Laudatio en l`honneur du Professeur Jacques Fellay Lauréat

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Laudatio en l’honneur du Professeur Jacques Fellay
Lauréat du Prix Latsis national 2012
prononcé par le Professeur Denis Duboule
Président de la division biologie et médecine du FNS
à l’occasion de la remise du Prix Latsis national 2012
le 10 janvier 2013 à l’Hôtel du gouvernement, Berne
C’est un très grand plaisir pour moi, au nom de la division biologie et médecine du Fonds
national suisse de la recherche scientifique, de venir rendre hommage aujourd’hui au
Professeur Jacques Fellay à l’occasion de la remise du Prix Latsis national.
Nous avons appris ces dernières années que la génétique est parfois injuste. Bien sûr nous
savions depuis belle lurette que certaines mutations dans notre patrimoine génétique
pouvaient passer inaperçues alors que d’autres étaient la source de maladies cruelles et
inacceptables. Mais aujourd’hui, nous commençons à percevoir la nature génétique de
différences beaucoup plus subtiles, auxquelles chacun d’entre nous se trouve confronté un
jour ou l’autre. Pourquoi telle personne aura-t-elle la grippe alors que sa voisine, exposée
au même virus, ne l’aura pas ? Pourquoi tel collègue peut-il manger à satiété sans grossir
alors que tel autre ne pourra pas goûter aux petits fours délicieux qui nous attendent à
l’issue de cette cérémonie?
C’est ce concept de ‘prédisposition génétique’ qui est en en train de se matérialiser
aujourd’hui, et c’est dans ce domaine que Jacques Fellay a brillé par ses découvertes.
Originaire de la Vallée de Bagnes, c’est dans la petite ville de St-Maurice que Jacques
Fellay étudie avant de partir accomplir ses études de médecine à Fribourg, à Lausanne et
à Vienne. Il obtient son diplôme de médecin à Lausanne en 1999 et travaille une année
dans le laboratoire de rétrovirologie. C’est à cette occasion qu’il rencontre le professeur
Amalio Telenti, son futur mentor, avant de passer cinq années de recherches cliniques en
médecine interne et maladies infectieuses, chez les Professeurs Francioli et Calandra. C’est
en 2002 qu’il obtient son MD et en 2006 qu’il part aux USA, muni d’une bourse du FNS,
pour travailler avec le professeur Goldstein, d’abord comme ‘research associate’ à l’institut
des sciences génomiques de la Duke University, à Durham, puis en tant que ‘research
scientist’ à l’institut des variations génomiques dans la même université. Jacques Fellay
rentre en Suisse en 2010, comme chef de groupe à l’Institut de microbiologie de
l’Université de Lausanne, puis obtient en 2011 un poste de professeur boursier du Fonds
National avec lequel il s’installe à L’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne au sein de
la Faculté des Sciences de la Vie où il se trouve actuellement, en double affiliation avec le
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois. Cette double affiliation est très significative ; elle
illustre la volonté de notre lauréat de se placer à l’interface entre la clinique et la
recherche fondamentale, entre les pipettes et le patient.
C’est au début des années 2000 que le nom de Jacques Fellay apparaît dans la littérature
scientifique, en particulier en 2001 et 2002 quand, sous la supervision d’Amalio Telenti, il
publie deux études clés – en partie les résultats de sa thèse de doctorat – concernant les
effets potentiellement très différents des médicaments anti-rétroviraux dans le traitement
des patients infectés par le VIH. Pour réaliser cette étude, Fellay et ses collègues utilisent
les données obtenues grâce à l’existence de la cohorte suisse de patients VIH,
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exceptionnelle tant par la qualité de ses données que par le suivi de ses patients. Jacques
Fellay est d’ailleurs membre du conseil scientifique de cette cohorte VIH depuis 2011.
Pourquoi certains patients infectés par le VIH sont-ils moins touchés que d’autres ?
Pourquoi et comment la quantité de virus VIH dans le sang est parfois maîtrisée par le
patient, alors que dans la plupart des cas, cette charge virale augmente progressivement
après l’infection ? C’est cette question qui est au cœur des préoccupations scientifiques et
médicales de Jacques Fellay qui continuera d’étudier cette adéquation entre les
traitements antiviraux et les patients qui les reçoivent, en utilisant pour cela les outils les
plus modernes de la génomique. C’est en 2007 qu’il publie dans le magazine Science la
première étude solide d’association entre des variations génomiques, d’une part, et la
capacité de certains patients à contrôler le virus VIH-1, d’autre part. Ce sera là une de ses
lignes de recherches principales, sur laquelle il continue de aujourd’hui, ainsi que sur la
sensibilité des patients à d’autres virus voisins tels que celui de l’hépatite C.
C’est en effet en 2009 qu’il publie un travail remarquable dans le magazine Nature,
montrant qu’un polymorphisme proche du gène IL-28B peut prédire la qualité de la
réponse des patients positifs au VHC au traitement par l’interféron et la Ribavirin. Une
année plus tard, une autre publication dans Nature révèle la cause génétique qui fait que
certains patients traités pour une Hépatite C chronique ne développent pas d’anémie
hémolytique sévère comme effet secondaire. C’est là un domaine dans lequel il est
reconnu au niveau mondial, celui de la pharmacogénétique virale. C’est à ce titre qu’il est
membre de plusieurs réseaux internationaux et qu’il préside actuellement le consortium
international pour la génomique du virus VIH. C’est aussi pour ses travaux dans ce
domaine que la division biologie et médecine du Fonds national suisse de la recherche
scientifique a décidé avec enthousiasme de lui attribuer le Prix Latsis national.
Ces travaux remarquables de Jacques Fellay illustrent particulièrement bien l’inégalité des
êtres humains face à la maladie et permettront, à terme, de proposer des traitements
adaptés à la constitution génétique de chacun. C’est cette fameuse médecine génomique
personnalisée, dans laquelle les paramètres génétiques des patients seront pris en
compte, au même titre que leur environnement et leurs habitudes de vie. C’est là un
grand espoir pour le futur, mais également une source de préoccupations quant au respect
de la volonté des patients, de nous tous en fin de compte en ce qui concerne notre vie
privée et le degré d’introspection génétique que nous souhaitons avoir sur nous-mêmes.
Pour aborder sereinement ces problèmes qui vont heurter notre société dans un avenir
proche, Jacques Fellay est là encore bien équipé puisqu’il fait partie d’un groupe de travail
de l’office de recherche sur le sida à l’institut national de la santé aux USA, qui s’intéresse
aux questions éthiques liées à l’utilisation de la génomique.
L’intérêt de notre lauréat pour ces questions éthiques n’est pas vraiment une surprise et
se dégage déjà à l’examen de son parcours de vie ; Jacques Fellay s’est engagé dans la
recherche fondamentale pour servir les patients, plutôt que de les utiliser pour servir sa
carrière. C’est un homme des montagnes, qui a donc les pieds sur terre et qui recherche
la lumière en les gravissant, plutôt qu’en faisant de l’ombre aux autres. Ce n’est pas
forcément la règle dans ces domaines de recherche très compétitifs. Alors profitons donc
aujourd’hui de joindre l’agréable au mérité.
Cher Jacques, je suis convaincu que cette distinction prestigieuse ne sera que la première
d’une longue liste et nous sommes très heureux de savoir que les futurs enjeux de notre
société, dans le domaine biomédical, sont entre les mains de jeunes collègues tels que
vous-même, qui non seulement ont les capacités et les idées nécessaires, mais en qui, de
surcroît, nous pouvons avoir confiance.
Berne, le 10 janvier 2013
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