INTRODUCTION Au premier regard, la distinction entre théâtre et liturgie peut paraître tellement évidente, qu'il est inutile d'en parler. Que peuvent avoir de commun, en effet, Phèdre ou L'Aiglon avec un office de Vêpres ou l'Adoration de la Croix du vendredi saint ? Certes nous sommes ici en présence de deux ordres, et même de deux domaines, qui s'ignorent. L'un et l'autre ont leur indépendance et leur spécificité. On dit couramment que le premier est profane, le second sacré. Pour l'un on va au « Français », pour l'autre on se rend à l'église. Malgré son simplisme, cette opinion est loin d'être fausse, au moins de nos jours, et même dès l'époque classique où le théâtre et la liturgie sont deux genres différents et séparés dans la vie : celui du culte et celui de la distraction, du « divertissement » comme dirait Pascal. Pourtant notre expérience du théâtre et de la liturgie semblait contredire profondément ces vues, peut-être trop intellectuelles. Certes la raison ne voit aucun lien entre une pièce de théâtre et une messe solennelle. En revanche, l'expérience perçoit qu'il s'agit de deux phénomènes très proches : des représentations, où sont utilisés des décors, des costumes, des gestes, et surtout une déclamation avec un dialogue entre les acteurs, bref toute une polysémie qui fait de la liturgie, comme du théâtre, un art polyvalent. Et il n'existe pas plus de théâtre que de liturgie sans cette large polysémie. On peut appliquer aux deux arts ce qu'écrit H. Gouhier à propos de celui de la scène : « Point de théâtre là où il n'y aurait qu'un texte parlant comme un livre et sans appel à la représentation. Or représenter, c'est rendre présent par des présences, de sorte que le fait proprement théâtral est lié à la présence de l'acteur » \ De même, point de litur- 1. H. GOUHIER, Le théâtre et l'existence, Paris 1963, p. 121. 28 LE DRAME LITURGIQUE DE PAQUES gie « là où il n'y aurait qu'un texte parlant comme un livre » : un formulaire de messe ne constitue pas encore une liturgie, pas plus qu'un scénario seul n'est une représentation théâtrale. Les couleurs, les gestes, forment cette vaste part du « non-dit », si importante comme nous pourrons le voir à propos des Visitatio. De plus, le théâtre et la liturgie font partie de ces activités humaines non quotidiennes, non banales qui ont une valeur de solennité. Ici comme là, la vie « est plus haute que celle qui peut se projeter dans la réalité quotidienne, elle emprunte les harmonies et les formes qui lui correspondent au seul domaine où elle les rencontre : à l'Art. Elle parle par la voie de la mélodie ou de la mesure, ... s'habille de couleurs et de vêtements qui n'appartiennent point à la vie habituelle ; choisit pour s'accomplir des dates et des lieux à l'ordonnance et à la structure desquels ont présidé des lois supérieures... Tout est image, danse et chant » 2. La liturgie comme le théâtre constituent tous deux des moments privilégiés du temps, des moments réservés, choisis. Ainsi l'expérience du théâtre et celle de la liturgie nous avait conduite à les rapprocher, elle nous avait sensibilisée à leurs profondes similitudes. Mais, en même temps, elle nous conduisait à nous interroger sur ce qui les différenciait, sur ce qui, même au Moyen Age quoiqu'on en dise, les séparait. Au-delà de l'évidente question de leur différence au niveau du sujet traité, quelle spécificité appartient au théâtre et à la liturgie ? Existerait-il, par exemple, un théâtre qui, traitant du même sujet que la liturgie, serait pourtant du théâtre ? Le problème était immense car, si à travers les âges la liturgie est demeurée sensiblement stable dans ses structures de fond et les lois qui régissent ses formes d'expression, le théâtre, lui, a beaucoup évolué : il y eut au Moyen Age le théâtre religieux plus ou moins étroitement lié au culte, puis les grandes Passions ; on passe ensuite à la scène à l'italienne avec ses genres définis : la comédie, la tragédie, le drame ; et, de nos jours, on recherche un théâtre sans distanciation, un théâtre qui soit une véritable œuvre communautaire où acteurs et spectateurs joueraient ensemble en une commune fête, comme le rêvait Artaud. 2. R . GUARDIMI, L'esprit de la liturgie, Paris 1930, p. 218-219. INTRODUCTION 29 Par ailleurs, le mot « liturgie » est actuellement employé de deux façons : soit au sens strict : il désigne alors le culte chrétien ; soit au sens élargi : il vise alors toute fête ou célébration, chrétienne ou non, qui met en branle une foi commune et des formes d'expression non quotidiennes. On dira par exemple que les grands rassemblements communistes sur la Place Rouge sont une véritable liturgie. On a parlé de mai 68 comme d'une liturgie. Béjart ne nomme-t-il pas un de ses ballets a Messe pour le temps présent »? Il importe donc de bien différencier les deux sens du mot liturgie3. Or, la naissance du théâtre s'est accomplie au sein de la liturgie, culte chrétien. L'étude de l'évolution de cette liturgie donnant peu à peu naissance à des formes théâtrales, ne permettrait-elle pas de laisser apparaître les moments et les étapes du passage d'un genre à l'autre et de voir si la liturgie, au sens strict, peut, sans problème, devenir une « liturgie » au sens large ? Le drame liturgique se révélait être le lieu privilégié d'une telle étude : en lui, on découvre comment des formes dramatiques se sont introduites dans la célébration du culte, et se sont affirmées et amplifiées au cours des siècles pour aboutir à un véritable spectacle. Dans le bas Moyen Age le drame liturgique, empruntant des éléments aux autres formes ludiques du temps, se perpétuera dans de vastes développements colorés, avec costumes et mimiques, à l'intérieur de l'église, ornementation d'une liturgie devenue très prolixe, tandis que sur de vastes tréteaux montés dans les rues des cités seront données les représentations des grands mystères dont le drame liturgique est l'un des principaux inspirateurs \ Qu'est-ce que le drame liturgique ? Nous sommes au dernier tiers du x® siècle dans une abbaye d'Angleterre5. C'est la nuit de Pâques. L'office des Matines, commencé avant l'aube, est centré sur l'épisode évangélique de l'annonce de la Résurrection aux Saintes Femmes venues au 3. Les autres religions ont aussi leurs liturgies mais nous nous tiendrons dans cette étude au contexte chrétien. 4. Voir à ce sujet la très intéressante thèse de M. H. REYFLAUD, Recherches sur la disposition du lieu dramatique dans le théâtre religieux de la fin du Moyen Age et à la Renaissance, Thèse de Sorbonne, Paris 1970. 5. Cette description s'inspire de la Visitatio décrite dans la Regularis Concordia de Saint Eshelvvald, dont on lira le texte p. 346. 30 LE DRAME LITURGIQUE DE PAQUES tombeau du Christ8. On connaît l'histoire : elles trouvent le sépulcre vide ; un ange est là qui leur annonce la résurrection du Seigneur. A la fin de l'office, après le dernier répons, ce passage de l'Evangile est mimé par trois moines figurant les Porteuses d'aromates et un quatrième, qui représente l'Ange, habillé de blanc et tenant une palme à la main, la palme du Christ vainqueur de la mort. Les « Marie », ayant l'air de chercher quelque chose, s'approchent du sépulcre où, le vendredi saint, on avait déposé la croix enveloppée d'un linceul, en signe de l'ensevelissement. Et le dialogue s'engage : « Qui cherchez-vous dans le sépulcre, amies du Christ ? {Quem quaeritis in sepuîchro, O Christicolae ?) », demande l'Ange. « Nous cherchons Jésus de Nazareth le Crucifié, habitants du ciel {lesum Nazarenum crucifixum, ô coelicoîae) » répondent en chœur les trois Femmes. " Il n'est pas ici, poursuit l'Ange, il est ressuscité comme il l'avait prédit. Allez et annoncez qu'il est ressuscité d'entre les morts (Non est hic, surrexit sicut praedixerat, ite, nuntiate quia surrexit a mortuis) ». Alors les trois moines se tournent vers le chœur et chantent l'acclamation : « Alléluia, le Christ est ressuscité. Aujourd'hui est ressuscité le Lion fort, le Christ Fils de Dieu (Hodie resurrexit leo fortis Christus filius Dei) ». Mais l'Ange les rappelle et, soulevant le rideau qui cache l'intérieur du tombeau, leur montre que la croix n'y est plus ; il ne reste que le linceul : « Venez et voyez, chante-t-il, le lieu où le Seigneur avait été déposé, alléluia. (Venite et videte locum ubi positus erat Dominus, alléluia) ». Laissant alors leurs encensoirs dans le sépulcre, les moines prennent le linge blanc et ils l'élèvent pour le montrer à toute l'assemblée comme une preuve de la Résurrection, tout en chantant une des antiennes de Pâques : « Le Seigneur est ressuscité du sépulcre, lui qui pendit pour nous sur la croix, alléluia (Surrexit Dominus de sepuîchro, qui pro nobis pependit in ligno, alléluia) ». Puis, ils vont étendre le linceul sur l'autel principal. Le prieur du monastère entonne alors avec joie le Te Deum, et les cloches se mettent à sonner à toute volée. On enchaîne immédiatement l'office des Laudes. 6. Les Evangiles sont la source première du drame liturgique, en particulier, pour Pâques, les péricopes suivants : Luc XXIV, 1-11, Marc XVI, 1-10, Matthieu XXVIII, 1-10, Jean XX, 11-18. INTRODUCTION 31 Voilà le premier « drame liturgique » que nous connaissons. C'est une discrète mise en scène de l'Evangile de Pâques, sans déguisement, tout en plain-chant avec les antiennes du jour, en vérité très simple. Pourtant, c'est déjà une représentation, un petit spectacle. Dans quelle mesure ? Pourquoi ? Telles sont les questions auxquelles nous essaierons de répondre. On eut l'idée de faire la même chose pour Noël. Les premiers drames liturgiques des bergers seront copiés sur le modèle de la Visitatio Sepulchri de Pâques. Puis on mit en scène les mages, souvent réunis aux bergers. De siècle en siècle, les passages les plus divers de l'Evangile furent « joués » aux jours de fête. C'est tout un monde que celui du drame liturgique, qui venait solenniser l'office des monastères ou des églises cathédrales. Etant donné la diversité des drames liturgiques, de leurs sujets comme de leurs formes d'expression, nous avons préféré nous en tenir à un type particulier, celui de la Visitatio Sepulchri, appelé aussi Officium Sepulchri, parce qu'il est le plus ancien et fut sans nul doute le plus joué. L'étude évolutive est favorisée par le fait qu'il existe des manuscrits de la Visitatio à tous ses stades de développement, depuis le trope pascal d'où il est issu7 jusqu'aux larges mises en scène des Ludi Paschales. D'autre part, VOfficium Sepulchri est particulièrement intéressant pour notre étude parce qu'il s'intègre au Triduum pascal, qui constitue une période assez « dramatisée » de l'année liturgique. Prolongeant directement le rite de l'ensevelissement du vendredi saint, la Visitatio fait vraiment partie intégrante d'un tout : la liturgie chrétienne de Pâques. Il nous faut maintenant apporter quelques précisions philologiques à propos de l'expression a drame liturgique ». D'où vientelle ? Que signifie-t-elle exactement ? L'expression « drame liturgique » est entrée dans le langage vers le milieu du xix* siècle. C'est le célèbre ouvrage de E. de Coussemaker, Drames liturgiques du Moyen Age, qui lui conféra ses lettres de noblesse en 1861. Peu après, M. Sepet allait rédiger un mémoire sur les Procédés scéniques dans les drames liturgiques et les mystères du Moyen Age pour obtenir le diplôme de l'Ecole des Chartes (1866). Mais Coussemaker n'est pas l'inventeur de 7. Sur la nature du trope voir p. 153. 32 LE DRAME LITURGIQUE DE PAQUES cette expression. F. Clément avait déjà intitulé : Le Drame Liturgique au Moyen Age, la série d'articles qu'il avait publiée de 1849 à 1855 dans les Annales d Archéologie. En 1854, Ch. Barthélémy intitulait Drame Liturgique la Visitatio de Saint-Benoîtsur-Loire, reproduite en appendice de sa traduction du Rationale. Le texte français de cet office pascal avait été édité pour la première fois en 1839 par la Société des Bibliophiles sous le titre de Mystère de la Résurrection et, en 1844, Migne avait reproduit ce « mystère » au tome 8 de son Encyclopédie théologique, en le présentant comme un « drame religieux ». C'est donc entre 1840 et 1850 qu'il convient de situer la naissance de l'expression « drame liturgique ». Mais, avant d'être réunis, le substantif et l'adjectif avaient déjà parcouru séparément une longue carrière. L'adjectif « liturgique » vient du grec leitourgia par l'intermédiaire du latin. Dans le grec classique, leitourgia signifie « service public, service du culte ». Le mot a reçu un sens culturel plus étroit dans le grec biblique, d'où il est passé dans la langue de l'Eglise pour désigner la célébration de l'Eucharistie. L'Eglise grecque appelle la Messe « la Divine Liturgie ». Le mot est demeuré inconnu des latins jusqu'à la Renaissance. En 1558, Georges Cassender publiait un ouvrage intitulé « Liturgica de ritu et ordine dominicae cenae quant celebrationem Graeci liturgiam, Latini missam appellarunt ». Le titre de ce livre montre bien que le mot liturgica est encore très proche de ses sources grecques. C'est plus d'un siècle plus tard qu'il prendra son autonomie dans la langue latine avec le livre de Jean Bona, Rerum liturgicarum libri duo, publié à Rome en 1671, et celui de Jean Mabillon, De liturgia gallicana libri duo, publié à Paris en 1685. Toutefois le substantif, comme l'adjectif, ne seront d'usage courant en Occident qu'à partir de 1830 environ. Le mot « liturgie » désigne donc strictement le culte de l'Eglise. Mais avec la perte de l'impact du christianisme à l'époque moderne, il prendra, comme nous l'avons vu, un sens large : on parlera de « liturgie profane ». Tout ce qui revêt un caractère tant soit peu rituel, plus ou moins sacré, sera ainsi nommé. On parle de l'ouverture des Jeux Olympiques comme d'une liturgie. Il est bien clair que ce sens est totalement absent du mot « liturgique » dans l'expression « drame liturgique ». Il s'agit ici du sens strict, c'est-à-dire du culte chrétien. 33 INTRODUCTION Le mot drame vient du grec drama, action, lié sémantiquement au mot theatron « lieu d'où l'on voit ». Le mot latin drama vient directement du grec. Il est cité au iv* siècle par Diomède et Ausone. Mais c'est un mot rare, inconnu en tous cas du latin médiéval : ni Biaise dans son Dictionnaire des auteurs chrétiens, ni du Cange dans son Glossarium ne le citent. Il en est de même pour l'adjectif dramaticus, également cité par Diomède et inconnu des auteurs chrétiens. En français, si l'on s'en rapporte au Dictionnaire Robert, le mot « dramatique » apparaît au xiv* siècle, mais son usage est rare avant le milieu du xvn* siècle. Quant au substantif « drame », au sens théâtral, on le trouve pour la première fois dans le Diable boiteux de Lesage (1707). Au sens d ' a événement tragique », il apparaît sous la plume de Chateaubriand dans Les Quatre Stuarts (1830) et celle de Lamartine dans Jocelyn (1836). Au Moyen Age, on ignorait donc totalement l'expression « drame liturgique ». Pour parler des petites mises en scène de l'évangile de la Résurrection, les clercs employaient un langage cultuel et non théâtral : ils les appelaient Officium sepulchri. Mais la naissance de l'expression « drame liturgique » au milieu du xix* siècle n'est pas fortuite. D'une part, on assiste alors à la mise en honneur de la liturgie médiévale avec les Institutions liturgiques de l'abbé de Solesmes, Dom Prosper Guéranger (1840) ; et, de l'autre, on est en plein triomphe du drame romantique, Hernani par exemple date de 1830 et Ruy Bios de 1838. Née dans le milieu romantique français du XIX siècle, l'expression « drame liturgique » caractérise-t-elle avec exactitude des célébrations médiévales de Pâques et de Noël qu'on eût appelées, il y a vingt ans, des para-liturgies ? En admettant que la jonction des deux termes « drame » et « liturgique » soit légitime, lequel convient-il de choisir comme substantif et lequel comme adjectif ? Gustave Cohen emploie l'expression « Offices dramatisés »8. Ne vaudrait-il pas mieux parler, en effet, de « liturgie dramatisée » que de « drame liturgique » ? Quoi qu'il en soit, le débat demeure ouvert. Le drame liturgique est, de fait, la seule structure ludique connue où se manifestent des activités théâtrales avant qu'appaE 8. G. COHEN, Anthologie du drame liturgique, Paris 1955, p. 19. 34 LE DRAME LITURGIQUE DE PAQUES raisse au XII* siècle un véritable théâtre autonome. Il est donc particulièrement exemplaire pour une étude du passage de la liturgie au théâtre, ou plus exactement des formes liturgiques aux formes théâtrales. En effet, il révèle que l'on n'est pas passé de l'une à l'autre par de grands bouleversements de structures, mais par petites étapes. Ces étapes qui déterminent des « stades » dans l'évolution du drame liturgique, ne peuvent être saisies qu'à partir de détails, surtout au début, aux x*-xi* siècles, où la dramatisation est encore discrète. Il faudra donc étudier les textes de près. Ils nous serviront à dégager des notions précises pour déterminer le domaine du « théâtral » et celui du « liturgique ». On s'apercevra alors que ces deux domaines ont plus de liens qu'on ne pourrait le penser tout d'abord. Cependant, à l'heure actuelle ils ne sont perceptibles qu'à partir de deux genres quasiment étrangers l'un à l'autre : l'art de la scène et le culte ecclésial. Le genre où dramaturgie et liturgie étaient étroitement liés et même confondus n'existe plus : seul, le Moyen Age connut leur liaison étroite. Voilà pourquoi, c'est à partir de la liturgie et du théâtre d'aujourd'hui que nous réfléchirons d'une manière plus approfondie sur les notions préalablement dégagées de la Visitatio. Cette réflexion partira donc d'une expérience contemporaine des deux arts. Nous pourrons voir qu'au Moyen Age, comme maintenant, les notions de base qui déterminent l'art de la scène et l'art du culte demeurent profondément semblables. Nous prendrons donc comme point de départ la liturgie, puisque telle est la réalité qui se présente d'abord à nos yeux. Quelles étaient ses formes au moment où naissaient les premiers drames liturgiques ? Cette liturgie du ix* siècle comportait-elle des éléments favorables à l'apparition d'une dramatisation de l'Evangile? Après avoir fait dans le premier chapitre une étude assez générale du contexte cultuel et culturel qui a présidé à la naissance du drame liturgique, nous essaierons de voir comment Karl Young a situé le phénomène du drame liturgique et comment, plus récemment, M. O.B. Hardison pose à son tour le problème. Nous serons obligés de faire quelques mises au point d'ordre historique à propos du livre de ce dernier qui, malgré l'intérêt de sa nouveauté, INTRODUCTION 35 manque de précision en ce qui concerne le contexte proprement liturgique du drame. Dans un troisième chapitre, nous tenterons de situer historiquement le drame liturgique : d'où vient-il ? quelles sont ses sources bibliques et littéraires ? dans quelle sorte de manuscrits le trouve-t-on ? Nous pourrons ainsi mieux comprendre les liens qu'il entretient avec la liturgie, saisir comment il y fut inséré et comment progressivement il s'en dégagea. On verra qu'à partir de la Visitatio fleuriront des imitations innombrables et que le genre se répandra vite dans tout l'Occident. Tout ceci concerne l'étude historique. Les mêmes questions sur l'évolution du drame liturgique, ses liens avec la liturgie, son insertion et sa progressive élaboration en un véritable genre dramatique, seront alors posées, au plan proprement littéraire : au chapitre IV, une étude détaillée de textes de la Visitatio permettra de dégager les notions qui définissent exactement la dramatisation dans le cas précis du drame liturgique. On verra les étapes de son évolution non d'un point de vue strictement chronologique, mais du point de vue de l'élaboration des mises en scène. Enfin, dans un dernier chapitre, les notions qui définissent la dramatisation seront reprises et approfondies dans une étude plus générale, comparant théâtre et liturgie. Qu'est-ce qui, en fin de compte, opère entre les deux « réalités » cette différenciation fondamentale que l'époque moderne constate avec beaucoup plus d'évidence que le Moyen Age ? Ajoutons encore un mot. Ce travail n'aurait pu voir le jour sans l'aide du P. Pierre Jounel, qui a bien voulu me guider dans les méandres de la liturgie médiévale. Qu'il soit assuré de ma grande reconnaissance. Quant aux nombreux amis qui, de loin ou de près, ont participé à mon travail, qu'ils reçoivent ici le profond merci que j'adresse à chacun d'eux.