62
(communautés) témoignant de la diversité et de la richesse de la diaspora juive
pauliste. L’une de ces kehillot a été organisée autour de la Congregação Israelita
Paulista (CIP), fondée par le rabbin allemand Fritz Pinkuss en 1936. Cette CIP,
d’orientation libérale, a longtemps donné le ton en matière religieuse. En effet,
en raison d’une part de l’importance numérique des migrants provenant de cette
région – l’essentiel des juifs brésiliens sont originaires d’Europe et majoritai-
rement ashkénazes –, en raison d’autre part de l’antériorité et de l’efficacité de
son organisation, en raison encore de la présence renouvelée de rabbins libéraux
souvent charismatiques, la CIP a pu exercer une réelle influence sur le judaïsme
brésilien. Cette domination n’a cependant jamais exclu la création et l’existence
d’autres courants parmi le foyer de diaspora constitué au Brésil. Mais la sensibilité
la plus largement partagée est une forme de judaïsme que l’on pourrait qualifier
de libéral ou tout du moins extrêmement ouvert, tolérant et ayant une tendance à
la sécularisation au fil des années.
Aujourd’hui pourtant, certaines évolutions provoquent des tensions au sein de
la diaspora brésilienne. Parallèlement à la sécularisation de plus en plus marquée
des juifs brésiliens (suivant le modèle allemand incarné par la CIP) et dont la
caractéristique la plus visible est la conclusion de nombreux mariages mixtes ou
exogamiques, on observe l’émergence puis l’affirmation d’un modèle concurrent
incarné par un courant orthodoxe exogène au prosélytisme assumé. Ce courant,
s’il inquiète ou dérange une partie de la judaïcité brésilienne, globalement
libérale, rassure aussi certains qui y voient une assurance contre l’assimilation.
Des divisions se font jour et certains libéraux expriment un malaise face à l’exi-
gence des orthodoxes et au jugement que ces derniers portent sur eux. En effet, la
revendication de certains orthodoxes de détenir la seule et « véritable » vision du
judaïsme nie la possibilité pour la judaïcité d’exprimer sa diversité, elle exclut et
stigmatise de fait les juifs athées, libéraux ou traditionnels.
Faut-il être orthodoxe pour être un « bon juif » au Brésil aujourd’hui ? Tel
est le problème qui se pose au sein de la diaspora et qui soulève de nombreuses
kehillot embrassant l’origine des différents migrants. Mais ces kehillot n’ont jamais fonctionné
seules. Elles se juxtaposaient à un autre réseau, plus global. Par nécessité, et sans doute par facilité,
les organisations communautaires se sont divisées en deux types : les unes concernant l’ensemble
des juifs s’installant ou installés au Brésil (assistance, représentation par exemple), les autres
reproduisant les institutions des pays d’origine (synagogues, organisations de jeunesse, etc.).
L’organisation communautaire, au sens sociologique du terme, s’est ainsi faite sur la base de
plusieurs kehillot gérant les affaires quotidiennes et d’un réseau d’institutions agissant à niveau
global. Ces kehillot, qui trouvent leur origine dans l’héritage culturel des juifs paulistes, évoluent
aujourd’hui vers de nouvelles formes de communauté fondées cette fois sur des affinités religieuses
et philosophiques. C’est pourquoi il est plus adapté de parler de communautés juives au pluriel – les
kehillot – et d’une société juive, issue de la sociation volontaire des individus, à savoir l’organisation
hiérarchique agissant au niveau global. Il y aurait donc, pour reprendre la terminologie de Tönnies,
des communautés juives et une société juive.