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gnale avoir repris une consommation de
2 verres de vin chaque soir. Son moral
s'améliore et elle prend de plus en plus
soin d'elle-même. Presque deux ans plus
tard, la patiente maintient toujours sa
consommation de 2 verres de vin chaque
soir.
Nous voyons, dans l'histoire de cette
patiente, un exemple de réussite de
consommation contrôlée. Elle par-
vient à garder la consommation qui
est pour elle liée au plaisir, pour re-
noncer à la consommation morbide
entraînant la dépression et les chutes.
On peut imaginer ce qui se serait pas-
sé si le thérapeute s'était opposé à la
consommation contrôlée. La patiente
aurait peut-être essayé d'être absti-
nente, mais en ayant probablement
plus de peine à retrouver sa joie de vi-
vre. Elle aurait aussi pu persévérer
dans son désir de consommation
contrôlée, tout en se sentant coupa-
ble par rapport au thérapeute, ce qui
aurait débouché soit sur une thérapie
«pseudo» où la patiente dit ce qu'il
faut pour satisfaire son interlocuteur,
soit sur une rupture de traitement.
Contrôle de la fréquence
Ce patient de 41 ans a toujours travaillé
dans la restauration et a ouvert son
propre restaurant en 1993. Dans ce ca-
dre, il développe une dépendance à l'al-
cool qui lui permet d'être assez en for-
me pour mettre de l'ambiance dans son
restaurant. A jeun, il se sent trop an-
goissé pour parler à ses clients.
Puis, en raison de conflits avec son
équipe engendrant de plus en plus d'an-
goisses chez lui, les affaires se dégra-
dent et il remet son restaurant en 2003.
Il commence alors une cure en milieu
institutionnel. Il maintient globalement
une abstinence, mais fait plusieurs re-
chutes brèves qui entraînent une fin de
séjour en mai 2004.
Actuellement, il souhaite contrôler sa
consommation, car il garde un mauvais
souvenir de l'abstinence en raison de ses
angoisses. Il sait qu'il ne peut pas
contrôler la quantité par occasion, donc
il décide de limiter les occasions: il ne
consomme jamais d'alcool chez lui, et
ne sort pas plus que 4 fois par semai-
ne. Les jours sans consommation, il gè-
re les symptômes de sevrage par des
benzodiazépines. Il se sait dans une si-
tuation fragile, mais n'imagine pas
d'autre solution pour l'instant.
Ce patient, après une expérience dou-
loureuse liée à l'abstinence et une re-
chute tout aussi douloureuse, décide
de contrôler sa consommation par la
fréquence des prises d'alcool. Cet ob-
jectif peut paraître dérisoire et il est
difficile, en tant que thérapeute, de
supporter qu'un patient s'alcoolise
massivement quatre fois par semaine.
Cependant, il parvient à atteindre son
objectif, ce qui lui permet d'avoir un
sentiment de contrôle sur sa situation,
permettant par là même un travail
thérapeutique plus en profondeur. Il
peut ainsi élaborer au fil des semaines
les avantages et les inconvénients de
son mode de consommation. Il cons-
tate une légère amélioration de son
image de lui-même, ses tests sanguins
montrent une amélioration des tests
du foie et il s'alimente mieux. Par
contre, il souffre de s'isoler de plus en
plus en dehors des périodes d'alcooli-
sation et il se demande si les sevrages
répétés qu'il s'inflige ne le rendent
pas encore plus anxieux. Peu à peu, il
commence à envisager l'idée de refai-
re un autre séjour institutionnel, car
l'abstinence qu'il expérimente trois
jours par semaine lui paraît par mo-
ments moins pénible à supporter.
Conclusions
A la lumière des données scientifiques,
de nos expériences cliniques et au-de-
là des controverses, il nous paraît im-
portant de pouvoir offrir au patient
souffrant de dépendance à l'alcool un
soutien spécifique, sans choisir à sa
place l'une ou l'autre approche théra-
peutique. Il est capital de connaître au
niveau théorique ces différentes ap-
proches, qu'il s'agisse de l'abstinence
ou de la consommation contrôlée, afin
d'être en mesure d'accompagner le
patient dans ses choix. Accepter, en
tant que thérapeute, la consommation
contrôlée comme un but thérapeu-
tique parmi d'autres permet une ap-
proche par paliers respectant les sta-
des de changements du patient. Cette
approche s'adapte bien aux appro-
ches thérapeutiques qui bénéficient
du meilleur niveau de preuve d'effica-
cité dans le traitement de la dépen-
dance à l'alcool, à savoir les thérapies
de type cognitivo-comportemental et
l'entretien motivationnel.
Références
1) Sobell MB, Sobell LC. Alcoholics treated by
individualized behavior therapy: one year
treatment outcome. Behavior Research and
Therapy 1973, 11, 5..-618
2) Pendery MP, Maltzman IM, West LJ.
Controlled drinking by alcooholics? New fin-
dings and a reevaluation of a major affirma-
tive study. Science 1982, 217, 16..-175
3) Heather N, Robertson I. Controlled drin-
king.1983. New York : Methuen
4) Peele S. Through a Glass Darkly.
Psychology Today 1983, 38-42
5) Kontrolliertes Trinken als Behandlungsziel-
Bestandsaufnahme des aktuellen Wissens,
disponible sur le site de l'OFSP www.bag.ad-
min.ch, avec traduction anglaise.
Adresses mail des auteurs:
La consommation contrôlée
dans la prise en charge des
dépendances à l'alcool