
133
Sociétal
N° 40
2etrimestre
2003
PROPOS (ÉCONOMIQUES) SUR LE BONHEUR
IL N’EXISTE PAS
D’« HÉDONOMÈTRE »
PARFAIT
Lechapitreintroductifpermetde
seforgerunepremièreidéedu
degrédebien-êtresubjectifdesdif-
férentespopulationsdelaplanète
àpartirdessondagesportantsur
la« satisfactiondelavie ».Ainsi,
contrairementàuneidée
assezlargementrépan-
duedececôté-cide
l’Atlantique,lesAméri-
cains sont un peuple
apparemmenttrèsheu-
reux :appréciéesurune
échelleallantde0à10,
lasatisfactionmoyenne
desAméricainsen1995
étaitde7,67etseules,5
%despersonnesinterro-
géesestimaientquelaviequ’elles
menaientn’étaitpassatisfaisante
(scoredesatisfactioninférieurà4).
Letableau2.2duchapitresuivant
montre toutefois que des pays
commeleDanemark(8,16)etla
Suisse(8,02)fontnettementmieux.
LaFrance,enrevanche,avec6,78,
n’estpastrèsbienplacée,devan-
cée notamment par le Portugal
(7,07),leMexique(7,69),l’Argen-
tine(7,78)–maisleschosesont
hélascertainementbienchangédans
cedernierpays–,Taïwan(6,89)et
mêmelaChine(6,83)etleNigeria
(6,82) !L’existencedebiaiscultu-
relsesticimanifeste.
Pourcetteraison,ilestindispen-
sablederecouriràdesindicateurs
plus« objectifs »commeleproduit
nationalouàdesmesuresdérivées
commeleMEW(Mean Economic
Welfare) deJamesTobinetWilliam
Nordhaus3.Onpeutaussichercher
àapprécierle« bien-êtredurable »
d’unepopulation(àl’aidedel’Index
of sustainable Economic Welfare pro-
poséen1989parDalyetCobbpar
exemple). Enfin, des indicateurs
construitsàpartirdedonnées
sociales,commel’indicateur de déve-
loppement humain de la Banque
mondiale, apportentégalementde
précieusesindications.Toutesces
mesures« hédonométriques »ont
leursdéfautspropres,mais,prises
globalement, elles permettent
d’avoiruneassezbonneidéedu
« bonheurdupeuple ».
LES FACTEURS
DÉTERMINANTS
DU BONHEUR
Lechapitre3partàla
recherchedesdéter-
minants psycho-socio-
d é m o g r a p h i q u e s d u
bonheur.Ens’appuyant
engrandepartiesurles
donnéessuisses,lesdeux
auteursprocèdentàdif-
férentesanalyseséco-
nométriquesdontles
principalesconclusions
sontlessuivantes :
1.lesjeunesetlespersonnesâgées
sontplusheureusesquelesclasses
d’âgeintermédiaires,
2.lesfemmessedisentplusheu-
reusesqueleshommes,maisl’écart,
faibleaudépart,tendàseréduire
plusencoreavecletemps,
3.lescouplesmariéss’es-
timentplusheureuxque
lespersonnesseules,mais,
làencore,l’écartsegomme
avecletemps,
4. le niveau d’éducation
n’estnullementuneassu-
rance de bonheur, mais
permetapparemmentde
mieuxfairefaceauxévé-
nementsdelavie,
5.unebonnesantéest,sanssurprise,
unfacteurtrèssignificatifdebon-
heur,
6.dansunpaysdonné,lesétrangers
sont, toutes choses égales par
ailleurs, moins heureux que les
nationaux.
Laplupartdessondagesmettanten
relieflelienétroitentrelasituation
matérielled’une personneet le
degrédesatisfactionqu’elleattri-
bueàsavie,oncomprendl’intérêt
portéauxtroisgrandsindicateurs
macroéconomiques :lerevenu,le
chômage,l’inflation.
Mêmesionconnaîtencoremalla
natureetlaformedelaliaisonempi-
riqueentrerevenu et bonheur, toutes
lesdonnéesconfirmentque« l’idée
quelespeuplesdespayspauvres
seraient plus heureux car plus
prochesdela« nature »etvivraient
dansunenvironnementmoinsstres-
santquelenôtreestunmythe »
(p. 76).
Malgrétout,onobservedesphé-
nomènesassezsurprenants.Par
exemple,leniveaudebien-êtresub-
jectifapratiquementstagnéaux
Etats-Unisentre1946etlesannées
1990,endépitdelafortecroissance
durevenuparhabitant.Cephéno-
mène s’expliquerait, selon les
auteurs,parunmécanismepsycho-
logiqued’ajustementàl’expérience
passée,etaufaitqueles« niveaux
d’aspiration »s’élèventparallèle-
ment à la croissance de longue
période.Sielleestexacte,cetteana-
lyseestbienpeuencou-
rageante, au moins
pourlesdirigeantspoli-
tiques :àquoibon,le
pur altruisme mis à
part,se« décarcasser
pour le peuple », si
chaqueprogrèsestaus-
sitôtconsidérécomme
undûdontiln’estpas
nécessairedesavoirgré
àsespromoteurs ?
DE L’ÉTERNEL FÉMININ
Lescomparaisonsentrehommes
etfemmesretiennentparticu-
lièrementl’attention.Eneffet,bien
qu’ellessoientmoinspayéesen
moyenneàtravailidentique,les
femmessedisentengénéralplus
heureusesqueles hommes.On
pourraiticitomberfacilementdans
lapsycho(tauto)logieetconstruire
unemagnifiquethéoriedel’«Eter-
2Philipped’Iribarne,
La politique du
bonheur, LeSeuil,
1971.Ouvrage
dont,aupassage,
certaines
appréciationsne
laissentpasde
surprendreavecle
reculdutemps.
C’estlecaspar
exempledela
remarque,p.220,
surlesrisquesde
concentrationdu
pouvoirdansles
payssocialistes,
attribuésaufaitque
« touslesdirigeants
[decespays]n’ont
paslavertuetla
modérationde
Mao-Tsé-Toung ».
3W.Nordhauset
J.Tobin(1972),
« IsGrowth
Obsolete ? »,in
Economic Growth,
NewYork,NBER.
Desoncôté,
Samuelsonparlede
NEW,National
Economic Welfare.
Avec les Danois
et les Suisses,
les Américains
figurent parmi
les peuples les
plus heureux.
Il existe un lien
étroit entre la
situation
matérielle d’une
personne et le
degré de
satisfaction qu’elle
attribue à sa vie.