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être lié aux déterminants et à l’historique de ce travail. Mais ici, puisqu’il s’agit aussi de débats,
j’ai choisi une autre option, celle qui consiste à tenter de faire l’histoire d’un chantier de recherche
en essayant de montrer le contexte dans lequel naissent les questions initiales, comment émergent
des hypothèses, d’ailleurs souvent au départ des intuitions, comment s’articulent des recherches.
J’ai pensé que ce serait peut-être plus utile que de reprendre des choses qui, après tout, sont
accessibles dans des revues ou dans des ouvrages.
Ayant donc terminé mes études supérieures à Paris dans la fin des années 60, j’avais suivi les
cours de ceux qui avaient importé, introduit et institutionnalisé la psychologie sociale en France
dans les années 50, et notamment les enseignements de Jean Maisonneuve et Robert Pagès1. Et
l’on s’intéressait à l’époque aux opinions, aux attitudes et au changement d’attitudes, aux
croyances (pour une présentation historique de ces domaines, voir Deschamps & Beauvois, 1996),
aux groupes et aux relations intra-groupes, aux relations humaines (voir Mugny, Oberlé &
Beauvois, 1995). C’était en fait des problématiques directement importées d’une psychologie
sociale nord-américaine. Puis, dans la fin des années 60, la psychologie sociale s’est trouvée dotée
et lestée sur le vieux continent de problématiques nouvelles et originales inaugurées par des
pionniers tels que Henri Tajfel et Serge Moscovici, problématiques qui nous ont immédiatement
fascinées. C’était l’étude des représentations sociales, de l’influence minoritaire, des relations
entre groupes, thématiques qui vont devenir les points d’ancrage d’une psychologie sociale
européenne alors en train d’émerger quand bien même que, de l’autre côté de l’Atlantique, après la
révolution cognitiviste des années 50, nos collègues s’engageaient peu à peu mais de façon résolue
dans la voie de ce qu’on appellera par la suite la cognition sociale.
Et pour comprendre les questions que j’ai été amené à me poser et qui ont été à l’origine d’un
ensemble de recherches qui va peu à peu se développer et se sédimenter autour du thème de
l’identité et des rapports de domination, il faut commencer par mentionner un premier point. Très
vite en France, dès la fin de ces années 60, d’abord Willem Doise (Doise, 1969 ; Doise, 1973 ;
Doise et al., 1972), puis dans les premières recherches que j’ai été amené à effectuer dans la
mouvance du Laboratoire de psychologie sociale de la Sorbonne - recherches qui n’auraient pas
vu le jour sans des gens comme André Duflos et Gérard Lemaine - nous avons été conduit à nous
intéresser aux travaux de Tajfel sur la catégorisation, la catégorisation sociale, et à l’approche
qu’il proposait des relations entre groupes (Tajfel, 1959 ; Tajfel, 1969 ; Tajfel, 1970 ; Tajfel, 1972;
Tajfel, Sheikh & Gardner, 1964 ; Tajfel & Wilkes, 1963).
Evidement, cette problématique n’était pas nouvelle. On pense à Sumner qui, dès 1906, introduit
les notions de in-group et de out-group (voir la seconde édition de « Folkways » publiée en 1913,
une révision de l’ouvrage de 1906). Les relations entre groupes, les préjugés, les stéréotypes, les
discriminations sont des thèmes qui ont préoccupé les chercheurs depuis l’émergence de la
psychologie sociale en tant que discipline. Mais, dans un premier temps, ce sont des théories qui
partaient de l’idée d’un déterminisme psychique et d’un niveau d'analyse individuel qui ont
prédominé (des théories basées sur la personnalité, l’apprentissage ou sur un apport de la
psychanalyse). Pour comprendre les rapports intergroupes, on pensait qu'il suffisait de connaître
les processus psychologiques individuels et généraux, indépendamment des contextes, des
1 Comme le note Jean Stoetzel qui fut le premier à avoir donné un enseignement régulier de psychologie sociale en
France à partir de 1947, les licences de psychologie et de sociologie furent créées respectivement en 1948 et 1957
dans ce pays (Stoetzel, 1978).