3ème trimestre 2008
Croissance française :
un problème de choix
FrançoiS FaCChini
Maître de conférences en économie à l’université de Reims
et chercheur à Paris I
a prévision de croissance française pour 2008 est décevante mais nest pas
étonnante en soi, car la faiblesse de la croissance en France est devenue
structurelle. Notre croissance est faible dans l’absolu, elle l’est également
relativement à ce qu’elle a été durant les années 1960-1970 et relativement
à la croissance des pays de l’OCDE. Miotti et Sachwald (2005)1 montrent très bien
l’écart de croissance entre la France et les États-Unis. Après avoir été favorable à
la France jusqu’au milieu des années 1960, cet écart est devenu très défavorable.
L’article de Gilles Saint-Paul (2003)2 et l’ensemble de la littérature sur le déclin
français ont confirmé cette observation. Si on utilise le taux de croissance moyen du
PIB par tête on constate qu’entre 1970 et 1980, la France se place au quatorzième
rang des pays de l’OCDE, avec un taux de croissance moyen de 3 % ; entre 1980 et
1990, elle recule au seizième rang avec 1,9 % de croissance. Entre 1990 et 2000, elle
perd encore deux places avec 1,3 % de croissance moyenne.
1. L Miotti. et F. Sachwald, « La croissance française 1950-2030, le défi de l’innovation », Ifri, La Documentation
française, seconde édition, 2005.
2. G. Saint-Paul, « Le déclin économique de la France », Commentaire, n°104, hiver 2003, pp. 817 et suiv.
Le modèle français de croissance s’essouffle parce qu’il se caractérise par une
libéralisation sans désétatisation, autrement dit sans baisse des dépenses publiques.
La France a réussi son intégration monétaire et commerciale grâce à l’Europe, mais
elle n’arrive pas à réformer son État. Ce qui bride sa croissance.
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Briser les chaînes
Pour expliquer cela, on peut d’abord mobiliser la théorie de lentrepreneur. Reynolds,
Hay et Camp (1999)3 ont montré qu’un tiers des différentiels de taux de crois-
sance entre les pays peut s’expliquer par des différentiels d’activité des entrepreneurs.
Zacharakis, Bygrave et Sheperd (2000)4 estiment pour leur part que l’activité des
entrepreneurs explique approximativement la moitié des différences de croissance
du PIB des seize pays les plus riches de l’OCDE. L’entrepreneur est le génie de
la croissance et du progrès économique (Facchini 2007a)5. La France a vu faiblir
conjointement sa croissance et son niveau de self-employment. Ce qui expliquerait
notre retard économique, ce serait le peu dintérêt des Français pour l’activité entre-
preneuriale (Henriquez, Verheul, van der Knaap et Bischoff 2001)6.
On sait que la faiblesse de l’activité productive des entrepreneurs tient à la qualité
des institutions. Il y a des institutions qui favorisent la recherche de rente et d’autres
qui sont favorables à la recherche de profit (Sobel et al. 2007)7. La France8 rencon-
trerait, dans cette perspective, les mêmes problèmes que la Suède (Lindbeck 1995)9,
c’est-à-dire un manque de liberté économique. Dans le dernier rapport 2008 de la
Fondation Heritage10, la France se place au 48e rang de l’indice mondial et au 25e
rang des 41 pays européens (Roberts et Kim 2008, p.61)11.
Selon cet indicateur, la France de 2008 nest qu’à 65,4 % libre (l’indice de la Suède
est désormais meilleur puisqu’il est de 70,4 %). Ce qui est important, ce nest pas ce
taux en soi, c’est le fait qu’il n’a guère diminué depuis 1995. Linterventionnisme a
même augmenté entre 1995 et 2000, avant que nous ne revenions à des politiques
plus libérales. La France se libéralise peu à peu, mais moins que les autres pays
3. P. D. Reynolds., M. H. Hay and S. M. Camp, Global Entrepreneurship Monitor, Kansas City: Kaufman Center
for Entrepreneurial Leadership, 1999.
4. A. Zacharakis, L. W Bygrave. and D. A. Sheperd, Global Entrepreneurship Monitor, Kansas City: Kaufman Center
for Entrepreneurial Leadership, 2000.
5. F. Facchini , « Entrepreneur et croissance économique : développements récents », Revue d’Économie industrielle,
3e trimestre 2007, n°119, pp. 55-84.
6. C. Henriquez, I. Verheul , I. van der Knaap and C. Bischoff, « Determinants of Entrepreneurship in France:
Policies, Institutions and Culture », ISSN 01-04, août 2001, disponible sur internet, Institute for Development
Strategies.
7. R. S. Sobel, J. R. Clark and D. R. Lee, « Freedom, Barriers to Entry, Entrepreneurship and Economic Progress »,
Review of Austrian Economics, 2007, volume 20, n°4, pp. 221-236.
8. Merritt Giles, « Europe’s Decline : What Illiness, What Cure ? » et « Europe’s Good Old Ways Arent the Way
Forward », in Herald Tribune, 4, 5 et 6 janvier 1985.
9. A. Lindbeck, « Hazardous Welfare-State Dynamics », American Economic Review, mai 1995, n°85, pp. 9-15.
10. Index disponible en ligne sur le site suivant : www.heritage.org
11. www.heritage.org, voir le rapport et le chapitre 5 écrit par J. M. Roberts and A. B. Kim « Economic Freedom
in Five Regions », 2008.
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Croissance française : un problème de choix
européens en forte croissance, comme l’Irlande, le Royaume-Uni ou l’Espagne. Par
exemple, l’Irlande avait en 1995 un indice équivalent à celui de la France, mais en
2008 il atteint 82,4 %. La libéralisation de son économie lui a permis d’avoir sur
la décennie 1990-2000 une croissance moyenne de 7,6 % contre 1, 3 % pour la
France12. La faiblesse de la croissance française s’expliquerait donc par une moindre
augmentation des indices de liberéconomique.
C’est pourquoi il faut considérer lévolution de certaines variables utilisées dans le
calcul de ces indices pour cibler la nature des réformes qui permettraient à la France
d’améliorer sa situation. Les indices de liberté économique de la Fondation Heritage
vont nous guider dans notre analyse. Cet indice est fondé sur la collecte de cinquante
variables indépendantes classées en dix catégories. Chaque catégorie mesure un type
de liberté : liberdes affaires, libre-échange, liberté fiscale, dimension du secteur
public, liberté monétaire (stabilité et contrôle des prix), liberté d’investir, liberté
financière, droit de propriété (sécurité), niveau de corruption et liberté des contrats
en matière de relations du travail. Comme il est difficile de traiter de tous ces types
de liberté, nous ne retiendrons ici que trois dentre eux : l’action publique, le libre-
échange et les « libertés » monétaires. Le libre-échange (free trade) et la liberté
monétaire ont été choisis parce qu’ils relèvent de la politique européenne. Il s’agit de
montrer qu’en ce domaine la France et les pays européens sont plutôt libéraux. Les
mesures proposées par cette fondation estiment que les Européens sont à 86 % libres
déchanger avec l’étranger et que limpôt d’inflation a disparu. Une évolution qui a
été favorable à la croissance européenne et française. Lorigine de la faible croissance
de la France nest pas là. L’action budgétaire relève, en revanche, du choix souverain
des États. Les marges de manœuvre des États ont été protégées lors de la signature
de l’Acte unique de 1986 qui n’a pas remis en cause leur liberté fiscale. Sur cet aspect,
les différences entre les États européens sont importantes. Et cest dans ce domaine
que la France fait ses plus mauvais scores. Un des objectifs prioritaires de la France
doit être de réduire les domaines dintervention étatique.
Des bienfaits de la construction européenne
On dispose, aujourd’hui, de deux grands indices de liberté économique : l’indice de
la Fondation Heritage et l’indice du Fraser Institute13 . Ici nous utiliserons celui de la
Fondation Heritage. Les deux indices proposent des classements relativement simi-
12. J. D. Gwartney, R. A. Lawson and R. G. Holcombe, « Economic Freedom and the Environment for Economic
Growth », Journal of Institutional and Theoritical Economics, 1999, 155(4), pp. 1-21.
13. Le Fraser Institute est une organisation indépendante localisée à Vancouver. www/fraserinstitute.ca
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laires14. Parmi les dix libertés listées par la Fondation Heritage figurent les libertés
monétaires et le libre échange.
Pour évaluer l’effet de l’intégration européenne sur le respect des libertés économi-
ques dans chaque État membre, il est possible de reprendre la décomposition des
indices de liberproposés par la Fondation. En 2008, la France, avec un score de
65,4, se place au dix-huitième rang parmi les vingt-sept pays de l’Union. Les cinq
pays qui respectent le plus les libertés économiques sont l’Irlande, le Royaume-Uni,
le Danemark et l’Estonie. L’Italie, le Portugal, et la Grèce, en revanche, sont derrière
la France.
UN PESSIMISME À RELATIVISER
Tableau 1 Décomposition de lindice de liberté de la Fondation
Heritage pour les douze pays de la zone euro (rapport 2008)
Pays
(classement
2008)
LCE
%
LE
%
LF
%
LG
%
LM
%
LI
%
LFI
%
DP
%
C
%
LT
%
Irlande (3)
Pays-Bas (13)
Luxembourg (15)
Finlande (16)
Belgique (20)
Allemagne (23)
Autriche (30)
Espagne (31)
France (48)
Portugal (53)
Italie (64)
Grèce (80)
Moyenne
92.2
88
76.9
95.2
93.7
88.9
80.6
77.5
87.1
79.6
76.8
69.5
83.8
86
86
86
86
86
86
86
86
81
86
81
81
84.7
40.1
51.6
65.4
64.3
43.9
58.4
51.2
54.5
53.2
61.3
54.3
65.6
55.3
64.5
38.2
44.8
29.1
17.9
34
25.3
56.2
13.2
32.6
29.4
57.8
36.9
84.9
86.9
79.8
88.5
80.4
81.4
81.4
78.1
81.2
79.4
80.6
78.5
81.76
90
90
90
70
90
80
70
70
60
70
70
50
75.0
90
90
80
80
80
60
70
80
70
50
60
50
71.67
90
90
90
90
80
90
90
70
70
70
50
50
77.50
74
87
86
96
73
80
86
68
74
66
49
44
73.58
80.4
60.5
53.1
48.8
64.9
52.8
59.2
56.7
63.8
48
73.5
54.3
59.6
LCE (liberté de créer son affaire), LE (libre échange), LF (liberté fiscale), LG (poids du secteur public),
LM (liberté monétaire), LI (liberdinvestissement), LFI (Liberté financière), DP (sécurité des droits de
propriété), C (corruption) et LT (liberté de contracter sur le marché du travail). Le nombre entre parenthè-
ses qui suit chaque pays correspond à son classement final pour l’ensemble des pays analysés compte tenu
des « libertés » mesurées.
sources : Index of Economic Freedom. Le tableau complet des indices est disponible sur le site de la Fondation Heritage.
Le tableau 1 donne les indices pour tous les pays de la zone euro dans son contour
initial. Il ne faut pas évidemment sacraliser ces chiffres. Il faut les considérer comme
des indications. Ils montrent clairement leffet de l’intégration européenne sur
les libertés économiques dans chaque pays de l’Union. Il est à noter que dans le
domaine de la liberté sur le marché du travail, la France nest pas l’un des pays les
14. Voir le numéro spécial de European Journal of Political Economy, 2003, vol. 19, pp. 395-403.
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Croissance française : un problème de choix
plus contraints. Elle se place au quatrième rang des pays de la zone euro derrière
l’Irlande, l’Italie et la Belgique. Cela souligne que la principale raison du fort taux de
chômage en France nest pas la rigidité du marché du travail ou le manque de liberté
de créer son affaire, liberté mesurée par l’indice LCE. La question du chômage nest
pas le thème de notre article, mais elle est présente en creux via la loi d’Okun qui
lie le taux de chômage au taux de croissance (plus de croissance signifie moins de
chômage sous certaines conditions) et via la qualité des institutions, celles-ci favori-
sant soit la recherche de rentes publiques (entrepreneur politique) soit la recherche
de profit (entrepreneur de marché). Le poids de l’administration en France tend à
favoriser la recherche de rente. Il est en ce sens défavorable à l’activité productive
des entrepreneurs.
Inflation et croissance
Lindice de liberté monétaire est mesuré à partir de données sur l’inflation et l’exis-
tence ou non d’un contrôle des prix. La stabilité des prix est une variable détermi-
nante du niveau de libermonétaire. La France a eu entre 1993 et 2000 des taux
d’inflation inférieurs à 2 %. Et il serait erroné de vouloir revenir à des politiques
monétaires expansionnistes pour favoriser la croissance15.
Linflation influe en effet négativement sur la croissance parce qu’elle agit comme
un impôt déguisé. Elle est, selon la tradition ouverte par Mises16, un phénomène
essentiellement politique. Elle trouve sa cause dans la création monétaire artificiel-
lement entretenue par les États. Grâce à la création monétaire, l’État s’octroie une
plus grande part des ressources nationales sans le dire17. La « taxe d’inflation » baisse
la valeur de la monnaie. Il faut plus d’argent pour acheter la même quantité. Elle
augmente les coûts de transaction bancaires en obligeant les individus à multiplier
les visites à leur banque. Linflation transfère de la richesse d’un groupe à l’autre
(Alchian et Kessel 1959) : elle a un effet redistributif 18. Elle favorise les débiteurs
et défavorise les créanciers. L’inflation fait, enfin, subir un coût aux producteurs. La
valse des prix, le temps passé pour les ajuster, pour faire l’inventaire ou reprogram-
mer les ordinateurs sont un des coûts de l’inflation.
15. C’est pourtant ce que défendent certains économistes comme J.-P. Fitoussi. Celui-ci déplore régulièrement le
faible niveau d’inflation imposé par l’Union européenne. Plus dinflation permettrait de financer la dette. Cf J.-P.
Fitoussi, Dossier Perspectives pour 2003-2004, Revue de l’OFCE, avril 2003, 85, 2, pp. 119-208.
16. L. Mises (1932), Theory of Money and Credit, Indianapolis, Liberty Fund, 1980, p. 468.
17. M. Friedman (1960), A Program for Monetary Stability, New York, Fordham University Press, 1983.
18. A. A. Alchian and R. A. Kessel (1959), « Redistribution of Wealth Through Inflation », reprinted in Alchian A.
(ed), Economic Force at Work, Indianapolis, Liberty Press, 1977.
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