Discipline à l’interface de la biologie – pour les
objets traités – et des sciences de la terre – pour leur
contexte –, la paléontologie s’est développée au cours
des deux derniers siècles sous l’impulsion de figures
marquantes comme Georges Cuvier, Jean-Baptiste
Lamarck, Alcide d’Orbigny, George G. Simpson ou
Stephen J. Gould. La théorie de l’évolution, énoncée
par Charles Darwin (et Alfred R. Wallace) il y a
150 ans, a évidemment joué un rôle considérable
pour la compréhension des phénomènes observés sur
les organismes fossiles, à la fois du point de vue de
leur morphologie et de leur diversité. Ces progrès
sont toutefois indissociables d’autres avancées
scientifiques plus récentes, comme la tectonique des
plaques, les datations radiométriques (on compte
désormais en millions, voire en milliards d’années),
l’avènement de la génétique (qui permet d’expliquer
les phénomènes évolutifs sous-jacents, sur les
organismes actuels).
Une approche nouvelle
Depuis une vingtaine d’années, l’émergence
des méthodes de reconstruction phylogénétique
informatisées a permis aux biologistes et aux
paléontologues de reconsidérer l’arbre du vivant,
à la fois dans son ensemble et dans le détail. Les
chercheurs s’attachent désormais à reconstruire des
phylogénies – arbres « généalogiques » en termes de
groupes frères ou d’espèces sœurs – fondées sur le
partage de caractères évolués, au détriment des
classiques relations ancêtre-descendant. Les données
recueillies (caractères morphologiques, mutations
génétiques) sont traitées à l’aide de logiciels
spécialisés, qui permettent la formalisation objective
et réfutable d’un très grand nombre de données :
c’est la fin de l’argument d’autorité.
Relations de parenté
En termes de phylogénie, seule la paléontologie
procure des informations directes sur les
changements morphologiques et l’évolution de la
biodiversité au cours des temps : l’échantillonnage
des taxons disponible en paléontologie est largement
supérieur à celui du monde vivant, d'autant que les
paléontologues travaillent indifféremment sur les
organismes éteints et vivants. Enfin, les fossiles
permettent de travailler dans un cadre
chronostratigraphique fiable, notamment lorsqu’il
s’agit de calibrer les âges de divergence au sein
des arbres phylogénétiques. Une fois établies puis
contraintes du point de vue chronologique, les
relations de parenté peuvent ainsi être interprétées
en termes de dispersion géographique, pour des
espèces fossiles et actuelles. Les géologues peuvent
alors utiliser ces données, de manière notamment
à reconstituer la géographie des régions.
La récente mise au jour de restes de rhinocéros
géants, associés à d'autres mammifères et datés de
plus de 25 millions d’années en Anatolie (Turquie),
prouve l’existence de communications terrestres et
de relations étroites avec les Balkans et l’Asie à
l’Oligocène. Contrairement à ce qui était admis
jusqu’alors – en l'absence d'indices –, l’Anatolie
n’était donc pas un archipel à l’époque. C’est ce
qu’ont montré en 2008 des paléontologues et des
géologues de notre laboratoire, en collaboration avec
le Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris) et
les services géologiques turcs, à partir de quelques
ossements(1) !
De même, la découverte en Amazonie péruvienne,
(par des écologues, géologues et paléontologues
d’EcoLab (unité mixte UPS/CNRS) et de notre
laboratoire), de bambous fossiles apparentés au genre
actuel Guadua et datés de plus de 50000 ans(2) vient-
elle de permettre de réfuter l’hypothèse, jusqu’alors
consensuelle, d’une dispersion anthropique de ces
bambous depuis l’Amérique du nord.
En d'autres termes, la paléontologie a tout à gagner
des échanges avec les sciences connexes. Une telle
multidisciplinarité permet en effet d'augmenter
considérablement la portée des résultats obtenus.
Le salut de cette science naturaliste pluri-séculaire
passe sans nul doute par là.
Contact : poa@lmtg.obs-mip.fr
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Évolution et paléontologie :
quoi de neuf ?
Comprendre le vivant c’est connaître son avènement au fil du temps. Grâce
aux avancées technologiques, les paléontologues avancent dans leur analyse
de la biodiversité fossile. A la clef, des résultats variés.
dOSSIER
>>> Pierre-Olivier ANTOINE, Maître de
conférences au Laboratoire des Mécanismes
et Transferts en Géologie (LMTG, unité mixte
UPS/CNRS/IRD).
>>> Fragment de radius de rhinocéros géant provenant
de l’Oligocène d’Anatolie (Turquie, environ 25 millions
d’années), à gauche. Au centre, dessin interprétatif du
même spécimen. A droite, comparaison avec le plus
gros spécimen connu jusqu’alors
(Oligocène de Mongolie). Tous sont à la même
échelle (barre = 10 cm). © P.-O. Antoine.
L’évolution des espèces
(1) Antoine P.-O. et al., 2008. Zoological Journal of
the Linnean Society, 152: 581-592.
(2) Olivier J. et al., 2009. Review of Palaeobotany
and Palynology, 153: 1-7.