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Les Soirées-Débats du GREP Comminges
La démocratie
en questions :
illusion ou réalité?
Françoise VALON
Professeur agrégé de philosophie à Toulouse
conférence-débat tenue à Saint-Gaudens
le 19 octobre 2013
GREP-Comminges chez René Dervaux, 3 place du Pré Commun 31260 Montsaunès 05 61 90 60 16
GREP Midi-Pyrénées 5 rue des Gestes, BP119, 31013 Toulouse cedex 6 grep-mp.org
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La démocratie en questions :
illusion ou réalité?
Françoise VALON
Professeur agrégé de philosophie à Toulouse
La « démocratie » nous pose aujourd'hui bien des questions.: jamais tant de pays
n'ont été formellement démocratiques, mais jamais il n'y eut tant de méfiance envers
la démocratie.
Certains peuples aspirent passionnément à la démocratie alors que les plus lucides
de ceux qui en disposent manifestent leur désaffection en refusant d'utiliser le seul
droit qui leur reste, celui de voter. La démocratie serait-elle, comme Valéry le dit de la
liberté, « un de ces mots qui ont plus de valeur que de sens »?
Dans un tel contexte, pourquoi parler de la mocratie athénienne antique?
J'évoquerai trois raisons.
D'abord, chaque fois qu'un contexte historique de crise s'est présenté à des penseurs
politiques, ils se sont tournés vers les exemples antiques: Machiavel, Jean Bodin,
Rousseau, Tocqueville, les « pères » de la révolution américaine, les penseurs de la
révolution française, Marx, Hannah Arendt, Simone Weil ont médité les textes
d'Hérodote, de Thucydide, de Platon. d'Aristote.
Ensuite, l'étymologie du mot nous renvoie à l'origine de la chose: Il s'agit du
pouvoir (kratos) du peuple (demos). Cependant « kratos » n'est pas le seul mot grec
qui parle de pouvoir. On pourrait évoquer « dynamis » qui est la puissance, « bia »,
qui est la force, « arche », qui est le principe... De même « demos » n'est pas le seul
mot grec qui parle du peuple. Il y a « genos » qui renvoie au sens biologique,
« ethnos. » qui parle d'origine, de mœurs communes, « plethos »qui signifie la foule,
la multitude, « polus », qui évoque le grand nombre; « ochlos » qu'on traduit par
« populace »...
Le « démos » se définit en se distinguant des « aristoï », les « meilleurs », ceux qui
sont « bien nés »: La « démocratie » est un nom souvent péjoratif. Il apparaît valorisé
pour la première fois chez Hérodote, dans une discussion fameuse entre trois satrapes
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perses qui évoquent trois formes de gouvernement qu'ils comparent: la monarchie,
l'oligarchie, la « démocratie ». Hérodote ne prend pas partie, mais définit la
« démocratie » comme le régime dans lequel c'est le peuple qui « prend les
décisions ». Le « démos », quelle que soit son origine, se constitue en souverain, c'est-
à-dire n'est plus une simple multitude, un simple agglomérat. Le « pouvoir » (Kratos)
lui est effectivement accordé. C'est le peuple qui choisit, qui prend les décisions, qui
formule les lois, qui juge aux tribunaux. Il n'y a pas de séparation des pouvoirs, pas de
personnel politique, pas de partis, pas de « représentants ». Tout régime qui n'ouvre
pas sur des choix, des décisions prises et exécutées par le peuple, ne serait à ce titre
pas une démocratie du tout....
Enfin, parler de mocratie antique nous permettra peut-être de prendre une
distance critique vis-à-vis de ce que nous appelons « démocratie », non pour cultiver
des nostalgies ni pour construire des utopies mais pour nous interroger sur le type
d'organisation de nos sociétés afin d'en indiquer les limites et d'en éviter les
dysfonctionnements éventuels.
Mon exposé comportera trois parties :
1-Les valeurs revendiquées par les démocrates d'Athènes aux et IV° siècles
avant J-C, au moment des guerres médiques et de celle du Péloponnèse.
2-La mise en place des institutions typiques de la mocratie par les législateurs
successifs d'Athènes
3-Une comparaison rapide de ces institutions et de leur fonctionnement avec les
nôtres.
Mais au préalable, je voudrais apporter quelques précisions concernant la fiabilité
des sources historiques et l'originalité d'Athènes dans le monde antique,
La fiabilité des sources historiques.
On sait qu'il a exisune assemblée populaire à Chios dès le VI° siècle, mais aucun
texte ne nous explique son fonctionnement. En revanche nous possédons de
nombreux documents à propos de la démocratie athénienne (certains provenant
d'auteurs qui sont critiques vis-à-vis d'elle), depuis des allusions aux assemblées dans
l'Iliade et dans l'Odyssée jusqu'à un bas-relief du IV° siècle av. JC qui nous présente
« Démocratie » sous la forme d'une déesse couronnant Démos.
Les lois de Dracon ont été conservées, ainsi que des fragments des poèmes de
Solon, les récits d'Hérodote et de Thucydide en moignent amplement, ainsi que les
œuvres d'Aristote (Constitution d'Athènes, découverte au XIX° siècle) et de Platon
(La République, Gorgias, Protagoras, les Lois...)
Nous sont parvenues aussi des tragédies et comédies d'Eschyle, Sophocle, Euripide,
Aristophane, et aussi d'auteurs moins anciens comme Polybe, Plutarque, et même les
pères de l'Eglise...
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L'originalité d'Athènes dans le monde antique.
On sait que des assemblées populaires ont existé de par le monde, chez les anciens
Germains, chez les Cosaques du Don, dans les « villes libres » médiévales, dans les
cités italiennes de la Renaissance, en Afrique chez les Ocellos et sans doute dans
d'autres lieux encore. On parle beaucoup, aujourd'hui, de « démocratie participative ».
Mais dans chacun de ces cas, il s'agit soit d'assemblées de personnes choisies (les
anciens, les chefs, les notables) soit de discussions limitées à la solution de
problèmes locaux (municipaux, villageois). Aucun document n'atteste, ailleurs que
dans l'Athènes du IV° siècle, l'existence d'une formation politique organisée sur un
territoire de 2.650 km2, vivaient près de 60.000 citoyens capables à tour de rôle
d'exercer des magistratures tirées au sort et de gagner des victoires militaires (sur des
peuples infiniment plus nombreux et mieux armés qu'eux) au nom de la liberté.
Ce régime a duré deux siècles et produit des chefs d'œuvre architecturaux,
poétiques, scientifiques, philosophiques et théâtraux parmi les plus beaux du monde
occidental.
Dans la discussion fictive entre les trois satrapes perses dont je parlais, racontée par
Hérodote, Otanès est le seul à préférer le régime démocratique parce que, dit-il, « On
ne commande pas et on n'est pas commandé ».
Aux autres tentatives de «démocratie », il manque les principes, les institutions, la
pérennité. Athènes n'est pas la seule à demander « Qui veut prendre la parole? » Mais
elle est la seule à l'institutionnaliser politiquement, c'est-à-dire à donner à cette parole
publique statut de décision immédiate. Ni les Commons anglais où chacun parle
depuis sa place hiérarchique, ni les assemblées spartiates où l'on vote par le cri
(apella) ne ressemblent à ce grand déballage public des affaires de la cité. C'est que
cela ne va pas de soi : deux mille ans plus tard, (le 11 Octobre 1791), Quatremère de
Quincy fut contraint de justifier sa requête d''une organisation en cercle de
l'Assemblée Législative « pour que chacun se voie », et il en justifia la disposition par
le fait qu'ainsi, « chacun doit se modérer car il est vu de tous » évitant la structure
grégaire de la foule : « Un homme qui crie est dans un état forcé et par cela même il
est prêt à entrer en violence...Cette disposition va se communiquer à ceux qui
l'écoutent »...
Quelques données sommaires sur l'Athènes antique.
Quelle est la situation d'Athènes au moment du développement de la démocratie?
(env. 430 av JC...)
Athènes se dit au pluriel parce qu'elle signifie le rassemblement de plusieurs
régions depuis le Synoecisme (rassemblement) mythiquement attribué à Thésée. Astu
(la ville) et Chora (la campagne) sont grandes comme le Grand Duché de
Luxembourg. L'Attique mesure à peu près 2.650 km2. Elle comprend des vallées
(Céphise, Eleusis, Marathon…), des montagnes (le Cithéron, l'Hymette…), quelques
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