4699815 - Le cerveau, un athlete en quete de stimulation

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13/03/08
P. 12
Compétences
SCIENCES (4/4)
Le cerveau, un athlète en quête de stimulation
Dernier volet de notre série : le cerveau a besoin d’être entretenu pour rester en forme. La stimulation maintient les neurones en activité et renforce le réseau synaptique.
L
Tous droits réservés − Les Echos − 2008
es neurones ne s’usent que si
l’on ne s’en sert pas. »
L’image est facile mais correspond à une certaine réalité : le
cerveaun’estni unmuscleni unepile
électrique, mais il préfère l’activité à
l’inaction. Le plus bel exemple validantcet axiome a été découvert chez
les chauffeurs de taxi londoniens.
Pour obtenir l’autorisation de
conduirelesvolumineuxcabsbritanniques, il faut passer un examen et
démontrer une excellente connaissance du réseau routier de la ville.
C’est l’hippocampe, une zone enfouie dans le cerveau profond, qui
gère cette fonction de mémorisation
desdonnéesspatiales.L’examenpar
imagerie fonctionnelle a confirmé
que les chauffeurs de taxis anglais
possédaient un hippocampe plus
grosquelamoyenne.Cette augmentation de volume est le résultat d’une
pratique intensive et non pas une
caractéristique préétablie. Cette
plasticité du cerveau couplée à la
neurogénèse est undesoutilslesplus
prometteurs des thérapies en développement. De nombreuses maladies neurodégénératives comme
Alzheimer entraînent chez les humains une perte très incapacitante
des repères spatiaux. La connaissance de ces phénomènes est donc
depremière importance.Unefoisde
plus, la souris, avec son cortex de
5 cm2, est un terrain d’expérimentation privilégié.
Entre peur et curiosité
Susumu Tonegawa s’intéresse précisément à l’hippocampe des rongeurs. Placée dans une boîte, une
sourisvaspontanémentexplorerson
territoire selon une procédure quasi
immuable. Elle suit les parois, flaire,
s’arrête de temps en temps, repart
vers le centre. Elle semble faire l’état
des lieux de son nouveau logis.
Comme des locataires qui visitent
pour la première fois leur futur appartement. « Là, ce sera la chambre
desenfants.Tienspasmal cecoin.On
y mettra le bureau. » Le biologiste
japonais a voulu savoir comment
une souris, naturellement craintive
et prudente, s’appropriait un nouveaulieudevie.Etsurtout,comment
elle balançait entre deux sentiments
puissants et antagonistes : la curiosité et la peur. « Le cerveau utilise un
circuit simplifié et plus rapide pour
stocker et utiliser ces informations.
L’hippocampe joue un rôle crucial
pour la mémoire spatiale et épisodique », indique le chercheur. Edvard Moser, de l’université de Trondheim en Norvège, essaye lui aussi
de décoder le GPS biologiquequiéquipedesérieles
humains et les animaux.
« Le cerveau construit une
grille cartographique par
triangulations successives
au fur et mesure des déplacements. Il fabrique ses
propres cartes », indique le
scientifique norvégien.
Ces travaux fondamentaux vont-ils permettre de
soigner les maladies du cerveau en passe de devenir le
fléau social, médical et économique majeur des sociétés vieillissantes ? Selon
une étude récente de l’université Stony Brook de
NewYork,en 2100,lesplus
de 60 ans représenteront
32 % de la population
mondiale, contre 10 % actuellement. En France,
près d’un demi-million de
personnes souffrent d’épilepsie, dont 25 à 30 % sont
« pharmacorésistants »,
c’est-à-dire insensibles aux
traitements existants. L’autisme touche environ un
enfant sur 1.000, avec un
sexeratiode4 garçonspour
une fille. Seulement 5 à
10 % d’entre eux deviennent autonomes à l’âge
adulte, et la majorité demeure sévèrement handicapée. Selon des travaux
récents, cette maladie
semble liée àdesanomalies
structurelles dans deux
zones précisesdu lobe temporal : le gyrus temporal
supérieuretlesillontemporal supérieur.
Erreurs de navigation
Cent vingt mille personnes
souffrent de la maladie de
Parkinson dans l’Hexagone. Ce trouble frappe
2 % des personnes de plus
de 65 ans et le nombre de
malades devrait doubler en
Europe d’ici à 2030. Cette
pathologieaffecteunecatégorie de neuronessensibles
à un neurotransmetteur
particulier : la dopamine,
qui régule la motricité et les
émotions.SelonKevinMitchell, chercheur au département de psychiatrie du
Trinity College de Dublin,
nombre de ces troubles
psychiatriques pourraient
provenir d’« erreurs de na-
vigation » intervenant au
cours des migrations des
neurones dans les premiers mois de la vie.
« Des défauts du neurodéveloppement initial
peuvent conduire à des
altérations physiologiques ou comportementales notamment dans le
cas dela schizophrénie »,
précise le chercheur irlandais.
Des dépressifs célèbres
Napoléon Bonaparte
Sigmund Freud
Romain Gary
Patients souffrant d’affections du système nerveux
central en Europe
Nombre de cas en millions (2005)
0
5
10
15
20
25
30
35
40
Anxiété
Migraine
Troubles dépressifs
Addictions
Maladies démentielles
(Alzheimer)
Troubles psychotiques
Epilepsie
Troubles de Parkinson
Accidents vasculaires
Population concernée : 127 millions
(27 % de la population totale)
Traumatismes
Sclérose en plaques
Tumeurs cérébrales
« Les Echos » / Photos : AFP
Anxiété, migraine et dépression en tête
Unequinzainede pathologies. Selonune
enquête qui remonte à 2005, près de 127 millions d’européens souffriraient de troubles du
système nerveux central sur une population
totale évaluée à 470 millions. Les trois maladies les plus fréquentes sont dans l’ordre
l’anxiété, les migraines et les troubles dépressifs. Les maladies de type démentiel se traduisant par une perte d’autonomie (comme Alzheimer) touchent actuellement près de
5 millions de personnes et sont en croissance
rapide. Sur une population différente (*), une
autre enquête plus récente estime que
82,7 millions d’Européens sont concernés par
des maladies mentales plus ou moins invalidantes : troubles somatiques divers (18,9 millions), phobies spécifiques (18,5 millions), dé-
pressions sévères (18,4 millions), dépendance
à l’alcool (7,2 millions), peurs paniques
(5,3 millions), agoraphobies (4 millions). Au
total,unequinzainedepathologiessontrecensées. Les plus rares touchent tout de même
plusde1milliondepersonnesenEurope, dont
les troubles liés à l’alimentation (1,2 million de
personnes touchées par l’anorexie ou la boulimie). Selon ces enquêtes, près du quart de la
population européenne est concerné par ces
psychopathologies. Selon l’Organisation
mondiale de la santé, en 2020, la dépression
sera la première cause de morbidité chez la
femme et la seconde chez l’homme (après les
maladies cardiovasculaires).
(*) UE, Islande, Norvège et Suisse,
soit environ 302 millions de personnes.
45
Des électrodes
En fait, quand un sens
n’est pas sollicité à un
moment précis du développement, les réseaux
synaptiques ne se constituent pas et la fonction
s’atrophie définitivement. C’est le cas de la
vision chez les ratons. Si
les cellules visuelles ne
sont pas activées au
cours de la petite enfance, ils deviennent
aveugles. Résultat : pour
nombre de ces maladies
neurologiques et en particulier pour l’autisme,
une détection précoce
complétée par un environnement stimulant
peuvent réduire sensiblement le handicap.
Le salut viendra peutêtre d’une spécialité
française : la stimulation
cérébrale profonde, développée initialement à
Grenoble par les professeurs Benabid et Pollak,
pour soigner la maladie
de Parkinson. L’implantation de fines électrodes
dans une zone profonde
du cerveau (le noyau
subthalamique) donne
des résultats spectaculaires. Elle supprime les
symptômes comme les
tremblements et les
mouvements anormaux
provenant du traitement
à la L-Dopa. Cette opération complexe ne
s’adresse qu’à une catégorie de malades (parkinsoniens purs) qui ne
représentent qu’environ
15 % des malades. A
l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, Jérôme
Yelnik est en train
d’établir un atlas qui permettra de reconstituer la
Bibliographie
Principaux ouvrages publiés
récemment sur le cerveau.
x « A la recherche de la
mémoire » (1), par le prix Nobel de
médecine, Eric Kandel, un des
meilleurs connaisseurs actuels de la
biologie du cerveau.
x « A la recherche de la
conscience » (1), par Christof Koch.
x « Les Neurones de la
lecture » (1),
par Stanislas Dehaene. Comment
le cortex mémorise les mots.
x « Plus vaste que le ciel » (1), par
le prix Nobel Gerald Edelman.
L’un des plus grands théoriciens
actuels des neurosciences.
x « Les Neurones miroirs » (1),
par Giacomo Rizzolati et Corrado
Sinigaglia. Ces cellules sont
responsables des phénomènes
d’empathie chez les animaux et les
hommes.
x « Le Cœur des autres » (2),
par Jean Didier Vincent. Les émotions
et les sentiments vus
par un neurobiologiste pédagogue.
x « Traité du cerveau » (1),
par Michel Imbert. Si on veut
vraiment connaître les détails de
fonctionnement de la machine
cérébrale.
x « Qu’est-ce qu’un neurone » (3),
par Bernard Calvino. Un ouvrage
simple et très accessible.
x « La Mémoire » (4),
par Olivier Henry et Christophe
Pouthier. Comment fonctionne cet
outil indispensable.
x Deux dossiers spéciaux du
magazine « La Recherche » en
juillet-août 2007 (spécial cerveau)
et en février 2008 (la conscience).
(1) Odile Jacob. (2) Plon.
(3) Le Pommier. (4) Pearson Pratique.
structure tridimensionnelle du
cerveau.
Il permettra de sélectionner plus
rapidement les bénéficiaires potentiels. Cette technique est en cours
d’expérimentation pour d’autres
maladies : les troubles obsessionnels
compulsifs comme le syndrome
Gillesde LaTourette,eton envisage
de l’appliquer à certains cas de dépression sévère. « Il faut stimuler
l’armée de nos neurones », préconise
Etienne Hirsch, neurologue à l’Inserm et président du conseil scientifique de la fondation pour la recherche sur le cerveau.
ALAIN PEREZ
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