Les belles empoisonneuses
Belles mais dangereuses, ce qualificatif ne s’adresse pas aux femmes (quoique)
mais à un ensemble de plantes dont l’esthétique n’a pour égal que leur toxicité.
Certaines sont connues, d’autres discrètes, mais toutes ont pour particularité de
n’avoir provoqué aucun accident mortel chez l’humain (sauf par confusion), les
actions de Lucrèce Borgia ne pouvant recevoir le qualificatif d’accident !
La Nature étant essentiellement utile, la toxicité est souvent le corollaire d’un
usage médicinal fort bien maîtrisé dans les siècles antérieurs, tombé en
désuétude par souci de modernité, revenu en force à la faveur de la mode du
« naturel » .
Les amateurs s’intéressant à la phytothérapie pensent ne prendre aucun risque
« la nature étant bonne » depuis Jean-Jacques Rousseau, le petit exposé suivant
leur donnera sans doute à réfléchir.
Certaines familles sont redoutables, les Renonculacées, offrent sous des abords
attrayants une collection de petites pestes au pouvoir effrayant
Aconit napellus (Casque de Jupiter) d’un bleu céleste est la plante la plus
dangereuse de la flore européenne. 2 à 4 g de racines provoquent la mort (
troubles nerveux, visuels et cardiaques…) le simple fait de la cueillir peut
engendrer des irritations de la peau ou quelques troubles plus violents si les
mains ont des écorchures. Mais a contrario, en petite quantité la plante est
antalgique et sédative de la toux. Attention cela à dose infime car sinon vous
risquez de ne plus avoir à tousser du tout.
Helleborus ( Hellebore) « ma commère il faudrait vous purger avec quatre grains
d’ellébore » dit le lièvre de la fable à la tortue car les graines étaient réputées
remède contre la folie mais grâce au cardiotoxique présent dans la médication
l’effet secondaire devait être surprenant.
Adonis aestivalis (goutte de sang) ,à l’instar de la Digitale, vous fera battre le
cœur…laquelle digitale à une réputation sulfureuse. 40 g de feuilles fraiches
peuvent être fatales mais en aucun cas il ne peut s’agir d’empoisonnement fortuit.
En pharmacopée tout le monde connaît les bienfaits de la digitaline sur la
régulation cardiaque.
Venons-en aux Renoncules, nos modestes « boutons d’or » avec lesquels nous
avons tous joué étant enfants. Nos parents étaient bien inconscients ! Toutes ces
plantes sont irritantes et toxiques mais rassurons nous à des degrés divers. La
palme revient à Renonculus sardous qui provoque lors de la mort un rictus
qualifié de « sardonique », utilisée assez facilement dans l’antiquité pour se
débarrasser des gêneurs.
Aquilegia vulgaris (Ancolie) et Delphinium consolida (Pied d’Alouette)
contiennent des alcaloïdes dangereux et pourtant nous les cultivons.
La Dauphinelle, orne nos champs et nos jardins pour les variétés horticoles
somptueuses, mais l’habit ne faisant pas le moine, il cache sous ses atours le fait
d’être un toxique digestif, respiratoire et cardiaque, excusez du peu !!! et
l’herboriste de préciser que l’usage comme diurétique et vermifuge offre
quelques risques...
Dans les prairies du Sud ouest se rencontre une plante de la famille de
Coriariacées , la Corroyère ou Coriaria myrtifolia ( « redoul »). Les espagnols
l’appelle « la chèvre-ivre » car elle provoque des symptômes proche d’une
intoxication alcoolique. Elle très dangereuse car porteuse de petits fruits noirs
violacés appétissants pouvant être confondus à maturité avec des mûres. Les
intoxications sont rares mais mortelles et les enfants doivent être avertis du
danger. L’éducation à la nature est indispensable, elle doit impérativement être
préférée à l’éradication, moyen irréaliste et tout à fait anti pédagogique.
Et nos jardins, entourés de haies de Laurier-cerise seraient-ils dangereux pour
nos enfants ? La plante dégage une odeur d’amande amère caractéristique de
l’acide cyanhydrique (ou acide prussique), produit fort peu amène que l’on
retrouve dans les amandes amères justement, dans les noyaux de pêche et dans
une moindre mesure d’abricot. Les feuilles ont été utilisées pour parfumer des
desserts ou des crèmes mais cette pratique, quelque peu insouciante a été
abandonnée car les enfants gourmands présentaient des troubles nerveux ou
respiratoires après le fameux goûter chez grand-mère. Comme quoi il n’est pas
nécessaire de menacer les enfants désobéissants d’appeler l’ogre, mamie suffit
parfois.
La palme du mal-aimé revient à l’If qu’il faudrait éradiquer des jardins et des
écoles Ici la désinformation est étonnante, les arilles sont, en effet, comestibles
quoique de peu de goût, les graines sont très toxiques mais seulement une fois
broyées. Elles sont très dures et un enfant consommant accidentellement une
arille digérerait le fruit au même titre que les oiseaux : la graine serait rejetée
intacte dans le transit intestinal et donc sans toxicité.
Les feuilles sont également toxiques mais très amères, elles sont très dissuasives
pour l’humain.
Au niveau des enfants ce sont surtout les fruits qu’il faut craindre .
La magnifique floraison de Laburnum anagyroides lui vaut un succès toujours vif
auprès du public, sa fleur jaune, ressemble benoîtement à celle du Robinier faux
acacia ( blanc) dont on fait des beignets délicieusement sucrés et la confusion
pourrait s’avérer mortelle, l’émétique contenu dans la plante suffit à vider
l’estomac et limiter l’intoxication. Cependant toutes les parties de la plante sont
dangereuses.
Lupinus angustifolia , plante dangereuse ? Pourtant les graines sont consommées
régulièrement en Corse et en Espagne !, mais après avoir subi une cuisson puis
une macération dans la saumure. La graine fraîche provoque des troubles
digestifs et nerveux. Ce qui démontre combien l’homme a pris de risques pour
découvrir les plantes alimentaires dans son environnement. Il faut donc bien faire
la distinction entre le lupin doux et le lupin amer (comme pour le manioc mais
heureusement avec des risques moindres)
Le bois-gentil avance masqué, sous ce nom charmant se cache Daphne
mezereum,un arbuste à fleurs roses, odorantes se transformant en fruits rouges
vifs, très attirants mais mortels. Troubles urinaires, digestifs, cardiaques ou
respiratoires sont les spécialités de ce «gentil» qui n’en a que le nom et dont les
anciens utilisaient les propriétés émétiques et purgatives.
Au Gui,l’an neuf , rassurons nous, s’embrasser sous le gui ne suscite pas de
risques mais la consommation d’une dizaine de fruits est potentiellement
mortelle, heureusement leur viscosité les rend peu attrayants. Les parties vertes
sont, par contre, très généreuses, hypotensives, vaso-dilatatrices, diurétiques et
antitumorales. La Nature n’est ni bonne, ni mauvaise elle est efficace.
Le Ricin (Ricinus communis) est fréquemment utilisé dans les massifs qu’il domine
de sa haute taille, il convient d’enlever les graines qui se forment car leur toxicité
est avérée. La ricine qui provoque l’agglutination des globules rouges ne passe
heureusement pas dans l’huile extraite sous pression, celle-ci a des vertus…fort
dérangeantes mais certaines.
Dans la famille des Apiacées (anciennement Ombellifères) la petite et grande
cigüe, la cigüe vireuse forment un triumvirat redoutable. La cigüe est connue de
tous pour ses propriétés toxiques grâce à Socrate comme quoi la philosophie peut
conduire au succès.
D’apparition plus récente, une plante superbe utilisée inconsidérément en
ornement commence à faire parler d’elle. La Berce du Caucase a pour
particularité de provoquer, non un empoisonnement sensu-stricto mais une
photosensibilisation condamnant ses victimes à fuir le soleil au risque d’être
couverte de brûlures. Le goût pour les plantes « exotiques » conduit parfois à des
prises de risques insoupçonnés.
Planter des narcisses, des colchiques, des perce-neige, des iris n’est pas un loisir
de tout repos. Cependant arrêtons là le fantasme et disons simplement que leur
bulbe n’est pas consommable. Certaines sont irritantes au contact et les Scilles
par exemple ne doivent pas être plantées dans des crèches ou des écoles.
Et alors plus de muguet non plus pour nos chères têtes blondes ? Cette petite
plante porte bonheur est aussi dangereuse que la digitale.
Une autre famille est remarquable en matière de toxicité : les Solanacées
possèdent une superbe collection de belles empoisonneuses. La Belladone
(Atropa belladona) aux baies juteuses très tentantes a été utilisée comme poison,
philtre de sorcière et par les vénitiennes qui utilisaient la sève en collyre afin de
dilater les pupilles et donner un regard langoureux. Elle contient plusieurs
alcaloïdes toxiques dont l’atropine.
Les solanums ornementaux : Solanum jasminoides et rantonetti ont des fruits
toxiques mais ni plus ni moins que Solanum tuberosum , notre pomme de terre.
Le Datura (en fait Brugmansia) offre des fleurs en trompette rose ou blanche et
une odeur suave. Elle est très à la mode en ornement soit en massif, soit en potée
mais il ne faut pas oublier que la plante sauvage est une plante chamanique
utilisée pour ses pouvoirs hallucinogènes puissants permettant aux initiés de
rencontrer leur animal totémique. Hélas un site internet détaille les effets de la
plante et il est atterrant de constater que l’on peut expliquer à tout un chacun
comment « faire un trip » avec cette plante en occultant ou du moins en minimisant
les risques. Tout au plus il est dit, « faire attention de ne pas être en hauteur si l’on
se prend pour un aigle ou près d’un plan d’eau si l’on se prend pour un canard ».
Cette plante est, de fait, mortelle.
Approchons avec précaution une des plantes les plus prisées de nos jardins, le
rêve méditerranéen, le Laurier-rose ( Nerium oleander). L’ensemble de la plante
est toxique à faible dose, une seule feuille suffirait à empoisonner un adulte. Les
soldats de Napoléon, envahissant l’Italie, ont cherché du laurier pour leur ragoût,
une incompréhension linguistique réelle ou volontaire les a amené à utiliser des
feuilles de laurier-rose en lieu et place du laurier-sauce, résultat : 7 morts ! La
cuisson de petits oiseaux sur des tiges de laurier a provoqué une même
hécatombe. Et pourtant, qui voudrait se priver du plaisir de contempler la
floraison explosive du Laurier ?
Bien d’autres plantes enrichiraient cette collection mais plus personne n’oserait
jardiner.
« Il faut cultiver son jardin » dit le Candide de Voltaire, mon dieu quelle
inconséquence, quel « pousse au crime ».
Exagération sémantique ?
En ces temps où le risque ne doit plus exister, le moindre if est suspect.
Le jardin serait il le lieu de tous les dangers ?
Le rêve serait il un gazon bien plat sans haie car les noisetiers inoffensifs portent
des noisettes, les cerisiers, hélas des cerises à noyaux tout objet étouffant les
enfants inattentifs.
Sans a priori et sans arrière pensée, cultivons notre jardin. Apprenons à nos
enfants à connaître les plantes dans tous leurs aspects car la connaissance est la
seule véritable sécurité.
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