signifie que l’être n’est rien d’autre que l’apparition de différence. Et avant l’apparition
d’une différence, il n’y a rien. Une différence et des choses apparaissent simultanément.
La problématique du
jinen
en tant que devenir indique celle de la co-apparition des
différences. Prenons encore la formule bouddhique que nous avons mentionnée
souvent : ‘’
Shiki soku ze kû, kû soku ze shiki
’’ (Le phénomène est la vacuité, la vacuité
est le phénomène). Le phénomène (
shiki
) signifie la forme. La vacuité signifie le vide du
vide, sans-substance et sans-fondement. Ce qui importe, c’est que ‘’l’expérience du
sans-distinction’’ n’est pas une expérience directe de la vacuité elle-même. La vacuité
apparaît comme une proposition symbolique. Mais il faut saisir le monde à travers la
perspective symbolique de la totalité en tant que vacuité, laquelle nous nous permet de
comprendre le fait qu’il n’y a que les phénomènes en tant que formes dans le monde. Les
formes sont avant tout les différenciations en tant que devenir du
jinen
. Nous pensons
que l’Être est aussi la vacuité. Mais en utilisant le même mot, l’être, Heidegger explique
également les différenciations en tant que devenir. Cette pensée concerne la notion
d’être en tant qu’
Ereignis
. Or nous avons expliqué que l’
Ereignis
est lié à la notion de
physis
. Enfin, selon ce point de vue de la différenciation, le
jinen
se rapporte à la
physis
en grec.
Ce qui est intéressant, c’est que Heidegger saisit la problématique de la
différence dans le concept du
Logos
d’Héraclite. En résumant le texte heideggerien,
intitulé
Logos
, Éliane Escoubas aborde cette problématique de la différence ontologique
dans la conclusion de son ouvrage,
Imago Mundi
. Ici, notre but n’est pas d’étudier
l’ensemble de la pensée de Heidegger sur le
logos
ni celle d’Escoubas, et ainsi nous
allons examiner brièvement cette problématique à notre façon, en nous référant à
l’explication d’Escoubas. Le
logos
d’Héraclite a été interprété différemment comme
ratio
,
comme loi du monde, comme sens, comme raison, etc.5 Cependant chez Héraclite, avant
tout le ‘’ «
Logos
» est le
Leitwort
(le mot directeur) pour l’être de l’étant. Le
Logos
héraclitéen est :
to eon
,
das Sein des Seienden
(…).’’6 C’est-à-dire que le
logos
éclaire ce
qu’est l’Être. À travers les analyses étymologiques des rapport entre les mots
legein
en
grec (dire et discourir) et
legen
en allemand (poser et étendre-devant), etc., Heidegger
éclaire les doubles sens dans le
logos
: ‘’un « laisser-entrer en présence »’’ et ‘’un
« restituer-à-l’absence »’’. Le
logos
fait apparaître les êtres « en présence », mais
lui-même n’apparaît jamais. Dans ce sens, le
logos
est
aléthéia
. Mais en effet, ces
5 Cf. Martin Heidegger,
Logos
, in
Essais et conférences
, traduit de l’allemand par André
Préau, Éditions Gallimard, Paris, 1958. p.250. (Titre original de cet ouvrage :
Vorträge
und Aufsätze
, Pfullingen, 1954).
6 Éliane Escoubas,
Imago Mundi -Topologie de l’art-
, Éditions Galilée, Paris, 1986.
p.407.