Cet article représente une coupure épistémologique dans son œuvre, montrant la
convergence entre la psychanalyse et l’économie, malgré le peu d’économistes concernés (1).
Cette convergence peut être étendue (2), moyennant une réflexion sur la souffrance (3).
L’optique est anthropologique (4) à savoir celle de la personne face à sa communauté, d’où un
calcul économique freudien (5). Ce calcul pour le compte des économistes est brillamment mis
en valeur par André Nicolaï (1990) (6).
1. Des économistes peu nombreux à s’intéresser à la psychanalyse
La psychanalyse est condamnée au nom de la morale des économistes (Hayek, 1996,
Harsanyi, 1995) en particulier de l’hédonisme. Si les économistes ont intégré les progrès de la
théorie de la justice, ils font comme si rien ne s’était passé en psychiatrie. Peuvent-ils en rester
aux mathematical psychics d’Edgeworth et à ses propos peu délicats sur le plaisir, selon lui,
plus important chez les hommes que chez les femmes ? Le plaisir et le désir peuvent-ils être
traités par l’analyse économique ?
1.1. En fait, une grande partie de la théorie économique traite du plaisir. Plusieurs auteurs
ont tenté d’établir une relation mathématique entre les stimuli d'ordre physique et les sensations,
une sorte de « psychophysique », tels Fechner (1889) et Brentano (1860). L'excitation
augmentant de façon géométrique (1,2,4,8,16), la sensation croît de façon arithmétique
(1,2,3,4,5). On retrouve ici un des fondements de la théorie de l'action. En même temps cette
théorie de l'atténuation du plaisir fait sourire, au même titre que la colline du plaisir de Pareto.
Vilfredo Pareto serait, selon Nicolaï (1974), un des rares socio-économistes à intégrer
des éléments du freudisme2 : il imagine une colline du plaisir que chacun peut gravir jusqu’à un
point G ou sommet du plaisir. De même, ses propos sur les résidus pulsionnels, telle la
flagellation ascétique, sont très marqués sexuellement.
1.2. Keynes, qui se dit « pré-freudien » 3, célèbre chez Freud « l’imagination scientifique
qui peut donner corps à une abondance d’idées novatrices, à des ouvertures fracassantes, à des
hypothèses de travail qui sont suffisamment établies dans l’intuition et dans l’expérience
commune pour mériter l’examen le plus patient et le plus impartial, et qui contiennent, selon
toutes probabilités, à la fois des théories qui devront être abandonnées ou remaniées jusqu’à ne
plus exister, mais aussi des théories d’une signification immense et permanente » (Bormans,
2002). Les théories de Freud sont à « considérer sérieusement », « l’attraction qu’elles
exerceront sur nos propres intuitions, dans la mesure où elles contiennent quelque chose de
nouveau et de vrai sur la manière dont fonctionne la psychologie humaine » (ibid). Freud est
« l’un des génies les plus dérangeants et les plus novateurs de notre temps, c’est-à-dire une sorte
de diable. » (ibidem)
Keynes donne une interprétation très critique de l’amour de l’argent, en d’autres termes la
motivation pécuniaire est « l’une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques
dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales». « L’amour de
2 Cet apport est limité par le fait que Pareto décède en 1923, certaines œuvres majeures de Freud étant publiées après
cette date, notamment le « Malaise dans la civilisation » en 1930, objet des foudres de Hayek.
3 Cette relation est particulièrement bien traitée par Dostaler et Maris (2010).
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