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RERES
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Ce n’est pas un scoop, mais il suffit
de s’attarder quelques instants dans
un zoo pour mesurer à quel point
les attitudes et les gestes des chim-
panzés ressemblent aux nôtres de
façon incroyable, troublante, presque
dérangeante. Cette similarité, que la
primatologue Jane Goodall observa
dès les années 1960, a été confirmée
quarante ans plus tard par la génétique.
L’homme et le chimpanzé partagent
en effet 98,8 % de leur ADN : seuls
quelques éléments ponctuels de leurs
codes génétiques pareillent de temps
à autre, introduisant au final 1,2 % de
différence. Issues d’un ancêtre unique,
les deux espèces se sont séparées il y
a environ 6 millions d’années et ont
évolué chacune de leur côté, leurs
gènes communs accumulant peu
à peu des différences infimes. La
conséquence, en somme, d’une rive
nétique lente et passive, conforme à
l’idée que s’en font les évolutionnistes.
Jusqu’à la publication, en août dernier,
d’une étude surprenante qui jette une
lumière nouvelle sur l’évolution, en
la révélant capable de sacrés coups
d’accélérateurs.
En comparant minutieusement le
génome humain à celui du chim-
panzé, une équipe irlandaise a mis
le doigt sur trois gènes uniques à
l’homme. Du jamais-vu, puisque tous
les gènes humains étudiés jusqu’à
présent trouvaient immanquablement
leur “homologuechez le chimpanzé,
c’est-à-dire un ne “frèreplus ou
Evolution
Elle sait aussi
inventer de
nouveaux gènes
Marine Corniou
Depuis Darwin, il est admis que l’évolution œuvre
de façon lente et imperceptible, au fil de mu tations génétiques
infimes. Une étude irlandaise vient bouleverser cet acquis :
la nature aurait aussi la capacité de “créer”, par à-coups, des
gènes entièrement nouveaux ! Ceux-ci provoqueraient des
accélérations soudaines dans le processus évolutif, faisant
apparaître des caractères inédits chez certaines espèces.
¢
CORBIS
Nos chromosomes 12 et
22 sont porteurs de trois
gènes uniques, n’ayant
pas d’homologues chez le
singe. Ils sont donc “nés”
dans le génome humain.
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> GÉNÉTIQUE
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moins identique. Or, les trois nes
découverts deux sur le chromo-
some 12, un sur le chromosome 22 –
ne possèdent pas d’homologue chez
le singe. La seule explication possible
à l’existence de ces nes humains est
qu’ils sont apparus après la
séparation des deux lignées,
explique Aoife McLysaght,
qui a découvert ces mystérieux
gènes avec David Knowles,
à l’université de Dublin.
Cette découverte est extra ordinaire
car le dogme en biologie de l’évo-
lution veut que la nature bricole’ du
nouveau à partir de l’ancien, rappelle
le biologiste de l’évolution David
Karlin, à Oxford. Or, la voici aussi
capable de “créer” du neuf de toutes
pièces ! De fait, que de nouveaux nes
soient apparus au cours de l’évolution,
les biologistes le savaient déjà ; mais il
s’agissait toujours de gènes issus du
réarrangement ou du dédoublement
d’un gène préexistant.
CHEZ LA MOUCHE COMME LE RIZ
Le gène de départ continue alors
d’assurer normalement sa fonction,
tandis que sa copie, ou duplication”,
évolue de son côté et se différencie
peu à peu. Ce qui explique que, d’une
esce à l’autre, on retrouve justement
les mes “modèlesde nes, comme
entre l’homme et le chimpanzé.
En fait, cette notion de “créationde
nes est apparue pour la première fois
il y a trois ans. En 2006, une équipe
de l’université de Californie découvre
en effet un gène qui n’existe que chez
certaines espèces de drosophiles, ou
“mouches du vinaigre”. Il n’a pas
d’homologue connu chez les autres
insectes et semble sortir de nulle part.
Dans la foulée, onze de ces gènes sont
découverts chez la drosophile et un
chez la levure. Notre étude est la pre-
mière à montrer l’apparition de gènes
nouveaux dans le nome humain et,
par extension, chez les mammifères”,
souligne Aoife McLysaght. Depuis
cette découverte, des gènes uniques
ont également été mis en évidence
chez la souris, les primates, les coraux,
l’hydre, le rizPreuve que ce phéno-
ne n’est pas isolé.
Mais comment un gène peut-il
“apparaître” ? Pour comprendre, un
rappel sur la structure de l’ADN est
cessaire. Les nes sont inscrits dans
une longue molécule d’ADN consti-
tuée de l’enchaînement d’éléments
chimiques, les bases azotées (voir
“Jargon” ci-contre). L’ADN humain
contient 3 milliards de ces bases, qui
sont de quatre types. Si l’on compare
ces bases à des lettres, il faut imaginer
que les nes sont des bouts de phrases
lisibles par la machinerie cellulaire,
noyées au milieu d’une longue série
de lettres qui n’ont pas de sens. Ces
phrases-gènes sont appelées quen ces
“codantes”, car “luespar la cellule :
elles lui donnent des instructions
permettant la synthèse de protéines.
Or, les gènes eux-mêmes ne représen-
tent que 3 à 5 % de l’ADN humain !
L’écrasante majorité du génome n’a
pas la capacité de générer des pro-
ines, c’est pourquoi il a longtemps
été appelé “ADN poubelle”.
Aujourd’hui, les biologistes savent
que cet ADN non codant est tout de
même utile puisqu’il joue un rôle
dans la régulation de l’activité cellu-
laire. Et il semble que cet ADN en
apparence désordonné soit un terreau
fertile d’où peuvent émerger des gènes
nouveaux. L’ADN poubelle comporte
en effet de nombreux signaux d’arrêt,
sous la forme de courtes séquences
qui bloquent la lecture, et donc la
traduction de l’ADN en protéines
inutiles qui ne feraient qu’encombrer
la cellule. Dans le cas des trois
nouveaux gènes humains, nommés
CLLU1, C22orf45, et DNAH10OS,
des signaux d’arrêt auraient disparu
[par mutation], ce qui aurait créé une
longue phrase, explique Aoife McLy-
saght (voir infographie). Mais de là à
ce que la phrase nouvellement créée
ait un sens, il y a un fosimmense.
Pourtant, les chercheurs l’ont vérifié :
ces trois gènes sont bien traduits en
protéines, ce qui prouve qu’ils sont
actifs et laisse à penser qu’ils ont
une fonction. Laquelle reste encore
à découvrir, mais on sait d’avance
que la nature s’encombre rarement
de choses inutiles. Comme il est peu
probable qu’une séquence d’ADN
prise au hasard code pour une protéine
utile, nous pensons que de nombreuses
phrases de ce type sont créées au fil de
l’évolution mais que, faute de procurer
un avantage sélectif aux individus qui
les portent, elles ne se transmettent pas
aux générations suivantes. Cela reste à
confirmer, mais ces trois nes humains
seraient donc des exceptions qui ont été
retenues par la sélection naturelle”,
explique la chercheuse. Autrement
dit, il arrive que le hasard fasse bien les
choses, quitte à ce que ces nouveaux
nes initialement imparfaits se soient
ensuite “peaufinés” par mutations suc-
cessives pour devenir vraiment utiles.
UNE FONCTION ENCORE FLOUE
La mission de ces gènes reste néan-
moins un mystère. On ne connaît
pas encore leur fonction, ni le le qu’ils
jouent dans notre ‘humanité’, mais ils
y participent probablement, souligne
Aoife McLysaght, qui ne cache pas son
enthousiasme. Plusieurs indices suggè-
rent en effet que ces nouveaux gènes,
aussi rares soient-ils, ont une grande
influence en termes d’évolution.
Prenons l’exemple de la drosophile,
dont les gènes sont les mieux connus.
Chez cet insecte, les biologis tes es -
ti ment qu’environ 12 % des gènes
ont émergé à partir de l’ADN non
codant. Et nombre d’entre eux sem-
blent influer sur la fabrication
Bases : les bases azotées,
ou nucléotides, sont les
composants élé men taires
de l’ADN. Elles sont de qua-
tre types (A, T, C et G).
et s’apparient pour former
la double hélice d’ADN.
Protéines : ce sont les
composés qui assurent
l’es sentiel des fonctions
d’un organisme. Les gènes
donnent à la cellule les ins-
tructions (“le code”) pour
fabriquer chaque protéine.
> JARGON
Si leur rôle nest pas établi,
ces gènes participent re-
ment de notre humanité
AO I F E MCLY S A G H T , G É N É T I C I EN N E
À LU N I V E R S I T É DE DU B L I N
¢
¢
Ces gènes nés imparfaits se seraient
peaufis au fil des mutations
Une simple mutation suffit
à lancer un nouveau gène
Dans les chromosomes, des portions d’ADN sont lues afin
de fabriquer des protéines ; d’autres sont bloquées par des
si gnaux d’arrêt : c’est l’ADN “muet”, ou “poubelle”. Chez
l’ancêtre commun à l’homme et au singe, la suppression de
signaux d’arrêt a conduit à la création d ‘un nouveau gène.
Chromosome
UNE PRO TÉINE
EST SYNTHÉTISÉE
UNE PRO TÉINE
EST SYNTHÉTISÉE
ADN non lu, ou
ADN poubelle”
ADN lu
Signal d’arrêt de lecture
Signal d’arrêt de lecture
Signal de début de lecture
UNE MUTATION
FAIT “SAUTER”
LE SIGNAL
D’ARRÊT Nouvelle
protéine
Protéine
Gène
Nouveau
gène
Chez le chimpanzé, rien n’a chan
Chez le chimpanzé, le signal d’arrêt est
resté intact : la portion d’ADN est restée
muette.
Chez lhomme, unne est
Chez l’homme, une mutation a supprimé
le signal d’arrêt. L’ADN peut donc être
lu jusqu’au signal d’arrêt suivant :
un nouveau gène apparaît, et une
nouvelle protéine potentiellement
active est fabriquée.
DR - ILLUSTRATION S. DESSERT
fondamental
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> GÉNÉTIQUE
> EN SAVOIR PLUS
30 S C I E N C E & V I E > D É C E M B R E > 2 0 0 9
Laventure humaine : des mo -
lécules à la culture, de R.-T.
Boyd et J.Silk, éd. De Boeck.
des spermatozoïdes. Ils pourraient
alors confèrer un avantage aux mâles
et, ainsi, se propager très rapidement
dans la population. Ce n’est pas tout :
chez l’hydre, animal proche des mé-
duses, des gènes “émergentssemblent
impliqs dans l’apparition des cnido-
cytes, les cellules urticantes spécifiques
à cette branche du gne animal…
PLUS VARIABLES, PLUS RAPIDES
Ces gènes pourraient donc apporter
des caractères morphologiques inno-
vants. Y compris chez l’homme. Ces
nes entièrement nouveaux, qui ne
res semblent pas aux autres, ont le po -
tentiel pour jouer un rôle important
en conférant des fonctions nouvelles,
avance Aoife McLysaght.
Autre argument en faveur de
l’importance de ces gènes : ils semblent
avoir la capacité de muter, et donc
d’évoluer, très rapidement. Chez la
dro sophile, ces gènes ‘orphelins’ [qui
n’ont pas d’homologues chez les autres
insectes] semblent évoluer trois fois plus
vite que les autres, souligne Diethard
Tautz, de l’Institut Max-Planck de Plön
en Allemagne, qui a découvert, en
septembre, un ne unique à la souris.
Une observation que confirme Mar
Albà, chercheuse en nomique de
l’évolution à l’universi Pompeu-Fabra
à Barcelone, dont l’équipe vient d’iden-
tifier une quinzaine de gènes issus de
l’ADN non codant spécifiques aux pri-
mates. Les gènes de primate qui n’exis-
tent pas chez les autres mammifères ont
évolplus vite que les gènes communs.
On s’attend à ce que les trois gènes
humains récents soient aussi plus
variables que les anciens, mais ce n’est
qu’une prédiction. Avec leur structure
inédite et probablement très malléable,
ces nouveaux gènes ont donc tous les
atouts pour être un puissant moteur
de l’évolution. Le fait que la nature
puisse aussi créer des gènes à partir
de “rien”, ou presque, révolutionne la
biologie en apportant la preuve que,
parallèlement à l’évolution lente et
imperceptible décrite par Darwin, des
accélérations peuvent se produire. Il
faut donc considérer que l’évolution
des espèces est polyrythmique. [
¢
Si les points communs
entre homme et chim-
panzé sont flagrants, les
différences, elles aussi,
sautent aux yeux. Com-
ment peuvent-elles n’être
attribuables qu’à 1,2 % du
génome ? En 2007, des
chercheurs aus traliens ont
apporté le premier élé-
ment de réponse concret à
cette intrigante question.
Ils ont montré que la majo-
rité des différences entre
l’homme et le chimpan
proviennent non pas du
type de gène, mais de la
façon dont ces gènes sont
activés. Pour preuve, les
rares différences généti-
ques qui existent entre les
primates touchent princi-
palement les “facteurs de
transcription” qui contrô-
lent l’expression des
gènes. Ainsi, les mêmes
gènes, expri més plus ou
moins tôt et plus ou moins
longtemps au cours du
développement, peuvent
construire” des individus
tout à fait différents. Cela
étant, les chercheurs ont
aussi identifié des gènes
non régulateurs qui ont
subi des mutations “accé-
lérées” depuis la sépara-
tion de l’homme et du
chimpanzé, les rendant
presque méconnaissables
entre les deux espèces.
Parmi eux, les plus emblé-
matiques sont les gènes
FOXP2 et ASPM. Le pre-
mier joue un rôle dans
la capacité à articuler et
a probablement contribué
à l’émergence de la parole ;
le second contrôle la taille
du cerveau, qui a triplé
depuis la séparation des
deux lignées.
CES INFIMES SUBTILITÉS GÉNÉTIQUES QUI
RENDENT LHOMME SI DIFFÉRENT DU SINGE
Un même gène qui s’expri-
me plus tôt, plus longtemps...
et, au final, les caractères
peuvent être très différents.
SPL/COSMOS
fondamental
fondamental
fondamental
> GÉNÉTIQUE
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