
La musique au sommet en Haute-Provence 
  
Le programme se présente sur de simples photocopies en noir et blanc et le public porte sandalettes et jeans. 
Aix en-Provence a beau n'être qu'à moins d'une heure de route, son festival chic, ses tenues habillées et son 
parisianisme semblent à des années-lumière. Au pays de Forcalquier, à l'ouest des Alpes-de-Haute-Provence, 
l'ambiance  se  montre  beaucoup  plus décontractée, plus conviviale, plus familiale. Et  pour  cause,  c'est une 
famille, les Queyras, qui assure l'organisation des Rencontres musicales depuis presque trente ans. Les cinq 
enfants de Marie-France et Jean-François Queyras, tous musiciens, ont commencé par proposer gracieusement 
un long après-midi de musique de chambre dans la cathédrale de Forcalquier. Les années ont passé, le rendez-
vous  se  maintient,  mais  il  s'accompagne  désormais  de  concerts  du  soir  auxquels  participent  des  artistes 
supplémentaires. « A l'époque, nous assurions toute l'intendance, se souvient Jean-François Queyras. Nous 
nourrissions et hébergions tous les musiciens, nous aidions à transporter le piano. C'était de la folie ! »  
Ouverture au contemporain 
Une folie à laquelle s'est pourtant abandonné un public aujourd'hui fidèle qui a pris le temps de découvrir la 
musique dite « classique » quand elle s'invitait dans les villages environnants pour 10 francs l'entrée. Si les 
concerts ne voyagent plus, ils ont trouvé un séjour idéal dans le prieuré roman de Salagon, à Mane, à quelques 
kilomètres de Forcalquier. Là, s'y déroule dans une acoustique de rêve, une semaine musicale de premier ordre. 
Deux fils Queyras, Jean-Guihen, violoncelliste de renommée internationale, et Pierre-Olivier, fin violoniste, et 
leurs épouses respectives, Gesine Queyras et Véronique Marin, violoncellistes, tiennent le calendrier : choisir 
les programmes, les artistes et le compositeur invité, planifier les répétitions.  
La tâche est particulièrement acrobatique quand France Musique pose ses micros pour réaliser des magazines 
en direct et capter des concerts. On répète Boulez pour le concert du lendemain et Brahms pour la radio en fin 
de journée. Boulez, le compositeur invité de cette édition. Les Queyras ont en effet réussi à gagner la confiance 
d'un large  auditoire (tous les concerts affichent complet) en proposant aussi de la musique contemporaine. 
« Mélanger les compositeurs d'aujourd'hui à Beethoven et Brahms est le meilleur moyen de faire découvrir la 
création »,  résume  Jean-Guihen  Queyras,  très  attaché  à  ce  répertoire  pour  avoir  passé  onze  années  à 
l'Ensemble intercontemporain.  
Eclats rythmiques 
Pour l'édition 2010, qui s'est achevée dimanche 31 juillet, Bruno Mantovani fut à l'honneur. A bientôt trente-six 
ans,  le  compositeur  peut  déjà  s'enorgueillir  d'une  enviable  renommée.  L'Opéra  de  Paris  a  créé  son  ballet 
« Siddharta »  la  saison  passée  et  présentera  son  opéra  « Akhmatova »  la  prochaine.  Pierre  Boulez  dirige 
régulièrement sa musique. Jean-Guihen Queyras est par ailleurs le dédicataire de son concerto pour violoncelle 
(qu'il a enregistré chez Harmonia Mundi). Pour les Rencontres musicales de Haute-Provence, il a composé 
« Until », trio pour violoncelle (Jean-Guihen, son épouse et sa belle-sœur), qui pulvérise un rocher sonore en 
une multitude d'éclats rythmiques. « La musique de Bruno Mantovani relève du jeu de patience, explique la 
violoncelliste Véronique Marin. Elle décourage de prime abord par sa complexité, mais elle révèle sa forme et sa 
logique au fur et à mesure du travail. » Complexe, certes, mais souvent d'une éloquence immédiate, malgré son 
âpreté, comme ces « Huit Moments musicaux », granitiques et inquiets, accueillis avec autant de ferveur qu'un 
trio à cordes de Beethoven ou le quintette avec piano de Bartók.  
Des programmes originaux, des musiciens d'un niveau exceptionnel (la violoniste Antje Weithaas, le pianiste 
Frédéric  Lagarde) qui ne  jouent  pas  les  vedettes,  un  environnement  naturel  de  toute beauté :  tout  semble 
sourire à ce festival en campagne malgré des finances toujours sur le fil qui obligent à jouer les funambules. 
Peut-être  le  couvent  des  Cordeliers,  à  Forcalquier,  tout  juste  restauré  et  capable  d'une  jauge  supérieure, 
permettra-t-il d'augmenter les recettes propres. En attendant (espérant) d'autres aides. 
  
PHILIPPE VENTURINI, Les Echos - le 02/08/2010