CONFERENCE INTERNATIONALE DE YAOUNDE

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CONFERENCE INTERNATIONALE DE YAOUNDE
DISCOURS D’OUVERTURE DE S.E.M. PAUL BIYA,
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN
Excellences, Mesdames, Messieurs,
C’est un honneur, et aussi un grand plaisir, pour moi d’accueillir à Yaoundé,
au nom du peuple camerounais, tant d’éminentes personnalités qui exercent
ou ont exercé de hautes responsabilités au sommet de l’Etat, dans la
politique, les sciences humaines, la culture, l’action humanitaire et bien
d’autres domaines.
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Je vous souhaite une chaleureuse bienvenue au Cameroun et espère que
votre séjour à Yaoundé sera des plus agréables.
Les hasards de l’Histoire ont fait que, le 1er janvier 1960, le Cameroun ait
ouvert la série des indépendances pour 17 pays africains. Nous avons donc
pensé qu’à l’occasion de l’année du Cinquantenaire de l’accession de ces
pays à la souveraineté, il serait peut-être opportun de faire le point de la
situation de notre continent et de jeter un regard prospectif sur ses chances
pendant les prochaines décennies.
Bien entendu, nous n’ignorons pas que d’autres nous ont précédés dans la
marche vers la liberté. Proches de nous, le Ghana et la Guinée. Au nord du
continent, ceux qui avaient connu le protectorat. Et aussi ceux qui, bien que
restés formellement souverains, avaient dû se soumettre.
Chez aucun d’entre eux, une nuit coloniale d’à peine un siècle n’avait effacé
le souvenir des royaumes du Maghreb, des grands empires de l’Afrique
subsaharienne, ni celui des civilisations antiques du Sahel ou de la haute
vallée du Nil dont on ne peut plus contester l’africanité.
Est-il besoin de rappeler, pour compléter cette toile de fond, le désastre de
l’esclavage et cette lente aliénation que fut la colonisation ?
Puis vint l’INDEPENDANCE.
Les historiens débattront probablement longtemps encore pour savoir si cette
indépendance, qu’elle ait été conquise, concédée, négociée, suivant les cas,
était ou non authentique, puisque dans nos esprit subsistaient des modes de
pensée, des comportements, voire des moyens d’expression, qui n’étaient
pas originellement nôtres. Mais viendrait-il à l’esprit de quiconque de
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contester l’authenticité des civilisations européennes, lointaines héritières
d’Athènes et de Rome ?
L’important est ailleurs. Nous étions indépendants parce que nous voulions
être indépendants.
Posons plutôt la vraie question. Qu’avons-nous fait de notre indépendance ?
Nous avons dû commencer par construire nos Etats. Ce ne fut pas facile.
Nos cadres étaient peu nombreux et inexpérimentés. Avec nos étudiants,
retour de l’étranger et les premières promotions de nos écoles de formation,
nos administrations ont progressivement pris corps. Il nous a fallu constituer
une armée et des forces de police dans un contexte souvent tendu. Et aussi
une diplomatie pour faire nos premières armes sur la scène internationale.
En partant de la base, nous avons étendu notre système scolaire en
remontant vers le haut, jusqu’aux universités, inexistantes au début du
processus. Nous avons également commencé à mettre en œuvre un système
de santé encore embryonnaire.
Pour la plupart de nos pays, l’économie, tournée vers les cultures de rente et
orientée vers les anciennes métropoles, était un monde que nous ne
maîtrisions pas. Le crédit était aux mains de banques étrangères. L’immense
majorité de nos populations était cantonnée dans l’économie de subsistance
et dans l’informel. Ce n’est que peu à peu qu’elles ont pris pied dans les
cultures d’exportation, le commerce et la petite entreprise. Notre
apprentissage de l’économie, nous l’avons fait dans les sociétés publiques,
avec les vicissitudes que l’on sait.
Des tâtonnements, bien sûr. Des erreurs, sans doute, nous en avons faits.
Mais pouvait-il en être autrement ? J’ai invoqué l’impréparation,
l’inexpérience. J’aurais pu arguer de la faim, des pandémies, de la guerre
civile, des pressions extérieures et même de la corruption pour justifier nos
échecs. Nous préférons les assumer et dire : « nous avons fait de notre
mieux ».
D’ailleurs, peut-on parler d’échecs ? Car si l’on veut bien y réfléchir,
avions pour la plupart d’entre nous hérité d’immenses territoires, sans
géographique, sans homogénéité ethnique, sans cohésion culturelle,
uniformité linguistique. Et les uns et les autres, de puzzles disparates,
avons fait ce que de vieilles nations ont mis des siècles à accomplir.
Excellences, Mesdames, Messieurs,
nous
unité
sans
nous
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Vous me pardonnerez, je l’espère, ce bref retour passionné en arrière qui
n’avait d’autre but que de relativiser les idées reçues sur le développement
de l’Afrique depuis les indépendances.
Depuis « l’Afrique noire est mal partie » de René DUMONT, les prétendus
échecs des coopérations bilatérales, la remise en question des modèles de
développement des organisations internationales, la critique systématique de
l’ajustement structurel, que n’a-t-on pas entendu sur le mal développement
de notre continent ! Au point de ne plus savoir à quel saint se vouer.
La mondialisation a, un temps, entretenu l’espoir d’un décollage de nos
économies. A condition de ne pas se laisser marginaliser, nous disait-on.
Mais les vieux démons ont vite resurgi : la dégradation des termes de
l’échange, la concurrence déloyale des subventions, la décroissance de l’aide
publique, etc. La crise économique et financière a fait le reste : baisse des
cours de nos matières premières, chute de nos exportations, report des
investissements étrangers, avec les conséquences que cela implique.
Il ne pouvait en être autrement puisque les règles de nos relations avec le
monde industrialisé n’avaient pas vraiment changé. Nous restions en marge
de l’économie mondiale. Nous demeurions des fournisseurs de pétrole, de
matières premières, de produits de rente dont nous ne maîtrisions pas les
cours. De plus, les coûts de nos importations ne cessaient d’augmenter,
comme ceux des transports, du crédit, etc.
Comment dans ces conditions assurer notre développement ? Comment
construire nos infrastructures, routes, barrages, centrales ? Comment
exploiter nos mines, lancer nos grands projets agricoles et agro-industriels ?
Bref, comment moderniser nos pays et les sortir du ghetto économique où ils
étaient confinés ?
Un espoir est né avec l’entrée en scène des pays émergents. Timidement
d’abord, ils se sont ensuite enhardis et offrent désormais des solutions
adaptées à nos besoins et à nos moyens. Bien entendu, l’idée n’est pas de
remplacer systématiquement les uns par les autres mais tout simplement de
résoudre les problèmes qui nous sont posés au mieux de nos intérêts.
Pendant longtemps, nous avons cru à l’avènement d’un nouvel ordre
économique mondial qui permettrait à l’Afrique de s’insérer dans la
globalisation et de trouver ainsi sa voie pour sortir de la pauvreté. Nous
essayons d’y croire encore, car nous pensons qu’il n’y a pas d’autre véritable
issue qu’une régulation de l’économie à l’échelle mondiale, prenant en
compte une nécessaire solidarité avec les plus démunis.
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Mais nous avons compris que, dans le meilleur des cas, cela prendra du
temps. En attendant, l’Afrique est déterminée à avancer. Elle espère qu’à
côté des moyens qui sont les siens, de ceux des nouveaux acteurs de
l’économie, elle pourra continuer à compter sur le soutien des partenaires qui
l’ont assistée depuis l’indépendance.
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Après ce long détour, j’en arrive à ce qui nous réunit aujourd’hui.
La commémoration des indépendances africaines est, je crois, une bonne
occasion pour tenter de répondre à l’interrogation formulée dans le thème
central de cette Conférence : « l’Afrique, une chance pour le monde. Réalités
et défis ».
Après avoir été longtemps décrite comme le continent de la pauvreté et de
l’immobilisme, l’Afrique se voit aujourd’hui reconnaître certains atouts. Nous
ne nous interrogerons pas sur ce revirement. Contentons-nous de dire qu’elle
est incontestablement riche en ressources minières, en capacités
énergétiques, en potentialités agricoles et qu’à terme sa démographie,
actuellement un handicap, pourrait devenir un avantage. Le problème sera,
bien entendu, de savoir comment tirer parti de ces atouts.
L’un des obstacles sur lequel notre continent a souvent buté –et bute encore–
pour mettre en valeur ses ressources a été celui du financement. Il reste l’un
des plus difficiles à surmonter. Ce n’est pas tant, semble-t-il, les possibilités
de financement qui font question que la viabilité des projets et les garanties
qui peuvent être apportées aux investisseurs. Il sera intéressant d’examiner
les conditions dans lesquelles des solutions praticables pourraient être
trouvées à ce problème dans le cadre de partenariats mutuellement
avantageux.
Il est évident que, dans ce domaine comme dans d’autres, les chances de
notre développement sont étroitement conditionnées par la bonne
gouvernance sous tous ses aspects. La mauvaise gestion des finances
publiques, l’insécurité judiciaire, les lenteurs administratives, pour ne pas
parler de la fraude douanière et de la corruption, si fréquentes en Afrique,
doivent être systématiquement combattues. Bien qu’elles soient le plus
souvent clairement identifiées, elles sont particulièrement difficiles à éliminer,
car profondément enracinées dans les comportements. Nous devons savoir
qu’aussi longtemps que nous n’en serons pas débarrassés, nos efforts de
redressement resteront aléatoires.
D’autre part, depuis la montée du terrorisme, l’apparition de la piraterie et le
développement du grand banditisme, l’insécurité a pris un autre visage sur
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notre continent. Aux « guerres civiles », qui opposaient des factions politiques
entre elles ou des rebelles aux pouvoirs en place, heureusement désormais
moins fréquentes, a succédé une instabilité plus insidieuse et plus
imprévisible. Or, nous savons bien que les désordres, quels qu’ils soient, font
mauvais ménage avec la démocratie et le développement. Si nous voulons
préserver l’une et l’autre, il est de notre haut intérêt de trouver entre Africains,
par la concertation, au niveau régional ou continental, des arrangements
nous permettant de combattre ces phénomènes meurtriers, autrement qu’en
ordre dispersé.
Personne ne conteste non plus que l’Afrique n’est pas suffisamment
représentée aux niveaux où sont prises les décisions qui engagent
l’ensemble de la planète. C’est notamment le cas à l’ONU, et en particulier au
Conseil de Sécurité, où les pays africains ne peuvent accéder qu’en tant que
membres non permanents. Le problème de la réforme du Conseil a été
soulevé depuis longtemps mais n’a toujours pas été résolu. Il serait équitable
que l’Afrique y dispose d’au moins un siège suivant un mode de
représentation à arrêter entre Africains. On peut par ailleurs se féliciter que
l’Afrique du Sud fasse désormais partie du G20 mais ne serait-il pas normal
qu’un pays africain en développement puisse l’y accompagner ?
La même observation pourrait être faite s’agissant d’autres domaines où
l’Afrique a souvent le sentiment d’être encore tenue en tutelle. Il me paraît
que cela n’est pas acceptable aux yeux des Africains qui en ressentent une
certaine frustration mais ne devrait pas l’être non plus pour le reste du monde
qui ignore ainsi nos aspirations et nos virtualités.
Après tout, à cinquante ans, nous sommes majeurs !
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Ce sont là quelques pistes que vous explorerez peut-être, parmi d’autres, au
cours de vos travaux. Je ne saurais trop vous remercier d’avoir accepté de
vous associer à cet exercice de réflexion collective. Je crois sincèrement que
le jeu en vaut la peine.
J’ai en effet la conviction que vos échanges pourraient contribuer à
l’élaboration d’un vaste programme d’intégration de l’Afrique dans les affaires
du monde. « Terre baignée de sang et de larmes » au cours des siècles, elle
y a moralement droit. Riche de ses ressources naturelles et de la vitalité de
ses peuples, elle y a sa place.
Je vous remercie de votre aimable attention.
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