LA PHYSIOPATHOLOGIE DE LA SCAPULOTHORACIQUE LES DYSKINESIES SCAPULAIRES Jean-Baptiste COURROY _________________________ Les énormes progrès réalisés dans le démembrement de l'épaule douloureuse sont incontestablement liés au développement de techniques perfectionnées d'imagerie et à l'usage d'une sémiologie clinique plus fine. Cependant l‟identification d'une pathologie strictement lésionnelle qui ferait correspondre une lésion donnée à un désordre précis est en échec devant un certain nombre d‟épaules douloureuses. C'est sans doute la rançon de l'incroyable complexité biomécanique d‟un système articulaire qui doit assurer la mobilité et la stabilité d‟une articulation gléno-humérale sans congruence ni stabilité intrinsèques, articulée à une base scapulaire elle-même mobile dans tous les plans de l'espace sur la convexité du gril thoracique. Cette exigence de mobilité a pour double nécessité un centrage gléno-huméral instantané satisfaisant et un passage sous acromial harmonieux lors de l'élévation. L‟impossibilité de respecter ces exigences est à l'origine des deux pathologies respectives d'instabilité et de conflits douloureux. Dans les deux cas, l'attention s'est longtemps limitée à l‟étude de l'étage gléno-huméral : des lésions osseuses et labroligamentaires pour l'instabilité, des éléments anatomiques du défilé sous acromial pour le conflit supérieur révélé par Neer, sans s‟intéresser au maillon scapulaire. L'omoplate tient pourtant un rôle fondamental dans la physiologie de l'épaule, à de multiples niveaux. - Elle donne une base stable à l'articulation gléno-humérale, essentielle pour assurer le centrage gléno-huméral et aligner l'axe de la glène avec l'axe du bras Cela permet de maintenir une zone de sécurité (30° en flexion et en extension de part et d‟autre de l‟axe d‟alignement) et d'efficacité (maintien de l‟effet compressif) lors de l'élévation du bras. - Elle assure une base stable aux muscles de la coiffe qui s‟y insèrent en leur permettant d'optimiser leurs actions dynamiques sur le bras et compressives sur l'articulation gléno-humérale. - Elle permet le passage sous acromial, qui est la condition essentielle de l‟élévation haute du bras, par le réglage de l‟orientation de la glène dans les trois plans de l‟espace. - Elle permet enfin l'orientation du membre supérieur dans un large arc fonctionnel et la transmission optimale des forces de la chaîne cinétique passant, depuis l‟appui au sol, par les membres inférieurs, la bassin, le thorax jusqu‟au bras lanceur. Il a été montré que plus de 50% de l‟énergie utilisée lors du service au tennis provient de la partie proximale de la chaîne, depuis les membres inférieurs, le bassin et le thorax. De même, on a calculé qu'une diminution de 20 % de l'énergie délivrée au niveau de la hanche et du tronc nécessite une augmentation de 30 % dans la vitesse de rotation de l'épaule pour obtenir la même force de lancer. Si la mobilité scapulaire est indispensable aux mouvements du membre supérieur, encore faut il que cette mobilité soit harmonieuse, comme on peut l‟apprécier en voyant de dos l‟élévation du bras chez un sujet sain. En l‟absence de raideur articulaire, cette harmonie dépend du réglage instantané des actions réciproques de tous les muscles moteurs et/ou insérés sur l‟omoplate. Il n‟est pas étonnant que les premières observations de dysharmonies du jeu scapulaire (on parlera de dyskinésies) aient été constatées chez des patients souffrant d‟une paralysie affectant ou l‟un, ou l‟autre, ou plusieurs de ces muscles : paralysies d‟origine radiculaire, ou paralysies d‟origine tronculaire de muscles importants comme le trapèze, le grand dentelé, ou les muscles de la coiffe des rotateurs. Ce n‟est qu‟à partir des années 90, que différents auteurs commencèrent à s‟intéresser aux dyskinésies scapulaires mineures, constatées sur des populations de sportifs présentant soit un conflit sous acromial soit une instabilité fruste de l‟épaule à expression douloureuse. Malgré le fait que de telles constatations puissent être faites au sein d‟une population saine non sportive, la fréquence de ces dyskinésies chez les pratiquants de sports de lancer ou de raquette a fait logiquement rechercher quelle relation établir entre ces pathologies et les dyskinésies scapulaires constatées. Plusieurs questions se posent : - les dyskinésies scapulaires sont-elles la cause ou la conséquence des pathologies douloureuses, qu‟elles soient conflictuelles ou instables ? - sont-elles en rapport avec les autres caractéristiques que présentent les épaules des lanceurs ? - peut-on identifier de façon fiable, par la clinique, ou par d‟autres investigations, ces dyskinésies ? - enfin, leur correction éventuelle peut-elle rendre ces épaules indolores dans la pratique sportive ? LA PHYSIOLOGIE SCAPULAIRE Tout déplacement de l‟omoplate entraîne par l‟intermédiaire de l‟articulation acromioclaviculaire un déplacement de la clavicule, qui entraîne ensuite les mouvements plus modestes de l‟articulation sterno-costo-claviculaire. De plus, tout mouvement scapulaire s‟effectue dans plusieurs plans de mobilité. La présentation des mobilités scapulaires est aussi forcément schématique car les axes de mobilité ne correspondent pas aux plans géométriques de référence, en raison du glissement de l‟omoplate sur la double convexité du gril thoracique. A La mobilité scapulaire analytique - Elévation-abaissement d‟une amplitude de 10 à 12 cm. - Translation latérale, ou antépulsion, ou abduction–rétropulsion ou adduction (protraction-retraction dans la littérature de langue anglaise) qui écarte le bord spinal de 10 à 12 cm par rapport à la ligne des épineuses vertébrales. Au cours de ce déplacement le plan de l‟omoplate par rapport au plan frontal passe de 30 à 45°, faisant passer l‟angle omoclaviculaire de 70 à 60°. - Rotation supérieure, ou sonnette interne qui oriente la glène vers le haut-rotation inférieure qui oriente la glène vers le bas (sonnette externe) autour d‟un axe perpendiculaire au plan de l„omoplate, passant par un centre situé près de l‟angle scapulaire supéro-latéral. L‟amplitude de cette rotation est de 45à 60°. - Rotation scapulaire d‟environ 10° autour d‟un axe vertical : la rotation interne oriente la glène vers l‟avant ; la rotation externe l‟oriente vers l‟arrière. - Bascule antéro-postérieure autour d‟un axe transversal légèrement oblique en dehors et en avant. Tout mouvement scapulaire mobilise la clavicule dont la mobilité est d‟environ 12-13 cm dans ses deux axes mécaniques orthogonaux, légèrement obliques dans les deux plans, vertical pour l‟antéposition, et horizontal pour l‟élévation. A cette mobilité s‟ajoute une rotation de la clavicule de 30° dans chacune des articulations acromio- et sterno-costoclaviculaire. B Les mouvements réels de l’omoplate Il s'agit essentiellement des mouvements d'élévation-abaissement, d'antépulsionrétropulsion du moignon, et du mouvement complexe effectué lors de l'élévation haute du bras, qui nous intéresse ici. Que ce soit dans le plan frontal (abduction), scapulaire (abduction vraie) ou sagittal (flexion), les 60 premiers degrés d‟élévation ne s‟effectuent que dans la seule articulation gléno-humérale, et le déplacement de l‟omoplate ne commence qu‟à partir de 60° d'élévation. Après 150°, l‟élévation du bras impose la participation du rachis, par une inclinaison latérale pour un mouvement d‟un seul bras, et par la mise en lordose pour un mouvement bilatéral. Entre 60 et 150° l‟élévation du bras nécessite donc le déplacement de l'omoplate, pour orienter la glène et faciliter le passage du trochiter sous l'acromion, qui sont les deux conditions nécessaires à l'élévation haute du bras. Ce déplacement scapulaire se fait dans les trois plans de l‟espace, et associe : - une ascension de 8 à 10cm ; - une rotation supérieure, la sonnette interne, qui augmente harmonieusement jusqu'à une élévation de 150°. À partir de 120° la rotation scapulaire est égale à la rotation glénohumérale ; - une rotation biphasique, d‟abord externe de 10° ( glène vers l‟arrière) jusqu‟à l‟angle de 90° puis en rotation interne de 6° ensuite ; - une bascule postérieure de plus de 20°déplaçant la partie supérieure de l‟omoplate vers l‟arrière et un peu vers le bas. Au niveau de la clavicule l‟élévation du bras entraîne une petite élévation et rétropulsion de la clavicule ainsi qu‟une rotation de ses deux extrémités articulaires, rotations qui s‟additionnent pour permettre la sonnette scapulaire de 60°. C les muscles moteurs de l’omoplate Trois groupes de muscles s'insèrent sur l'omoplate : - le premier est celui des muscles intrinsèques de la coiffe (sus épineux, sous épineux, sous scapulaire, petit rond) qui sont coapteurs et moteurs de l'articulation gléno-humérale ; - le deuxième groupe est celui des muscles extrinsèques de l'épaule (deltoïde, biceps, triceps, coraco-brachial) dont l'action sur l'omoplate n'est visible qu'en chaîne fermée, avec la main comme point fixe. - le troisième groupe est celui des six muscles moteurs vrais de l'omoplate ; ils assurent le double rôle d'orientation dynamique de l'omoplate dans les trois plans de l'espace et de stabilisation instantanée pour offrir une base stable à l‟action de la gléno-humérale. Le grand dentelé. La partie supérieure a une direction presque horizontale : elle attire l'omoplate en antépulsion et applique son bord spinal sur le gril thoracique. La partie inférieure est oblique en bas et en avant : elle bascule l'omoplate en arrière, en orientant la glène vers le haut. C'est le seul parmi les muscles moteurs de l'omoplate qui fait les trois actions indispensable à l‟élévation haute du bras, la sonnette interne, la bascule postérieure et la rotation externe scapulaires. Le trapèze. Ses trois faisceaux ont des fonctions différentes : - le faisceau supérieur acromio-claviculaire est oblique vers le haut ; il soulève le moignon ; - le faisceau moyen est presque transversal ; il attire omoplate en adduction, légèrement en arrière en la fixant sur le gril ; - le faisceau inférieur est oblique en bas et en dedans ; il attire l'omoplate en bas et en adduction. Le rhomboïde. Direction oblique en haut et en dedans. Il a donc une action d'élévation, de rotation scapulaire externe orientant la glène vers le bas. L'angulaire. Direction oblique en haut et en dedans. Il a à peu près la même action que le rhomboïde mais il est plus élévateur et moins rotateur. Le petit pectoral. Direction oblique en avant en bas et en dedans Il abaisse le moignon et fait basculer l'omoplate vers l‟avant et en bas en orientant ma glène vers le bas. Il attire l‟omoplate en antépulsion et fait décoller son bord spinal, action antagoniste de celle du grand dentelé. Le sous clavier. Direction oblique en bas et en dedans. Il abaisse le moignon par son action d'abaissement de la clavicule. LES ETIOLOGIES DES DYSKINESIES SCAPULAIRES De nombreux facteurs anatomiques et fonctionnels peuvent intervenir dans la perturbation de l'harmonie du mouvement scapulaire. Certains sont évidents, objectifs mais beaucoup d'autres sont plus difficiles à mettre en évidence, qui font intervenir, de façon intriquée, la douleur, la fatigue à l'effort, le type du geste sportif répété, les lésions articulaires et les perturbations du tonus musculaire. A Les perturbations anatomiques - L’ankylose articulaire. Le cas le plus évident est celui de la capsulite rétractile où l'on constate de façon évidente une augmentation de la rotation scapulaire pour gagner quelques degrés lors de l'élévation du bras. On peut noter qu'une fois la récupération des amplitudes obtenue et la capsulite guérie, cette dysharmonie disparaît d'elle-même. - La raideur capsulaire postérieure. La diminution de la rotation interne scapulohumérale est une constatation fréquente chez les sportifs pratiquant des sports de lancer, et l'augmentation de la rotation externe chez ces sujets ne compense généralement pas cette limitation. On sait que la diminution globale du volant des rotations est un facteur prédictif des pathologies conflictuelles de l'épaule. Cette raideur crée lors de l'adduction horizontale du bras en fin de lancer une antépulsion excessive du moignon avec une rotation antérieure de la glène et un abaissement de l'acromion favorisant l'impaction sous acromiale. - Enfin, la cyphose dorsale haute, et les postures spontanées en enroulement d'épaule présentées par certains sujets sont autant d'éléments modifiant les amplitudes et le jeu d'antépulsion-rétropulsion du moignon et donc l'orientation de la glène. Il est possible aussi qu'une raideur acquise des éléments de traction antérieure comme le petit pectoral et le coraco-biceps puissent jouer un rôle dans la pérennisation de la dyskinésie, en altérant le jeu normal de la sonnette et de la bascule scapulaires. B Le déficit des muscles stabilisateurs d'omoplate Les muscles grand dentelé et trapèze sont principalement concernés en raison de leur rôle prépondérant dans la stabilisation scapulaire comme le montre l'importante dyskinésie constatée en cas de parésie objective de l'un ou l'autre de ces muscles. L‟insuffisance du grand dentelé est donc particulièrement cruciale pour la stabilité scapulaire lors de l‟élévation haute du bras. Le problème essentiel et incontournable est de faire la preuve d'un déficit objectif par l'électromyogramme dont la technique de réalisation et la fiabilité concernant l'étude du grand dentelé restent bien trop aléatoires. La baisse ou le retard d'activation du grand dentelé et du trapèze sont au centre du problème. Différentes études ont montré une anomalie d'activation chez des nageurs présentant un conflit douloureux, sans qu'il soit possible de déterminer si cette anomalie est la cause ou la conséquence du problème mécanique. De même, l'influence de la fatigue sur le niveau d'activation de ces muscles semble réelle mais se heurte à la difficulté pratique d'isoler la seule action des muscles stabilisateurs de l'omoplate lors des exercices. C L’effet d’une atteinte de la coiffe Plusieurs études ont montré une augmentation de la sonnette durant l'élévation du bras en présence d'une lésion transfixiante du sus épineux. On peut penser qu'il s'agit d'une compensation normale pour optimiser l'amplitude du mouvement. On peut aussi remarquer que la dyskinésie disparaît une fois la coiffe réparée et le patient indolore. L'autre argument est donné par l'étude de patients non symptomatiques chez lesquels a été pratiqué un bloc du nerf sus scapulaire, et qui ont tous montré ensuite une augmentation significative de la sonnette lors de l'élévation. LA MESURE DE LA DYSKINESIE D‟autres études ont essayé de mesurer de façon objective le déplacement complexe de l'omoplate lors des mouvements d'élévation. Les mesures faites à l'aide d'inclinomètres sont simples à effectuer et ont montré une bonne fiabilité, mais dans la seule mesure de la sonnette lors de l‟élévation, et dans le seul plan frontal d‟abduction. Les études plus récentes utilisent des capteurs cutanés (de fiabilité critiquable) permettant de mesurer plus de paramètres (bascule postérieure, sonnette et rotation internes, translations latérale et supérieure). Les mesures en IRM 3D ont sans doute de l'avenir mais elles sont de réalisation laborieuse, et n'évaluent le patient qu‟en position allongée. Malheureusement, toutes ces études sont assez discutables car elles comparent souvent des sujets sains à des sujets pathologiques sans que les lésions de ces derniers soient objectivées. De plus, les mouvements analysés sont souvent effectués dans des plans différents d'élévation, antérieure, scapulaire ou latérale. On ne s'étonne donc pas que les résultats soient assez contradictoires ; seule la diminution de la bascule postérieure et l'augmentation de la sonnette semblent assez fréquemment constatées. Au total, il n'existe pas aujourd'hui de méthodes objectives indiscutables qui puissent mesurer de façon fiable la dyskinésie scapulaire. L’EVALUATION CLINIQUE - Les notions classiques Les dyskinésies scapulaires étant très largement liées à une perturbation de la fonction du muscle grand dentelé , voire du trapèze, on retrouve naturellement ici une sémiologie proche de celle, connue, des atteintes des nerf de Charles Bell ou du nerf spinal. Classiquement, seule une paralysie importante montre une malposition scapulaire au repos : celle du grand dentelé amène un rapprochement du bord spinal, une proéminence de l'angle supéro-interne avec bascule antérieure et sonnette inférieure, alors que la paralysie du trapèze écarte et décolle le bord inférieur de l‟omoplate et élève l‟acromion. - les malpositions statiques de l'omoplate. Elles sont recherchées sur le patient debout, vu de dos. Lors de la description primitive de la SICK scapula, Kilber avait déterminé trois types de malposition : le type I correspond à une proéminence de l'angle inféro-interne ; le type II a une proéminence de tout le bord interne de l'omoplate ; le type III avec une proéminence de l'angle supéro-interne l'omoplate. En réalité, la quantification de ces anomalies statiques est peu utilisée, car la reproductibilité intra- et inter-observateurs de l‟évaluation est assez faible, et de nombreuses asymétries se retrouvent dans la population saine. On peut faire la même remarque concernant l'épaule basse ou l'omoplate latéralisée dont les marquages cutanés sont peu fiables et qui n‟ont pas de substrat physiopathologique défini. - la dyskinésie vraie est forcément dynamique et elle aussi appréciée sur le patient vu de dos. La perturbation fine du mouvement pouvant n‟apparaître qu‟après un certain degré de fatigue, l'exercice doit comporter des répétitions de mouvements d'élévation avec charges additionnelles. C‟est en général à la descente du bras (où l‟effort est plus important) que la perturbation dynamique est la plus nette. À partir des différentes études et des protocoles variés qui ont été utilisés on peut conclure : - que le test en flexion est plus significatif qu'en abduction ; - que la détection de la dyskinésie est possible par une méthode simple oui/non, subtile/évidente et qu'elle s'améliore avec le niveau d'entraînement de l‟observateur ; - qu'il est préférable d'évaluer chaque épaule séparément car les asymétries sont fréquentes chez des patients sains. Si lors de l‟exercice, le décollement de l'omoplate s'accompagne de l'apparition d'une douleur, sans doute alors d'origine conflictuelle, il faut vérifier si le maintien manuel par l‟examinateur de l'omoplate le long du gril thoracique fait disparaître la douleur ; ce “scapular assistance test” positif est en faveur d‟un conflit douloureux lié à la dyskinésie. Au total, l'observation clinique d'un patient vu de dos après une répétition de flexion du bras éventuellement contre résistance est un élément d'appréciation fiable et simple qui demande simplement un peu d'expérience. Par contre, il ne semble ni possible ni utile d‟identifier différents types de dyskinésie scapulaire. LES CONSEQUENCES DES DYSKINESIES A Sur les conflits douloureux de l'épaule Les nombreuses études réalisées aboutissent à des résultats quelque peu contradictoires. Il est logique de penser que la diminution de la sonnette et de la bascule postérieure durant l'élévation diminuent l'espace sous acromial et favorisent l'apparition d'un conflit sous acromial. Par contre l'augmentation de la rotation interne scapulaire augmente la rotation externe relative du bras, ce qui, en principe, permet un meilleur passage du trochiter sous l'acromion, mais pourrait favoriser l'apparition d'un conflit glénoïdien postérieur décrit par G.Walch. De même, l'augmentation de l'élévation de l'articulation acromio-claviculaire est censée augmenter l'espace sous acromial, alors que la bascule antérieure de l'omoplate diminue ce même espace. Une seule étude en IRM a pu montrer une réduction sensible de l'espace sous acromial en position d'antépulsion. Au total, si la présence de dyskinésie est assez fréquente en présence de conflits douloureux, il est difficile là encore de savoir si celle-ci est une cause ou une conséquence du conflit et/ou de la douleur. B Sur l’instabilité L'excès d'antépulsion du moignon, et le décollement du bord spinal augmentent la rotation scapulaire interne de l'omoplate, ce qui modifie l'orientation de la glène qui devient plus antérieure, ce qui diminuerait donc la stabilité osseuse. Cependant une étude cadavérique a rapporté une augmentation de la tension capsulaire lors de la mise en antépulsion du moignon. Malgré la constatation fréquente d‟une dyskinésie scapulaire chez des patients présentant une instabilité antérieure ou une laxité multidirectionnelle, il est difficile là aussi de dire si elle en est la cause ou la conséquence. C Sur la force de la coiffe Chez des sujets sains, les forces d'élévation, de rotations externes et internes sont diminuées lors de la mise en antépulsion du moignon. Cette diminution de force disparaît quand l'épaule est repositionnée et maintenue en rétropulsion et bascule postérieure. Cette constatation est d'un intérêt évident lors de l'examen clinique (“le scapular assistance test” ou “scapular retraction test”) non seulement lors de l'évaluation de la force mais aussi, comme évoqué plus haut, dans le bilan clinique d'une épaule douloureuse. D La “SICK scapula” Le terme, inventé par Kilber en 2003, désigne un syndrome clinique dont les initiales indiquent les caractéristiques : S pour scapular malposition ; I pour inférior medial border proeminence ; C pour coracoid pain ; K pour dyskinesis of scapular movement. Ce syndrome est caractérisé par une symptomatologie douloureuse progressive de topographie variable (antérieure coracoïdienne, postéro-supérieure, latérale ou encore acromio-claviculaire) et affecte préférentiellement les lanceurs qui se plaignent alors d‟une “sensation de bras mort” lors des lancers. L‟originalité du concept est d‟établir un schéma évolutif prenant en compte la raideur capsulaire postérieure, la dyskinésie scapulaire et l‟augmentation de la rotation externe du bras pour expliquer le rôle favorisant éventuel de la SICK scapula dans l‟apparition d‟une Slap lésion de type II. LES IMPLICATIONS PRATIQUES A Dans le bilan clinique de l’épaule On le voit, l'implication d‟une éventuelle dyskinésie scapulaire dans la pathologie de l'épaule est fondamentale, surtout dans le bilan d'une épaule douloureuse d‟un sportif, dont certaines étapes de l'examen programmé revêtent une importance plus particulière. - L'observation de la position scapulaire au repos et surtout du rythme ou de l'harmonie scapulo--humérale lors de mouvements répétés de flexion complète du bras avec résistance éventuelle. - La recherche d'un déficit minime de la rotation interne passive, évalué plus facilement en décubitus ventral bras en abduction à 90°. - L‟utilisation du “scapular assistance test” dans le bilan d‟un conflit douloureux. - L‟utilisation du “retraction scapular test” dans la mesure de la force des muscles de la coiffe. - L‟appréciation du profil postural et la possibilité de raideur acquise du muscle petit pectoral. B Au plan thérapeutique Le programme de préparation athlétique des sportifs pratiquant les lancers ou les sports de raquette doit légitimement comporter des exercices de renforcement musculaire des rotateurs externes du bras mais aussi des muscles de la ceinture scapulaire. Lors du suivi de ces sportifs, ou en présence d'une épaule douloureuse sans lésion significative, la présence d'une dyskinésie scapulaire à l'examen doit faire mettre en route un programme spécifique comportant : - des exercices de correction posturale ; - des étirements du petit pectoral, de l‟angulaire et de la capsule postérieure de l'épaule ; - la récupération d'un déficit éventuel de rotation interne ; - le renforcement analytique des stabilisateurs scapulaires, du grand dentelé en particulier. CONCLUSIONS La dyskinésie scapulaire est une perturbation de l'harmonie du mouvement scapulothoracique lors de l'élévation du bras, que l'on peut rencontrer aussi bien chez des sujets indolores que chez des sportifs présentant une pathologie d'épaule. L'étiologie de la dyskinésie est, au sens large, une dysfonction du tonus des muscles stabilisateurs principalement du grand dentelé et du trapèze, qu'il faut jusqu'à preuve du contraire nécessairement distinguer des paralysies tronculaires connues pouvant affecter ces deux muscles. L'appréciation d'une dyskinésie est clinique, et peut influencer le traitement d'une épaule douloureuse, même s‟il est impossible de dire précisément si elle est la cause ou la conséquence de cette pathologie. Quoi qu‟il en soit, il semble souhaitable de proposer alors un programme ciblé de rééducation capable d‟obtenir en quelques semaines une normalisation de la dynamique scapulo-humérale. POUR EN SAVOIR PLUS Borstad J.D, Ludewig P.M. 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