Une nouvelle terre

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20 décembre 2011
Première découverte d’une autre Terre
On cherchait une autre Terre. Ils en ont trouvé deux. Dans un article publié, mardi 20 décembre, par
la revue Nature, une équipe internationale de chercheurs exploitant les données de l'observatoire
spatial Kepler de la NASA (que montre la vue d'artiste ci-dessus) a annoncé la découverte de deux
planètes extrasolaires de taille comparable à celle de la Terre. Ces deux objets appartiennent à un
système à cinq planètes tournant autour de Kepler-20, étoile située à un peu moins de 1 000 annéeslumière de nous et très semblable à notre Soleil, quoique légèrement moins massive, moins chaude et
moins lumineuse que lui. Sur ces cinq astres, trois sont des mini-Neptune et deux des cousins de la
Terre. Baptisés Kepler-20e et Kepler-20f, ceux-ci sont très proches en taille de notre planète bleue
avec des rayons respectifs de 87 % et 103 % de celui de la Terre. "Pour la première fois de l'histoire
de l'humanité, on peut se dire : "ça y est, on est capable de détecter une Terre autour d'une autre
étoile". C'est même la première fois que l'on passe la barrière du plus petit que la Terre", résume
François Fressin.
Ce jeune astronome français de 33 ans, expatrié aux Etats-Unis au Harvard-Smithsonian Center for
Astrophysics de Cambridge (Massachusetts), est le premier auteur de l'étude publiée dans Nature. Il
s'est spécialisé dans la recherche des petites planètes parmi les données qu'envoie Kepler depuis
2009. Cet observatoire en orbite autour du Soleil observe sans discontinuer un catalogue d'étoiles
situées dans la constellation du Cygne et autour d'elle. L'instrument de Kepler est un photomètre, qui
mesure les infimes variations de leur lumière. Son objectif principal consiste à détecter la très faible
baisse de luminosité due au passage – au transit disent les astronomes – d'une planète devant son
étoile. Pour donner un ordre de grandeur, Kepler-20e et f ont fait diminuer cette luminosité d'environ
un dix millième. C'est peu, mais largement suffisant pour que les spécialistes soient sûrs qu'il se passe
quelque chose, et encore plus quand ces "creux" dans le flux lumineux se produisent à intervalles
réguliers.
Cela ne signe pas pour autant la présence d'une planète car ces creux peuvent avoir d'autres
origines. En effet, si Kepler surveille en permanence un catalogue d'astres bien précis, il n'isole pas
complètement les étoiles du champ de vision où elles se trouvent. Une étoile présente en arrière-plan
peut ainsi être masquée par une des planètes, ce qui se traduira par une très légère baisse de
luminosité. Autre possibilité envisagée, celle d'une étoile binaire à éclipses située dans le fond de
l'image : il s'agit d'un couple d'étoiles qui, dans leur valse, s'occultent périodiquement l'une l'autre pour
un observateur situé exactement dans leur plan de révolution. D'où la nécessité, pour les astronomes,
de procéder à de fastidieux calculs et vérifications, explique François Fressin : "Tous les projets de
recherche d'exoplanètes utilisant la méthode du transit ont ce problème. On perd beaucoup de temps
à s'assurer que ce qu'on a vu est bien le transit d'une planète. Pour certains projets, le ratio s'élève à
une planète pour huit faux signaux qui sont dus soit au fait que l'on est à la limite de la détection soit à
d'autres sources astrophysiques."
Pour traiter les données de Kepler, il a donc fallu développer Blender. Derrière ce nom se cache un
simulateur testant tous les scénarios possibles. Ce programme tourne sur Pleiades, le plus gros
ordinateur de la NASA et le septième dans le mondepar la puissance de calcul. "Tester un scénario
requiert un million de calculs, décrit le chercheur français. Et nous testons plus de 10 milliards de
scénarios..." A chaque fois, il faut dessiner la courbe de ces hypothèses alternatives et vérifier si elle
correspond ou non à la courbe mesurée par le photomètre de Kepler. Voir si le creux a la même
fréquence, la même durée, la même profondeur, la même forme. Les astronomes procèdent ainsi par
élimination et ne sont sûrs de l'hypothèse de l'exoplanète que si elle s'avère plus de mille fois plus
probable que n'importe quelle autre configuration. Cela a été le cas avec Kepler-20e et f... mais pas du
premier coup. En 2010, avec la première année de données de Kepler, les signaux étaient déjà là
mais, explique François Fressin, "la première étude avec Blender n'a pas permis de tirer une
conclusion". Et pendant que Kepler moissonnait la lumière du ciel pendant une année supplémentaire,
les chercheurs ont raffiné leurs méthode et technique d'analyse. Avec 670 jours de mesures, tout le
système solaire de Kepler-20 s'est révélé et notamment ses deux petites planètes. "C'est de loin la
découverte la plus difficile qui ait été faite dans le domaine des planètes de transit", assure François
Fressin qui n'exclut pas cependant la possibilité de trouver des exoplanètes encore plus petites.
En attendant, ces deux-ci ont la bonne taille pour être qualifiées de sœurs de la Terre. Mais on ne
parlera pas de jumelles. En effet, elles sont beaucoup trop proches de leur étoile pour qu'on puisse les
comparer au havre de douceur et de vie qu'est notre globe. La première fait le tour de Kepler-20 en
seulement 6,1 de nos jours et la seconde accomplit sa révolution en 19,6 jours. Autant dire qu'une
température de plusieurs centaines de degrés Celsius règne à leur surface. Aucune des cinq planètes
n'est d'ailleurs située dans la zone dite d'habitabilité, celle où les températures sont suffisamment
clémentes pour que l'eau, si elle existe, se trouve sous forme liquide.
Ce système solaire est en fait concentré en peu d'espace et tient dans l'orbite de Mercure, qui est,
"chez nous", la planète la plus proche du Soleil. Un phénomène qui risque bien d'attiser l'intérêt des
astronomes, souligne François Fressin : "On a une curiosité dans l'ordre des planètes de ce système
solaire. La plus proche de l'étoile est une sous-géante d'un peu moins de 2 rayons terrestres, puis
vient la plus petite des planètes jamais détectées à ce jour, Kepler-20e, puis une mini-Neptune d'un
peu moins de 3 rayons terrestres, puis notre quasi-Terre Kepler-20f et, enfin, une autre mini-Neptune.
Si l'on compare cela à notre système solaire où on trouve d'abord quatre petites planètes rocheuses,
puis quatre géantes, cela ne rime strictement à rien. Pourquoi ce melting pot ?" Bien sûr, les
astronomes savent aujourd'hui que notre système solaire ne prétend pas être représentatif de ce qui
se passe en général dans les autres. Mais ils savent aussi que le cortège de planètes accompagnant
Kepler-20 n'a pas pu se former là où il réside actuellement : il n'y avait tout simplement pas assez de
matériel sur place, à l'origine, pour constituer ces cinq objets. "Les planètes ont donc dû
migrer, explique François Fressin. Et lorsque les planètes migrent, elles se poussent et peuvent même
échanger leurs places. Il n'est donc pas exclu que Kepler-20f se soit un jour trouvé dans la zone
d'habitabilité de son étoile."
Pour le moment, le saint Graal des chasseurs de planètes extra-solaires, une planète de la taille de
la Terre située dans cette précieuse zone d'habitabilité, n'est pas à portée de vue. "Je ne sais pas
combien de temps cette quête du Graal prendra, poursuit l'astronome français. Il faudra avoir une
étoile vraiment semblable au Soleil, et, pour la planète, une taille, une température, une composition,
une atmosphère identiques. Cette quête se fera de manière très progressive. Mais la découverte que
nous venons de faire est la plus importante de ces pierres angulaires car la question de la taille de la
planète est primordiale : on ne sait pas si la Terre serait habitable avec un rayon de 50 % supérieur,
on ne sait pas si les planètes qui, en taille, font la transition avec des astres comme Neptune sont
rocheuses."
Il n'est pas sûr que Kepler puisse décrocher le gros lot mais il devrait donner de précieuses
informations sur la fréquence des planètes de la taille de la Terre, avant de passer le relais à la
génération des télescopes géants comme l'European Extremely Large Telescope, un monstre doté
d'un miroir de près de 40 mètres de diamètre que l'Observatoire européen austral (ESO) compte
lancer au début de la prochaine décennie au Chili. "Il ne faut pas oublier qu'il y a 20 ans, on ne savait
rien des planètes extra-solaires, rappelle François Fressin, qui était adolescent lorsque les Suisses
Michel Mayor et Didier Queloz ont trouvé la première exoplanète en 1995. Aujourd'hui, on en découvre
de la taille de la Terre : sur le plan technologique, c'est phénoménal."
En 2002, j'avais publié dans Le Monde le portrait de l'Américain Geoffrey Marcy, un des plus
prolifiques découvreurs d'exoplanètes (il est également co-signataire de l'étude de Nature). A l'époque,
on ne détectait que des planètes géantes, ce en raison des limitations qu'imposaient les instruments.
Mais Geoff Marcy, dans son bureau de l'université de Berkeley où il enseigne l'astronomie, voyait ses
collègues, concurrents et lui-même comme des navigateurs approchant de la terre ferme :« C'est
comme si nous étions sur un bateau, à 1 kilomètre de la plage. A cette distance, on ne distingue que
les gros rochers. Mais à mesure que votre navire s'approche, les petits rochers apparaissent, puis les
galets et, quand vous accostez, vous voyez les grains de sable et, bien sûr, ils sont les plus nombreux.
C'est exactement ce qui nous arrive. Pour l'instant, nous ne voyons que les gros rochers. Un jour,
avec une autre technologie, nous verrons les galets et les grains de sable. »C'était il y a moins de dix
ans. La prophétie s'est accomplie, nous commençons à voir les grains de sable.
Pierre Barthélémy
Crédit vue d'artiste : NASA/Kepler mission/Wendy Stenzel
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