AVRIL 2012 / No 45 / VOLUME 12
QUEL IMPACT SUR LES
PROCÉDURES PÉNALES ?
On constate une augmentation des mises
en cause pénales, y compris par des pa-
tients très âgés. Cela s’explique par l’évo-
lution générale de la société, qui accepte
plus difficilement la maladie ou la mort.
Mais inflation des plaintes ne signifie pas
nécessairement augmentation des
condamnations, surtout au regard du
nombre d’actes médicaux pratiqués. Au
parquet de Paris, on recense environ
60plaintes par an en responsabilité mé-
dicale, dont seulement 20 % ont des suites,
et qui n’aboutissent qu’à une ou deux
condamnations chaque année. Les peines
prononcées sont généralement de l’ordre
de quelques mois d’emprisonnement
avec sursis, avec parfois une interdiction
d’exercer. Si le risque pour un profes-
sionnel de santé d’être poursuivi péna-
lement existe indiscutablement, celui
d’être condamné est en revanche beaucoup
plus faible.
Ce faible taux de condamnations s’ex-
plique par plusieurs facteurs:
– en matière pénale, le lien de causalité
entre la faute commise et le dommage
doit être établi ; la perte de chance ne
peut constituer un motif de condamna-
tion, et le délit d’homicide ou de blessure
involontaire suppose un lien de causalité
absolu ;
– en cas de poursuite des auteurs indi-
rects d’un dommage, la loi exige l’exis-
tence d’un manquement caractérisé ou
d’une violation manifestement délibérée
d’une obligation particulière de prudence
ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement. Il s’agit là
de conditions restric-
tives qui limitent la
mise en jeu de la res-
ponsabilité pénale ;
– l’erreur de diagnos-
tic ne donne lieu à condamnation pénale
qu’en cas de négligence grave ;
– beaucoup de procédures étaient initiées
par des patients qui souhaitaient savoir
«ce qui s’est passé», par le biais de
l’instruction. En permettant un accès
direct du patient à son dossier médical,
la loi Kouchner a, de fait, contribué à
réduire le nombre des mises en cause
pénales pour ce seul motif ;
– les procédures pénales sont longues,
et n’ont pas pour objectif premier une
indemnisation. L’expertise réalisée dans
ce cadre n’est pas une expertise de pré-
judices, mais peut l’être en cas de consti-
tution de partie civile.
En revanche, il n’est pas possible de dire
que la réparation de l’aléa par la soli-
darité nationale a, de façon certaine,
influé sur le nombre de condamnations
pénales.
De façon générale,
les magistrats de la
Cour de cassation
et du Conseil d’État
estiment que la voie pénale «naît du
désespoir», mais qu’elle n’est pas la
voie la plus adaptée en matière de res-
ponsabilité médicale.
QUEL IMPACT SUR L’HARMONISATION
DU CONTENTIEUX ?
En 2002, l’intention du législateur était
d’unifier le contentieux civil et admi-
nistratif en matière de responsabilité
médicale, pour éviter toute inégalité de
traitement entre les patients pris en
charge dans le secteur public et ceux
soignés dans le secteur privé. En effet,
les deux ordres de juridiction avaient
une approche différente d’un certain
nombre de sujets clés.
L’objectif a été en grande partie atteint,
avec par exemple une harmonisation du
régime de responsabilité en matière
d’infection nosocomiale, qui n’a trouvé
son aboutissement qu’avec l’arrêt du
Conseil d’État du 10octobre 2011: dans
cette affaire, le Conseil d’État abandonne
la distinction qu’il
persistait à opérer
entre infection
d’origine endo-
gène et infection
d’origine exogène,
contrairement à la Cour de cassation
qui, elle, l’avait abandonnée depuis la
loi Kouchner.
Mais des divergences demeurent, notam-
ment en matière d’indemnisation des
préjudices. La Cour de cassation – tout
comme d’ailleurs les CRCI– prend pour
référence la nomenclature dite Dintilhac,
qui part de la consolidation de l’état de
santé et comprend une vingtaine de
postes de préjudice, avec une distinction
entre les postes temporaires et les postes
permanents. Pour sa part, le Conseil
d’État applique l’avis Lagier de 2007,
qui globalise les postes de préjudice en
l’absence de tiers payeurs et ne distingue
pas selon le caractère temporaire ou
permanent.
Chacun de ces référentiels a ses avan-
tages et ses inconvénients, mais leur
coexistence crée un
problème de lisibilité
pour les patients, et
rend toute combinai-
son des deux ré-
gimes impossible.
De même, juridictions judiciaires et juri-
dictions administratives apprécient dif-
féremment les rentes accidents du travail.
Pour le Conseil d’État, la rente AT ne
peut s’imputer que sur les préjudices
économiques, alors que la Cour de
cassation considère qu’elle a un caractère
hybride, puisqu’elle peut être versée même
en l’absence de préjudice professionnel.
Harmoniser les nomenclatures apparaît
indispensable, et le législateur s’est
d’ores et déjà emparé de ce sujet à
travers un certain nombre de projets
de lois qui sont aujourd’hui en cours
d’aboutissement.n
Une évolution des procédures
2 En créant les CRCI, la loi Kouchner a permis
une « troisième voie » d’indemnisation plus
rapide, moins coûteuse et moins intimidante
que les voies juridictionnelles habituelles.
En ouvrant un accès direct du patient
à son dossier médical, elle a permis une
diminution des mises en cause pénales
destinées à savoir « ce qui s’est passé ».
2 L’indemnisation de l’aléa par la solidarité
nationale, progrès pour les patients, n’a pas
entraîné une requalification de la faute,
ni une tentation de dédouaner plus
facilement les professionnels de santé
de toute responsabilité.
2 Un équilibre a été trouvé, mais des
améliorations sont encore possibles,
peut-être grâce à un nouveau texte, mais
aussi et surtout par une harmonisation des
jurisprudences de la Cour de cassation et du
Conseil d’État, pour une meilleure égalité de
traitement des usagers du système de santé.
À
RETENIR
INFLATION DES PLAINTES
NE SIGNIFIE PAS
NÉCESSAIREMENT AUGMENTATION
DES CONDAMNATIONS.
DES DIVERGENCES DEMEURENT,
NOTAMMENT EN MATIÈRE
D’INDEMNISATION DES PRÉJUDICES.
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Responsabilité médicale ÉTHIQUE&SOCIÉTÉ