TOPIC
Septembre 2011
www.hec.fr/eurasia
L’Asie émergente, pare-feu anti-récession ?
La reprise est
désormais très
incertaine.
Fort
heureusement, le
continent
asiatique (la
Chine, l’Inde et
l’ASEAN en tête)
continue de tirer
la croissance
mondiale.
Les
fondamentaux de
l’ASEAN
demeurent
stables –
notamment en
comparaison à
l’Inde.
La Chine
continue son
extraordinaire
marche en
avant…
Chaque semaine de cet automne 2011 apporte une dégradation des prévisions de
croissance. Le monde terminera l’année à +4% – un gros point en dessous de 2010 –
les Etats-Unis à +1,5%, la zone Euro au même niveau. Du côté des Emergents, la
situation est plus contrastée : la Turquie ou l’Argentine sortent leur épingle du jeu,
mais le Brésil (+4,5% en 2011) est nettement moins flamboyant que l’an dernier. C’est
encore l’Asie qui donne un peu de couleurs à l’atonie générale.
On pense naturellement à la Chine, dont la masse (7 000 milliards de dollars de
PIB en 2011) multipliée par la vitesse (+9% de croissance vraisemblable en 2011)
continue à défrayer la chronique, non sans quelques hoquets, comme on va le voir.
Mais on aurait tort de sous-estimer deux autres grands ensembles : l’Inde, bien
entendu, et l’ASEAN, qui rassemble tout le Sud-est asiatique. Dans la course au PIB
par tête, les performances des trois ensembles sont impressionnantes : en dollars
courants, cet indicateur progresse de +20% pour la Chine, de +18% pour l’ASEAN et
de +16% pour l’Inde (+3% en France ou aux Etats-Unis, et encore parce que la valeur
internationale du dollar fond). Et au jeu des performances, c’est l’ASEAN qui, mine
de rien, dame le pion à l’Inde.
Non pas que ses performances (+5,3% de croissance pondérée en 2011, +5,9%
pour sa composante majeure, l’Indonésie) soient supérieures à celle de l’Inde, laquelle
sortira de 2011 avec +7,4% de croissance (un gros point de moins que l’an dernier tout
de même), mais parce que les fondamentaux de l’ASEAN sont bien meilleurs que
ceux de son grand voisin. Là où l’Inde est en lourd déficit commercial ou
constamment en rouge pour sa balance des paiements, l’ASEAN sait engranger des
scores très positifs année après année. Là où l’inflation fait des ravages en Inde,
l’ASEAN est championne d’Asie en la matière, avec +4,5% en 2011, ce qui est une
vraie performance dans cette année troublée. Les pays de cette Asie du Sud-est sont
certes bien différents, mais le poids agrégé de l’ASEAN dépasse celui de l’Inde, ce
que l’on oublie trop fréquemment (2 100 milliards de dollars de PIB en 2011, dont 815
pour l’Indonésie, face à 2 000 pour l’Inde), de même que son attractivité pour les
investisseurs étrangers.
La Chine continue son extraordinaire marche en avant. Elle va fort bien tirer son
épingle du jeu en 2011, même avec des performances qui se tassent un peu. De même
assistons-nous à une progression considérable de ses investissements à l’étranger
(+22% en un an), qui ont atteint 69 milliards de dollars, ce qui est très nouveau. Mais
les relais de croissance sur lesquels tous les augures ont appelé l’attention tardent à
cristalliser. Tout se passe comme si la Chine ne parvenait pas à trouver son second
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… malgré les
difficultés
qu’elle
rencontre à
rééquilibrer son
économie au
profit de la
consommation
intérieure.
Le poids de ce
dernier sera en
2011 le même
qu’en 2010, soit
39% du PIB,
tandis que les
investissements
fixes se
multiplient à
vive allure.
Entre abondance
de liquidités,
hausse des taux
d’intérêt et
inflation
galopante, la
Chine reste
fragile.
L’Inde est dans
une même
situation de
trompe l’œil
dynamique :
entre croissance
et inflation, le
potentiel du pays
se gâte.
souffle. On sait depuis longtemps que « l’usine du monde » doit muer au profit de la
consommation intérieure, parce que trop de dépendance aux exportations est source de
fragilités : on l’a vu dans cette année noire qu’était 2009, on fait exactement la même
constatation depuis l’été 2011, où les indicateurs ne cessent de régresser mois après
mois. Parce que l’on sait aussi que les salaires augmentent désormais en Chine de
l’ordre de +15 à +20% par an. Il y a certes encore de belles marges de manœuvre,
quand on sait que le salaire ouvrier (charges comprises) n’est encore que de 1,50 dollar
par heure. Mais des pans entiers d’industries d’entrée de gamme ont déjà migré, soit
dans les pays limitrophes, soit dans cet autre pays qu’est la vaste Chine de l’intérieur,
ce qui revient presque au même pour les régions côtières dynamiques.
Le relai est-il pris par la consommation intérieure, comme chacun, à domicile ou à
l’étranger, l’appelle de ses vœux ? Les données récentes ne dénotent aucun
infléchissement sérieux. En 2011, le poids de la consommation intérieure sera
exactement le même qu’en 2010 : 39% du PIB, à peine plus qu’en 2009. Il n’y a
vraiment pas de quoi pavoiser. Pendant ce temps là, l’autre moteur de l’économie
chinoise continue à croître et à embellir : les investissements fixes, qui passent dans
ces mêmes trois ans de 66% à 70% puis à 75% du PIB en valeur. Qu’ils soient publics
ou privés, dans la construction (plus de la moitié du total estimé) ou ailleurs, ces
fameux investissements fixes recouvrent en vrac la dotation aux infrastructures (bravo
la Chine !), mais aussi l’immobilier de haute spéculation, les projets mirobolants des
collectivités locales ou l’accumulation de capacités de production en dépit de tout
calcul économique et sans aucun égard pour l’environnement ou l’énergie (la Chine
utilise six fois plus d’énergie par dollar de PIB que l’Europe, par exemple). Le
gouvernement le sait et l’a dit, mais il y a encore bien loin de la coupe aux lèvres,
malgré quelques projets phares complaisamment présentés aux médias.
Le gouvernement chinois a largement « sur-réagi » à la crise financière de 2008, en
injectant l’équivalent de 580 milliards de dollars sur deux ans dans l’économie (plan
de stimulation de novembre 2008, équivalent à 12% du PIB de l’époque !). Et comme
le cash n’était pas disponible ad libitum, les banques d’Etat ont été priées d’ouvrir le
robinet du crédit sans limites. On a aujourd’hui le plus grand mal à faire rentrer cette
masse invraisemblable de liquidités dans la boîte à ressorts. Il s’ensuit que les tours de
vis mensuels sur les taux d’intérêts, sur les ratios de réserves des banques etc… ne
fonctionnent pas, comme si le gouvernement n’était pas maître chez lui. Il avait fixé la
masse maximale de crédits à 500 milliards de Yuans au mois d’août : on en a
enregistré 548 ! L’inflation est revenue en force, très au-delà des chiffres (déjà élevés)
des taux officiels (+6,5% par mois cet été). Se loger ou acheter des légumes ou du porc
devient problématique. L’immobilisme des bureaucrates et la corruption vivace (sujets
tabous…) n’ont d’égales que les manifestations récurrentes du ras-le-bol des citoyens,
qui ont pris une nouvelle ampleur cette année, qu’il s’agisse de graves questions
d’environnement (à Dalian, dans le Zhejiang, dans le Guangdong) ou de transparence
lors de catastrophes (celle du TGV en juillet). On les connaît désormais beaucoup
mieux grâce à ce gruyère qu’est devenu l’Internet. Circulez, il n’y a rien à voir… sauf
que, pour faire passer son économie de la phase pionnière à la phase de maturité, les
vieilles recettes sont de moins en moins pertinentes, donc sources de fragilités
croissantes.
L’Inde est dans une même situation de trompe l’œil dynamique. Une classe
moyenne vivement émergente, une croissance robuste (+7,4% prévus en 2011) d’un
côté. Voilà pour ce rêve qu’est cette notion dévoyée de « potentiel ». Mais l’inflation,
bête noire de l’économie indienne, s’accélère depuis plus d’un an. C’est le neuvième
mois consécutif que l’indice des prix à la consommation, tiré par une pression sur les
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Pour certains, la
politique
monétaire du
gouvernement
freine davantage
la croissance
qu’elle ne la
soutient.
Mais
l’événement
majeur en Inde
cet été a été la
mobilisation
colossale contre
la corruption.
L’Indonésie tire
son épingle du
jeu grâce à des
fondamentaux
économiques
solides et des
ressources
abondantes.
La
consommation
privée
s’accélère, au
même rythme
que les entrées
de capitaux.
Les économies
asiatiques
resteront saines
grâce à une
consommation
domestique et
des échanges
intra-régionaux
élevés.
denrées alimentaires, reste supérieur à 9%. En un an et demi, la banque centrale
indienne a relevé onze fois ses taux d’intérêt dans l’espoir de contrôler la hausse des
prix, qui touche désormais de nombreux secteurs de l’économie, y compris les biens
manufacturés.
Les lobbies industriels se plaignent que la politique monétaire du gouvernement
n’a fait que freiner la croissance et décourager les investissements directs, dont
l’économie a tant besoin, et qui de fait régressent depuis trois ans. Selon eux, les
tendances inflationnistes sont davantage liées aux problèmes structurels du pays
– mauvaise infrastructure, pénurie de main d’œuvre qualifiée, faible productivité – qui
nécessitent des réformes bien plus profondes qu’une simple hausse des taux d’intérêt.
L’événement majeur en Inde cet été a été la mobilisation colossale contre la
corruption. Des millions de personnes ont manifesté à travers le pays pour soutenir
Anna Hazare, un activiste de soixante-quatorze ans, dans sa campagne pour forcer le
gouvernement à élaborer une loi contre ce fléau. Les erreurs de jugement des pouvoirs
publics – ils ont commencé par jeter Hazare en prison – n'ont fait qu'amplifier le
mouvement, jusqu'à la capitulation de ces derniers : un projet de loi, qui devrait être
conforme aux idées de ce leader d’opinion, est désormais en cours d'élaboration.
LIndonésie, on l’a dit, tire son épingle du jeu grâce à des fondamentaux
économiques solides et des ressources abondantes. La Banque asiatique de
développement a même relevé les prévisions de croissance du pays à près de 7% pour
2011 et 2012 ! Le moteur de l’économie indonésienne, la consommation privée, tourne
à un rythme soutenu (+6% en 2010), et il devrait s’accélérer davantage au cours des
prochaines années. En effet, le nombre d’Indonésiens à hauts revenus doit tripler d’ici
à 2015 – la plus forte progression à travers le continent ! A l’origine de cette
augmentation : une appréciation de 6% par an en moyenne de la monnaie nationale, la
Rupiah. En ces temps financiers difficiles, la bourse indonésienne a même enregistré
la plus belle performance parmi tous ses voisins asiatiques (+4,5%).
Qui plus est, l’Indonésie a attiré un montant record de capitaux en 2010, soit 16
milliards de dollars : c’est deux fois le montant d’il y a cinq ans. Ils pourraient
atteindre jusqu’à 20 milliards en 2011. Tous les grands groupes financiers renforcent
aujourd’hui leur présence sur ce marché en plein essor. Idem pour les banques
chinoises et japonaises qui recherchent ardemment de nouvelles opportunités dans le
pays. Les entreprises coréennes et indiennes se disputent toutes une part du charbon et
de l’huile de palme indonésiens. L’Indonésie est également l’un des pays à bénéficier
le plus de la hausse des coûts de production chinois. Hors de l’orbite chinoise, la
production de vêtements ou de chaussures, par exemple, est désormais beaucoup plus
répartie à travers le continent. Les exportations indonésiennes de chaussures ont ainsi
augmenté de +42% en 2010.
La croissance des pays asiatiques devrait se tasser au cours des six prochains mois.
L'inflation fait toujours planer une menace au-dessus de nombreuses économies de la
région, mais la consommation domestique restera en général élevée, de même que les
échanges intra-régionaux. La part des échanges entre les grandes économies de la
région est passée à 47% en 2011… où l’on retrouve la Chine comme dynamo
principale. Si la morosité gagne l’Europe, regardons vers l’Asie, vers toute l’Asie.
J.G & E.L
L’Asie émergente en tête de la croissance
Croissance du PIB en %
4
Source: GS, EIU,OCDE
L’Asie émergente : fondamentaux en 2011 (prévisions)
Chine Inde ASEAN Zone Euro
PIB nominal, en milliards de $ 7 000 2 000 2 100 14 000
Balance courante, en % du PIB +3,5 -2,2 +5 -0,5
Balance commerciale, en milliards de $ 167 -149 121 -22
Inflation, en % 5 9,2 4,5 2,7
Solde budgétaire, en % du PIB -1,3 -8,1 -2,5 -4,4
Source: Asia Monitor, septembre 2011
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