Evolution des espèces (n°16 - juin 2009)

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L’ÉVOLUTION
DES ESPÈCES
L’évolution
un cas d’espèces
Comme l’a formulé très justement Dobzhansky en 1973(1) « rien en biologie
n’a de sens si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Autrement dit, l’évolution
fournit le cadre général pour toute approche scientifique du vivant. De ce fait,
l’évolution est un thème majeur de l’étude du vivant et à ce titre ce concept
joue un rôle structurant dans de nombreuses approches sur le vivant à
l’Université Paul Sabatier.
>>> Etienne DANCHIN, directeur de recherche
CNRS, membre du Laboratoire Evolution et
Diversité Biologique (EDB, unité mixte
dOSSIER
UPS/CNRS/ENFA).
Aujourd’hui les approches évolutionnistes
changent très rapidement, à tel point qu’il est
tout à fait possible que plus tard, lorsque les
historiens des sciences regarderont notre
période, ils aient tendance à utiliser des mots
forts comme par exemple ‘révolution’ pour
décrire la période que nous vivons. Ces
changements ont deux origines à la fois
différentes et en même temps connexes. D’une
part, de nombreux auteurs défendent l’idée que
l’on ne peut pas comprendre les processus
évolutifs sans intégrer le développement dans
toutes ses dimensions. C’est l’approche
qualifiée souvent d’Evo-Dévo pour évolutiondéveloppement. D’autre part, il est apparu de
plus en plus clairement que l’hérédité ne se
limite pas seulement à une transmission
d’information génétique entre générations mais
implique plusieurs autres processus importants
susceptibles d’influencer profondément les
dynamiques évolutives.
Dans ce contexte, depuis des décennies, de
nombreux auteurs ont affirmé que l'hérédité ne
se réduit pas au seul transfert d'information
génétique entre générations. L'importance de
l'hérédité non génétique a été mise en évidence
dans plusieurs domaines de la biologie. Le plus
florissant depuis deux à trois ans est le
domaine de l’hérédité épigénétique qui est
1. Dobzhansky T (1973) "Nothing in Biology Makes Sense Except in the
Light of Evolution". The American Biology Teacher 35: 125-129.
page 20
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
L’évolution des espèces
>>> Le réseau des diverses formes d’hérédité et
leurs interactions. Ces formes d’hérédité sont
placées selon un gradient depuis l’hérédité
‘dure’ (information numérisée et peu sujette
à modification lors de la transmission) jusqu’à
l’hérédité dite molle (information encodée de
manière analogique et plus susceptible de
modifications lors de la transmission).
définie comme l’étude de la variation transmise
(on dit héritable) qui n’est pas due à des
changements dans la séquence de l’ADN mais à
des changements dans le niveau d’expression
des gènes que l’on appelle souvent épimutation.
Celles-ci résultent de modifications du
‘packaging’ de l’ADN pouvant activer, réduire ou
complètement inactiver l’expression des gènes
concernés. Elles peuvent profondément changer
le phénotype (i.e. l’aspect extérieur) des
individus. Elles expliquent, par exemple,
comment des cellules ayant la même séquence
d’ADN, peuvent prendre des formes aussi
différentes que des neurones ou des cellules de
foie, de rein, d’os ou encore de peau. Les
épimutations peuvent aussi expliquer des
changements drastiques de forme comme par
exemple le type de symétrie de la fleur d’une
plante donnée, ce qui peut fortement affecter leur
capacité à transmettre leurs gènes. Le point
important est qu’une série de mécanismes
conduisent à l’hérédité de ces épimutations. Cette
variation est alors héritable et donc ouverte à la
sélection naturelle. Nous commençons seulement
à étudier l’impact évolutif de ces épimutations.
De ce fait, plusieurs auteurs appellent de leurs
voeux la mise en place d’une "nouvelle synthèse
des mécanismes de l'évolution" intégrant le
développement. Des chercheurs du Centre de
Biologie du Développement (CBD, unité mixte
UPS/CNRS) travaillent actuellement sur
l’importance du développement comme
processus évolutif.
page 21
Il faut cependant aller encore plus loin en
intégrant aussi l’hérédité non génétique. C’est ce
qu’affirment des chercheurs du laboratoire
Evolution et Diversité Biologique (EDB, unité
mixte UPS/CNRS) qui travaillent sur certaines
formes d’hérédité non génétique. Prendre en
compte toutes les formes d’hérédité, génétique
ou non, ramènera l'hérédité à ce qu'elle n'aurait
jamais du cesser d'être, multidimensionnelle.
Cette nouvelle synthèse est en émergence
actuellement, et les chercheurs de l’UPS y
travaillent activement. Cette émergence remet en
fait en cause des dogmes profondément établis,
aussi bien dans le grand public que parmi les
chercheurs eux-mêmes. Cette nouvelle synthèse
permettra de prendre en compte toute la richesse
des mécanismes de l'évolution, richesse
actuellement sous-estimée par la non prise en
compte de l'hérédité non génétique. En d’autre
terme, les sciences de l’évolution sont en train de
vivre une profonde évolution.
Ce dossier se situe dans ce contexte. Il fournit
une série de flashs montrant la diversité des
approches de l’évolution dans les laboratoires de
notre université tout en montrant leur
participation aux grandes avancées en cours
dans ce domaine.
Contact : [email protected]
L’évolution des espèces
Evolution morphologique
chez les insectes
dOSSIER
Le décryptage des génomes bouleverse notre vision des mécanismes de
l’évolution. Si les gènes animaux apparaissent très conservés, on découvre
l’importance de la variation de leurs interactions.
>>> François PAYRE, directeur de recherche CNRS
au Centre de biologie du développement (CBD,
unité mixte UPS/CNRS). © C. Fresillon/CNRS
Depuis l’antiquité, l’extraordinaire diversité
Micro ou Macro mutations
morphologique des animaux a frappé les esprits et son
étude a eu un impact majeur pour la théorie de
Les mécanismes de l’évolution font l’objet de vifs débats
théoriques. L’évolution pourrait procéder par
l’évolution. On sait aujourd’hui que l’ensemble des
l’accumulation au cours du temps de mutations de
gènes d’une espèce, son génome, gouverne le plan
faible effet individuel, ou micromutations. Au
d’organisation du corps. Les gènes interagissent entre
contraire, seules des mutations brutales d’effet majeur,
eux en formant des réseaux de régulation complexes qui
ou macromutations, seraient capables de modifier en
déterminent les caractères morphologiques au cours du
développement. Le séquençage des génomes a provoqué
profondeur les programmes du développement.
une véritable révolution. En effet, les gènes et leurs
produits, les protéines, sont étonnamment conservés,
l’opportunité de tester expérimentalement ces
depuis les animaux les plus primitifs jusqu’à l’homme.
brutale, tout ou rien, de l’expression du gène dans
Comment l’évolution des gènes a-t-elle alors permis
l’épiderme, confirmant l’importance de variations
l’apparition d’une telle diversité morphologique ?
majeures. Cependant, ce changement résulte de
Comme souvent, c’est l’interaction entre disciplines qui
déclenche des avancées. Notre équipe au « Centre de
mutations dans au moins trois régions distinctes!
biologie du développement » étudie la différentiation
n’est pas suffisante pour changer la morphologie. Au
de l’épiderme qui produit des structures cuticulaires,
les trichomes, caractérisant la morphologie externe des
moins dans ce cas, une modification majeure à l’échelle
macroscopique peut être due à l’accumulation de
drosophiles. Il existe une grande diversité des trichomes
« micro » mutations.
La diversification évolutive des trichomes offrait
hypothèses. Nos travaux ont montré une modification
Prise individuellement, l’évolution d’une seule région
entre espèces d’insectes. Pour comprendre cette
évolution morphologique, nous collaborons avec
Evolution « entre » les gènes
l’équipe de David Stern à Princeton (USA), qui
s’intéresse à la variation évolutive. Cette approche
Les modifications identifiées n’affectent pas
directement le gène, c'est-à-dire la région qui code
alliant évolution et développement (Evo-Devo) a permis
la protéine, mais des régions génomiques avoisinantes,
des découvertes apportant un éclairage nouveau aux
des trichomes différents, nous avons identifié les
régions du génome responsables de cette diversification.
qui régulent son expression. Ces mutations modifient
le code d’interaction entre le gène et ses gènes
régulateurs, situés en amont dans le réseau de
régulation. Le décodage de cette grammaire de
régulation entre gènes du développement nous
permettra de mieux comprendre les mécanismes intimes
de l’évolution. Les séquences intergéniques constituent
De manière surprenante, c’est la modification d’un
seul gène qui a causé l’évolution des trichomes, et ce
dans tous les cas étudiés. Plus surprenant encore, alors
cependant la grande majorité de notre génome (>90%)
et restent mal connues. Les approches fonctionnelles
chez des organismes modèles devront être encore mises
que des centaines de gènes peuvent modifier les
trichomes au laboratoire, il s’agit à chaque fois du
même gène qui a évolué de manière indépendante,
en parallèle, dans des espèces éloignées de plus de
40 millions d’années ! Les gènes d’un même réseau
présentent donc un potentiel différent pour l’évolution
à contribution pour percer l’ensemble de leurs secrets.
mécanismes de l’évolution.
Evolution parallèle
Par l’analyse génétique d’hybrides entre espèces avec
Contact : [email protected]
morphologique. Ceci suggère l’existence de contraintes
liées au développement, qui favorisent la fixation de
>>> Trichomes de drosophile, observés
en microscopie électronique. © F. Payre.
page 22
modifications évolutives seulement à certaines
positions des réseaux de régulation génique.
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
dOSSIER
L’évolution des espèces
Évolution et paléontologie :
quoi de neuf ?
Comprendre le vivant c’est connaître son avènement au fil du temps. Grâce
aux avancées technologiques, les paléontologues avancent dans leur analyse
de la biodiversité fossile. A la clef, des résultats variés.
>>> Pierre-Olivier ANTOINE, Maître de
conférences au Laboratoire des Mécanismes
et Transferts en Géologie (LMTG, unité mixte
UPS/CNRS/IRD).
Discipline à l’interface de la biologie – pour les
paléontologues travaillent indifféremment sur les
objets traités – et des sciences de la terre – pour leur
organismes éteints et vivants. Enfin, les fossiles
contexte –, la paléontologie s’est développée au cours
des deux derniers siècles sous l’impulsion de figures
permettent de travailler dans un cadre
marquantes comme Georges Cuvier, Jean-Baptiste
s’agit de calibrer les âges de divergence au sein
Lamarck, Alcide d’Orbigny, George G. Simpson ou
des arbres phylogénétiques. Une fois établies puis
Stephen J. Gould. La théorie de l’évolution, énoncée
contraintes du point de vue chronologique, les
par Charles Darwin (et Alfred R. Wallace) il y a
150 ans, a évidemment joué un rôle considérable
relations de parenté peuvent ainsi être interprétées
en termes de dispersion géographique, pour des
pour la compréhension des phénomènes observés sur
espèces fossiles et actuelles. Les géologues peuvent
les organismes fossiles, à la fois du point de vue de
alors utiliser ces données, de manière notamment
leur morphologie et de leur diversité. Ces progrès
à reconstituer la géographie des régions.
sont toutefois indissociables d’autres avancées
La récente mise au jour de restes de rhinocéros
scientifiques plus récentes, comme la tectonique des
géants, associés à d'autres mammifères et datés de
plaques, les datations radiométriques (on compte
plus de 25 millions d’années en Anatolie (Turquie),
désormais en millions, voire en milliards d’années),
l’avènement de la génétique (qui permet d’expliquer
prouve l’existence de communications terrestres et
les phénomènes évolutifs sous-jacents, sur les
l’Oligocène. Contrairement à ce qui était admis
organismes actuels).
jusqu’alors – en l'absence d'indices –, l’Anatolie
chronostratigraphique fiable, notamment lorsqu’il
de relations étroites avec les Balkans et l’Asie à
n’était donc pas un archipel à l’époque. C’est ce
Une approche nouvelle
Depuis une vingtaine d’années, l’émergence
qu’ont montré en 2008 des paléontologues et des
des méthodes de reconstruction phylogénétique
le Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris) et
informatisées a permis aux biologistes et aux
paléontologues de reconsidérer l’arbre du vivant,
les services géologiques turcs, à partir de quelques
ossements(1) !
à la fois dans son ensemble et dans le détail. Les
De même, la découverte en Amazonie péruvienne,
chercheurs s’attachent désormais à reconstruire des
(par des écologues, géologues et paléontologues
phylogénies – arbres « généalogiques » en termes de
d’EcoLab (unité mixte UPS/CNRS) et de notre
groupes frères ou d’espèces sœurs – fondées sur le
laboratoire), de bambous fossiles apparentés au genre
actuel Guadua et datés de plus de 50000 ans(2) vient-
partage de caractères évolués, au détriment des
géologues de notre laboratoire, en collaboration avec
classiques relations ancêtre-descendant. Les données
elle de permettre de réfuter l’hypothèse, jusqu’alors
recueillies (caractères morphologiques, mutations
consensuelle, d’une dispersion anthropique de ces
génétiques) sont traitées à l’aide de logiciels
bambous depuis l’Amérique du nord.
spécialisés, qui permettent la formalisation objective
En d'autres termes, la paléontologie a tout à gagner
et réfutable d’un très grand nombre de données :
des échanges avec les sciences connexes. Une telle
c’est la fin de l’argument d’autorité.
multidisciplinarité permet en effet d'augmenter
considérablement la portée des résultats obtenus.
Relations de parenté
En termes de phylogénie, seule la paléontologie
>>> Fragment de radius de rhinocéros géant provenant
de l’Oligocène d’Anatolie (Turquie, environ 25 millions
d’années), à gauche. Au centre, dessin interprétatif du
même spécimen. A droite, comparaison avec le plus
gros spécimen connu jusqu’alors
(Oligocène de Mongolie). Tous sont à la même
échelle (barre = 10 cm). © P.-O. Antoine.
procure des informations directes sur les
changements morphologiques et l’évolution de la
Le salut de cette science naturaliste pluri-séculaire
passe sans nul doute par là.
Contact : [email protected]
biodiversité au cours des temps : l’échantillonnage
(1) Antoine P.-O. et al., 2008. Zoological Journal of
des taxons disponible en paléontologie est largement
supérieur à celui du monde vivant, d'autant que les
the Linnean Society, 152: 581-592.
(2) Olivier J. et al., 2009. Review of Palaeobotany
and Palynology, 153: 1-7.
page 23
L’évolution des espèces
L’évolution n’est pas
qu’une affaire de gènes
Longtemps perçue sous le joug unique de son volet génétique, l’évolution est
aujourd’hui appréhendée plus globalement. L’environnement de chaque
individu influe sur son développement. Et donc sur l’héritage qu’il transmet
à sa descendance…
>>> Etienne DANCHIN, directeur de recherche
CNRS, avec à ses côtés, Simon BLANCHET,
postdoctorant et Susana Varela, Doctorante.
Équipe travaillant sur l’évolution culturelle
animale au Laboratoire Evolution et Diversité
dOSSIER
Biologique (EDB, unité mixte UPS/CNRS/ENFA).
La vie est essentiellement une question de transfert
d'informations entre générations. Parce qu'il ne
lesquelles les mâles peu colorés sont préférés. Par leurs
choix les femelles exercent une forte pression de
connaissait rien aux mécanismes sous jacents, Darwin
sélection sur les mâles, pouvant aboutir à deux types de
avait une vision très large de l'hérédité. Une phrase
présente dès la première version de ‘L’Origine des
populations, certaines où les femelles préfèrent les
mâles peu colorés et où ceux-ci sont peu colorés,
espèces’ (1859) résume parfaitement sa vision :
d’autres où les mâles sont colorés et les femelles
« Toute variation qui n’est pas transmise n’est pas
préfèrent les mâles colorés. À terme de telles
importante pour nous ». D’après Darwin, la variation
populations peuvent diverger au point de s’ignorer
entre individus a deux composantes: celle qui est
complètement lorsqu’elles se retrouvent, éliminant
transmise, versus celle non transmise à la génération
tout flux de gènes entre elles. Les populations sont
suivante.
alors séparées et donc en route vers la spéciation,
Cependant, la découverte à la fin du 19ème et au début
du 20ème siècle de la capacité de la molécule d'ADN
initiée par un processus culturel.
à coder et à transmettre des informations
entre générations a conduit à une réduction de
Transmission culturelle
Les chercheurs du laboratoire EDB travaillent sur
l'hérédité à sa seule composante génétique. Ce qui
l’importance de l’hérédité culturelle animale en
conduit aujourd’hui les auteurs à opposer la variation
d’origine génétique à celle d’origine environnementale.
évolution. Les comportements concernés sont les
Cette décomposition classique tout en insistant sur le
avons par exemple montré récemment que les femelles
rôle central de la génétique revient à rejeter tout rôle
évolutif aux autres formes de variation héritée. Dans
de Drosophila melanogaster font preuve de capacités
les faits, le point important pour l’évolution est que
la variation soit héritée quelque soit le mécanisme
cerveau. Ces capacités conduisent à envisager
d’hérédité.
chez cette espèce.
cognitives insoupçonnées aux vues de la taille de leur
l’existence de comportements hérités culturellement
Parmi toutes les formes d’hérédité connues, la
>>> Femelle préférant copuler avec un mâle rose et non
avec un mâle vert après avoir vu trois mâles de ce type
Influence sociale
transmission culturelle à l’originalité de ne pas
C’est dans ce contexte qu’émerge actuellement la
seulement se produire verticalement (i.e. de parent à
notion d’hérédité culturelle, c’est-à-dire d’informations
transmises entre les générations par apprentissage
enfant) mais aussi horizontalement (entre individus de
la même génération) ou obliquement (entre individus
social. Justement, cet apprentissage affecte de
nombreux comportements considérés jusque-là comme
non apparentés de générations différentes). De ce fait,
la transmission culturelle doit profondément affecter
uniquement déterminés génétiquement. Par exemple,
l’évolution à tel point que certains processus
les préférences sexuelles de nombreuses espèces de
vertébrés sont fortement influencées par le fait d’avoir
impossibles avec une transmission uniquement verticale
(comme c’est le cas de la transmission génétique)
vu d’autres femelles préférer tel ou tel type de mâle. On
peuvent devenir possibles avec la transmission
peut ainsi créer des préférences pour des traits
culturelle. De ce fait, intégrer toutes les formes
totalement nouveaux, tels une plume rouge ou bleue
d’hérédité dans le raisonnement évolutif augmente
sur la tête d’un oiseau. Nous avons récemment
sensiblement le champ de l’évolution. Gageons que
démontré qu’il est possible de déclencher une préférence
la prise en compte de toutes les formes de l’hérédité
chez les femelles drosophiles pour des mâles ayant une
va fortement changer notre manière d’appréhender
coloration verte ou rose. De telles influences sociales
sur les préférences sexuelles peuvent alors conduire a
l’évolution dans les années à venir.
copuler avec des femelles et trois mâles verts se faire
l’émergence de populations dans lesquelles les femelles
rejeter par des femelles.
préfèrent les mâles richement colorés et d’autres dans
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préférences sexuelles des poissons et des insectes. Nous
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
dOSSIER
L’évolution des espèces
L’influence des
transitions écologiques
Véritables témoins des changements, les micro-organismes doivent s’adapter
vite. Leur évolution, mieux appréhendée grâce aux progrès du séquençage,
prouve le rôle majeur des contraintes environnementales sur le
développement biologique.
>>> Catherine MASSON-BOIVIN, directeur
de recherche INRA, au Laboratoire
des Interactions Plantes Micro-organismes
(LIPM, unité mixte INRA/CNRS), rattachée à
l’Institut fédératif Agrobiosciences,
intéractions et biodiversités (IFR 40)
Les transitions écologiques ont un impact fort sur
plus de 10 genres et 60 espèces inter mêlés avec des
l’environnement et représentent une source majeure
de biodiversité. Grâce à la plasticité de leur génome,
les bactéries sont particulièrement enclines aux
pathogènes et des saprophytes. Cette biodiversité
soulève de fascinantes questions quant à l’émergence
et l’évolution des rhizobia.
transitions écologiques. Elles ont évolué depuis des
milliards d’années en réponse aux contraintes
Symbiose adaptative
environnementales. Des stratégies d’évolution
Pour répondre à ces questions, nous avons entrepris
expérimentale en laboratoire visent à recréer
l’évolution en accéléré afin d’analyser les mécanismes
en collaboration avec P. Heeb (laboratoire EDB, unité
mixte UPS/CNRS) l’évolution d’un pathogène de
qui sous-tendent l’adaptation des bactéries à de
plante, Ralstonia solanacearum, en symbiote de
nouvelles niches écologiques. Les nouvelles
légumineuse, au moyen d’une stratégie dite « design
technologies de séquençage à haut débit permettent
then evolve ». Cette stratégie consiste à construire
aujourd’hui le re-séquençage du génome des bactéries
à différents stades de ces expériences d’évolution et
par génie génétique une souche dotée d’un potentiel
l’identification des mutations adaptatives.
utilisant une légumineuse comme pression de
symbiotique, et à faire évoluer cette souche en
sélection. Cette stratégie nous a permis de faire
Variations de genres
évoluer des dérivés nodulants et infectieux
Les bactéries appelées rhizobia sont un cas typique
de micro-organimes issus d’évènements indépendants
intracellulaires d’une légumineuse (le mimosa)
et répétés de transition écologique. Les rhizobia sont
de ces bactéries évoluées sont en cours d’analyse
des bactéries du sol capables d’établir avec les
(collaboration avec Claudine Médigue, Genoscope
plantes de la famille des légumineuses une symbiose
à Evry) afin d’identifier les mutations adaptatives
d’intérêt écologique majeur. En effet, cette symbiose
apparues au cours de l’expérience d’évolution
se traduit par la formation sur les racines de la
contrôlée. Ainsi, les mécanismes moléculaires qui
plante de nouveaux organes, les nodules, dans
accompagnent l’adaptation à la symbiose avec une
lesquels les bactéries fixent l’azote atmosphérique.
Les plantes nodulées peuvent ainsi croître en absence
légumineuse seront analysés. Ceci devrait nous
d’engrais azotés dont la synthèse et l’utilisation
maintien de cette symbiose dans la nature.
à partir d’un pathogène extracellulaire. Les génomes
permettre de mieux comprendre l’évolution et le
agricole sont à la fois coûteux et polluants pour
l’environnement. Cette symbiose se met en place
au moyen d’un processus complexe (organogénèse,
pénétration des tissus via des cordons d’infection,
infection intracellulaire des cellules végétales) qui
fait intervenir des échanges de signaux moléculaires
entre les deux partenaires.
>>> Infection de Mimosa pudica par le rhizobium
Cupriavidus taiwanensis (en vert).
Bien que partageant une même fonction biologique
complexe, les rhizobia ne forment pas un groupe
taxonomique homogène mais sont dispersés au sein
des alpha- et béta-protéobactéries où ils représentent
page 25
Contact : [email protected]
L’évolution des espèces
Diversité génétique et
évolution humaine
Si l’évolution humaine a longtemps été le domaine réservé des anthropologues,
des linguistes et archéologues, les travaux scientifiques sur l’évolution ou la
diversité humaine font de plus en plus appel à des généticiens.
Les données fossiles suggèrent que les premiers êtres
>>> Lounès CHIKHI, chargé de recherche CNRS
au Laboratoire Evolution et Diversité Biologique
(EDB, unité mixte UPS/CNRS/ENFA), est
actuellement mis à disposition à l’Instituto
dOSSIER
Gulbenkian de Ciência, au Portugal.
page 26
humains « modernes » sont très probablement
apparus en Afrique il y a 150 000 à 200 000 ans.
Il serait bien entendu naïf de croire que les données
génétiques obtenues sur des populations actuelles,
quelque 5 à 10 000 générations plus tard, pourront
nous donner des informations précises sur cette
histoire complexe faite d’expansions, de colonisations
de nouveaux territoires, de retours en arrière,
d’extinctions, de rencontres et de mélanges. Mais,
les données génétiques ont véritablement révolutionné
>>> Le propithèque à couronne dorée (Propithecus tattersalli)
le regard que nous portons sur notre espèce au cours
vit dans une petite région du nord de Madagascar. Nous
des dernières décennies.
Ainsi, jusqu’aux années 1960, la majeure partie
des spécialistes pensaient que l’espèce humaine avait
divergé depuis au moins 15 millions d’années des
autres primates, Les datations faites à partir de
données moléculaires ont permis de montrer que (i)
nous sommes plus proches des gorilles et chimpanzés
qu’eux-mêmes ne le sont des orangs-outangs, (ii)
cette divergence est très récente, de l’ordre de
5 à 7 millions d’années.
étudions l’impact de la fragmentation de son habitat sur sa
Espèce jeune
Les données génétiques ont aussi contribué à montrer,
de façon répétée, que les populations humaines sont
peu différenciées les unes des autres à l’échelle
mondiale, en accord avec l’idée que notre espèce est
bien une espèce jeune ayant colonisé la planète très
récemment, et dans laquelle la notion de race
biologique est inopérante. Ces résultats s’opposent
donc aux théories d’origines multiples qui
postulaient, jusqu’il y a encore peu, que plusieurs
espèces ou races humaines étaient apparues sur les
différents continents à partir des Homo erectus qui
avaient quitté l’Afrique il y a plus d’un million
d’années (les fameux hommes de Pékin et de Java).
Au cours des trente dernières années, de nombreux
travaux nous ont permis de mieux comprendre
comment des événements démographiques tels que
des expansions (lors de la colonisation à partir
de l’Afrique), des contractions (lors des dernières
glaciations en Europe), ou des mélanges de
populations (lors de la transition Néolithique qui
a mis en contact les premiers agriculteurs venant
du Proche Orient et les chasseurs-cueilleurs qui
diversité génétique, et en particulier les effets respectifs de
la fragmentation due à l’espèce humaine et ceux dus aux
changements climatiques, plus anciens, sur cette diversité
(© Erwan Quéméré, doctorant au laboratoire EDB).
occupaient l’Europe) pouvaient influencer la diversité
génétique des populations actuelles. Il est ainsi assez
bien établi que l’espèce humaine est une espèce jeune
dont la distribution actuelle est le résultat d’une
expansion à partir de populations qui vivaient en
Afrique il y a 50 à 100 000 ans (c'est-à-dire bien
après l’apparition des premiers hommes modernes, en
Afrique également). Les données génétiques semblent
aussi indiquer que l’espèce humaine ne s’est pas (ou
très peu) mélangée avec celle des néandertaliens.
Dans notre laboratoire nous essayons ainsi de
comprendre comment les mélanges de populations
peuvent être quantifiés même lorsqu’ils sont anciens
(comme pour la transition Néolithique en Europe).
Nous analysons des données publiées ou étudions
les propriétés de données simulées par ordinateur.
Les applications ne se limitent pas à l’espèce humaine
et nous permettent de reconstruire l’histoire
démographique d’espèces menacées, afin de mieux
comprendre l’impact de phénomènes naturels ou
anthropogéniques.
Un des défis de la génétique des populations
humaines (ou d’autres espèces) sera, dans le futur,
d’arriver à reconstruire leur histoire récente, dans le
cadre de modèles moins simplistes que ceux que nous
sommes parfois obligés d’utiliser aujourd’hui.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
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