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l’avenir, les grands blés pourront
se faire directement imprimer des
greffes de peau sur leurs brûlures.
La start-up bordelaise Poietis vient,
en effet, de se voir accorder aux
États-Unis et au Japon un brevet permettant
d’imprimer une greffe de peau in vivo et in
situ, c’est-à-dire directement sur la blessure
du patient. Cet exemple spectaculaire n’est
qu’une des illustrations que laisse entrevoir
la révolution du bioprinting (ou bio-impres-
sion en français). Encore balbutiantes, ces
techniques devraient jouer un rôle majeur
dans l’envolée attendue du marché de l’in-
nierie tissulaire. Évalué à 15 milliards de
dollars en 2014, il pourrait doubler d’ici
2018, selon les dernières estimations de
MedMarket Diligence.
cc Assembler couche par couche
des cellules vivantes
La bio-impression repose sur les princi-
pes de l’impression 3D et consiste à l’as-
semblage couche par couche des consti-
tuants de tissus biologiques, comme la
cornée, la peau, ou le cartilage, à partir de
chiers numériques. Ces derniers permet-
tent alors de dénir le positionnement
initial des cellules et de la matrice extra-
cellulaire et d’anticiper leur différen-
ciation. La conception assistée par
ordinateur permet ainsi de guider l’auto-
organisation cellulaire qui s’effectue pen-
dant la période de maturation du tissu
bio-imprimé. On parle alors de bio-
impression 4D pour prendre en compte
cette dimension temporelle, qui n’inter-
vient pas dans la fabrication additive de
matériaux inertes. Il s’agit d’une phase
clé pendant laquelle émergent des fonc-
tions biologiques spécifiques selon le
tissu visé. Cette approche connaît actuel-
lement un véritable engouement.
Bio-impression
Des machines à tisser le vivant
Vascularisation, personnalisation, architecture complexe… Les tech-
niques d’ingénierie tissulaire classiques se heurtent à plusieurs
limites. Pour surmonter ces obstacles, de plus en plus de laboratoi-
res se tournent vers la bio-impression. Utilisée aujourd’hui dans la
cosmétique, cette technologie de rupture participe au veloppe-
ment de thérapies personnalisées et de greffons sur mesure.
« Aujourd’hui, près d’une centaine de
laboratoires travaillent sur le bioprinting
alors qu’en 2009 une conférence sur le
sujet n’avait réuni que 60 chercheurs »,
témoigne Fabien Guillemot, fondateur de
la start-up Poietis, issue de recherches
menées à l’Inserm Bordeaux. Côté mar-
ché, on dénombre une quinzaine d’entre-
prises, dont le business model repose
essentiellement sur la vente de bio-impri-
mantes aux procédés variés selon les mar-
ques. Parmi elles, RegenHU, Fabion, Bio3D
Technologies, CyfuseBiomedical, Next21
ou encore BioBots et Aspect Biosystems.
cc Automatiser la production de
peau pour tester des molécules
Si les techniques de bioprinting se velop-
pent à vitesse grand V c’est pour surmonter
une série d’obstacles sur lesquels buttent
les techniques conventionnelles de l’ingé-
nierie tissulaire. Ce domaine de recherche
consiste à stimuler la ration de tissus
cients et la génération de tissus sains à
l’aide de trois éléments clés : des cellules, un
échafaudage et des facteurs de croissance.
« Ces techniques souffrent d’un manque de
reproductibilité. Il s’agit de méthodes arti-
sanales où l’on contrôle encore très mal la
distribution des cellules » note Fabien
Guillemot. L’ingénierie tissulaire classique
peine également à produire des structures
personnalies du fait de la complexité de
l’architecture des tissus alors que certaines
bio-imprimantes permettent d’ores et déjà
D. R.
À
CiNq TEChNOs pOUR façONNER lEs CEllUlEs
LA BIOEXTRUSION
c Un piston éjecte
des cellules
en alternance avec
un hydrogel, à travers
des micro-aiguilles
au diamètre défini.
Ts répandue,
cette approche est
notamment utilisée
par Organovo et permet
d’obtenir des tissus
épais de quelques
centimètres.
LE JET D’ENCRE
c Oxsybio a détour
la technologie
de la bureautique.
Le jet est induit
par une tension
piézoélectrique.
Le volume des
microgouttelettes
pend de cette tension.
Une variante,
qui fonctionne par
impulsion thermique,
est utilisée par Tevido.
LA BIO-
IMPRESSION
PAR VANNES
c Cette technique
se rapproche
de l’extrusion car
le liquide est aussi
mis sous pression.
Des vannes s’ouvrent
pendant des temps
très courts et
permettent de faire
passer l’encre
biologique. Plus
onéreuse, elle est
utilisée par RegenHU.
LA BIO-
IMPRESSION
ACOUSTIQUE
c L’encre biologique
est placée sur
une microcuvette.
On focalise des ondes
acoustiques qui
induisent la formation
d’un jet. Les cellules
ne subissent pas
de contraintes
de cisaillement.
Cette approche est
veloppée par Uktan
Demirci à Stanford.
LA BIO-
IMPRESSION
PAR LASER
c L’impulsion laser
permet d’éjecter
les microgouttelettes
de cellules.
Utilisée par Poietis,
cette technique
coûteuse permet
d’imprimer avec
une très haute
résolution et d’obtenir
100 % de viabilité
cellulaire.
d’imprimer jusqu’à cinq types cellulaires
différents. Autre enjeu de taille : la vascula-
risation des tissus. « Elle concerne tous les
organes, à l’exception de la cornée et du car-
tilage. Elle permet d’apporter les nutri-
ments cessaires aux cellules et d’évacuer
les déchets » explique Fabien Guillemot,
qui planche en collaboration avec le labo-
ratoire BioTis de l’Inserm Bordeaux sur
cette problématique. « Aujourd’hui, nous
sommes capables d’imprimer des cellules
vasculaires. L’enjeu consiste désormais à
déterminer les conditions d’organisation
des cellules pour les orienter de façon à
former un réseau », poursuit, conant, le
chercheur-entrepreneur. Plus générale-
ment, l’approche automatisée du bioprin-
ting permettrait de générer des gains de
temps non négligeables.
Ces promesses séduisent de plus en plus
les géants de la cosmétique. LOréal a ainsi
récemment noué un partenariat avec le
spécialiste américain du bioprinting
Organovo pour automatiser sa produc-
tion d’échantillons de peau an de tester
les effets de ses nouvelles molécules, alors
que le géant allemand BASF, qui déve-
loppe des actifs chimiques intégrés dans
les produits cosmétiques, collabore
depuis quelques mois avec le français
Poietis. Même démarche pour la start-up
lyonnaise LabSkin Creations, spécialisée
dans la fabrication de modèle de peaux
reconstruites, qui teste actuellement les
techniques de bioprinting avec l’Institut
de chimie et biochimie moléculaires et
supramoléculaires (ICBMS) de l’univer-
sité de Lyon. À l’origine de la plateforme
3D Fabric Advanced Biology. L’institut a
mis au point une bioimprimante lowcost
en détournant une imprimante 3D à
extrusion du fabricant Tobeca. « Nous
visons actuellement des collaborations
avec des cliniciens et des chirurgiens.
Nous sommes particulièrement en
contact avec le laboratoire de substituts
cutanés de l’hôpital Edouard-Herriot de
Lyon », ajoute Léa Pourchet, ingénieur en
charge de la plateforme.
cc Imprimer du tissu à partir
des propres cellules du patient
En effet, outre ces premières applications
cosmétiques, les grands enjeux du bio-
printing résident dans la médecine régé-
nératrice et personnalisée. Dans cette
optique, Organovo a noué, en avril der-
nier, un partenariat avec le laboratoire
Merck. Dans le cadre de cette collabora-
tion, l’entreprise allemande va acheter
des échantillons de tissus de foie impri-
més par Organovo et développer diffé-
rents modèles de tissus personnalisés
dans le cadre du développement de nou-
veaux médicaments. De son côté, la start-
up Poietis s’intéresse aux acteurs de l’in-
dustrie pharmaceutique pour les aider à
développer des chimiothérapies adaptées
aux patients. « L’idée est d’utiliser les cel-
lules tumorales du patient pour impri-
aVEC pOiETis, la pEaU s’impRimE paR lasER
Impression
« haute couture »
c Une impulsion laser se réfléchit
sur un miroir. Elle est focalisée
par une lentille à l’interface
d’une plaque de verre, recouverte
d’un film de bioencre, et crée
un jet qui permet de déposer
les microgouttelettes en 3D
avec une précision
micrométrique.
Maturation
du tissu
c Les cellules communiquent
entre elles et interagissent
avec la matrice
extracellulaire pour
adopter des organisations
spécifiques desquelles
émergeront certaines
fonctions biologiques.
Épiderme
bioimprimé
c L’échantillon d’épiderme,
structuré en plusieurs
couches et bioimprimé
sur un derme mort,
sera utilisé pour tester
les actifs chimiques
intégrés dans les produits
cosmétiques.
biOpROdUCTiON
F. ROBERT
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Un gel de cartilage pour fabriquer des nez à façon
cLe projet Nasaltis, piloté par
Frédéric Mallein-Gérin directeur
de recherche
au CNRS, vise à utiliser
l’impression 3D pour l’ingénierie
tissulaire du cartilage nasal.
La première étape consiste
à imprimer une maquette
sur-mesure en polyéthylène
poreux de haute densité.
« Ce matériau est déjà utilisé
en clinique pour les implants
mais il est sujet
aux rejets. Notre objectif
est donc d’enrober
la maquette avec du gel
de cartilage »,taille
Frédéric Mallein-Gérin.
Ce gel est réalisé à partir
des chondrocytes (cellules
de cartilage) du patient,
qui une fois prélevées
sedifférencient.
Pour amplifier leservoir
de chondrocytes, les chercheurs
utilisent deux cocktails.
Le premier permet d’assurer
la prolifération cellulaire
et le second agit sur
la différenciation des cellules
en chondrocytes pour produire
du cartilage. Le processus
d’amplification dure une dizaine
de jours et le développement
du cartilage sur la maquette
environ trois semaines.
« Grâce à cette approche,
on personnalise à la fois
la structure et l’architecture
interne de l’implant » conclut
Frédéric Mallein-Gérin,
qui cherche un partenaire
pour commercialiser le procédé
d’ici trois à quatre ans.
D. R.
mer des tissus tumoraux sur lesquels on
pourrait venir tester in vitro l’efcacité
du cocktail de médicaments pour déve-
lopper des solutions thérapeutiques, en
l’occurrence une chimiothérapie, person-
nalisées », détaille Fabien Guillemot. Une
pratique qui pourrait voir le jour à l’hori-
zon 2020. « Il faut voir ça de façon gra-
duelle. Il existe différents niveaux de
personnalisation. Il y a d’abord la strati-
cation qui permet d’identier une popu-
lation de patients selon certains traits
génétiques et d’utiliser, en fonction, un
tissu pour réaliser les tests. L’étape sui-
vante consiste effectivement à imprimer
le tissu à partir des propres cellules du
patient. Mais plus l’individualisation sera
poussée, plus le modèle économique de
cette production sera complexe », pré-
vient Fabien Guillemot.
À un horizon plus lointain, d’ici sept à
dix ans, le bioprinting devrait permettre
de mettre au point des greffons articiels
de cornée, de cartilage et de peau. Ils pour-
ront, en outre, être réalisés à façon an de
limiter les problématiques de rejets. Quant
à la bio-impression de tissus de peau in
vivo et in situ, plusieurs années devraient
s’écouler avant de parvenir à un stade
industriel. « Il faut, entre autres, trouver
un moyen technologique de corriger les
micromouvements de l’humain » explique
Raphaël Devillard, praticien hospitalier et
membre du laboratoire BioTis. Autre frein
à lever : les lourdes contraintes réglemen-
taires pour opérer le passage du procédé,
testé sur des souris –, à l’homme. Les
futurs progrès en la matière pourraient
toutefois venir d’outre-Atlantiqueune
équipe de chercheurs du Wake Forrest Ins-
titut planche sur une approche similaire.
cc Concevoir ingralement un
organe complexe et fonctionnel
L’impression en intégralid’organes com-
plexes et fonctionnels (ur, rein ou foie),
faitbat. Une équipe américaine travaille
sur la bio-impression d’un cœur humain
dans sa globalité. Stuart K Williams, qui
coordonne l’initiative, afrme que le projet
pourrait se concrétiser d’ici une petite
dizaine d’années. Les chercheurs français,
eux, restent bien plus prudents : « Il est très
difcile d’évaluer les échéances. Selon moi,
ça n’interviendra pas dans les dix années à
venir », assure Fabien Guillemot, qui table
sur l’impression de petits modules intégs
à l’organe complexe pour remplir des fonc-
tions bien précises. Ici, une approche
hybride semble plus réaliste. Elle consiste
à imprimer des maquettes sur mesure en
biomatériaux qui vont ensuite être coloni-
es par des cellules de manière à fabriquer
des structures dont la forme exrieure et
l’organisation interne seront adaptées au
patient ou à certaines pathologies.
Les prochaines avancées en matière de
bioprinting s’effectueront grâce à une col
-
laboration accrue entre les experts de l’in-
génierie tissulaire, de l’impression 3D et
des logiciels. « C’est un domaine qui exige
une forte interdisciplinarité. Sur le cam-
pus, on compte plus de 200 laboratoires et
il est très difcile de faire travailler ensem-
ble tous les spécialistes sur des applica-
tions à long terme », observe Léa Pourchet,
de 3D Fabric Advanced Biology, pour qui
cet enjeu est déterminant. cm
cc juliette raynal
jraynal@industrie-technologies. com
La maquette sur mesure du septum
nasal sera enrobée de gel de cartilage
alisé à partir de cellules du patient
couplées à des facteurs de croissance.
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