Chapitre II Chapitre II : Corps commutatifs

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Chapitre II
Chapitre II : Corps commutatifs
Introduction
Dans le premier chapitre nous avons commencé à étudier la
structure vectorielle de Kn avec K = R ou K = C.
Mais pouvons-nous remplacer les ensembles R et C par d’autres
ensembles de nombres ? Ou bien les notions introduites au premier
chapitre sont-elles spécifiques à R et à C ?
Introduction
On remarque que si, au lieu de considérer Rn ou Cn comme on l’a
fait au chapitre I, on considère plutôt Qn (avec Q l’ensemble des
nombres rationnels), alors l’ensemble des concepts et résultats du
chapitre restent vrais.
En particulier, les propriétés (P1 ) - (P7 ) sont toujours valable. Bien
sûr, les scalaires sont cette fois choisi dans Q.
Corps commutatifs
En fait, on peut remplacer Q, R, et C par un autre ensemble de
nombre K, et considérer des vecteurs de Kn (et donc des scalaires
dans K). Mais il y a certaines conditions sur K pour que les
propriétés (P1 ) - (P7 ) restent valables.
Quelles sont ces conditions ?
Corps commutatifs
Premièrement : on doit pouvoir additionner et multiplier entre eux
les éléments de K et obtenir ainsi un autre élément de K. On
résume ceci en disant que l’addition et la multiplication doivent être
internes sur K.
Cette condition est clairement nécessaire : sinon, comment ferait-on
pour additionner des éléments de Kn ou pour multiplier un élément
de Kn par un élément de K ?
Corps commutatifs
Exemple 1
L’addition et la multiplication sont internes sur les ensembles
habituels de nombres N, Z, Q, R, C. Mais pas sur l’ensemble
{1, 2, 3, 4}, vu que, par exemple, 1 + 4 = 5 ∈
/ {1, 2, 3, 4}.
Corps commutatifs
Deuxièmement : l’ensemble K doit contenir un élément 0 (neutre
pour l’addition) et 1 (neutre pour la multiplication).
Si 0 ∈
/ K, alors (0, 0, . . . , 0) ∈
/ Kn et la propriété (P3 ) ne serait pas
satisfaite. De même, si 1 ∈
/ K alors la propriété (P5 ) ne serait pas
satisfaite.
Corps commutatifs
Troisièmement : chaque élément z ∈ K doit admettre un inverse
additif −z dans K. Cet élément est tel que
z + (−z) = 0 = (−z) + z.
Sinon, on ne pourrait pas définir l’inverse −u d’un vecteur de Kn .
Corps commutatifs
Exemple 2
Les ensembles de nombre Z, Q, R, C satisfont bien ces trois
propriétés. Mais pas N, vu que les éléments non nuls n’ont pas
d’inverse.
Corps commutatifs
Quatrièmement : on aimerait que chaque élément non nul z ∈ K
admette un inverse multiplicatif z1 .
Cette propriété n’est pas nécessaire pour satisfaire les propriétés
(P1 ) - (P7 ). Néanmoins, on préfère l’imposer pour pouvoir calculer
plus aisément (notamment dans les résolutions de systèmes
d’équations, où il est souvent nécessaire de faire des divisions pour
isoler des variables).
Corps commutatifs
Cinquièmement : l’addition et la multiplication doivent être
commutatives et associatives sur K, et on doit avoir une propriété
de distributivité de l’addition sur la multiplication, c’est-à-dire :
pour tous a, b, c ∈ K
a + b = b + a,
a.c = c.a,
a + (b + c) = (a + b) + c,
a.(b.c) = (a.b).c,
a.(b + c) = (a.b) + (a.c)
Corps commutatifs
La cinquième propriété est forcément satisfaite si K ⊆ C. Mais il se
fait que pour certains ensembles, il est possible de définir des lois
internes telles que l’associativité et/ou la commutativité et/ou la
distributivité ne sont pas de mise. On préfère donc énoncer une
condition qui les impose explicitement.
Corps commutatifs
Les ensembles K munis de deux lois internes + et . telles que les
cinq conditions ci-dessus sont satisfaites sont appelés corps
commutatifs en mathématiques. La lettre K est la première lettre
de "Körper" en allemand.
En anglais, les corps commutatifs sont appelés "Fields". On
rencontre donc parfois la lettre F (plutôt que K).
Corps commutatifs
Exemple 3
Les ensembles Q, R et C forment des corps avec l’addition et la
multiplication usuelle. En revanche, l’ensemble Z ne forme pas un
corps car il ne satisfait pas la quatrième condition. En effet, 2 ∈ Z
est entier mais 1/2 ∈
/ Z.
Exemple 4
On peut vérifier que l’ensemble
Q[i] = {a + bi | a, b ∈ Q}
des nombres complexes dont les parties réelles et imaginaires sont
rationnelles forme un corps (avec l’addition et la multiplication
usuelle sur les complexes).
Corps commutatifs
Nous avons donné quelques exemples de corps. On peut montrer
qu’il en existe beaucoup d’autres (en fait, une infinité !). Nous
donnerons bientôt des exemples de corps finis (n’ayant qu’un
nombre fini d’éléments). En tout cas :
Théorème 5
L’ensemble des propriétés (P1 ) - (P7 ), des notions et des résultats
introduits au Chapitre I sont toujours valables dans Kn avec K un
corps commutatif quelconque.
Ce résultat est évident vu qu’on a défini la notion de corps
expressément pour cela.
Corps commutatifs
Nous dirons alors que Kn forme un espace vectoriel sur le corps
K. On précise "sur le corps K" simplement pour bien mettre en
évidence que les scalaires sont pris dans l’ensemble K.
Corps commutatifs
Pour certaines applications en informatique, il est parfois nécessaire
de travailler dans les espaces Kn avec K des corps particuliers
n’ayant qu’un nombre fini d’éléments. Ces corps sont connus sous
le nom de corps finis.
Nous donnerons de tels exemples d’application après avoir introduit
les corps finis.
Corps finis
Exemple 6 (Le corps à deux éléments)
Considérons l’ensemble {0, 1} muni de l’addition +2 et de la
multiplication .2 modulo 2, c’est-à-dire :
+2
0
1
0
0
1
1
1
0
.2
0
1
0
0
0
1
0
1
et
On vérifie aisément que ces deux opérations internes érigent {0, 1}
en corps commutatif. On note ce corps Z2 (ou parfois F2 ).
Corps finis
Remarque : comment avons-nous fait pour avoir une addition +2
qui soit interne sur Z2 ? On a simplement additionner au sens
habituel, et puis on a pris le reste de la division par 2 ! On a fait de
même pour la multiplication .2 .
Ceci explique par exemple qu’on ait
1 +2 1 = 0.
Corps finis
Autre remarque : comme 0 est l’élément neutre de Z2 , l’égalité
1 +2 1 = 0
montre que l’élément 1 admet un inverse pour l’addition +2 sur Z2 ,
à savoir 1 lui même ! En d’autre termes, −1 = 1 dans le corps Z2 .
Ceci peut sembler étrange, mais est en fait simplement une
conséquence de la façon dont on a défini +2 .
Corps finis
Il est maintenant évident qu’on peut aussi définir une addition +m
et une multiplication .m avec m un nombre entier au moins égale à
2 : on additionne et on multiplie au sens habituel et puis on réduit
modulo m.
Corps finis
Exemple 7
Par définition de +10 on a donc :
3 +10 4 = 7
8 +10 3 = 1
8.10 3 = 4
8.10 8 = 4
Corps finis
Exemple 8 (Le corps à trois éléments)
Considérons l’ensemble {0, 1, 2} muni de l’addition +3 et de la
multiplication .3 modulo 3, c’est-à-dire :
+3
0
1
2
0
0
1
2
1
1
2
0
2
2
0
1
.3
0
1
2
0
0
0
0
1
0
1
2
2
0
2
1
On obtient un corps à 3 éléments, qu’on note Z3 (ou parfois F3 ).
Corps finis
Remarque : dans Z3 on a par exemple que
−2 = 1
vu que 2 +3 1 = 0. On a aussi
1
2
= 2 vu que 2.3 2 = 1
Ceci n’a rien de surprenant, mais résulte de la façon dont on a
défini +3 et .3 sur Z3 .
Corps finis
On serait alors tenté de croire que l’ensemble
Zm = {0, 1, 2, . . . , m − 1} est un corps pour tout m > 1 lorsqu’on
le muni de l’addition modulo m et de la multiplication modulo m.
Ce n’est malheureusement pas le cas. Par exemple, dans Z4 , on a
2.4 2 = 0, donc l’élément 2 ne pourrait admettre d’inverse dans Z4
car alors en mutlipliant l’égalité ci-dessus par 21 on en déduirait que
2 = 0!
Corps finis
Rappel : le nombre entier m > 1 est premier quand il admet deux
uniques diviseurs : 1 et lui même. Par exemple, 2 et 3 sont
premiers, mais pas 4.
Théorème 9
L’ensemble Zm = {0, 1, . . . , m − 1} muni de l’addition +m et de la
multiplication .m modulo m forme un corps uniquement lorsque m
est un nombre premier.
Si m = p.q n’est pas premier, alors p.m q = 0 dans Zm ce qui
implique que p1 et q1 n’existent pas dans Zm . On ne donnera pas ici
la démonstration du fait que Zm est bien un corps lorsque m est
premier.
Corps finis
En dehors des corps Zp (avec p premier), on peut montrer qu’il
existe beaucoup d’autres corps finis. Mais ceci est assez difficile, et
ne sera pas fait dans ce cours.
Corps finis
On dispose donc des espace vectoriels Znp sur le corps Zp .
En particulier, on peut donc parler de système linéaire à coefficients
dans Zp , de sous-espace vectoriel de Znp , etc. Tout cela se manipule
exactement comme dans Kn avec K = R ou K = C, sauf que cette
fois on fait les calculs modulo p.
Corps finis
Exemple 10
Considérons le cas p = 5 et n = 3 ainsi que (1, 2, 3) ∈ Z35 . Quels
sont les éléments de la droite vectorielle <(1, 2, 3)> ? Il s’agit de
l’ensemble des multiples de (1, 2, 3), donc :
<(1, 2, 3)> = {(0, 0, 0), (1, 2, 3), (2, 4, 1), (3, 1, 4), (4, 3, 2)}.
On a (2, 4, 1) = 2(1, 2, 3), (3, 1, 4) = 3(1, 2, 3), etc. La
multiplication se fait modulo 5, et composante par composante
(comme expliqué au Chapitre I).
Corps finis
Donnons à présent quelques applications des espaces vectoriels Znp
à l’informatique.
On rencontre notamment les espaces Zn2 dans l’étude des réseaux.
Graphes
Les réseaux sont modélisés au moyen de la notion de graphe. Un
graphe est un ensemble de sommets reliés par des arêtes. Voici un
exemple de graphe à 5 sommets et 5 arêtes.
Graphes
Pour encoder un graphe donné dans la mémoire d’un ordinateur, il
existe plusieurs méthodes. Une façon de faire est d’utiliser la
matrice d’incidence du graphe.
Matrices
Rappelons (voir cours du premier quadrimestre) qu’une matrice
m × n est un tableau à m lignes et n colonnes contenant des
nombres.
Au premier quadrimestre, on a travaillé avec des matrices à
coefficients dans R. Mais on peut considérer plus généralement des
matrices à coefficients dans un corps donné K. On note l’ensemble
de ces matrices Mat(n × m, K).
Matrices
Remarque : Mat(n × m, K) est le même espace que Kn×m , sauf
qu’on dispose les éléments de K dans un tableau et pas en ligne.
Exemple :
1 −3
0 2
est une matrice de Mat(2 × 2, R) qu’on peut aussi voir comme
l’élément (1, −3, 0, 2) de R4 .
Matrice d’incidence
Pour un graphe donné ayant n sommets et m arêtes, sa matrice
d’incidence M est une matrice n × m défine par :
Mij = 1 si l’arête j contient le sommet i
et
Mij = 0 si l’arête j ne contient pas le sommet i .
Matrice d’incidence
Exemple 11
Voici un graphe ainsi que sa matrice d’incidence.
2
a
b
1
4
d
a
1 1
2 1

3 0
4 0
3
c
b
0
1
1
0
c
1
0
1
0
d
0
0

1
1
Matrice d’incidence
Ainsi, la matrice d’incidence d’un graphe donné est une matrice à
coefficients dans le corps fini Z2 .
On peut montrer que l’étude des propriétés des lignes de cette
matrice (qui sont donc des vecteurs de Zm
2 ) fournit des
informations sur le graphe en question.
Codes correcteurs d’erreurs
Une autre application utile des espaces vectoriels Znp est la
conception de codes correcteurs d’erreurs.
On code en effet souvent les mots d’un message à transmettre au
moyen de vecteurs de Znp . On parle par exemple de code binaire
lorsque p = 2 et de code ternaire lorsque p = 3.
Codes correcteurs d’erreurs
On peut par exemple prendre comme mots du code l’ensemble des
vecteurs d’un sous-espace vectoriel de Znp . Pour rappel (voir
Chapitre I), le sous-ensemble V ⊆ Znp forme un sous-espace
vectoriel lorsque :
1
0 ∈ V,
2
u + v ∈ V dès que u, v ∈ V ,
3
λu ∈ V dès que u ∈ V et λ ∈ Zp ,
Codes correcteurs d’erreurs
L’étude des propriétés des sous-espaces de Kn (et donc en
particulier de Znp ), qui se fait en algèbre linéaire, permet de
déterminer des propriétés des codes associés.
La suite du cours est en partie consacrée à l’étude de ces
sous-espaces.
Résumé des points importants du chapitre
1
La notion de corps, qui constitue une généralisation des
ensembles de nombres habituels Q, R et C,
2
Si K est un corps, alors toutes les notions du chapitre I sont
aussi vraies dans Kn . On dit que Kn est un espace vectoriel sur
K,
3
Les corps finis Zp (p premier) et les espaces vectoriels Znp ,
4
L’ensemble Mat(n × m, K) des matrices à coefficients dans un
corps K.
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