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Croissance française :
un problème de choix
François Facchini
Maître de conférences en économie à l’université de Reims
et chercheur à Paris I
Le modèle français de croissance s’essouffle parce qu’il se caractérise par une
libéralisation sans désétatisation, autrement dit sans baisse des dépenses publiques.
La France a réussi son intégration monétaire et commerciale grâce à l’Europe, mais
elle n’arrive pas à réformer son État. Ce qui bride sa croissance.
L
a prévision de croissance française pour 2008 est décevante mais n’est pas
étonnante en soi, car la faiblesse de la croissance en France est devenue
structurelle. Notre croissance est faible dans l’absolu, elle l’est également
relativement à ce qu’elle a été durant les années 1960-1970 et relativement
à la croissance des pays de l’OCDE. Miotti et Sachwald (2005) montrent très bien
l’écart de croissance entre la France et les États-Unis. Après avoir été favorable à
la France jusqu’au milieu des années 1960, cet écart est devenu très défavorable.
L’article de Gilles Saint-Paul (2003) et l’ensemble de la littérature sur le déclin
français ont confirmé cette observation. Si on utilise le taux de croissance moyen du
PIB par tête on constate qu’entre 1970 et 1980, la France se place au quatorzième
rang des pays de l’OCDE, avec un taux de croissance moyen de 3 % ; entre 1980 et
1990, elle recule au seizième rang avec 1,9 % de croissance. Entre 1990 et 2000, elle
perd encore deux places avec 1,3 % de croissance moyenne.
. L Miotti. et F. Sachwald, « La croissance française 1950-2030, le défi de l’innovation », Ifri, La Documentation
française, seconde édition, 2005.
. G. Saint-Paul, « Le déclin économique de la France », Commentaire, n°104, hiver 2003, pp. 817 et suiv.
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Politiques Publiques
Briser les chaînes
Pour expliquer cela, on peut d’abord mobiliser la théorie de l’entrepreneur. Reynolds,
Hay et Camp (1999) ont montré qu’un tiers des différentiels de taux de croissance entre les pays peut s’expliquer par des différentiels d’activité des entrepreneurs.
Zacharakis, Bygrave et Sheperd (2000) estiment pour leur part que l’activité des
entrepreneurs explique approximativement la moitié des différences de croissance
du PIB des seize pays les plus riches de l’OCDE. L’entrepreneur est le génie de
la croissance et du progrès économique (Facchini 2007a). La France a vu faiblir
conjointement sa croissance et son niveau de self-employment. Ce qui expliquerait
notre retard économique, ce serait le peu d’intérêt des Français pour l’activité entrepreneuriale (Henriquez, Verheul, van der Knaap et Bischoff 2001).
On sait que la faiblesse de l’activité productive des entrepreneurs tient à la qualité
des institutions. Il y a des institutions qui favorisent la recherche de rente et d’autres
qui sont favorables à la recherche de profit (Sobel et al. 2007). La France rencontrerait, dans cette perspective, les mêmes problèmes que la Suède (Lindbeck 1995),
c’est-à-dire un manque de liberté économique. Dans le dernier rapport 2008 de la
Fondation Heritage10, la France se place au 48e rang de l’indice mondial et au 25e
rang des 41 pays européens (Roberts et Kim 2008, p.61)11.
Selon cet indicateur, la France de 2008 n’est qu’à 65,4 % libre (l’indice de la Suède
est désormais meilleur puisqu’il est de 70,4 %). Ce qui est important, ce n’est pas ce
taux en soi, c’est le fait qu’il n’a guère diminué depuis 1995. L’interventionnisme a
même augmenté entre 1995 et 2000, avant que nous ne revenions à des politiques
plus libérales. La France se libéralise peu à peu, mais moins que les autres pays
. P. D. Reynolds., M. H. Hay and S. M. Camp, Global Entrepreneurship Monitor, Kansas City: Kaufman Center
for Entrepreneurial Leadership, 1999.
. A. Zacharakis, L. W Bygrave. and D. A. Sheperd, Global Entrepreneurship Monitor, Kansas City: Kaufman Center
for Entrepreneurial Leadership, 2000.
. F. Facchini , « Entrepreneur et croissance économique : développements récents », Revue d’Économie industrielle,
3e trimestre 2007, n°119, pp. 55-84.
. C. Henriquez, I. Verheul , I. van der Knaap and C. Bischoff, « Determinants of Entrepreneurship in France:
Policies, Institutions and Culture », ISSN 01-04, août 2001, disponible sur internet, Institute for Development
Strategies.
. R. S. Sobel, J. R. Clark and D. R. Lee, « Freedom, Barriers to Entry, Entrepreneurship and Economic Progress »,
Review of Austrian Economics, 2007, volume 20, n°4, pp. 221-236.
. Merritt Giles, « Europe’s Decline : What Illiness, What Cure ? » et « Europe’s Good Old Ways Aren’t the Way
Forward », in Herald Tribune, 4, 5 et 6 janvier 1985.
. A. Lindbeck, « Hazardous Welfare-State Dynamics », American Economic Review, mai 1995, n°85, pp. 9-15.
10. Index disponible en ligne sur le site suivant : www.heritage.org
11. www.heritage.org, voir le rapport et le chapitre 5 écrit par J. M. Roberts and A. B. Kim « Economic Freedom
in Five Regions », 2008.
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Croissance française : un problème de choix
européens en forte croissance, comme l’Irlande, le Royaume-Uni ou l’Espagne. Par
exemple, l’Irlande avait en 1995 un indice équivalent à celui de la France, mais en
2008 il atteint 82,4 %. La libéralisation de son économie lui a permis d’avoir sur
la décennie 1990-2000 une croissance moyenne de 7,6 % contre 1, 3 % pour la
France12. La faiblesse de la croissance française s’expliquerait donc par une moindre
augmentation des indices de liberté économique.
C’est pourquoi il faut considérer l’évolution de certaines variables utilisées dans le
calcul de ces indices pour cibler la nature des réformes qui permettraient à la France
d’améliorer sa situation. Les indices de liberté économique de la Fondation Heritage
vont nous guider dans notre analyse. Cet indice est fondé sur la collecte de cinquante
variables indépendantes classées en dix catégories. Chaque catégorie mesure un type
de liberté : liberté des affaires, libre-échange, liberté fiscale, dimension du secteur
public, liberté monétaire (stabilité et contrôle des prix), liberté d’investir, liberté
financière, droit de propriété (sécurité), niveau de corruption et liberté des contrats
en matière de relations du travail. Comme il est difficile de traiter de tous ces types
de liberté, nous ne retiendrons ici que trois d’entre eux : l’action publique, le libreéchange et les « libertés » monétaires. Le libre-échange (free trade) et la liberté
monétaire ont été choisis parce qu’ils relèvent de la politique européenne. Il s’agit de
montrer qu’en ce domaine la France et les pays européens sont plutôt libéraux. Les
mesures proposées par cette fondation estiment que les Européens sont à 86 % libres
d’échanger avec l’étranger et que l’impôt d’inflation a disparu. Une évolution qui a
été favorable à la croissance européenne et française. L’origine de la faible croissance
de la France n’est pas là. L’action budgétaire relève, en revanche, du choix souverain
des États. Les marges de manœuvre des États ont été protégées lors de la signature
de l’Acte unique de 1986 qui n’a pas remis en cause leur liberté fiscale. Sur cet aspect,
les différences entre les États européens sont importantes. Et c’est dans ce domaine
que la France fait ses plus mauvais scores. Un des objectifs prioritaires de la France
doit être de réduire les domaines d’intervention étatique.
Des bienfaits de la construction européenne
On dispose, aujourd’hui, de deux grands indices de liberté économique : l’indice de
la Fondation Heritage et l’indice du Fraser Institute13 . Ici nous utiliserons celui de la
Fondation Heritage. Les deux indices proposent des classements relativement simi12. J. D. Gwartney, R. A. Lawson and R. G. Holcombe, « Economic Freedom and the Environment for Economic
Growth », Journal of Institutional and Theoritical Economics, 1999, 155(4), pp. 1-21.
13. Le Fraser Institute est une organisation indépendante localisée à Vancouver. www/fraserinstitute.ca
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Politiques Publiques
laires14. Parmi les dix libertés listées par la Fondation Heritage figurent les libertés
monétaires et le libre échange.
Pour évaluer l’effet de l’intégration européenne sur le respect des libertés économiques dans chaque État membre, il est possible de reprendre la décomposition des
indices de liberté proposés par la Fondation. En 2008, la France, avec un score de
65,4, se place au dix-huitième rang parmi les vingt-sept pays de l’Union. Les cinq
pays qui respectent le plus les libertés économiques sont l’Irlande, le Royaume-Uni,
le Danemark et l’Estonie. L’Italie, le Portugal, et la Grèce, en revanche, sont derrière
la France.
Un pessimisme à relativiser
Tableau 1 • Décomposition de l’indice de liberté de la Fondation
Heritage pour les douze pays de la zone euro (rapport 2008)
Pays
(classement
2008)
LCE
%
LE
%
LF
%
LG
%
LM
%
LI
%
LFI
%
DP
%
C
%
LT
%
Irlande (3)
Pays-Bas (13)
Luxembourg (15)
Finlande (16)
Belgique (20)
Allemagne (23)
Autriche (30)
Espagne (31)
France (48)
Portugal (53)
Italie (64)
Grèce (80)
92.2
88
76.9
95.2
93.7
88.9
80.6
77.5
87.1
79.6
76.8
69.5
86
86
86
86
86
86
86
86
81
86
81
81
40.1
51.6
65.4
64.3
43.9
58.4
51.2
54.5
53.2
61.3
54.3
65.6
64.5
38.2
44.8
29.1
17.9
34
25.3
56.2
13.2
32.6
29.4
57.8
84.9
86.9
79.8
88.5
80.4
81.4
81.4
78.1
81.2
79.4
80.6
78.5
90
90
90
70
90
80
70
70
60
70
70
50
90
90
80
80
80
60
70
80
70
50
60
50
90
90
90
90
80
90
90
70
70
70
50
50
74
87
86
96
73
80
86
68
74
66
49
44
80.4
60.5
53.1
48.8
64.9
52.8
59.2
56.7
63.8
48
73.5
54.3
Moyenne
83.8
84.7
55.3
36.9
81.76
75.0
71.67
77.50
73.58
59.6
LCE (liberté de créer son affaire), LE (libre échange), LF (liberté fiscale), LG (poids du secteur public),
LM (liberté monétaire), LI (liberté d’investissement), LFI (Liberté financière), DP (sécurité des droits de
propriété), C (corruption) et LT (liberté de contracter sur le marché du travail). Le nombre entre parenthèses qui suit chaque pays correspond à son classement final pour l’ensemble des pays analysés compte tenu
des « libertés » mesurées.
sources : Index of Economic Freedom. Le tableau complet des indices est disponible sur le site de la Fondation Heritage.
Le tableau 1 donne les indices pour tous les pays de la zone euro dans son contour
initial. Il ne faut pas évidemment sacraliser ces chiffres. Il faut les considérer comme
des indications. Ils montrent clairement l’effet de l’intégration européenne sur
les libertés économiques dans chaque pays de l’Union. Il est à noter que dans le
domaine de la liberté sur le marché du travail, la France n’est pas l’un des pays les
14. Voir le numéro spécial de European Journal of Political Economy, 2003, vol. 19, pp. 395-403.
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Croissance française : un problème de choix
plus contraints. Elle se place au quatrième rang des pays de la zone euro derrière
l’Irlande, l’Italie et la Belgique. Cela souligne que la principale raison du fort taux de
chômage en France n’est pas la rigidité du marché du travail ou le manque de liberté
de créer son affaire, liberté mesurée par l’indice LCE. La question du chômage n’est
pas le thème de notre article, mais elle est présente en creux via la loi d’Okun qui
lie le taux de chômage au taux de croissance (plus de croissance signifie moins de
chômage sous certaines conditions) et via la qualité des institutions, celles-ci favorisant soit la recherche de rentes publiques (entrepreneur politique) soit la recherche
de profit (entrepreneur de marché). Le poids de l’administration en France tend à
favoriser la recherche de rente. Il est en ce sens défavorable à l’activité productive
des entrepreneurs.
Inflation et croissance
L’indice de liberté monétaire est mesuré à partir de données sur l’inflation et l’existence ou non d’un contrôle des prix. La stabilité des prix est une variable déterminante du niveau de liberté monétaire. La France a eu entre 1993 et 2000 des taux
d’inflation inférieurs à 2 %. Et il serait erroné de vouloir revenir à des politiques
monétaires expansionnistes pour favoriser la croissance15.
L’inflation influe en effet négativement sur la croissance parce qu’elle agit comme
un impôt déguisé. Elle est, selon la tradition ouverte par Mises16, un phénomène
essentiellement politique. Elle trouve sa cause dans la création monétaire artificiellement entretenue par les États. Grâce à la création monétaire, l’État s’octroie une
plus grande part des ressources nationales sans le dire17. La « taxe d’inflation » baisse
la valeur de la monnaie. Il faut plus d’argent pour acheter la même quantité. Elle
augmente les coûts de transaction bancaires en obligeant les individus à multiplier
les visites à leur banque. L’inflation transfère de la richesse d’un groupe à l’autre
(Alchian et Kessel 1959) : elle a un effet redistributif 18. Elle favorise les débiteurs
et défavorise les créanciers. L’inflation fait, enfin, subir un coût aux producteurs. La
valse des prix, le temps passé pour les ajuster, pour faire l’inventaire ou reprogrammer les ordinateurs sont un des coûts de l’inflation.
15. C’est pourtant ce que défendent certains économistes comme J.-P. Fitoussi. Celui-ci déplore régulièrement le
faible niveau d’inflation imposé par l’Union européenne. Plus d’inflation permettrait de financer la dette. Cf J.-P.
Fitoussi, Dossier Perspectives pour 2003-2004, Revue de l’OFCE, avril 2003, 85, 2, pp. 119-208.
16. L. Mises (1932), Theory of Money and Credit, Indianapolis, Liberty Fund, 1980, p. 468.
17. M. Friedman (1960), A Program for Monetary Stability, New York, Fordham University Press, 1983.
18. A. A. Alchian and R. A. Kessel (1959), « Redistribution of Wealth Through Inflation », reprinted in Alchian A.
(ed), Economic Force at Work, Indianapolis, Liberty Press, 1977.
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Politiques Publiques
À ces coûts directs s’ajoutent des coûts indirects, autrement dit l’effet de la hausse des
prix sur leur hiérarchie relative et in fine le calcul économique des agents (Dowd 1996
chapitre 15)19. L’effet de l’inflation sur la hiérarchie des prix s’explique par les coûts de
l’ajustement. Tous les prix ne s’ajustent pas au même moment parce que les acteurs
ne réagissent pas en même temps. Il est difficile en effet pour un producteur de pain
de savoir si l’augmentation est générale ou simplement localisée sur son marché. Une
erreur d’appréciation conduit sur le court et moyen terme à un ajustement imparfait
qui favorise une augmentation plus rapide des prix de certains biens.
Cela explique que la théorie économique prévoie que de hauts niveaux d’inflation
nuisent à la croissance et au bien-être social.
Les résultats empiriques ont longtemps été incertains.
Les États-Unis, par exemple, ont eu de la croissance
Il serait erroné
en période de forte inflation. Depuis le milieu des
de vouloir revenir
années 1980, pourtant, les travaux des économètres ont
à des politiques
monétaires
commencé à converger et à établir que l’inflation était
expansionnistes
négativement corrélée à la croissance. Il est désormais
pour favoriser la
admis qu’une forte variabilité des taux d’inflation est
croissance.
encore plus néfaste. C’est l’écart du taux d’inflation à
son niveau moyen qui est le plus mauvais pour la prospérité d’un pays. Grimes montre par exemple que, sur
21 pays et sur une période d’observation de 27 ans, une augmentation du taux d’inflation comprise entre 0 % et 9 % par année réduit le taux annuel de croissance d’environ un point (Gylfason et Herbertsson 2001, p.406)20. Barro (2000, p.108, 1997)
constate sur la période 1960-1990 et un échantillon de 100 pays que l’inflation a un
effet négatif sur la croissance. Une augmentation moyenne de 10 points d’inflation
provoque une baisse du taux de croissance de 0,2 à 0,3 point par an.
Et ces travaux minimisent les coûts de l’inflation, car le niveau du PIB n’est pas indépendant du niveau d’inflation. Le PIB comptabilise le temps de travail de l’ouvrier
qui a changé les étiquettes de prix et fait l’inventaire pour modifier les prix du fait
de l’inflation. Au lieu d’agir négativement sur la valeur du PIB, le coût de l’inflation
est comptabilisé positivement. En fait, la comptabilité nationale a le tort de rendre
19. K. Dowd, Competition and Finance : A New Interpretation of Financial and Monetary Economics, London,
MacMillan, 1996, cité par S. Horwitz, « The Costs of Inflation Revisited », The Review of Austrian Economics,
(2003, 16, (1), pp.77-95.
20. T. Gylfason and T. T. Herbertsson, « Does Inflation Matter for Growth? », Japan and the World Economy, 2001,
13, pp. 405-428.
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Croissance française : un problème de choix
équivalentes les dépenses de recherche de profit et celles engagées pour corriger
les erreurs de politique économique, comme une trop grande création monétaire
(Wagner 1980, p. 31)21.
Lutter contre une hausse d’origine monétaire du niveau général des prix soutient la
croissance.
Creuser le sillon
L’indice de libre-échange mesure la liberté d’échanger avec l’étranger. Il prend en
compte l’ensemble des barrières tarifaires et non tarifaires de chaque pays et de la
zone européenne en général. L’effet du libre-échange sur la croissance est un thème
central des sciences économiques. Depuis 1946, la France a choisi de libéraliser ses
échanges (Asselain et Blancheton 2006, p. 11)22. On pourrait vouloir attribuer la faiblesse structurelle de la croissance de la France à cette politique d’intégration commerciale, mais ni la théorie économique ni les faits ne confortent cette position.
Depuis Ricardo, la théorie du commerce international affirme que la spécialisation et
l’exploitation des avantages comparatifs sont favorables à la croissance. Tous les pays
ont avantage à participer à l’échange parce qu’ils ont tous intérêt à se spécialiser dans
les productions où, comparativement aux autres pays, leurs avantages seraient plus
élevés. Ce résultat de la théorie ricardienne a été précisé23 et globalement confirmé
par des travaux empiriques sur la période contemporaine comme ceux de J. Sachs
et A. Warner24. Ces deux auteurs montrent, sur la période 1970-1995, que tous les
pays ouverts ont connu une croissance supérieure à celle des pays fermés. Les pays
émergents ouverts ont connu une croissance de 4,5 % l’an, contre seulement 0,7 %
pour les pays fermés. Cela signifie que l’ouverture permet le rattrapage et la convergence des niveaux de développement. En 2000, cependant, Rodriguez et Rodrik25
21. R. E. Wagner, « Boom and Bust: The Political Economy of Economic Disorder », Journal of Libertarian Studies,
1980, pp. 1-37.
22. J.-C. Asselain et B. Blancheton, « L’ouverture internationale en perspective historique. Statut analytique du
coefficient d’ouverture et application au cas de la France », Université de Bordeaux 4, Cahier du GRES, 2006,
n°2006-09, p. 11.
23. Pour une introduction, voir D. L. Phan, « Les théories du commerce international. L’état actuel des connaissances et controverses », Economie rurale, mars-avril 1995, 226, pp. 18-23.
24. J. Sachs and A. Warner, « Economic reform and the process of global integration », Brookings Paper on Economic
Activity, 1995, 1, pp. 1-118.
25. D. Rodrik and F. Rodriguez, « Trade Policy and Economic Growth: A Skeptics Guide to the Cross-National
Evidence », in Ben Bernanke and Kenneth Rogoff, eds, NBER Macroeconomics Annual 2000, Cambridge, MIT
Press, 2000.
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• 83
Politiques Publiques
ont soutenu que ce résultat n’était pas solide. Ils ont critiqué l’indicateur d’ouverture
utilisé ainsi que la période étudiée. Ils ont inspiré un certain nombre de travaux
dont l’objectif était de reconstruire des indices d’ouverture plus performants. En
2003, Wacziarg et Welch26 proposent de reconstituer la base de Sachs et Warner
afin de répondre aux critiques qui lui ont été adressées, de l’actualiser et de placer
les résultats de la libéralisation dans une dynamique temporelle. Cela leur a permis
de comparer les taux de croissance dans chaque pays avant et après la libéralisation.
Ils ont, sur ces nouvelles bases, retrouvé la thèse libre-échangiste de Sachs. Leur
résultat est fondé sur un échantillon incluant les 118 pays de la base de Sachs et
Warner auxquels ils ont ajouté 23 pays d’Europe centrale et orientale. Leur période
d’observation est 1950-1998. En allongeant la période, ils se sont donné les moyens
de proposer un résultat plus convaincant.
Le graphique 1 montre qu’il y a après la libéralisation
une plus forte croissance. L’année T est l’année de la
libéralisation. Ensuite, on calcule la moyenne mobile sur
vingt ans avant la libéralisation et vingt ans après, et on
compare les taux de croissance. Pour la période 19501998, les pays qui ont libéralisé leur régime commercial
ont augmenté en moyenne leur taux de croissance de
1,5 point par rapport à la croissance qu’ils connaissaient
auparavant. Se confirment également l’effet positif de la
libéralisation sur le taux d’investissement et le fait que c’est par l’investissement que le
libre-échange favorise la croissance.
la théorie
économique
prévoie que de
hauts niveaux
d’inflation
nuisent à la
croissance et au
bien-être social.
Ce résultat général ne doit pas masquer les spécificités nationales. Wacziarg et Welch
estiment que les conséquences de la libéralisation diffèrent selon les pays. Quoi qu’il
en soit, les études au cas par cas confirment le bien-fondé du libre-échange. Les
politiques de libéralisation à Taïwan (1963), en Corée (1968), au Chili (1976) ou en
Indonésie (1970) ont été couronnées de succès. Certes, dans certains pays, l’ouverture commerciale n’a pas conduit à une hausse de la croissance. C’est le cas en Israël,
en Hongrie ou au Botswana (13 pays sur les 24 étudiés). Cela tient au fait que la
libéralisation a été accompagnée par des politiques macroéconomiques inadaptées.
Cela s’explique aussi par l’instabilité politique. Les pays où la politique de libéralisation a eu le moins d’effets sont des pays instables politiquement comme Israël, la
Colombie ou les Philippines.
26. R. Wacziarg and Welch Karen Horn, « Trade Liberalization and Growth: New Evidence », NBER Working
Paper Series, décembre 2003.
84 • Sociétal n° 61
Croissance française : un problème de choix
Un choix payant
choix payant(141 pays, 1950-1998)
Graphique 1 • Croissance et Un
libéralisation
Graphique 1 : Croissance et libéralisation (141 pays, 1950 -1998)
5
4
3
2
1
0
-1
-2
-20
-10
0
10
20
Année T
Croissance
Moyenne de la croissance avant la date T
Croissance en moyenne mobile.
Moyenne de la croissance après la date T
source :
Wacziarg
et Welch
Source
: Wacziarg
et (2003)
Welch (2003).
Pour toutes ces raisons, il est impossible d’expliquer la faible croissance de la France
par les politiques monétaire et commerciale. Au regard de ces résultats, la France
doit continuer à mener des politiques favorables à la levée des barrières à l’échange.
Ouvrir des négociations pour démanteler la Politique agricole commune en 2013
serait, dans cette perspective, un signal positif.
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• 85
Politiques Publiques
Une relation négative
Le tableau 1 indique que le poids de l’État (freedom of government) différencie assez
nettement les membres de la zone euro entre eux. L’indice de liberté vis à vis de
l’administration est celui qui dans ce tableau est indiqué dans la colonne LG. On
définit la « liberté du gouvernement » à partir du rapport dépenses publiques sur
PIB exprimé en pourcentage.
Le niveau des dépenses publiques influe, tout d’abord, sur l’impôt et sur le montant
des revenus pour lequel l’individu pourra faire des choix non contraints par une entité
publique (État central, collectivité locale et administrations de sécurité sociale). Le
niveau des dépenses publiques a lui aussi un effet sur les choix de consommation.
L’État peut choisir d’affecter les euros prélevés au financement de biens que l’individu aurait ou n’aurait pas acheté ou consommé. Les choix publics jouent ainsi
doublement sur la liberté des individus en amputant leur revenu monétaire et en
choisissant à leur place la nature des biens qui seront produits. L’action de l’État
substitue à l’affectation par les prix une allocation politique des ressources rares.
Le score de chaque pays en matière de « liberté du gouvernement » dans le tableau
1 est calculé à partir d’une fonction de coût de forme quadratique du type LGi =
100 – 0,03(DPi)² avec LGi la « liberté du gouvernement » du pays i, et DPi le ratio
dépenses publiques sur produit intérieur brut (pourcentage). Ce qui fait pour la
France par exemple : LGf = 100 – 0,03 (53,8)² = 13,16. Le fait de mettre le pourcentage des dépenses publiques au carré amplifie les différences entre les pays. Le calcul
du score de la Belgique le montre bien : LGb = 100 – 0,03(52,3)² = 17,94. Selon le
tableau 1, la France est le pays de la zone euro dont le score est le plus faible. Les
autorités politiques, par leurs choix, y ont réduit les libertés du secteur privé et accru
mécaniquement leurs propres libertés. Les conséquences d’un tel choix sur les taux
de croissance à moyen et long terme sont connues.
Théoriquement, on peut distinguer les dépenses qui bénéficient à tous (bien collectif ), les dépenses de redistribution qui bénéficient à quelques-uns et les dépenses qui
attribuent des rentes. En pratique, la distinction est difficile à faire27. L’investissement
en infrastructure routière peut bénéficier à tous. Il peut aussi entretenir des rentes,
des pots-de-vin et des comportements de corruption. Il peut enfin développer une
rente pour les entreprises de BTP nationales. Les études économétriques vont se
contenter de mettre en évidence des corrélations entre taux de croissance et dépenses
publiques ou taux de croissance et nature des dépenses publiques. Plusieurs travaux
27. G. Tabellini, « The Role of the State in Economic Development », Kyklos, 2005, vol. 58, n°2, pp. 283-303.
86 • Sociétal n° 61
Croissance française : un problème de choix
récents permettent de conclure qu’il existe une relation statistique stable entre le
niveau des dépenses publiques et le taux de croissance (Gwartney, Holcombe et
Lawson 199828, Bernolz 200029, Barro 200030, Tabellini31 2005).
Contre coût
coût
Graphique 2 • Relation entre Contre
taux de
croissance et ratios dépenses
Graphique sur
2 : Relation
taux de 1960-1996
croissance et
Ratios
publiques
PIB surentre
la période
pour
lesDépenses
pays de Publiques
l’OCDE
sur PIB sur la période 1960 – 1996 pour les pays de l’OCDE.
Growth = 7.14 – 0.100 (Govt.)
(8.10)
R2 = 0.42
10
5
0
10
20
30
40
50
60
Ratio dépenses publiques sur PIB
Source
: Gwartney
et al. (1998,
source :
Gwartney
et al. (1998,
p.10) p.10).
28. J. Gwartney, R. Holcombe and R. Lawson, « The Scope of Government and the Wealth of Nations », Cato
Journal, 1998, vol. 18, n°2, pp. 163-190.
29. P. Bernholz, « Democracy and Capitalism: Are They Compatible in The Long Run? », Journal of Evolutionary
Economics, 2000, pp. 3-16. P. Bernholz, « Growth of Government, Economic Growth and Individual Freedom »,
Journal of Institutional and Theoretical Economics, 1986, 142, pp. 661-683.
30. R.J. Barro, Les facteurs de la croissance économiques. Une analyse transversale par pays, Economica, 2000, traduction
française de Richard Layard de Determinants of Economic Growth. A Cross-Country Empirical Study, MIT Press’s
edition, Cambridge, Massachussetts, 1997.
31. G. Tabellini, « The Role of the State in Economic Development », Kyklos, 2005, vol. 58, n°2, pp. 283-303.
3
ème
trimestre
2008
• 87
Politiques Publiques
Graphique 3 • Relation entre taux de croissances et ratio DP/PIB
Relation entre taux de croissance et ratio DP/PIB
pour la période 1994-2209 (zone euro)
Moyennes des taux de croissance par pays
pour la période 1994 - 2009 zone euro
8,0
7,0
6,0
5,0
4,0
3,0
2,0
1,0
0,0
30,0
35,0
40,0
45,0
Moyenne des ratios DP/PIB par pays
50,0
55,0
R ² = 0,5592
sources : PIB en volume. Pourcentage de variation par rapport à l ’année précédente. Perspective économiques
de l’OCDE n° 92 (2007) (disponible en ligne). En abscisse on place la moyenne pour chaque pays des taux de
croissance sur la période 1994-2009 (prévision OCDE). En ordonnée on place la moyenne des ratios dépenses
publiques sur PIB pour cette même période. Chaque point du graphique représente un pays. Les données utilisées
sont les suivantes : Autriche (2.4, 51.5), Belgique (2.3, 49.9), Finlande (3.7, 52.1), France (2.1, 53.1), Allemagne
(1.7, 46.9), Grèce (3.7, 44.3), Irlande (6.8, 35.6), Italie (1.5, 49.1), Luxembourg (4.7, 39.7), Pays-Bas (2.7, 47),
Portugal (2.3, 44.5) et Espagne (3.4, 40.3).
Le graphique 2 présente la relation statistique entre la taille de l’État, mesurée par le
ratio dépenses publiques sur PIB, et le taux de croissance moyen calculé pour chaque
décennie de 1960 à 1996 pour les 23 pays de l’OCDE32. En abscisse est portée la
moyenne pour chaque décennie et chaque pays des ratios dépenses (DP) sur PIB et
en ordonnée est inscrite la moyenne par pays et par décennie des taux de croissance.
Il y a 23 points multipliés par le nombre de décennies de 1960 à 1996. Ce graphique
permet d’affirmer qu’une hausse de 10 points des dépenses publiques dans le PIB
réduit le taux de croissance annuel de un point. Le graphique 3 actualise ce résultat
pour les 12 pays de la zone euro. Il permet de conclure que le résultat reste correct et
même d’une meilleure qualité statistique (le R² passe de 0,42 à 0,56) sur la période
1994-2009.
32. Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Islande, Irlande, Italie,
Japon, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Grande-Bretagne et
États-Unis.
88 • Sociétal n° 61
Croissance française : un problème de choix
Les résultats de ces deux graphiques sont d’autant plus pertinents que le calcul du
PIB est très favorable aux États dépensiers. La comptabilité nationale surestime en
effet le PIB (Wagner 1980) et la croissance des pays à fortes dépenses publiques
(Buchanan et Fort 196133, Rothbard 197034). Cette surestimation tient au fait que
le PIB intègre l’ensemble des dépenses de recherche de rente. Le salaire des lobbyistes, la fourniture des pancartes lors des manifestations ou l’édition des tracts lors
des grèves augmentent le PIB… La comptabilité nationale grossit la croissance des
pays à fortes dépenses publiques en ce qu’elle intègre les biens publics dans le calcul
du PIB. Les biens publics ne sont pas des biens vendus sur le marché. Ils n’ont pas
de prix permettant de les évaluer. Ils sont ajoutés, pour cette raison, aux coûts. La
comptabilité nationale définit le PIB à partir des valeurs de marché de tous les biens
et services produits. La comptabilité nationale n’utilisant que des valeurs de marché,
l’apport du secteur public à la production nationale devrait être nul (Holcombe 2004,
pp. 394-395)35. Par ailleurs, la comptabilité nationale n’inclut que les biens finaux et
exclut les biens intermédiaires. Les biens publics sont généralement des biens intermédiaires. Ils ne devraient donc pas être intégrés dans le calcul du PIB. L’argument
est bien connu. Si la production totale d’acier était additionnée au total de la production automobile, l’acier serait compté deux fois. De la même manière, ajouter les
coûts des biens publics qui sont des biens intermédiaires conduit à les compter deux
fois. Si un commerçant engage un vigile pour sécuriser son magasin, c’est inclus dans
son coût de production. Le service du vigile est un bien intermédiaire. Cela devrait
être la même chose pour l’officier de police nationale (Holcombe 2004, p. 395).
Comme le soutenait Kuznets (cité par Forte et Buchanan 1961, p. 113), la manière
dont la comptabilité nationale mesure le PIB conduit à exagérer l’apport des biens
publics à la richesse nationale.
Une particularité française
La France est parmi les pays de l’OCDE l’un de ceux dont le ratio dépenses publiques sur PIB a le plus augmenté sur la période 1960-1996. L’augmentation de ce
ratio a été de plus de 30 points pour le Danemark, la Suède, l’Espagne, la Grèce, la
Finlande, de plus de 20 points pour les Pays-Bas, le Portugal (29), la Belgique (20),
33. F. Forte and J. Buchanan, « The Evaluation of Public Services », Journal of Political Economy, 1961, 69, pp. 107121.
34. M. Rothbard, Power and Market: Government and the Economy, Menlo Park, CA: Institute of Human Studies,
1970.
35. R.G. Holcombe, « National Income Accounting and Public Policy », The Review of Austrian Economics, 2004,
vol. 17, n°4, pp. 387-405.
3
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trimestre
2008
• 89
Politiques Publiques
l’Italie, l’Allemagne et la France (20,1) et de moins de 15 points pour les États-Unis,
l’Islande, l’Irlande, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande (Gwartney et al.
1998, p. 164). La croissance de 20 points de la taille de l’État a conduit la France à
perdre un point de croissance chaque année pendant vingt-six ans.
L’Irlande avait un ratio dépenses publiques sur PIB de
28 % en 1960 et de 52,3 % en 1986. À partir de 1987,
une profonde réforme de l’État a été engagée. Elle a
conduit à une baisse significative du ratio dépenses
publiques sur PIB qui est revenu en 1996 à 37,7 %.
Simultanément, le taux de croissance moyen sur les
périodes 1970-1980, 1980-1990 et 1990-2000 a été en
Irlande respectivement de 3,8 %, 3,9 % et 7,6 %. La
stabilisation des dépenses publiques autour de 35 % du
PIB a grandement participé au miracle irlandais. La France, en revanche, a fait le
choix inverse. Son ratio dépenses publiques sur PIB sur la période 1990-2007 a augmenté de 3,6 points. Son taux de croissance n’a été que de 1,65 % en moyenne sur
cette période. Ces différentiels de croissance peuvent s’expliquer par un phénomène
de rattrapage pour l’Irlande. Les résultats des graphiques 2 et 3 rappellent cependant qu’ils s’expliquent surtout par des choix de politiques budgétaires. Alors que la
France a un indice global de liberté économique de 65,4, l’Irlande est l’un des pays
dans le monde le plus respectueux de ces libertés (elle se place au 3e rang avec un
indice de 82,4). L’Irlande, contrairement à la France, a choisi la liberté économique.
Il faut
programmer
dès aujourd’hui
une baisse
d’environ
15 points du
ratio dépenses
publiques sur PIB.
La France souffre d’une mauvaise qualité de ses institutions. Sa faible croissance
n’est pas une anomalie. Elle vient du choix de politiques inadaptées. Ce résultat
rend finalement moins alarmante la thèse du déclin français. Il fait de la crise du
modèle de croissance français une simple illustration de situations connues. Il suffit de changer de politique économique pour retrouver les chemins du progrès. Le
retour de la croissance passe par la réforme du secteur public. Il faut programmer dès
aujourd’hui une baisse d’environ 15 points du ratio dépenses publiques sur PIB. Cela
devrait être l’objectif prioritaire des gouvernements français, sachant que réduire
sporadiquement les dépenses publiques n’a pas d’effet significatif sur la dynamique
économique.
90 • Sociétal n° 61
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