partisans fidèles jusqu’à sa mort en 198 (813), puis le mouvement prit le titre de batiniyya
(ésotérique) avec l’adhésion du groupe shi‘ite extrémiste al-Khattabiyya qui, connu pour
ses exigences et son caractère actif, donna à l’ismaélisme une netteté, un relief qu’il n’avait
pas encore au milieu des autres courants shi‘ites. À partir du début du IIIe siècle de l’hégire
(début du IXe s.), le mouvement s’organise et se consolide, grâce notamment à la famille
de ‘Abd Allah ibn Maymun al-Qaddah. Maymun al-Qaddah, esclave affranchi, avait été le
disciple de Dja‘far et le serviteur dévoué d’Isma‘il auquel il était fort attaché. Maymun, ainsi
que, plus tard, son fils ‘Abdallah ibn Maymun, et tous leurs descendants contribuèrent
largement, par leur dévouement et leur ferveur, au renforcement de l’ismaélisme. Ils ont
préparé l’État fatimide, qui, instauré en Afrique du Nord au début du Xe siècle, devait durer
jusqu’en 1171. Cette célèbre famille fatimide a eu un rôle important, jusqu’à la chute de
l’Empire, dans la naissance de la civilisation islamique, aussi bien en politique qu’en art et
en littérature.
2. La pensée scientifique et philosophique
Les historiens de la philosophie islamique, jusqu’à une époque récente, ne connaissaient de
l’ismaélisme que ce qui avait été écrit par ses adversaires et qui se résumait en des
accusations d’infidélité, d’hérésie et d’immoralité. Actuellement, d’après les sources
ismaéliennes mêmes dont certaines furent publiées par de grands orientalistes, ainsi qu’à la
lumière des études critiques de spécialistes tels que Louis Massignon, Henry Corbin,
Bernard Lewis, la doctrine apparaît sous un jour entièrement nouveau.
La philosophie de la nature
La philosophie de la nature chez les ismaéliens s’appuie sur celle d’Aristote, réinterprétée
selon une perspective néo-platonicienne. Ce qui attire d’abord l’attention du chercheur est
ici la distinction entre le macrocosme et le microcosme, qu’en même temps ils considèrent
comme liés l’un à l’autre et en correspondance. L’apparition du macrocosme dans
l’existence répond à un acte d’instauration primordiale et éternelle, acte qui est l’origine de
l’Être. Cette instauration est appelée al-‘amr, l’Impératif. Le premier être qui fut instauré
par cet acte c’est l’Intellect universel; il l’a été sans intermédiaire, à la différence de tout ce
qui n’est pas lui. Ainsi l’âme universelle vient à l’existence par l’intermédiaire de l’Intellect,
de même que la matière universelle par l’intermédiaire de l’âme universelle. L’Intellect, du
fait qu’il est instauré sans intermédiaire, possède l’unité pure. Cependant, on lui connaît
trois attributs: la priorité, parce qu’il est le premier être instauré; l’action, parce que c’est
par lui que les choses passent de l’état de puissance à l’état d’acte; enfin l’universalité, car
c’est de lui qu’émanent les intelligences individuelles. L’âme universelle est, également, une
réalité une, mais son action et son influence se diversifient à cause de la diversité des
matières qui reçoivent son action; ainsi, elle apparaît dans le monde céleste physique
comme motrice; dans le monde des quatre éléments comme force de mixtion; dans le
monde végétal comme principe de croissance ; dans le règne animal comme volonté
motrice, et dans le monde humain comme force de pensée et de discernement. Quant à la
matière, elle est d’après les ismaéliens tout ce qui est apte à recevoir et à se concrétiser.
On en distingue quatre catégories: la matière universelle ou première (c’est le corps absolu
qui agit dans la substance du monde corporel); la matière naturelle, c’est-à-dire les quatre
éléments qui sont à l’origine du minéral, du végétal et de l’animal; la matière artificielle, qui
comprend toutes les productions de l’être vivant; enfin, la matière élémentaire physique,
composée de tout ce qui existe concrètement.
L’âme, l’intellect et la connaissance
D’après les penseurs ismaéliens, le corps par lui-même est incapable d’agir et de se
mouvoir; si donc il se meut, ce ne peut être que par une force étrangère à sa nature
corporelle. Certains corps possèdent un mouvement à sens unique: par exemple le feu et
l’eau; c’est leur mouvement naturel. Pour d’autres le mouvement a des sens multiples ; il