
    L'ACTUALITE LITTERAIRE 
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françaises sous prétexte que 
j'utilisais cette langue et que je 
m'adressais à un public français. Et 
justement, on m'a reproché deux 
choses : que mon théâtre était un 
théâtre de la parole et du discours 
(le terme de discours étant souvent 
utilisé de manière péjorative), et 
qu'il était un théâtre politique (de 
manière péjorative aussi). 
Six ans sont passés. J'ai tenté 
d'autres expériences avec Prophètes 
sans  dieu, avec L'Avenir oublié. 
Progressivement, on se rend compte 
que, même de ce côté de l'Europe 
en général et en France puisque 
c'est le milieu dans lequel j'évolue, 
on redevient sensible, on est à la 
recherche d'une vraie parole de 
théâtre. La parole devient quelque 
chose d'important. Chez nous, on ne 
peut fonctionner qu'à travers la 
parole car nous sommes fonda-
mentalement une société d'oralité. 
Le cinéma, c'est aussi une écoute. 
L'image apporte beaucoup, comme 
au théâtre et il y a un véritable 
impact. Mais quel est l'impact d'un 
roman sur une telle société? Il me 
semble que ce qui permet vraiment 
la communication dans une certaine 
"authenticité" algérienne (bien que 
je n'aime pas ce mot), c'est le 
théâtre. Les gens voient des acteurs 
algériens qui jouent des 
personnages algériens dans une 
réalité algérienne et dans un arabe 
algérien. C'est le seul lieu où 
chômeurs de la Casbah et ministres 
sont réunis en tant que spectateurs. 
C. C.-A — Donc, ici, tu essaies 
de reproduire cela en prenant le 
français comme moyen? 
S. B.— Ici, la culture a fini par 
être trop codifiée. On avait 
beaucoup de chance en Algérie… 
Beaucoup de malheur et beaucoup 
de chance!… Le théâtre a besoin 
d'un minimum de bordel et on avait 
un beau bordel!… Les sociétés 
porteuses de conflits à tous les 
niveaux ne peuvent qu'être des 
sociétés qui nous inspirent, dans la 
douleur peut-être, mais qui nous 
inspirent. 
Ici, l'action des politiques prend 
en charge de nombreux conflits 
sociaux. Pas toujours de façon 
adéquate mais suffisamment pour 
que cela les cache. Les conflits sont 
aseptisés, anesthésiés à tous les 
niveaux, ce qui fait que le théâtre 
est un peu paumé. En plus il y a des 
stratifications… des écoles, des 
genres. Et on a fini par développer 
tout un théâtre qui ne colle plus à la 
réalité, qui ne colle plus au 
spectateur. J'irai même jusqu'à dire 
qu'en France, tout est tellement bien 
organisé dans le théâtre que la 
gestion du public ne dépend plus de 
l'auteur mais du gestionnaire. Quel 
que soit l'auteur qu'il met sur la 
scène, un directeur de théâtre est 
responsable de l'afflux du public. 
En conséquence, on constate une 
coupure par rapport au contact 
direct du créateur avec le public. En 
Algérie, nous l'avions : c'est la 
chose la plus merveilleuse que nous 
ayons vécue, avec le public. 
 
C. C.-A — Et alors, comment tu 
te situes, toi, dans ce système? 
S. B. — Comment je fais ma 
place?… Je pense que j'interpelle 
tout autant les gestionnaires, les 
amis créateurs, les metteurs en