’un seul gène qui a causé l’évolution des trichomes, et ce dans tous les cas étudiés. Plus surprenant encore, alors cependant la grande majorité de notre génome (>90%) et restent mal connues. Les approches fonctionnelles chez des organismes modèles devront être encore mises que des centaines de gènes peuvent modifier les trichomes au laboratoire, il s’agit à chaque fois du même gène qui a évolué de manière indépendante, en parallèle, dans des espèces éloignées de plus de 40 millions d’années ! Les gènes d’un même réseau présentent donc un potentiel différent pour l’évolution à contribution pour percer l’ensemble de leurs secrets. mécanismes de l’évolution. Evolution parallèle Par l’analyse génétique d’hybrides entre espèces avec Contact : [email protected] morphologique. Ceci suggère l’existence de contraintes liées au développement, qui favorisent la fixation de >>> Trichomes de drosophile, observés en microscopie électronique. © F. Payre. page 22 modifications évolutives seulement à certaines positions des réseaux de régulation génique. Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16 dOSSIER L’évolution des espèces Évolution et paléontologie : quoi de neuf ? Comprendre le vivant c’est connaître son avènement au fil du temps. Grâce aux avancées technologiques, les paléontologues avancent dans leur analyse de la biodiversité fossile. A la clef, des résultats variés. >>> Pierre-Olivier ANTOINE, Maître de conférences au Laboratoire des Mécanismes et Transferts en Géologie (LMTG, unité mixte UPS/CNRS/IRD). Discipline à l’interface de la biologie – pour les paléontologues travaillent indifféremment sur les objets traités – et des sciences de la terre – pour leur organismes éteints et vivants. Enfin, les fossiles contexte –, la paléontologie s’est développée au cours des deux derniers siècles sous l’impulsion de figures permettent de travailler dans un cadre marquantes comme Georges Cuvier, Jean-Baptiste s’agit de calibrer les âges de divergence au sein Lamarck, Alcide d’Orbigny, George G. Simpson ou des arbres phylogénétiques. Une fois établies puis Stephen J. Gould. La théorie de l’évolution, énoncée contraintes du point de vue chronologique, les par Charles Darwin (et Alfred R. Wallace) il y a 150 ans, a évidemment joué un rôle considérable relations de parenté peuvent ainsi être interprétées en termes de dispersion géographique, pour des pour la compréhension des phénomènes observés sur espèces fossiles et actuelles. Les géologues peuvent les organismes fossiles, à la fois du point de vue de alors utiliser ces données, de manière notamment leur morphologie et de leur diversité. Ces progrès à reconstituer la géographie des régions. sont toutefois indissociables d’autres avancées La récente mise au jour de restes de rhinocéros scientifiques plus récentes, comme la tectonique des géants, associés à d'autres mammifères et datés de plaques, les datations radiométriques (on compte plus de 25 millions d’années en Anatolie (Turquie), désormais en millions, voire en milliards d’années), l’avènement de la génétique (qui permet d’expliquer prouve l’existence de communications terrestres et les phénomènes évolutifs sous-jacents, sur les l’Oligocène. Contrairement à ce qui était admis organismes actuels). jusqu’alors – en l'absence d'indices –, l’Anatolie chronostratigraphique fiable, notamment lorsqu’il de relations étroites avec les Balkans et l’Asie à n’était donc pas un archipel à l’époque. C’est ce Une approche nouvelle Depuis une vingtaine d’années, l’émergence qu’ont montré en 2008 des paléontologues et des des méthodes de reconstruction phylogénétique le Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris) et informatisées a permis aux biologistes et aux paléontologues de reconsidérer l’arbre du vivant, les services géologiques turcs, à partir de quelques ossements(1) ! à la fois dans son ensemble et dans le détail. Les De même, la découverte en Amazonie péruvienne, chercheurs s’attachent désormais à reconstruire des (par des écologues, géologues et paléontologues phylogénies – arbres « généalogiques » en termes de d’EcoLab (unité mixte UPS/CNRS) et de notre groupes frères ou d’espèces sœurs – fondées sur le laboratoire), de bambous fossiles apparentés au genre actuel Guadua et datés de plus de 50000 ans(2) vient- partage de caractères évolués, au détriment des géologues de notre laboratoire, en collaboration avec classiques relations ancêtre-descendant. Les données elle de permettre de réfuter l’hypothèse, jusqu’alors recueillies (caractères morphologiques, mutations consensuelle, d’une dispersion anthropique de ces génétiques) sont traitées à l’aide de logiciels bambous depuis l’Amérique du nord. spécialisés, qui permettent la formalisation objective En d'autres termes, la paléontologie a tout à gagner et réfutable d’un très grand nombre de données : des échanges avec les sciences connexes. Une telle c’est la fin de l’argument d’autorité. multidisciplinarité permet en effet d'augmenter considérablement la portée des résultats obtenus. Relations de parenté En termes de phylogénie, seule la paléontologie >>> Fragment de radius de rhinocéros géant provenant de l’Oligocène d’Anatolie (Turquie, environ 25 millions d’années), à gauche. Au centre, dessin interprétatif du même spécimen. A droite, comparaison avec le plus gros spécimen connu jusqu’alors (Oligocène de Mongolie). Tous sont à la même échelle (barre = 10 cm). © P.-O. Antoine. procure des informations directes sur les changements morphologiques et l’évolution de la Le salut de cette science naturaliste pluri-séculaire passe sans nul doute par là. Contact : [email protected] biodiversité au cours des temps : l’échantillonnage (1) Antoine P.-O. et al., 2008. Zoological Journal of des taxons disponible en paléontologie est largement supérieur à celui du monde vivant, d'autant que les the Linnean Society, 152: 581-592. (2) Olivier J. et al., 2009. Review of Palaeobotany and Palynology, 153: 1-7. page 23 L’évolution des espèces L’évolution n’est pas qu’une affaire de gènes Longtemps perçue sous le joug unique de son volet génétique, l’évolution est aujourd’hui appréhendée plus globalement. L’environnement de chaque individu influe sur son développement. Et donc sur l’héritage qu’il transmet à sa descendance… >>> Etienne DANCHIN, directeur de recherche CNRS, avec à ses côtés, Simon BLANCHET, postdoctorant et Susana Varela, Doctorante. Équipe travaillant sur l’évolution culturelle animale au Laboratoire Evolution et Diversité dOSSIER Biologique (EDB, unité mixte UPS/CNRS/ENFA). La vie est essentiellement une question de transfert d'informations entre générations. Parce qu'il ne lesquelles les mâles peu colorés sont préférés. Par leurs choix les femelles exercent une forte pression de connaissait rien aux mécanismes sous jacents, Darwin sélection sur les mâles, pouvant aboutir à deux types de avait une vision très large de l'hérédité. Une phrase présente dès la première version de ‘L’Origine des populations, certaines où les femelles préfèrent les mâles peu colorés et où ceux-ci sont peu colorés, espèces’ (1859) résume parfaitement sa vision : d’autres où les mâles sont colorés et les femelles « Toute variation qui n’est pas transmise n’est pas préfèrent les mâles colorés. À terme de telles importante pour nous ». D’après Darwin, la variation populations peuvent diverger au point de s’ignorer entre individus a deux composantes: celle qui est complètement lorsqu’elles se retrouvent, éliminant transmise, versus celle non transmise à la génération tout flux de gènes entre elles. Les populations sont suivante. alors séparées et donc en route vers la spéciation, Cependant, la découverte à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle de la capacité de la molécule d'ADN initiée par un processus culturel. à coder et à transmettre des informations entre générations a conduit à une réduction de Transmission culturelle Les chercheurs du laboratoire EDB travaillent sur l'hérédité à sa seule composante génétique. Ce qui l’importance de l’hérédité culturelle animale en conduit aujourd’hui les auteurs à opposer la variation d’origine génétique à celle d’origine environnementale. évolution. Les comportements concernés sont les Cette décomposition classique tout en insistant sur le avons par exemple montré récemment que les femelles rôle central de la génétique revient à rejeter tout rôle évolutif aux autres formes de variation héritée. Dans de Drosophila melanogaster font preuve de capacités les faits, le point important pour l’évolution est que la variation soit héritée quelque soit le mécanisme cerveau. Ces capacités conduisent à envisager d’hérédité. chez cette espèce. cognitives insoupçonnées aux vues de la taille de leur l’existence de comportements hérités culturellement Parmi toutes les formes d’hérédité connues, la >>> Femelle préférant copuler avec un mâle rose et non avec un mâle vert après avoir vu trois mâles de ce type Influence sociale transmission culturelle à l’originalité de ne pas C’est dans ce contexte qu’émerge actuellement la seulement se produire verticalement (i.e. de parent à notion d’hérédité culturelle, c’est-à-dire d’informations transmises entre les générations par apprentissage enfant) mais aussi horizontalement (entre individus de la même génération) ou obliquement (entre individus social. Justement, cet apprentissage affecte de nombreux comportements considérés jusque-là comme non apparentés de générations différentes). De ce fait, la transmission culturelle doit profondément affecter uniquement déterminés génétiquement. Par exemple, l’évolution à tel point que certains processus les préférences sexuelles de nombreuses espèces de vertébrés sont fortement influencées par le fait d’avoir impossibles avec une transmission uniquement verticale (comme c’est le cas de la transmission génétique) vu d’autres femelles préférer tel ou tel type de mâle. On peuvent devenir possibles avec la transmission peut ainsi créer des préférences pour des traits culturelle. De ce fait, intégrer toutes les formes totalement nouveaux, tels une plume rouge ou bleue d’hérédité dans le raisonnement évolutif augmente sur la tête d’un oiseau. Nous avons récemment sensiblement le champ de l’évolution. Gageons que démontré qu’il est possible de déclencher une préférence la prise en compte de toutes les formes de l’hérédité chez les femelles drosophiles pour des mâles ayant une va fortement changer notre manière d’appréhender coloration verte ou rose. De telles influences sociales sur les préférences sexuelles peuvent alors conduire a l’évolution dans les années à venir. copuler avec des femelles et trois mâles verts se faire l’émergence de populations dans lesquelles les femelles rejeter par des femelles. préfèrent les mâles richement colorés et d’autres dans page 24 préférences sexuelles des poissons et des insectes. Nous Contact : [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16 dOSSIER L’évolution des espèces L’influence des transitions écologiques Véritables témoins des changements, les micro-organismes doivent s’adapter vite. Leur évolution, mieux appréhendée grâce aux progrès du séquençage, prouve le rôle majeur des contraintes environnementales sur le développement biologique. >>> Catherine MASSON-BOIVIN, directeur de recherche INRA, au Laboratoire des Interactions Plantes Micro-organismes (LIPM, unité mixte INRA/CNRS), rattachée à l’Institut fédératif Agrobiosciences, intéractions et biodiversités (IFR 40) Les transitions écologiques ont un impact fort sur plus de 10 genres et 60 espèces inter mêlés avec des l’environnement et représentent une source majeure de biodiversité. Grâce à la plasticité de leur génome, les bactéries sont particulièrement enclines aux pathogènes et des saprophytes. Cette biodiversité soulève de fascinantes questions quant à l’émergence et l’évolution des rhizobia. transitions écologiques. Elles ont évolué depuis des milliards d’années en réponse aux contraintes Symbiose adaptative environnementales. Des stratégies d’évolution Pour répondre à ces questions, nous avons entrepris expérimentale en laboratoire visent à recréer l’évolution en accéléré afin d’analyser les mécanismes en collaboration avec P. Heeb (laboratoire EDB, unité mixte UPS/CNRS) l’évolution d’un pathogène de qui sous-tendent l’adaptation des bactéries à de plante, Ralstonia solanacearum, en symbiote de nouvelles niches écologiques. Les nouvelles légumineuse, au moyen d’une stratégie dite « design technologies de séquençage à haut débit permettent then evolve ». Cette stratégie consiste à construire aujourd’hui le re-séquençage du génome des bactéries à différents stades de ces expériences d’évolution et par génie génétique une souche dotée d’un potentiel l’identification des mutations adaptatives. utilisant une légumineuse comme pression de symbiotique, et à faire évoluer cette souche en sélection. Cette stratégie nous a permis de faire Variations de genres évoluer des dérivés nodulants et infectieux Les bactéries appelées rhizobia sont un cas typique de micro-organimes issus d’évènements indépendants intracellulaires d’une légumineuse (le mimosa) et répétés de transition écologique. Les rhizobia sont de ces bactéries évoluées sont en cours d’analyse des bactéries du sol capables d’établir avec les (collaboration avec Claudine Médigue, Genoscope plantes de la famille des légumineuses une symbiose à Evry) afin d’identifier les mutations adaptatives d’intérêt écologique majeur. En effet, cette symbiose apparues au cours de l’expérience d’évolution se traduit par la formation sur les racines de la contrôlée. Ainsi, les mécanismes moléculaires qui plante de nouveaux organes, les nodules, dans accompagnent l’adaptation à la symbiose avec une lesquels les bactéries fixent l’azote atmosphérique. Les plantes nodulées peuvent ainsi croître en absence légumineuse seront analysés. Ceci devrait nous d’engrais azotés dont la synthèse et l’utilisation maintien de cette symbiose dans la nature. à partir d’un pathogène extracellulaire. Les génomes permettre de mieux comprendre l’évolution et le agricole sont à la fois coûteux et polluants pour l’environnement. Cette symbiose se met en place au moyen d’un processus complexe (organogénèse, pénétration des tissus via des cordons d’infection, infection intracellulaire des cellules végétales) qui fait intervenir des échanges de signaux moléculaires entre les deux partenaires. >>> Infection de Mimosa pudica par le rhizobium Cupriavidus taiwanensis (en vert). Bien que partageant une même fonction biologique complexe, les rhizobia ne forment pas un groupe taxonomique homogène mais sont dispersés au sein des alpha- et béta-protéobactéries où ils représentent page 25 Contact : [email protected] L’évolution des espèces Diversité génétique et évolution humaine Si l’évolution humaine a longtemps été le domaine réservé des anthropologues, des linguistes et archéologues, les travaux scientifiques sur l’évolution ou la diversité humaine font de plus en plus appel à des généticiens. Les données fossiles suggèrent que les premiers êtres >>> Lounès CHIKHI, chargé de recherche CNRS au Laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB, unité mixte UPS/CNRS/ENFA), est actuellement mis à disposition à l’Instituto dOSSIER Gulbenkian de Ciência, au Portugal. page 26 humains « modernes » sont très probablement apparus en Afrique il y a 150 000 à 200 000 ans. Il serait bien entendu naïf de croire que les données génétiques obtenues sur des populations actuelles, quelque 5 à 10 000 générations plus tard, pourront nous donner des informations précises sur cette histoire complexe faite d’expansions, de colonisations de nouveaux territoires, de retours en arrière, d’extinctions, de rencontres et de mélanges. Mais, les données génétiques ont véritablement révolutionné >>> Le propithèque à couronne dorée (Propithecus tattersalli) le regard que nous portons sur notre espèce au cours vit dans une petite région du nord de Madagascar. Nous des dernières décennies. Ainsi, jusqu’aux années 1960, la majeure partie des spécialistes pensaient que l’espèce humaine avait divergé depuis au moins 15 millions d’années des autres primates, Les datations faites à partir de données moléculaires ont permis de montrer que (i) nous sommes plus proches des gorilles et chimpanzés qu’eux-mêmes ne le sont des orangs-outangs, (ii) cette divergence est très récente, de l’ordre de 5 à 7 millions d’années. étudions l’impact de la fragmentation de son habitat sur sa Espèce jeune Les données génétiques ont aussi contribué à montrer, de façon répétée, que les populations humaines sont peu différenciées les unes des autres à l’échelle mondiale, en accord avec l’idée que notre espèce est bien une espèce jeune ayant colonisé la planète très récemment, et dans laquelle la notion de race biologique est inopérante. Ces résultats s’opposent donc aux théories d’origines multiples qui postulaient, jusqu’il y a encore peu, que plusieurs espèces ou races humaines étaient apparues sur les différents continents à partir des Homo erectus qui avaient quitté l’Afrique il y a plus d’un million d’années (les fameux hommes de Pékin et de Java). Au cours des trente dernières années, de nombreux travaux nous ont permis de mieux comprendre comment des événements démographiques tels que des expansions (lors de la colonisation à partir de l’Afrique), des contractions (lors des dernières glaciations en Europe), ou des mélanges de populations (lors de la transition Néolithique qui a mis en contact les premiers agriculteurs venant du Proche Orient et les chasseurs-cueilleurs qui diversité génétique, et en particulier les effets respectifs de la fragmentation due à l’espèce humaine et ceux dus aux changements climatiques, plus anciens, sur cette diversité (© Erwan Quéméré, doctorant au laboratoire EDB). occupaient l’Europe) pouvaient influencer la diversité génétique des populations actuelles. Il est ainsi assez bien établi que l’espèce humaine est une espèce jeune dont la distribution actuelle est le résultat d’une expansion à partir de populations qui vivaient en Afrique il y a 50 à 100 000 ans (c'est-à-dire bien après l’apparition des premiers hommes modernes, en Afrique également). Les données génétiques semblent aussi indiquer que l’espèce humaine ne s’est pas (ou très peu) mélangée avec celle des néandertaliens. Dans notre laboratoire nous essayons ainsi de comprendre comment les mélanges de populations peuvent être quantifiés même lorsqu’ils sont anciens (comme pour la transition Néolithique en Europe). Nous analysons des données publiées ou étudions les propriétés de données simulées par ordinateur. Les applications ne se limitent pas à l’espèce humaine et nous permettent de reconstruire l’histoire démographique d’espèces menacées, afin de mieux comprendre l’impact de phénomènes naturels ou anthropogéniques. Un des défis de la génétique des populations humaines (ou d’autres espèces) sera, dans le futur, d’arriver à reconstruire leur histoire récente, dans le cadre de modèles moins simplistes que ceux que nous sommes parfois obligés d’utiliser aujourd’hui. Contact : [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16