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Les écrits des missionnaires, les travaux des ethnologues, les photos de Pierre Fatumbi Verger10, les
objets des collectionneurs et le caractère transnational de cette religion fascinent les voyageurs –
européens ou afro-américains, qui viennent chercher dans le golfe de Guinée « du sacré » ou « de
l’authentique », des racines ou de l’exotisme. Mais Porto-Novo n’est pas une « destination » du
tourisme des racines et il n’existe pas de cérémonie adaptée aux touristes, comme c’est le cas à
Ouidah, à Osogbo au Nigeria11, ou au Brésil. Toutefois, les Egungun yorubas (morts revenant) et les
Zangbeto (« chasseurs de la nuit ») sortent pour accueillir les personnalités et les experts, ils sont au
centre des récits de nombreux guides et forums de voyages, il est de plus en plus simple de les filmer
ou de les photographier. Les commerçants s’habituent à vendre aux voyageurs les objets du culte,
tandis que des artisans ont dressé des échoppes « touristiques » dans le palais Honmé, devenu un
musée.
Seul l'ancien bois sacré du Migan (où le ministre de la justice mais aussi bourreau exécutait les
condamnés), annexé et tronqué par le gouverneur français lors de la colonisation a fait l'objet d'un
inventaire des espèces et d'une réhabilitation par l'EPA. Il est désigné par les Aïnonvis (Porto-
Noviens) et dans les guides comme le « jardin des plantes », ce qu'il devint lors de la colonisation. Du
point de vue des pratiques, c'est rarement le jardin scientifique ou le bois sacré qui sont recherchés
mais bien plutôt le décor naturel et rafraîchissant d'un espace fréquenté pour son bar restaurant, son
aire de jeux pour enfants et ses spectacles de danse ou de musique. Alors que l'Unesco et de
nombreuses instances internationales promeuvent aujourd'hui les dimensions immatérielles de la
culture et le caractère interculturel du patrimoine16, les sites valorisés semblent, à première vue,
correspondre à une vision très occidentale de la culture matérielle, alors même que ni les musées ni les
sites ne possèdent les objets, les artefacts ou les discours susceptibles de correspondre aux attentes
esthétiques, pédagogiques ou culturelles des visiteurs. Ce qu'il reste à expliquer est l'impossibilité,
pour les élites patrimoniales, de considérer les cultes vodun comme un objet patrimonial. À l’instar du
travail mené par Emmanuelle Kadya Tall sur les nouveaux cultes vodun et chrétiens12, cette
explication demanderait des développements sur l'histoire sociale et culturelle des acteurs concernés –
sans doute trop extérieurs, ou, à l'inverse trop impliqués. On cherchera plutôt ici à décrire et
comprendre comment le vodun peut (encore) échapper à la patrimonialisation, tout en constituant une
ressource politique, urbaine et touristique.
La politique urbaine au cœur des contradictions
La réhabilitation de Porto-Novo Capitale : patrimoine versus modernité.
Depuis les années 1990 et la restauration de la démocratie au Bénin25, Porto-Novo se caractérise à
la fois par la récurrence des discours politiques nationaux sur la nécessité de lui restaurer sa stature de
ville-capitale, et par sa décrépitude progressive26. La municipalité, la Chambre de commerce et l’État
sont en conflit sur l’avenir de Porto-Novo. Le « programme spécial de réhabilitation de la ville de
Porto-Novo » (PSRPN) ne vise pas à restaurer le bâti ancien, mais à « moderniser » la ville quitte à
raser le bâti ancien, pour construire des bâtiments. Dans cette perspective, l’État a construit deux
bâtiments démesurés (la Cour suprême – édifiée en 2002 et restée inoccupée pendant des années.– et la
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recherche, Dakar, 1994, p. 13.
10 . P. VERGER, Notes sur le culte des Orisa et Vodun, à Bahia, la Baie de tous les saints, au Brésil et l’ancienne Côte
des Esclaves en Afrique, Dakar, mémoire de l’IFAN n° 51, 1957. ; ID., Dieux d’Afrique : culte des Orishas et Vodouns à
l’ancienne Côte des esclaves en Afrique et à Bahia, la baie de Tous les saints au Brésil, Paris, 1995.!
11 . Jung Ran FORTE, « Marketing Vodun. Cultural Tourism and Dreams of Success in Contemporary Benin »,
op.cit. ; S. COUSIN et J.-L. MARTINEAU, « Le festival, le bois sacré et l’Unesco. Logiques politiques du tourisme culturel à
Osogbo (Nigeria) », Cahiers d’Études Africaines (Paris), n° 194, 2009 p. 337-364.
1 . C. LE COUR GRANDMAISON et G. SAOUMA-FORERO (dir.), Le patrimoine culturel africain et la convention du
patrimoine mondial, Paris, 1998.!
12! !. Sur l’histoire et la structuration des nouveaux cultes voduns et chrétiens, cf : E. K. TALL, « Dynamique des cultes
voduns et du Christianisme céleste au Sud-Bénin », Cahiers des Sciences humaines, n° 31, 1995/ 4, Paris, IRD, p. 797-823.!
2 . R. BANEGAS, La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, 2003. !
2 . Cf. contribution d’A. K. METODJO, « Réhabilitation du patrimoine et enjeux politiques à Porto-Novo », supra.