Penser le cadre formatif de l’étude terrain du DEIS1 Pierre-Alain GUYOT & Véronique BAYER 2010 La formation pratique référée au domaine de formation deux du DEIS (Diplôme d'État en Ingénierie Sociale) se déroule sous la forme d’une étude de terrain conduite par un groupe de stagiaires. Elle semble souvent se conduire en cours de formation et non parachever un parcours (elle se déroule la plupart du temps dans la deuxième année de formation). La possibilité de l’engager à plusieurs, en groupe, propose ainsi une mise en commun et elle permet donc d’expérimenter une production collective. Elle allège en cela la responsabilité individuelle du travail réalisé dans le cadre du mémoire. Donnant lieu à la production d’un rapport collectif, elle présente, selon nous, de nombreux mérites, occurrences et situations qui participent à définir ce que pourrait recouvrir l’ingénierie sociale. Un exercice qui interroge la question du travail L’étude implique la constitution d’un groupe composé généralement de trois à cinq personnes en formation. Ce groupe se constitue autour des différents terrains présentés par les centres de formation. Plusieurs critères prévalent aux choix des personnes : le sujet, l’emplacement géographique, la connaissance des personnes. Nous notons cependant que, si certains stagiaires ont appris à se connaître dans le cadre de la formation qu’ils suivent ensemble depuis un an, la plupart d’entre eux se découvrent et surtout n’ont aucune expérience de travaux réalisés en groupe. En conséquence, l’un des enjeux de l’exercice est d’appréhender la construction d’une production collective et de ce qui est mis en commun tant au plan des opérations cognitives que du partage des rôles et encore des sous-bassement affectifs du travailler ensemble. Un référant pédagogique accompagne le groupe sans pour autant se positionner comme chef de projet. Aussi, les stagiaires sont en situation de traiter les questions relatives à la division du travail. Elle implique d’aborder la répartition des tâches, de repérer les compétences individuelles et collectives mais aussi de traverser les tensions relatives aux rapports sociaux entre les membres. Une analyse plus fine à partir de plusieurs observations permettrait sans doute d’identifier les enjeux de cette division. Mais la division du travail c’est aussi la source de la coopération : « la coopération ne va pas sans la division du travail. Coopérer en effet, c’est se partager une tâche commune » (E. Durkheim, 1858-1917). Ce travail réalisé dans les groupes pose donc les conditions de la coopération. En effet, il est réalisé avec d’autres, pour d’autres, il est subordonné à un but collectif, organisé, coordonné, canalisé, géré… ainsi le travail implique toujours une confrontation au réel, au réel physique, au réel des rapports sociaux (D. Lhuillier, 2006). En conséquence, il appartient aux référents pédagogiques de mesurer ces dimensions, de les accompagner en permettant qu’ils soient élaborés et traités au même titre que les aspects méthodologiques et théoriques relatifs au sujet de l’étude. Produire cette étude pour les stagiaires, c’est aussi aborder ce que travailler 1 Ce texte est issu de l'ouvrage : Dubéchot P., Rivard Th., DEIS, Tout en un, Paris Vuibert, 2010. 1 veut dire. « Le travail comprend toujours une référence à l’autre comme destinataire, comme coauteur, comme prescripteur. » (D. Lhuillier, 2006) Un apprentissage de la coordination « Il faut ici – nous le remarquons souvent – que les hommes s’unissent pour savoir et pour comprendre, pour toucher au point du mouvement d’où part le savoir… Cette socialisation intense, clairement cohérente, sûre de ses bases, ardente dans ses différenciations, voilà encore un fait, un fait d’une singulière actualité. N’en pas tenir compte, c’est verser dans une utopie gnoséologique, l’utopie de l’individualisme du savoir. » (G. Bachelard, 1953). La question la plus apparente, la plus immédiate dans la perception succincte du déroulement de l’étude est celle qui relève de la division du travail entre les personnes. Nous la désignons ici comme ce qui relève de la coordination. Le "qui fait quoi, comment" reste à expliciter entre les membres du groupe qui mènent l’étude. Il est possible de repérer quelques tâches pour illustrer le propos : prendre des contacts téléphoniques pour faciliter l’avancée des démarches (qui le fait, est-ce en groupe ou s’agit-il d’une ou de plusieurs personnes), interroger et négocier la commande auprès du commanditaire, la préciser avec l’organisme de formation ou son représentant, avec le guidant, prendre des notes, servir d’intermédiaire auprès du même guidant, rédiger des synthèses intermédiaires en fonction de l’avancée du travail, impulser une idée de méthode, réaliser une fiche de lecture brève sur une question jugée centrale dans la commande, servir d’intermédiaire auprès du guidant ou de la guidante… etc. Il y a plus que cela, la répartition des tâches devrait tendre à être clarifiée entre les membres du groupe et non pas relever des évidences convenues et surtout silencieuses. Cette remarque relève d’un truisme qui demande en réalité du courage intellectuel et affectif. Il n’est guère possible d’envisager une forme de guide de la répartition des tâches, sauf à tomber dans un modèle de prescription que par ailleurs nous avons tendance à récuser pour la simple raison qu’il ne peut ambitionner de circonscrire la totalité des tâches inédites et peut être innovantes des opérations liées à l’approche des terrains d’étude. A cet égard, on ne peut ignorer qu’il existe des tâches considérées comme nobles, d’autres qui sont minorées ou disqualifiées. Il appartient au groupe, en présence de son guidant, de comprendre ces angles morts du travail de l’étude, ces scotomes plus ou moins admis par chacun ou identifiés plus ou moins confusément. En revanche, une attitude dynamique, faite d’accords et de désaccords, de conflits de connaissances (ou de représentations) mais aussi de prérogatives ou encore d’amour propre, est ici indispensable et nous amène sur le second versant, celui que nous désignons ici comme relevant de la coopération entre les membres du groupe étude terrain. La seconde question liée à ce travail de groupe est celle qui aborde le travail non plus en termes de compétences formelles, mais en termes de vie au travail, de choix altruiste délibéré, libre de toute obligation contractuelle (N. Alter, 2009). S’ajoutent à l’ensemble de ces questions les représentations que chacun se fait du travail de l’autre ou des autres. Il y a peut-être les travaux valorisés pour les uns (côtoyer les responsables par exemple) et les travaux moins intéressants ou répétitifs et considérés comme subalternes (recopier un entretien, entrer des données factuelles dans des tableaux, etc.). Mais 2 à ces représentations s’ajoutent également des clivages dans les images de ce qui fait sens pour soi au travail. A cet égard nous avons côtoyé des situations où certains se sentaient jaugés sur un registre de plaisir pris à tel ou tel aspect du travail… alors que d’autres participaient du travail de forçat, ou encore de soutier, exécutant les tâches considérées comme mineures ou sans attraits. Le clivage entre ceux taxés implicitement de théoriciens, supposés opposés aux praticiens, ou aux "pratico-pratiques" (expression répétées ad nauseam dans certaines approches, désignant qu’il y a du "vrai" ou de "l’efficace" ailleurs que dans la théorie par essence bavarde et volatile) culmine dans les opérations où les "petites mains" sont sollicitées. Pour résumer, le petit tableau qui suit reprend les arguments donnés : Coordination ; Domaine socio-opératoire Coopération ; Domaine socio-affectif On peut parler ici de fiche de poste, d’échanges fonctionnels liés à la réalisation d’une tâche, de fonctions au travail, de réaliser de manière efficace (C'est-à-dire qu’il s’agit ici de la capacité d’atteindre des objectifs programmés) des tâches communes. La finalité n’est pas immédiatement l’efficacité mais celle de produire du lien, du collectif, ceci sur un plan socio-affectif. La coopération est l’énergie et l’esprit de la coordination (N. Alter, 2009) Un exercice qui interroge l’éthique, le lien et l’implication L’étude recourt à des tiers, le référent pédagogique, mais aussi et surtout le commanditaire ou plus précisément le référent du site d’accueil. Comment penser et construire ce rapport au commanditaire ? Quelles sont les conditions pour le mettre en œuvre ? Tout d’abord, cet exercice requiert une forme d’intelligence marquée par des impuretés, la Métis. Elle s’oppose à la force et à la violence, elle est à la fois prudence et intelligence en même temps que ruse et calcul. (G. Herreros, 2009) Elle nécessite de réfléchir au comment agir, à l’éthique du lien (G. Herreros, 2009) que l’ensemble des stagiaires ont déjà appréhendée et même éprouvée dans leurs pratiques professionnelles de travailleurs sociaux. L’intervention sociale (cœur de métier) est une expérience solide qui les guide dans leur rapport à celui qui demande. Le lien à construire avec le site d’accueil (en référence au texte), c’est précisément tout d’abord s’en tenir au terme d’accueil et comprendre ses contours. Le groupe de stagiaires cherche ainsi à trouver les gestes, les paroles à mobiliser suite à une « invitation ». Celle-ci se réalise dans un cadre et autour d’un objet que les protagonistes en présence vont définir et élaborer. La question du lien se joue également au sein du groupe. Elle n’implique pas l’absence de tensions mais elle propose précisément de les traverser. « Un lien se tisse, se resserre, se distend, se réfléchit, s’analyse, se tranche…l’éthique du lien mobilisée dans l’intervention peut être déclinée sous bien des formes » (G. Herreros, 2009). Passer la porte d’une institution, d’une organisation, d’un collectif et explorer une question, une situation, un problème, c’est amener de nouveaux éclairages au site d’accueil mais c’est aussi prendre le risque de rompre avec ses propres représentations et par conséquent de s’en défendre. Parfois, le groupe résiste également au problème exposé par le demandeur pour lui 3 signifier que le problème est tout autre et/ou ailleurs, arguant que la position d’extériorité, voire de hauteur, permet de reconsidérer la question. Certes, conduire une étude présente l’avantage d’explorer point par point une situation et de proposer d’autres explications mais pour autant elle n’implique pas une position supérieure. Elle nécessite de faire l’apprentissage des chemins à emprunter pour formuler, pour énoncer le travail. Plus que des préconisations, le commanditaire attend une pensée plurielle construite avec lui. Il s’agit bien d’éthique au sens d’une orientation dans l’action qui s’éprouve en situation. L’éthique sans pratique n’existe pas. (E. Enriquez, 1993) Dans ce travail d’étude terrain, la question de ce qui anime chacun dans sa présence aux "objets étudiés" semble nodale particulièrement en formation (P.-A Guyot., 2009). Cette remarque vaut bien entendu dans n’importe quel domaine des sciences sociales, que l’on souscrive ou non aux séparations en sciences fondamentales ou sciences métissées. (On peut penser sur ce point à ce que formule Pierre Bourdieu lorsqu’il évoque qu’il faut "objectiver le sujet objectivant"). Traduit dans une formule clinique, il s’agit ici d’approcher « ce que tout être humain a tendance à reporter sur ce qu’il rencontre des traces de ce qu’il fut et de ce qu’il est » (F. Ben Slama, 1989). Que l’on parle d’engagement dans son matériel de recherche (G. Devereux, 1980), d’implication ou encore de contre-transfert (peu importe ici comment on utilise les concepts), il s’agit de comprendre et d’interroger les dimensions liées à la production de l’étude et de son sens (cela recouvre également les questions de l’opposition expliquer vs comprendre). L’implication (mais tout autant les termes "d’engagement" ou de "contre-transfert) en effet, par son étymologie même, connote le fait d’une confusion dans les situations humaines entre observateurs et observés, un brouillage dans les démarcations posées initialement au sein d’un dispositif qui a pour fonction la captation des faits (J. Ardoino, 2000). Dans tout travail d’étude terrain ou de recherche, l’étudiant (le groupe d’étudiants, le chercheur également) intervient, pense, agit aussi bien avec ses parts (personnelles, psychiques, intérieures) que contre ses mêmes parts qui identifient de l’identique là où au contraire il faut distinguer du différent et de l’altérité. L’idée d’un "déplacement" qui est à effectuer de la part de ceux qui conduisent l’étude terrain, déplacement tant psychique qu’auprès de son objet, nous semble une idée importante et à mettre au travail dans la perspective de l’étude terrain. Par exemple, ce travail consiste à modifier les représentations spontanées à propos de tel objet, de se conduire non plus en professionnel à propos d’une question, mais bien en personne placée en position d’étude, de recherche, de mise en questions. Un exercice qui propose de s’équiper et de se disputer L’étude de terrain, construite en groupe, est aussi l’occasion de confronter des modèles de références théoriques et d’engager des controverses entre pairs. Nous observons que les stagiaires explorent différentes notions et tentent d’associer leurs recherches sans présupposer que tel champ disciplinaire ou tel modèle prévaut sur l’autre. A l’instar de François Laplantine et Alexis Nouss, qui parlent « d’une épistémologie du métissage », qui s’intéresse « à ce qui est mêlé, mélangé, déformé, aux mouvements d’hybridation plutôt que de s’efforcer de construire des figures idéales supposées permettre de dévoiler des entités bien délimitées » (H. Amblard, P. Bernoux, G. Herreros, Y.-F. Livian, 2005), nous observons que cet exercice peut produire ces dispositions. 4 Le principe du métissage théorique permet, selon nous, d’explorer un problème en s’équipant de travaux pluriels. Il autorise aussi à mobiliser différentes disciplines, à passer de l’individu, au groupe, à circuler entre le général et le singulier, à naviguer entre l’opératoire et l’abstrait. Il permet de déployer une pensée complexe au service de l’action en incluant l’idée que mettre en relation des façons de voir et de comprendre constitue déjà de l’agir. Il invite, selon nous, les étudiants à stimuler leurs réflexions, à poser de nouvelles questions. Dans le fond, nous pensons que ce principe constitue une référence dans le travail social qui compose en permanence avec les frontières des disciplines et tentent d’articuler concepts et démarches empiriques dans la perspective d’élaborer, d’interroger, de revisiter ses propres actions. Ces échanges peuvent aussi être la source de disputes et encourager les membres du groupe à déployer leurs ressources argumentatives. « Dans la dispute en justice, les gens soulèvent des critiques et apportent des justifications » (L. Boltanski, 1990). Ils constituent ainsi à la fois un excellent exercice pédagogique et une épreuve de justification. Mais sur quoi portent les arrangements, les compromis entre étudiants? Leurs travaux en témoignent. Ils démontrent ainsi que le monde social n’est pas opaque à ses membres et qu’il n’y a pas de rupture entre le savoir scientifique et le savoir ordinaire sur la société. Une proposition autour de la politique des savoirs Il nous semble qu’il est possible de poser, en préalable à la question des savoirs produits et travaillés dans le cadre de l’étude terrain, celle de comprendre la nature des relations qui se tissent entre les registres des théories et ceux des pratiques (si on accepte de poser ainsi, par ces termes, le clivage entre ces deux instances) et de même de quelles natures sont les liens qu’il est possible de construire, d’imaginer, de projeter entre ces deux instances, lorsqu’il est question de « fabriquer » des ingénieurs sociaux instruits, avisés, et non désabusés ou cyniques, ou impuissants. Il appartient aux débats qui se nouent au sein des sciences humaines de poser cette question avec force et modestie. Nous pouvons la traduire de la manière suivante : en quoi les discours des sciences humaines et sociales permettent-ils de mieux appréhender, de mieux cerner, et de mieux « maîtriser » (pour y intervenir) l'ordre des choses et des pratiques humaines? En quoi ces discours sont-ils source d’avancées (et de quelles natures, de quelles portées sont ces avancées) pour les individus, les groupes, les institutions dans leurs manières de s’approprier le monde qui les entoure, dans les situations qui leur sont propres ? (J. Beillerot 1989). Tout ceci est fort ambitieux on le voit. De manière plus précise, nous dirons que le travail de l’étude terrain ambitionne de se positionner sur les axes politiques et épistémiques suivants : - sur le plan politique la question est de savoir quelles sont les finalités qu’impliquent les conceptions du travail d’étude (et de recherche) en sciences humaines. A cet égard, il ne peut y avoir de réalité hors débats, ou encore hors conflits et donc hors des rapports de pouvoir. En conséquence, quel modèle de concours ou de contribution (ou de conflit encore une fois) peut-il exister entre ceux qui conduisent une étude et les personnes ou les groupes ou encore les institutions dans lesquels ces personnes interviennent ? La question des finalités de l’étude est ici en lien immédiat avec l’usage des savoirs, ce qui en est attendu auprès des personnes concernées, qu’il s’agisse de professionnels ou encore des usagers d’un secteur donné. 5 Toujours au plan politique, c’est bien la place de l’expertise qui est ici en perspective : entre les savoirs (ceux traversant l’étude) et la nature des décisions, entre les connaissances et la décision, se place la question de l’expertise (P. Roqueplo, 1999). Ce plan politique rejoint ici celui de la construction des savoirs et des orientations qu’ils permettent pour orienter, critiquer, analyser, promouvoir, consulter (P., Roqueplo, 1999). - sur le plan strictement épistémique, la question est de savoir quels sont les objectifs théoriques et pratiques qui sont assignés à l’étude : quelle nature de savoir cherche-t-on à produire, quels sont ses rapports avec les pratiques sociales concernées (prendre des décisions de différentes natures, cerner des questions d’évaluation, proposer des hypothèses d’actions variées, concevoir des dispositifs de formation, etc.). Il nous apparaît en effet que l’étude terrain vise moins à être démonstrative ou analytique (encore que !) qu’elle ne permettrait de promouvoir un versant décisionnel (J. Dubost, 1987). Par ailleurs, du point de vue de la construction des savoirs, il ne faut certainement pas omettre que l’action (et l’étude constitue bien une action) s’appuie sur d’autres réalités que celles des savoirs : les routines, les habitudes, les rituels, les dimensions incarnées au travail ne relèvent pas toutes du registre des savoirs. S’il fallait, dans le cadre d’une formation, tempérer les exigences d’un savoir absolu, se protéger de l’illusion d’un savoir total portant sur le tout d’une réalité il serait utile de rappeler ces dimensions propres à toute démarche d’investigation et de savoir. - sur le plan des pratiques de recherches : Parler d’étude terrain, c’est nous semble-t-il parler d’une activité finalisée. Finaliser ne signifie pas que l’action ou les actions découlent immédiatement de la recherche, comme par un effet mécanique. Nous venons de le signifier plus haut. Sur ce plan des pratiques de recherche, nombre de paradigmes ou de formes de travail existent. Il est possible de s’appuyer sur les considérations générales du cadre de l’observation participante pour étayer le regard sur les pratiques de recherche. Le cadre de l’observation participante, ou encore observation questionnante (Kohn, 1982) peut être retenu pour alimenter une vision heuristique (et surtout pas limitative ni normative) du chantier des études terrain, sans chercher à enchâsser définitivement des pratiques particulières : - L’étude terrain s’applique à une situation qui est en évolution, et dont le projet est défini (elle est finalisée : diagnostic, évaluation…). - L’étude terrain concerne l’ensemble des partenaires impliqués dans le projet. Cela mérite une clarification car les réticences à travailler avec des apprentis chercheurs, ou des étudiants peuvent se faire jour. - L’étude terrain peut présenter une fonction de régulation dans la mise en œuvre des projets. - L’étude terrain peut permettre de reconnaître la contribution des praticiens à la connaissance, la compréhension des phénomènes qu’ils vivent. Nous admettrons que les savoirs ne peuvent être appréhendés que de manière parcellaire, contextualisée, singulière dans le cadre de ces études. Pour conclure par trop rapidement ces approches d’une politique des savoirs, nous partons des deux prémisses suivantes pour aborder la question de l’étude terrain : 6 - Le travail conduit au cours de l’étude s’apparente à une construction négociée entre les membres de l’équipe d’une part, entre ceux-ci et les commanditaires d’autre part. Les savoirs sont constitués par le partage qu’un groupe humain en réalise, et donc par l’usage qu’il en fait (Mosconi N., Beillerot J., Blanchard-Laville C., 2000). - Les rapports entre savoir et pratique sont conflictuels. Ils sont conflictuels d’un point de vue épistémologique et théorique. Mais il faut être réaliste, ils le sont aussi du point de vue des groupes sociaux qui défendent des intérêts différents (J Beillerot, 2000). En nous appuyant sur ces deux points fondateurs, en somme, il nous semble possible de formuler la question d’une politique des savoirs en laissant le dernier mot à Nicolas-Le Strat : « Comment constituer cet espace commun, inhérent à toute expérience, qui sollicite l’ensemble des expertises et les incite à se confronter et à se mettre en risque, à s’éprouver réciproquement et à coopérer ? Comment, au sein d’une même expérience, des savoirs de constitution différente parviennent-ils à co-exister, à co-habiter ou à co-opérer ? Comment éviter que certains n’assoient leur notoriété sur les décombres ou le silence des autres ? Une autre politique du savoir s'avère donc à la fois possible et indispensable, qui ne provoque plus de tels effets de déconstruction et de disqualification entre savoirs mais qui, à l'inverse, les encourage à se mesurer, à se confronter à toutes les objections qu’ils sont susceptibles de s'opposer mutuellement. Cette politique assume nécessairement une double stratégie : une stratégie de coopération qui contribue au dépliement épistémique des savoirs enfouis (la multiplicité des savoirs du quotidien, tout à la fois incorporés et enkystés dans l’action) et une stratégie d’alliance qui permet le déploiement politique des savoirs disqualifiés (la multitude intellectuelle des savoirs-sans-part). » (Nicolas-Le Strat P., 2007). Il nous semble qu’est tracé là le point de départ de questions qui ouvrent l’horizon à des pratiques d’étude inédites et novatrices, fécondant ainsi les pratiques d’interventions sociales. Véronique BAYER, Responsable des formations supérieures, ETSUP (Paris) Pierre-Alain GUYOT, Chercheur en science de l'éducation, Responsable de formation IFOCAS / IRTS Languedoc Roussillon. 7 Bibliographie H. Amblard, P. Bernoux, G. Herreros, Y.-F. Livian, 2005, Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil. Alter N., 2009, Donner et prendre ; La coopération en entreprise, Paris, La Découverte. Ardoino J., 2000, Les avatars de l’éducation, Paris, PUF. Bachelard G., 1990, Première édition 1953, Le matérialisme rationnel, Paris, PUF. Beillerot J., Savoir et rapport au savoir ; Elaborations théoriques et cliniques, Paris Editions Universitaires, 1989. Ben Slama F., 1989, « La question du contre-transfert dans la recherche », in La démarche clinique en sciences humaines, Paris, Dunod. Boltanski L., 1990, L’amour et la justice comme compétence, trois essais de sociologie de l’action, Paris, Editions Métaillé. Devereux G., 1980, De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion. Dubost J., 1987, L'intervention psychosociologique, Paris, PUF. Durkheim E., (1897), De la division du travail social. Paris, PUF, 8e édition, 1967. Guyot P.-A., (2009), Aux bords des réflexions portant sur le militant, le chercheur et le formateur, in Cahier du CERFEE n° 26, Université de Montpellier. Herreros G., 2009, Pour une sociologie d’intervention, Toulouse, Erès. Kohn R.C., 1982, Les enjeux de l’observation, Paris, PUF. Sous la direction de A. Levy et E. Enriquez, 2007, « Les pratiques sociales au regard de l’éthique, La nouvelle revue de psychosociologie, Paris, Erès. Lhuillier D. 2006, Cliniques du Travail, Ramonville Saint-Agne, Erès. Nicolas-Le Strat P., 2007, Expérimentations politiques, Fulenn. Mosconi N., Beillerot J., Blanchard-Laville C., 2000, Formes et formations du rapport au savoir, Paris, L’harmattan. Roqueplo Ph., 1999, Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, Paris, INRA. 8