qui, quand elle a commencé à tomber en désuétude, à la fin du siècle passé, a été
récupérée par la psychanalyse et la psychologie. On ne peut vivre sans parler, et
on ne peut bien vivre sans tout se dire.
Ainsi le christianisme n'est pas seulement l'exigence d'aimer, de pardonner, de
compatir. C'est aussi l'exigence de parler, de faire descendre la lumière dans les
profondeurs de l'âme et de la répandre sur le monde. C'est l'exigence de lire
l'Écriture et tous les livres qui l'expliquent, la commentent, au nombre desquels se
trouvent ceux de la philosophie et de la littérature, lorsque leur but est vraiment
de faire de la lumière, et non pas de mettre en vedette leur auteur ou telle ou
telle idéologie. C’est est une grande idée de Justin, père de l'Église et premier
philosophe chrétien, que la révélation de Dieu se fait aussi partout où il y a vérité,
où la vérité est atteinte, exposée, révélée. Ainsi, tout philosophe, tout penseur,
tout écrivain qui se voue à manifester la vérité des êtres est aussi un « être de
lumière » à sa façon ; et donc il est en quelque sorte un chrétien. Par ailleurs, ce
n'est pas facile de cultiver la vérité, et il arrive que les plus hautes vérités ne soient
pas révélées aux grands esprits, aux savants et aux sages, mais aux humbles, aux
pauvres, aux petits. Cela aussi est dans l'Évangile. Tout homme ne comprend pas
toutes les vérités, mais les plus hautes peuvent l'être par les plus humbles des
hommes, comme en témoigne l'histoire de l'Église, où se côtoient dans les
premiers rangs les « petits » et les très grands esprits.
Le christianisme – et avant lui le judaïsme – cultive la parole, l'écriture, le livre.
Certes, la philosophie païenne le faisait aussi. Mais cette philosophie aurait-elle
produit tous les fruits qu'elle a produits (et je pense ici aux sciences et à la
littérature), si elle n'avait été prolongée et renforcée par la théologie chrétienne
avec son exigence de vérité, de lumière, de parole proférée, annoncée, criée sur
les toits ? L'essentiel est certes la qualité du cœur, ou le taux d'amour que chacun
parvient à instiller dans ses actes. Cependant le chrétien est aussi – et
essentiellement – un disciple et un imitateur du Christ. Or qu'a fait ce dernier ? Il a
travaillé d'abord, il a étudié ensuite et il a enseigné enfin. Puis avant de
disparaitre, il a demandé à ses disciples d'aller « enseigner » toutes les nations !
Faut-il comprendre ce commandement comme s'adressant uniquement à une
catégorie de chrétiens, ceux qui lâchent tout pour se vouer au Royaume,
autrement dit les religieux et les prêtres ? Ce serait comprendre le christianisme
sur le modèle d'avant Vatican II, alors que la pensée et la pratique de l'Église
étaient marquées par un cléricalisme élitiste. On avait alors une Église à deux