38 N°981ccNovembre 2015
EN COUVERTURE
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l’avenir, les grands brûlés pourront
se faire directement imprimer des
greffes de peau sur leurs brûlures.
La start-up bordelaise Poietis vient,
en effet, de se voir accorder aux
États-Unis et au Japon un brevet permettant
d’imprimer une greffe de peau in vivo et in
situ, c’est-à-dire directement sur la blessure
du patient. Cet exemple spectaculaire n’est
qu’une des illustrations que laisse entrevoir
la révolution du bioprinting (ou bio-impres-
sion en français). Encore balbutiantes, ces
techniques devraient jouer un rôle majeur
dans l’envolée attendue du marché de l’in-
génierie tissulaire. Évalué à 15 milliards de
dollars en 2014, il pourrait doubler d’ici
2018, selon les dernières estimations de
MedMarket Diligence.
cc Assembler couche par couche
des cellules vivantes
La bio-impression repose sur les princi-
pes de l’impression 3D et consiste à l’as-
semblage couche par couche des consti-
tuants de tissus biologiques, comme la
cornée, la peau, ou le cartilage, à partir de
chiers numériques. Ces derniers permet-
tent alors de dénir le positionnement
initial des cellules et de la matrice extra-
cellulaire et d’anticiper leur différen-
ciation. La conception assistée par
ordinateur permet ainsi de guider l’auto-
organisation cellulaire qui s’effectue pen-
dant la période de maturation du tissu
bio-imprimé. On parle alors de bio-
impression 4D pour prendre en compte
cette dimension temporelle, qui n’inter-
vient pas dans la fabrication additive de
matériaux inertes. Il s’agit d’une phase
clé pendant laquelle émergent des fonc-
tions biologiques spécifiques selon le
tissu visé. Cette approche connaît actuel-
lement un véritable engouement.
Bio-impression
Des machines à tisser le vivant
Vascularisation, personnalisation, architecture complexe… Les tech-
niques d’ingénierie tissulaire classiques se heurtent à plusieurs
limites. Pour surmonter ces obstacles, de plus en plus de laboratoi-
res se tournent vers la bio-impression. Utilisée aujourd’hui dans la
cosmétique, cette technologie de rupture participe au développe-
ment de thérapies personnalisées et de greffons sur mesure.
« Aujourd’hui, près d’une centaine de
laboratoires travaillent sur le bioprinting
alors qu’en 2009 une conférence sur le
sujet n’avait réuni que 60 chercheurs »,
témoigne Fabien Guillemot, fondateur de
la start-up Poietis, issue de recherches
menées à l’Inserm Bordeaux. Côté mar-
ché, on dénombre une quinzaine d’entre-
prises, dont le business model repose
essentiellement sur la vente de bio-impri-
mantes aux procédés variés selon les mar-
ques. Parmi elles, RegenHU, Fabion, Bio3D
Technologies, CyfuseBiomedical, Next21
ou encore BioBots et Aspect Biosystems.
cc Automatiser la production de
peau pour tester des molécules
Si les techniques de bioprinting se dévelop-
pent à vitesse grand V c’est pour surmonter
une série d’obstacles sur lesquels buttent
les techniques conventionnelles de l’ingé-
nierie tissulaire. Ce domaine de recherche
consiste à stimuler la régénération de tissus
décients et la génération de tissus sains à
l’aide de trois éléments clés : des cellules, un
échafaudage et des facteurs de croissance.
« Ces techniques souffrent d’un manque de
reproductibilité. Il s’agit de méthodes arti-
sanales où l’on contrôle encore très mal la
distribution des cellules » note Fabien
Guillemot. L’ingénierie tissulaire classique
peine également à produire des structures
personnalisées du fait de la complexité de
l’architecture des tissus alors que certaines
bio-imprimantes permettent d’ores et déjà
D. R.
À
CiNq TEChNOs pOUR façONNER lEs CEllUlEs
LA BIOEXTRUSION
c Un piston éjecte
des cellules
en alternance avec
un hydrogel, à travers
des micro-aiguilles
au diamètre défini.
Très répandue,
cette approche est
notamment utilisée
par Organovo et permet
d’obtenir des tissus
épais de quelques
centimètres.
LE JET D’ENCRE
c Oxsybio a détourné
la technologie
de la bureautique.
Le jet est induit
par une tension
piézoélectrique.
Le volume des
microgouttelettes
dépend de cette tension.
Une variante,
qui fonctionne par
impulsion thermique,
est utilisée par Tevido.
LA BIO-
IMPRESSION
PAR VANNES
c Cette technique
se rapproche
de l’extrusion car
le liquide est aussi
mis sous pression.
Des vannes s’ouvrent
pendant des temps
très courts et
permettent de faire
passer l’encre
biologique. Plus
onéreuse, elle est
utilisée par RegenHU.
LA BIO-
IMPRESSION
ACOUSTIQUE
c L’encre biologique
est placée sur
une microcuvette.
On focalise des ondes
acoustiques qui
induisent la formation
d’un jet. Les cellules
ne subissent pas
de contraintes
de cisaillement.
Cette approche est
développée par Uktan
Demirci à Stanford.
LA BIO-
IMPRESSION
PAR LASER
c L’impulsion laser
permet d’éjecter
les microgouttelettes
de cellules.
Utilisée par Poietis,
cette technique
coûteuse permet
d’imprimer avec
une très haute
résolution et d’obtenir
100 % de viabilité
cellulaire.
d’imprimer jusqu’à cinq types cellulaires
différents. Autre enjeu de taille : la vascula-
risation des tissus. « Elle concerne tous les
organes, à l’exception de la cornée et du car-
tilage. Elle permet d’apporter les nutri-
ments nécessaires aux cellules et d’évacuer
les déchets » explique Fabien Guillemot,
qui planche en collaboration avec le labo-
ratoire BioTis de l’Inserm Bordeaux sur
cette problématique. « Aujourd’hui, nous
sommes capables d’imprimer des cellules
vasculaires. L’enjeu consiste désormais à
déterminer les conditions d’organisation
des cellules pour les orienter de façon à
former un réseau », poursuit, conant, le
chercheur-entrepreneur. Plus générale-
ment, l’approche automatisée du bioprin-
ting permettrait de générer des gains de
temps non négligeables.
Ces promesses séduisent de plus en plus
les géants de la cosmétique. L’Oréal a ainsi
récemment noué un partenariat avec le
spécialiste américain du bioprinting
Organovo pour automatiser sa produc-
tion d’échantillons de peau an de tester
les effets de ses nouvelles molécules, alors
que le géant allemand BASF, qui déve-
loppe des actifs chimiques intégrés dans
les produits cosmétiques, collabore
depuis quelques mois avec le français
Poietis. Même démarche pour la start-up
lyonnaise LabSkin Creations, spécialisée
dans la fabrication de modèle de peaux
reconstruites, qui teste actuellement les
techniques de bioprinting avec l’Institut
de chimie et biochimie moléculaires et
supramoléculaires (ICBMS) de l’univer-
sité de Lyon. À l’origine de la plateforme
3D Fabric Advanced Biology. L’institut a
mis au point une bioimprimante lowcost
en détournant une imprimante 3D à
extrusion du fabricant Tobeca. « Nous
visons actuellement des collaborations
avec des cliniciens et des chirurgiens.
Nous sommes particulièrement en
contact avec le laboratoire de substituts
cutanés de l’hôpital Edouard-Herriot de
Lyon », ajoute Léa Pourchet, ingénieur en
charge de la plateforme.
cc Imprimer du tissu à partir
des propres cellules du patient
En effet, outre ces premières applications
cosmétiques, les grands enjeux du bio-
printing résident dans la médecine régé-
nératrice et personnalisée. Dans cette
optique, Organovo a noué, en avril der-
nier, un partenariat avec le laboratoire
Merck. Dans le cadre de cette collabora-
tion, l’entreprise allemande va acheter
des échantillons de tissus de foie impri-
més par Organovo et développer diffé-
rents modèles de tissus personnalisés
dans le cadre du développement de nou-
veaux médicaments. De son côté, la start-
up Poietis s’intéresse aux acteurs de l’in-
dustrie pharmaceutique pour les aider à
développer des chimiothérapies adaptées
aux patients. « L’idée est d’utiliser les cel-
lules tumorales du patient pour impri-
aVEC pOiETis, la pEaU s’impRimE paR lasER
Impression
« haute couture »
c Une impulsion laser se réfléchit
sur un miroir. Elle est focalisée
par une lentille à l’interface
d’une plaque de verre, recouverte
d’un film de bioencre, et crée
un jet qui permet de déposer
les microgouttelettes en 3D
avec une précision
micrométrique.
Maturation
du tissu
c Les cellules communiquent
entre elles et interagissent
avec la matrice
extracellulaire pour
adopter des organisations
spécifiques desquelles
émergeront certaines
fonctions biologiques.
Épiderme
bioimprimé
c L’échantillon d’épiderme,
structuré en plusieurs
couches et bioimprimé
sur un derme mort,
sera utilisé pour tester
les actifs chimiques
intégrés dans les produits
cosmétiques.
biOpROdUCTiON
F. ROBERT