
pas la même signification : les deux premiers, par leur caractère unilatéral, sont certai-
nement beaucoup moins contraignants et plus largement susceptibles de subir les contour-
nements et autres infractions caractéristiques des pays en développement soumis à de
multiples conditionnalités ; en revanche, la nouvelle donne euro-méditerranéenne, par-
ce qu’elle est contractuelle, semble
a priori
constituer une véritable contrainte ou, plus exac-
tement, semble devoir remodeler de façon décisive les contours de la contrainte extérieure,
par définition toujours pesante pour une “petite économie dépendante ”.
Quoi qu’il en soit, ces événements semblent indiquer une volonté inflexible d’adhérer
à la nouvelle philosophie économique internationale, caractérisée à la fois par un libéralisme
toujours plus poussé et par la nécessité d’appartenir à un bloc régional. Les évaluations
non dogmatiques de cette libéralisation accrue, à présent disponibles, pour globales et
prudentes qu’elles soient, convergent pour souligner les risques et les défis d’une telle
réorientation. Dans ces conditions, on pourrait s’attendre à l’existence, dans la société ma-
rocaine, d’un large débat sur cette nouvelle donne. Le Maroc est-il armé pour affronter
un tel enjeu ? Comment renforcer la compétitivité tant interne qu’internationale des acti-
vités économiques ? Quelle politique industrielle élaborer face aux défis qu’implique une
plus grande ouverture ? Comment amorcer une réforme fiscale rendue urgente et indis-
pensable par la disparition annoncée d’une part non négligeable des recettes fiscales
d’ici une dizaine d’années ? A quels secteurs et selon quelles modalités affecter des
fonds européens plus abondants et comment améliorer la capacité d’absorption du Ma-
roc ?
Or, paradoxalement, ces réflexions demeurent confidentielles, voire inexistantes au
Maroc. Les études sur les effets attendus et les évaluations de l’accord de libre-échan-
ge sont presque exclusivement le fait des partenaires européens, des bailleurs de fonds
ou des équipes de recherche européennes2. Après une période d’euphorie, des craintes
commencent à s’exprimer au Maroc. Mais le travail des diverses commissions maro-
caines (sur l’investissement extérieur, sur les grappes industrielles, sur la compétitivi-
té...), encore embryonnaire, n’est pas discuté publiquement ; la presse et les débats po-
litiques (par exemple au Parlement) ne s’en font pas l’écho ; et surtout ces préoccupations
ne semblent nullement déboucher sur une réflexion relative aux politiques économiques
à mener.
En revanche, l’observateur étranger ne peut qu’être frappé par la simultanéité d’une ab-
sence totale de réformes internes et de l’intensité du discours marocain sur les nouveaux
“fléaux ” économiques : l’inefficacité de l’administration et l’absence d’une justice fiable
sont dénoncées sans ambages ; l’importance économique et politique de l’activité nar-
cotique est désormais débattue publiquement alors qu’il y a encore quelques mois ce
“problème ” n’existait pas ; et surtout la nouvelle campagne de lutte contre la contre-
bande, la drogue et la corruption est à la une de tous les journaux, au centre de tous les
débats politiques, à la base de tous les remous internes.
Ce décalage entre défis internationaux et préoccupations nationales, cette substitution
de la mise en œuvre de réformes par la mise en scène de “campagnes ” ne sont pas anec-
dotiques et ne peuvent être réduits aux effets pervers d’un régime autocratique. Ils
2 Comme étude approfondie du côté marocain, nous n'avons eu connaissance que de l'étude de Larbi Jaï-
di “La zone de libre-échange Union européenne/Maroc : impact du projet sur l'économie marocaine”,
Cahier
du GEMDEV
n°22 (Vers une zone de libre-échange Europe-Maghreb), Paris, octobre 1994. Tous les autres
travaux sont en cours ou “confidentiels”.
Les Etudes du CERI - n ° 15 - avril 1996 3