moins identique. Or, les trois gènes
découverts – deux sur le chromo-
some 12, un sur le chromosome 22 –
ne possèdent pas d’homologue chez
le singe. “La seule explication possible
à l’existence de ces gènes humains est
qu’ils sont apparus après la
séparation des deux lignées”,
explique Aoife McLysaght,
qui a découvert ces mystérieux
gènes avec David Knowles,
à l’université de Dublin.
Cette découverte est extra ordinaire
car “le dogme en biologie de l’évo-
lution veut que la nature ‘bricole’ du
nouveau à partir de l’ancien”, rappelle
le biologiste de l’évolution David
Karlin, à Oxford. Or, la voici aussi
capable de “créer” du neuf de toutes
pièces ! De fait, que de nouveaux gènes
soient apparus au cours de l’évolution,
les biologistes le savaient déjà ; mais il
s’agissait toujours de gènes issus du
réarrangement ou du dédoublement
d’un gène préexistant.
CHEZ LA MOUCHE COMME LE RIZ
Le gène de départ continue alors
d’assurer normalement sa fonction,
tandis que sa copie, ou “duplication”,
évolue de son côté et se différencie
peu à peu. Ce qui explique que, d’une
espèce à l’autre, on retrouve justement
les mêmes “modèles” de gènes, comme
entre l’homme et le chimpanzé.
En fait, cette notion de “création” de
gènes est apparue pour la première fois
il y a trois ans. En 2006, une équipe
de l’université de Californie découvre
en effet un gène qui n’existe que chez
certaines espèces de drosophiles, ou
“mouches du vinaigre”. Il n’a pas
d’homologue connu chez les autres
insectes et semble sortir de nulle part.
Dans la foulée, onze de ces gènes sont
découverts chez la drosophile et un
chez la levure. “Notre étude est la pre-
mière à montrer l’apparition de gènes
nouveaux dans le génome humain et,
par extension, chez les mammifères”,
souligne Aoife McLysaght. Depuis
cette découverte, des gènes uniques
ont également été mis en évidence
chez la souris, les primates, les coraux,
l’hydre, le riz… Preuve que ce phéno-
mène n’est pas isolé.
Mais comment un gène peut-il
“apparaître” ? Pour comprendre, un
rappel sur la structure de l’ADN est
nécessaire. Les gènes sont inscrits dans
une longue molécule d’ADN consti-
tuée de l’enchaînement d’éléments
chimiques, les bases azotées (voir
“Jargon” ci-contre). L’ADN humain
contient 3 milliards de ces bases, qui
sont de quatre types. Si l’on compare
ces bases à des lettres, il faut imaginer
que les gènes sont des bouts de phrases
lisibles par la machinerie cellulaire,
noyées au milieu d’une longue série
de lettres qui n’ont pas de sens. Ces
phrases-gènes sont appelées séquen ces
“codantes”, car “lues” par la cellule :
elles lui donnent des instructions
permettant la synthèse de protéines.
Or, les gènes eux-mêmes ne représen-
tent que 3 à 5 % de l’ADN humain !
L’écrasante majorité du génome n’a
pas la capacité de générer des pro-
téines, c’est pourquoi il a longtemps
été appelé “ADN poubelle”.
Aujourd’hui, les biologistes savent
que cet ADN non codant est tout de
même utile puisqu’il joue un rôle
dans la régulation de l’activité cellu-
laire. Et il semble que cet ADN en
apparence désordonné soit un terreau
fertile d’où peuvent émerger des gènes
nouveaux. L’ADN poubelle comporte
en effet de nombreux signaux d’arrêt,
sous la forme de courtes séquences
qui bloquent la lecture, et donc la
traduction de l’ADN en protéines
inutiles qui ne feraient qu’encombrer
la cellule. “Dans le cas des trois
nouveaux gènes humains, nommés
CLLU1, C22orf45, et DNAH10OS,
des signaux d’arrêt auraient disparu
[par mutation], ce qui aurait créé une
longue phrase”, explique Aoife McLy-
saght (voir infographie). Mais de là à
ce que la phrase nouvellement créée
ait un sens, il y a un fossé immense.
Pourtant, les chercheurs l’ont vérifié :
ces trois gènes sont bien traduits en
protéines, ce qui prouve qu’ils sont
actifs et laisse à penser qu’ils ont
une fonction. Laquelle reste encore
à découvrir, mais on sait d’avance
que la nature s’encombre rarement
de choses inutiles. “Comme il est peu
probable qu’une séquence d’ADN
prise au hasard code pour une protéine
utile, nous pensons que de nombreuses
phrases de ce type sont créées au fil de
l’évolution mais que, faute de procurer
un avantage sélectif aux individus qui
les portent, elles ne se transmettent pas
aux générations suivantes. Cela reste à
confirmer, mais ces trois gènes humains
seraient donc des exceptions qui ont été
retenues par la sélection naturelle”,
explique la chercheuse. Autrement
dit, il arrive que le hasard fasse bien les
choses, quitte à ce que ces nouveaux
gènes initialement imparfaits se soient
ensuite “peaufinés” par mutations suc-
cessives pour devenir vraiment utiles.
UNE FONCTION ENCORE FLOUE
La mission de ces gènes reste néan-
moins un mystère. “On ne connaît
pas encore leur fonction, ni le rôle qu’ils
jouent dans notre ‘humanité’, mais ils
y participent probablement”, souligne
Aoife McLysaght, qui ne cache pas son
enthousiasme. Plusieurs indices suggè-
rent en effet que ces nouveaux gènes,
aussi rares soient-ils, ont une grande
influence en termes d’évolution.
Prenons l’exemple de la drosophile,
dont les gènes sont les mieux connus.
Chez cet insecte, les biologis tes es -
ti ment qu’environ 12 % des gènes
ont émergé à partir de l’ADN non
codant. Et nombre d’entre eux sem-
blent influer sur la fabrication
Bases : les bases azotées,
ou nucléotides, sont les
composants élé men taires
de l’ADN. Elles sont de qua-
tre types (A, T, C et G).
et s’apparient pour former
la double hélice d’ADN.
Protéines : ce sont les
composés qui assurent
l’es sentiel des fonctions
d’un organisme. Les gènes
donnent à la cellule les ins-
tructions (“le code”) pour
fabriquer chaque protéine.