La pathologie de la personnalité a logiquement ses ori-
gines dans l’enfance et l’adolescence. Cela est évidemment
largement soutenu par l’approche psychanalytique, à partir
essentiellement de la reconstruction de l’histoire de cha-
cun, mais aussi aujourd’hui par l’approche développemen-
tale à partir de travaux longitudinaux sur les traits de per-
sonnalité [10, 14].
Mais en ce qui concerne l’enfance et l’adolescence, le
problème de l’organisation déjà suffisamment structurée de
troubles de la personnalité comme on peut les rencontrer
chez l’adulte soulève plusieurs questions. Ne doit-on pas
appréhender le diagnostic, la compréhension psychopatho-
logique et l’abord thérapeutique des troubles de la person-
nalité différemment selon les étapes de la vie ? En se
centrant sur l’adolescence, le processus psychologique et
comportemental qui caractérise cette période de l’existence
ne soulève-t-il pas la question de savoir s’il n’est pas en
lui-même, comme certains l’ont proposé, un trouble de la
personnalité ? De ce point de vue découle alors directement
une autre question : l’adolescence n’est-elle pas une
période de la vie au cours de laquelle le diagnostic de
troubles de la personnalité est particulièrement difficile ?
Au total, doit-on remettre en question la référence à la
stabilité des traits comme critère essentiel de la personna-
lité en général et des troubles de la personnalité en particu-
lier [3]. Rappelons que ce point de vue sur la stabilité est
tout autant sous-tendue par les travaux psychanalytiques,
notion de caractère établie par Freud qui le premier, en
1906, a décrit le caractère sadique-anal puis plus tard le rôle
des identifications dans la formation de la personnalité [7]
et par Abraham en 1943 [1], notion plus récente de diffé-
rents types de structure de base de Bergeret [4] ou de
différents niveaux de Kernberg [11, 12]. En fait, si la
personnalité de chacun se construit progressivement au
cours des premières étapes de la vie, ne peut-elle pas se
modifier et se transformer tout au long de l’existence ?
Pour discuter ces différents points, nous pouvons sou-
vent prendre comme paradigme les problèmes posés par les
états limites dont on sait qu’il s’agit du trouble de la
personnalité le plus fréquent d’un point de vue épidémio-
logique et clinique de sujets qui nous posent cliniquement
de grandes difficultés.
L’âge du sujet
Le diagnostic, la compréhension psychopathologiques
et l’abord thérapeutique de troubles de la personnalité pro-
prement dit doivent-ils prendre en compte l’âge du sujet ?
Si, dans l’enfance, certains pensent que l’on peut repérer
un trouble organisé de la personnalité comme à l’âge
adulte, la plupart, quel que soit le courant théorique qui les
inspire, s’orientent vers l’idée qu’il existe des éléments
repérables rétrospectivement ou prospectivement de vulné-
rabilité plutôt que de véritable trouble organisé la person-
nalité, comme on peut les rencontrer à l’âge adulte.
Par exemple, même si quelques-uns défendent l’idée
que l’on peut parler d’enfants présentant un trouble limite
de la personnalité, tout le monde reconnaît dans les facteurs
de vulnérabilité des adolescents et des adultes « limites » la
fréquence des séparations et l’importance de l’angoisse
d’abandon dans l’enfance. De même, plutôt que de parler
d’enfants « antisociaux », chacun s’accorde sur la fré-
quence des troubles des conduites et de comportement dans
l’enfance des adolescents et des adultes présentant de façon
caractéristique le trouble de la personnalité antisociale. On
connaît enfin l’existence de traits schizoïdes dans les anté-
cédents infantiles et adolescents des adultes présentant un
trouble de la personnalité schizoïde.
Les travaux sur ces sujets restent néanmoins aujourd’hui
limités. En effet, les différents facteurs de vulnérabilité
évoqués apparaissent peu spécifiques pour un trouble de la
personnalité donné, même entre ceux-ci et les troubles
anxieux, affectifs ou même psychotiques. Une étude
récente a par exemple montré que l’émotionnalité négative
(considérée comme un trait de personnalité caractéristique
chez certains enfants) observée à l’âge de 3 ans prédisait
non pas un trait identique à l’âge de 7 ans mais plutôt des
cognitions dépressives [6].
Une des raisons pour laquelle les travaux sur l’enfant et
l’adolescent dans ce domaine restent limités est probable-
ment liée aux critères actuels des classifications internatio-
nales rejetant l’idée d’un diagnostic possible de troubles de
la personnalité chez l’enfant et le jeune adolescent. On est
donc souvent aujourd’hui ramenés à une clinique indivi-
duelle centrée sur l’histoire de chaque sujet.
Quoi qu’il en soit, on voit bien aussi ici l’intérêt de
prendre en compte les effets suscités par l’âge sur le dia-
gnostic, la compréhension psychopathologique et l’appro-
che thérapeutique [8, 9].
Qu’en est-il en ce qui concerne
l’adolescence ?
Personne ne peut nier je pense que les troubles affectifs
ou de comportement au cours de l’enfance risquent de
favoriser à l’adolescence un mode inadapté et persistant de
pensées, d’actes, de sentiments pouvant retarder ou bloquer
l’accès à une personnalité mature et être ainsi le lit dès
l’adolescence de l’organisation progressive d’un trouble de
la personnalité. Ce mode inadapté interfère évidemment
avec les tâches développementales de cette période de
l’existence, en particulier les processus de socialisation,
l’acquisition de nouvelles capacités intellectuelles et affec-
tives, les représentations de son corps, de soi et d’autrui et
la prise en compte de la réalité. Par exemple, les consé-
quences sur l’organisation de la personnalité à l’adoles-
cence d’un trouble de type hyperactivité avec trouble de
l’attention sont maintenant mieux connues. Il existe donc
un prolongement des troubles psychiatriques de l’enfance
dans l’organisation de la personnalité à l’adolescence.
A. Braconnier
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N° 1 - JANVIER 200852
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017.