les feuillets de l’URPS-ML Aquitaine Union Régionale des Professionnels de Santé - Médecins Libéraux d’Aquitaine 105 rue Belleville • CS 71241 • 33074 Bordeaux cedex Mars 2014 Tél. 05 56 56 57 10 • Fax. 05 56 56 57 19 • Site web : www.URpsMLA.org • Courriel : [email protected] L’insuffisance rénale chronique : 10 questions pour mieux comprendre… Le patient insuffisant rénal chronique est difficile à gérer : • un patient avec une créatinine à peine élevée, une protéinurie faible et un bon état général : pas de quoi s’inquiéter et pourtant, la clearance est déjà abaissée de 50 % ! • un patient dialysé : la moindre prescription d’antibiotiques est un casse-tête… Comment s’y retrouver ? 1 Comment évaluer simplement la fonction rénale ? • Dépister la protéinurie sur échantillon urinaire Abandonner le recueil des urines de 24h, peu fiable et trop contraignant pour le patient. • Mesurer une fois par an le rapport Albuminurie/Créatininurie ou Protéinurie/Créatininurie chez les sujets à risque (sur échantillon). Valeurs normales : ratio A/C < 30 mg/mmol ( < 300 mg/g) ratio P/C < 50mg/mmol ( < 50 mg/g) • Mesurer la fonction rénale : La formule de Cockcroft est un marqueur imparfait mais qui garde une valeur d’alerte. Sa performance est inconnue chez l’obèse, dépendant de la masse musculaire et d’interprétation difficile chez le sujet dénutri ou âgé de plus de 65 ans. La formule MDRD est actuellement celle qui est utilisée dans la plupart des laboratoires d’analyse. La formule CKD EPI peut aussi être utilisée : elle est plus fiable que la formule MDRD pour les taux faiblement élevés de créatinine, mais n’apporte pas d’amélioration pour les patients de plus de 75 ans, de faible ou forte masse musculaire ou dénutris. La plupart de ces formules sont accessibles pour un calcul direct en consultation sur smartphone (par ex appli « nephrocalc ») ou sur le site de la société de néphrologie (http//www.soc-nephrologie.org/ eservice/calcul/eDFG.htm). S’il existe une atteinte rénale (protéinurie, hématurie) et/ou une baisse du débit de filtration glomérulaire (DFG < 60 ml/min pour 1.73 m2 de surface corporelle), indépendamment du type de néphropathie causale, persistant pendant plus de 3 mois, on peut parler d’IRC. Le stade est déterminé en fonction de la clearance Stade d’atteinte rénale DFG (ml/min/1.73 m2) Suivi néphrologique 1 Néphropathie avec DFG > 90 Cs initiale puis à la demande 2 Insuffisance rénale débutante 60 - 89 1 fois/an 3 Insuffisance rénale avancée 30 - 59 Tous les 6 mois 4 Insuffisance rénale sévère 15 - 29 Tous les 2 à 3 mois 5 Insuffisance rénale terminale < 15 ou EER Suivi Dialyse ou greffe les feuillets de l’URPS-ML Aquitaine Mars 2014 2 Peut-on vraiment prévenir ou ralentir l’IRC ? Oui, c’est possible ! La connaissance des facteurs de risque de développer ou d’aggraver une IRC doit permettre de cibler les bilans systématiques à prévoir chez les patients concernés. Le contrôle des facteurs d’aggravation de l’IRC est efficace et primordial pour ralentir la progression de l’atteinte rénale : - contrôle glycémique en cas de diabète - contrôle de la pression artérielle et de la protéinurie par un traitement par IEC ou ARA II - arrêt du tabac - éviction des médicaments potentiellement néphrotoxiques. © Benoit Rajau pour l’Agence de la biomédecine Facteurs de susceptibilité et facteurs d’initiation Facteurs de progression Age élevé Sexe masculin Sexe masculin Origine africaine Niveau de revenu/classe sociale faible Réduction néphronique Antécédents familiaux de maladie rénale chronique Protéinurie Diabète Pression artérielle élevée Hypertension artérielle Glycémie mal contrôlée dans le diabète Obésité Tabagisme Syndrome métabolique Substances néphrotoxiques (médicaments+++) Substances néphrotoxiques (AINS, Produits de contraste…) Maladie cardiovasculaire Maladies urologiques Maladie cardiovasculaire 3 Quels sont les signes annonciateurs d’une décompensation de la fonction rénale ? 4 Un patient IRC doit-il obligatoirement être suivi par un néphrologue ? La maladie rénale est longtemps silencieuse cliniquement. Au stade pré-terminal, apparaissent des signes généraux (asthénie, anorexie) et des signes de rétention hydrosodée (HTA, oédèmes des MI, dyspnée, toux) : la situation risque alors de se décompenser rapidement et de devenir une urgence vitale. Non, ce n’est pas indispensable aux stades précoces. En cas de maladie rénale avérée, il est souhaitable qu’un diagnostic précis soit posé de façon à envisager la meilleure option thérapeutique. Le suivi néphrologique systématique est ensuite fonction du stade de l’IRC (cf tableau en première page). Ce suivi doit être partagé entre le généraliste et le néphrologue. Lors de la préparation aux méthodes de suppléances (à partir du stade 4), le suivi par le néphrologue sera plus fréquent. > Attention, une surcharge hydrosodée peut prendre le masque d’une bronchite banale. > Au moindre doute, un bilan biologique s’impose (urée-créatinine-kaliémie-réserve alcaline-hémoglobine). Conduite à tenir par le médecin généraliste Chez tous les patients en IRC, il convient : •de moduler avec précision la posologie des médicaments à élimination rénale selon le niveau de la fonction rénale, • d’éviter les produits néphrotoxiques : aminosides, AINS, produits de contraste iodés, • d’effectuer un bilan initial afin de repérer une néphropathie relevant d’un traitement spécifique, • quel que soit le stade évolutif, se référer au néphrologue pour un avis spécialisé et/ou un suivi partagé devant les éléments suivants : - un DFG < 30 ml/min/1,73 m² - un ratio protéinurie/créatininurie > 1000 mg/g - un déclin rapide de la fonction rénale : baisse du DFG > 4 ml/min/1,73 m² par an - une baisse du DFG > 30% en 4 mois sans explication évidente - une hyperkaliémie > 5,5 mol/l résistante au traitement - une hypertension résistante au traitement - un doute sur l’étiologie de la néphropathie. •d’effectuer des examens complémentaires de base à réaliser avant d’adresser le patient au néphrologue : - échographie rénale et voies urinaires (taille des reins) - protéinurie/créatininurie - ionogramme sanguin, réserve alcaline, calcium, phosphore - urée, créatinine, acide urique - NFS, CRP, électrophorèse des protides - ECBU. les feuillets de l’URPS-ML Aquitaine Mars 2014 Prescription des médicaments chez l’insuffisant rénal chronique Modifications pharmacocinétiques au cours de l’IRC De nombreux médicaments ou leurs métabolites ont une élimination rénale prédominante, voire exclusive. Une diminution du débit de filtration glomérulaire, entraîne une diminution de l’excrétion urinaire, donc une accumulation dans l’organisme. La toxicité des médicaments est rénale et aussi souvent extrarénale : surdité par surdosage en aminosides, troubles du rythme cardiaque par accumulation de digitaliques, syndromes extrapyramidaux avec des antiémétiques, obstruction tubulaire par dépôts dans la lumière tubulaire (anti rétroviraux)… Les RCP des médicaments dans le VIDAL utilisent généralement la formule de Cockcroft pour l’adaptation des posologies des médicaments au cours de l’IRC. Chez l’IRC non dialysé Préférer les médicaments dont les voies d’élimination sont connues et non modifiées par l’insuffisance rénale, en pratique les médicaments à élimination biliaire prédominante. Les médicaments à élimination rénale seront utilisés soit en réduisant les doses unitaires sans changer le rythme des prises ou des injections, soit en allongeant l’intervalle entre les doses unitaires. 5 Les IEC sont-ils dangereux chez l’insuffisant rénal ? Ne pas utiliser des AINS à partir du stade 3 de la maladie rénale chronique, attention aux injections d’iode. Arrêter les traitements diurétiques et la plupart des antihypertenseurs (IEC, sartans) en cas de déshydratation aigüe et tout risque d’hypoperfusion rénale (diarrhée, vomissements…). Chez la personne âgée, ne pas associer les diurétiques, sartans et/ou IEC avec les AINS. Le DFG est souvent diminué chez les personnes âgées : penser à adapter la posologie des médicaments. Chez l’IRCT traité par dialyse En plus des règles précédentes, il faut tenir compte de la dialysance des médicaments, c’est-à-dire de la quantité épurée pendant les traitements de suppléance (hémodialyse ou dialyse péritonéale) et adapter la dose des médicaments en rapport. Deux règles complémentaires doivent être connues : - tout médicament éliminé par la dialyse doit être absorbé ou injecté en fin de séance d’hémodialyse, - les variations rapides de kaliémie pendant les séances d’hémodialyse augmentent le risque de troubles du rythme en cas de prises d’anti-arythmique. Non, leur efficacité est prouvée dans la réduction de la protéinurie des glomérulopathies et la néphroprotection chez les patients diabétiques et/ou hypertendus. Ce sont donc des médicaments de première intention. Leur maniement est parfois difficile du fait des risques d’hyperkaliémie et d’aggravation initiale de l’insuffisance rénale. L’annonce du diagnostic, la progression de la maladie, la survenue d’une complication, le choix du traitement de suppléance, la mise en dialyse ou la greffe sont des moments-clés pour proposer au patient des interventions ciblées. La collaboration entre le médecin traitant et l’équipe d’ETP est un gage d’efficacité. Pour l’IRC, plusieurs programmes sont ou vont être mis en place en Aquitaine, où vous pourrez inscrire vos patients : renseignements sur le site internet pace-aquitaine.com > La créatininémie et la kaliémie doivent être contrôlés 8 jours après chaque changement de posologie. 7 Faut-il vraiment dialyser les sujets âgés ? 6 L’Education thérapeutique (ETP) est-elle utile dans le suivi de l’IRC ? Oui et même indispensable ! Aux stades précoces, le ralentissement de la progression de l’IRC passe par le contrôle des facteurs de risque, l’observance au traitement et l’hygiène de vie, champs privilégiés d’action de l’ETP. Oui, lorsque les comorbidités ne sont pas majeures, car la dialyse améliore l’état cardiovasculaire et facilite le suivi rapproché des patients. 7 personnes sur 10, de 75 ans ou plus, ayant commencé une dialyse sont en vie au bout d’un an. La survie des patients dialysés de plus de 79 ans est meilleure que celle des patients non IRC. La décision de mise en dialyse se fait toutefois en fonction du contexte (espérance de vie, néoplasie, dénutrition, autonomie, troubles cognitifs, etc.). La dialyse : un des traitements de suppléance de l’IRCT Il existe deux techniques de dialyse : l’hémodialyse (HD) et la dialyse péritonéale (DP), basées toutes les deux sur les échanges entre sang et « dialysat ». Elles sont d’efficacité comparable. Le choix de la technique, en l’absence de contre-indication, est fait par le patient aidé dans sa démarche par l’équipe soignante. Le passage d’une technique à l’autre est possible. La dialyse péritonéale (DP) utilise le péritoine comme support d’échange. Un liquide, le « dialysat », est injecté dans la cavité abdominale grâce à un cathéter souple, implanté chirurgicalement plusieurs semaines avant son utilisation, et laissé à demeure. Deux techniques de DP peuvent être proposées : la DPCA (dialyse péritonéale continue ambulatoire) qui nécessite trois à quatre changements manuels quotidiens de poches de dialysat ou la DPA (dialyse péritonéale automatisée) nécessitant une machine et pratiquée quotidiennement en nocturne. Ces techniques se font à domicile, par le patient, qui peut être assisté par une infirmière. L’hémodialyse (HD) utilise une circulation sanguine extracorporelle au travers d’une membrane artificielle (dialyseur), assurée par une machine (générateur d’hémodialyse). Cette technique nécessite d’avoir un abord vasculaire. Il s’agit soit d’une fistule artério-veineuse, qui doit être créée chirurgicalement plusieurs semaines avant son utilisation, soit d’un cathéter central. Les séances d’hémodialyse sont réalisées le plus souvent trois fois par semaine et durent quatre heures au minimum. L’HD peut être réalisé en centre, en unité de dialyse médicalisée, en unité d’autodialyse (assistée ou simple), à domicile. Selon la modalité d’HD et l’état de santé des patients, une présence médicale ou infirmière sera permanente ou intermittente pendant la séance. Les complications les plus fréquentes liées au traitement par dialyse : pour l’HD, l’hyperkaliémie et, pendant la séance, la baisse de la tension artérielle et les crampes ; pour la DP, est l’infection du liquide de dialyse péritonéale ; pour les deux méthodes : l’œdème pulmonaire par surcharge hydrosodée. les feuillets de l’URPS-ML Aquitaine Mars 2014 8 La dialyse péritonéale est-elle vraiment efficace ? 9 La greffe par donneur vivant est-elle dangereuse pour le donneur ? Oui, son efficacité est prouvée à condition que le péritoine soit fonctionnel (à éviter donc si antécédents de péritonite sévère, par exemple). Il y a extrêmement peu de contre-indications, elle permet de conserver la diurèse et le capital vasculaire des patients. Non, les donneurs sont suivis au long cours et aucune étude n’a montré d’effet délétère à long terme sur la fonction rénale des donneurs. Par ailleurs, les résultats pour le receveur sont nettement meilleurs qu’avec la greffe de donneur décédé et cette technique doit donc être favorisée. Une procédure prévoit que la demande passe devant un juge et un comité d’éthique. Chaque cas est examiné en particulier. C’est une méthode douce et continue qui permet le maintien à domicile. Elle est particulièrement adaptée aux enfants, aux sujets âgés ou fragiles, mais aussi aux patients en attente de greffe, en raison de la rapidité de mise en place de la technique, et à ceux qui désirent continuer leur activité professionnelle. L’assistance par un infirmier pour la réalisation des gestes techniques aussi bien à domicile qu’en EHPAD est prise en charge par l’assurance maladie. Cette technique est sous-utilisée en Aquitaine (2 % des patients sous dialyse) par rapport aux données nationales (7%). 10 Le suivi du patient dialysé ou greffé peut-il être fait par un généraliste ? Oui, il est fortement recommandé que le généraliste continue de suivre son patient même après la mise en dialyse ou la greffe. Une communication avec le néphrologue référent du patient est néanmoins indispensable pour les problèmes spécifiques (en particulier, les adaptations de posologie médicamenteuse, les problèmes d’abord vasculaire de dialyse ou les problèmes infectieux chez le greffé). La transplantation rénale : le traitement de choix de l’insuffisance rénale chronique terminale La technique chirurgicale consiste à implanter le rein en position hétérotopique, en fosse iliaque droite ou gauche, l’anastomose de l’artère et de la veine du greffon se faisant sur l’artère et la veine iliaque du receveur. seulement 2976 transplantations. Ce déficit a pour conséquence d’augmenter le nombre de patients en attente d’une greffe (de 5385 en 2003 à 8942 en 2012) et impose souvent aux patients une dialyse en attendant la greffe. Grâce aux traitements immunosuppresseurs actuels et à l’amélioration des stratégies d’appariements entre donneur et receveur, le rejet aigu de rein est peu fréquent (10%) et peut aussi être traité efficacement. Les résultats à court terme sont excellents. A plus long terme, les résultats restent bons. En France, 10 ans après une greffe rénale, 63% de reins provenant de donneurs décédés sont encore fonctionnels contre 78% des reins provenant de donneurs vivants. Les pays du nord de l’Europe (Norvège, Islande, Finlande et Pays-Bas) réussissent à proposer une transplantation rénale à environ 60% de leurs patients ayant une insuffisance rénale chronique terminale, et ce grâce au développement de la greffe à partir de donneurs vivants. Alors que seulement 10 % des greffes sont réalisées à partir de donneurs vivants en France, ces pays réalisent environ 40% de leurs transplantations à partir de donneurs vivants. Compte-tenu du faible niveau de risque pour les donneurs, de l’excellent résultat à long terme des transplantations réalisées avec un donneur vivant et de la pénurie de donneur décédés, le développement de la transplantation à partir de donneurs vivants est vital en France. Si nous échouons, la liste d’attente continuera de croître. Malgré les complications liées aux traitements immunosuppresseurs au long cours (infections et cancers spinocellulaires principalement), la transplantation rénale est à ce jour le meilleur traitement de suppléance de l’IRCT, car il offre une meilleure qualité de vie aux patients que les deux autres techniques de dialyse et surtout une meilleure survie des patients à long terme. En l’absence de contre-indication, il doit être proposé en premier lieu à tous patient porteur d’une maladie rénale chronique évoluant vers le stade terminal (autour de 15 ml/mn de débit de filtration glomérulaire). Malheureusement en France, seulement 45% des patients ayant une insuffisance rénale chronique terminale sont transplantés, la majorité des patients (55%) étant traités par hémodialyse ou dialyse péritonéale. Ce défaut d’orientation des patients vers la transplantation rénale s’explique par une pénurie de donneurs décédés. En 2011, 3884 patients ont été inscrits sur la liste d’attente contre © Benoit Rajau pour l’Agence de la biomédecine Grâce à une action coordonnée par l’ARS et l’URPS ML Aquitaine, ce document a été élaboré par des néphrologues aquitains : Dr LARROUMET, AURAD Aquitaine Dr SENIUTA, Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine Dr COUZI, Unité de transplantation rénale (CHU Hôpital Pellegrin) Quelques éléments bibliographiques et sites de référence : • Haute Autorité de Santé 2012- Maladie rénale chronique de l’adulte - Parcours de soins : www.has-sante.fr/portail/jcms/r_1506285/fr/maladie-renale-chronique-de-l-adulte-parcours-de-soins • Agence de biomédecine - La maladie rénale chronique : www.agencebiomedecine.fr/IMG/pdf/depliant_mrc_vdef.pdf • Agence de biomédecine - Le don du vivant - Etape du don de rein : www.agencebiomedecine.fr/IMG/pdf/brochure_don_etapes_vdef.pdf • Société Française de Néphrologie : www.soc-nephrologie.org