Développement durable et territoires, Vol. 1, n° 3 | 2010

Développement durable et territoires
Économie, géographie, politique, droit, sociologie
Vol. 1, n° 3 | 2010
Lectures hétérodoxes du développement durable
Croissance et répartition en présence
d’investissements environnementaux non désirés
Laurent Cordonnier, Franck Van de Velde et Benoît Desmarchelier
Édition électronique
URL : http://
developpementdurable.revues.org/8454
DOI : 10.4000/developpementdurable.8454
ISSN : 1772-9971
Éditeur
Réseau « Développement durable et
territoires fragiles »
Référence électronique
Laurent Cordonnier, Franck Van de Velde et Benoît Desmarchelier, « Croissance et répartition en
présence d’investissements environnementaux non désirés », Développement durable et territoires [En
ligne], Vol. 1, n° 3 | Décembre 2010, mis en ligne le 24 juillet 2014, consulté le 30 septembre 2016.
URL : http://developpementdurable.revues.org/8454 ; DOI : 10.4000/developpementdurable.8454
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Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.
Croissance et répartition en présence
d’investissements environnementaux
non désirés
Laurent Cordonnier, Franck Van de Velde et Benoît Desmarchelier
1 Nous proposons une première analyse, dans un cadre postkeynésien, des effets que
pourraient entraîner, sur la croissance et la répartition des revenus, une politique
environnementale contraignant les firmes à entreprendre des investissements qu’elles
n’ont pas nécessairement désirés. Pour limiter les pollutions et économiser les ressources
naturelles, les politiques de veloppement durable peuvent en effet avoir, entre autres
incidences, celle d’obliger les firmes à procéder à des investissements dont celles-ci
n’entrevoient pas à première vue l’utilité au regard de leurs objectifs économiques (la
rentabilité du capital, pour simplifier).
2 Nous entendons ici par « investissements non désirés » ou « contraints » des
investissements qui ne sont pas censés augmenter le capital productif des firmes alors
qu’ils viennent alourdir leur stock de capital total1. Au sujet de ce type d’investissement,
la crainte pourrait être que les firmes subissent une diminution de la rentabilité du
capital. Face à cette crainte, les économistes postkeynésiens auraient sans doute envie de
rétorquer que c’est un point de vue qui n’aperçoit que la face sombre de l’investissement
non siré (et non productif). D’autres types d’investissement bien connus (comme
l’armement), qui ressemblent à ceux dont on parle ici, dans la mesure ils n’ont pas
pour fonction d’élargir la capacité de production des firmes, sont plutôt réputés soutenir
la demande et, indirectement, la rentabilité du capital en général. Il n’y aurait donc pas
lieu de s’en faire.
3 C’est le poids de ces deux arguments que nous voulons mettre en balance dans l’étude qui
suit. En quoi consistent précisément ces deux effets de l’investissement contraint : l’effet
coût et l’effet demande ? Et qu’elle peut être la résultante de ces deux effets sur les
variables clés du développement économique : le rythme de l’accumulation du capital et
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de la croissance, la partition des revenus, l’utilisation des capacités de production
(l’équilibre de court terme), et la rentabilité du capital ?
4 Nous montrons qu’en première analyse ces deux effets de l’investissement non désiré ont
plutôt tendance à se compenser. Le surcoût en capital créé par l’obligation d’incorporer
au stock de capital une composante improductive est a priori compensé (exactement) par
le surcroît de demande effective (améliorant les profits) induit par cet investissement. La
crainte, comme on le verra, se situe en fait ailleurs : dans le risque d’emballement de
l’accumulation qu’une telle impulsion peut provoquer. En effet, le surcroît de demande
effective produit par l’investissement non productif n’a pas comme contrepartie une
extension équivalente des capacités de production. Ceci provoque en conséquence des
tensions sur les capacités de production. La action des firmes, face à l’augmentation du
taux d’utilisation des équipements, sera d’augmenter le rythme de l’investissement
productif… ce qui peut accroître encore les tensions sur les capacités, par l’effet
multiplicateur de l’investissement. Loin de se résorber, ces tensions accélèrent encore
l’accumulation, faisant poindre le spectre de l’instabilité à la Harrod. Le sursaut de la
croissance, comme on le verra, ne peut-être contenu que parce que les firmes profitent
également de cette situation pour relever leurs marges, ce qui diminue la valeur du
multiplicateur keynésien. Une fois pris en compte ces deux réactions des firmes
(accélération de l’investissement productif et relèvement du taux de marge), les effets sur
les variables clés de l’économie sont plus nuancés : la croissance s’en trouve légèrement
stimulée, les tensions sur les capacités de production sont en partie résorbées, et la
rentabilité du capital baisse légèrement, malgré le redressement du taux de marge.
5 Si la politique environnementale, passant par des investissements non sirés, avait pour
but de diminuer les externalités négatives par unité de produit, l’objectif peut sembler
atteint, puisque la croissance économique n’augmente pas sensiblement.
6 Il s’agit bien évidemment d’une première analyse… qui assume le caractère grossier d’un
premier défrichage. Car jusqu’ici, on ne peut pas dire que les auteurs postkeynésiens se
soient beaucoup pencs sur le domaine. Cela ne signifie pas cessairement qu’ils aient
un sintérêt atavique pour les questions d’environnement. La théorie keynésienne,
comme l’a sugré Berr (2006), offre des portes d’entrées (par la manière dont elle traite
de l’incertitude, en particulier) sur ces questions. On peut même, suivant Berr, défendre
l’idée que Keynes était parfaitement sensible aux questions écologiques, et conscient de
certains enjeux. Mais ceci ne va pas jusqu’à prétendre que les keynésiens ont intégla
perspective du développement durable au cœur de leurs travaux sur la croissance et la
répartition. Ils ont certes dévelop des analyses critiques de l’approche dominante et
suggéré des pistes de réflexion, comme Eagan (1987), Dore (1988), Bird (1982) ou Winnett
(2003). Certains travaux apportent me des contributions positives à la question de la
valorisation des biens environnementaux, en développant une théorie alternative du
consommateur (Lavoie 2004, 2007). Mais les tentatives qui focalisent sur le ur de
tier des postkeynésiens (la croissance et la répartition) sont, à notre connaissance,
quasi-inexistantes. La contribution de Courvisanos (2005), qui porte sur les conditions
économiques et politiques d’une planification de l’investissement, dans une perspective
de développement durable, et la contribution de Cordonnier et Van de Velde (2007), qui
étudie les effets des restrictions technologiques sur la croissance et l’emploi, sont sans
doute celles qui s’approchent le plus du sujet. L’une des raisons possibles de cet
« évitement » de la question écologique par les postkeysiens, comme a tenté de l’établir
Mearman (2005), en menant une enquête par questionnaire auprès d’une vingtaine
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d’entre eux, est la contradiction qu’ils perçoivent intuitivement entre le souci de la
croissance (pour velopper l’emploi) et les finalités écologiques. Comme si un seul
problème suffisait à notre peine.
7 La présente contribution essaye de raccorder les deux « problèmes », en montrant qu’ils
ne se cumulent pas forcément.
1. La méthode
8 Pour traiter la question de l’investissement contraint2, nous procédons à des simulations
informatiques basées sur une version simplifiée des nouveaux modèles kaleckiens de
croissance3. Ce type de modèle permet de crire dans une perspective de long terme la
dynamique d’une économie tirée par la demande, en endogéisant les variables clés de
cette dynamique : le taux d’accumulation du capital, le niveau de la production
d’équilibre de chaque période travers le taux d’utilisation des équipements), ainsi que
la rentabili du capital. En nous écartant un peu de la version standard de ce modèle,
nous rendrons également « semi-endogène » la répartition des revenus, en supposant que
les entreprises peuvent ajuster le taux de marge en fonction de la valeur du taux
d’utilisation de l’équipement, autour d’une valeur « centrale » prédéfinie. Outre l’intérêt
d’expliquer ces grandeurs clés de l’économie, le modèle kaleckien rend très aisée l’entrée
en scène de l’investissement contraint dont nous voulons mettre en balance les deux
effets. Dans ce modèle, en effet, l’investissement (contraint ou non) détermine le taux
d’utilisation des équipements, à travers le principe de la demande effective. En retour, le
taux d’utilisation des équipements troagit sur la politique d’accumulation (en incitant
les entreprises à ajuster les capacités de production), et détermine également, une fois
pris en compte le taux de marge et le stock de capital, la rentabili du capital. L’effet
« positif » attendu de l’investissement contraint passe en conséquence par son effet
multiplicateur sur le revenu, et l’effet « négatif » attendu transite par la rentabilité
constatée du capital (lorsque le stock de capital improductif s’accroît), laquelle est censée
rétroagir gativement sur la croissance.
1.1. Le modèle utilisé
9 Le mole comprend cinq équations de comportement. Trois d’entre elles décrivent les
comportements supposés des entreprises : concernant leur politique d’investissement,
leur politique de versement des dividendes, et leur politique de taux de marge. Les deux
autres équations de comportement décrivent la consommation desnages salariés, et la
consommation des ménages actionnaires.
10 L’investissement net des entreprises fait croître le stock de capital productif ou de
capacité (Kcap), de la période passée (indicée -1) à la riode présente d’un facteur
d’accroissement composé de trois termes :
11 Un premier terme exogène (1 + α), qui représente l’évolution anticipée de la demande à
long terme ; un deuxième terme qui indique la sensibilité de l’investissement (β) à l’écart
constaté entre le taux d’utilisation effectif des équipements (ut) et le taux d’utilisation
jugé normal (us) ; et un troisième terme qui représente la sensibilité de l’investissement
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(γ) à l’écart constaentre la rentabilité effective du capital (rt) et la rentabilicible (rs).
On suppose ici que la correction du rythme de l’accumulation, entraînée par ces écarts,
s’effectue en prenant en considération une moyenne arithmétique de ces écarts sur les
cinq périodes précédentes.
12 Il faut noter que l’hypotse d’une anticipation done de l’évolution de la demande à
long terme (α constant) signifie que l’introduction de l’investissement contraint n’aura
pas de conséquences sur « les esprits animaux » des entrepreneurs. Ceci est cohérent avec
l’idée que les entreprises ne cherchent pas, dans notre modèle, à compenser un éventuel
surcoût en capital (dont on verra d’ailleurs qu’il est très faible) en poussant leurs marges
à la hausse (voir infra les commentaires de l’équation (3) explicitant la formation du taux
marge). Les entreprises n’ont donc pas à craindre, ici, une perte de compétitivité vis-à-vis
de leurs concurrents directs ni une baisse de la demande étrangère (non prise en compte).
Incidemment, il convient de souligner aussi que c’est ce paratre α qui traduit
l’incertitude radicale lié à la décision d’investir, incertitude caractérisée par une
anticipation donnée de la croissance à long terme, laquelle détermine fortement le taux
de croissance effectif.
13 Les entreprises versent sous forme de dividendes aux actionnaires une somme
correspondant aux profits bruts réalisés à la riode antérieure (Π(-1)), diminuée du
besoin de financement interne de l’investissement brut (I) de la période courante. Les
entreprises distribuent ainsi en dividendes tout ce dont elles n’ont pas besoin pour
autofinancer l’investissement :
14 Le besoin de financement interne correspond à la partie de l’investissement brut que les
entreprises ne veulent pas, ou ne peuvent pas, financer sur ressources externes. La part
financée sur ressources externes est notée x.
15 Le taux de marge requis par les entreprises est fixé autour d’une valeur centrale (),
exogène ici, modulo une réaction aux écarts constatés sur le taux d’utilisation des
équipements, par rapport à sa valeur cible.
16 La valeur centrale du taux de marge, on peut le penser en suivant Wood (1975), est
terminée par un « compromis » passé entre les différentes enjeux du long terme :
compromis entre la volon de pousser le taux de marge à la hausse pour financer une
accumulation rapide, d’un côté, et la cessi de maintenir ce taux de marge assez bas
pour conquérir la demande future qui justifiera cette accumulation, de l’autre côté. Une
fois résolues à « défendre » ce taux de marge de long terme, les entreprises peuvent
adapter leur politique commerciale à court terme en tenant compte des tensions sur les
capacités de production. La sensibilité du taux de marge aux affaires courantes est
donnée par le coefficient η.
17 En supposant donnée la valeur centrale du taux de marge, on suppose donc que les
entreprises ne révisent pas fondamentalement leurs politiques de prix lorsqu’est
introduit l’investissement contraint (ce qui pourrait se discuter). Elles ne font que réagir,
éventuellement et de manière secondaire, aux effets perçus en retour, via l’évolution de
la demande globale, sur leur taux d’utilisation.
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