41SYNDEACrapport annuel 2002-200340
6Sauf à considérer que toute association subventionnée relève du “service public”, ce qui serait pour le moins une extension de la définition de ce terme.
7Rappelons, sur ce point, le sondage «Les Français et l’art» réalisé par Beaux-Arts Magazine en janvier 2001 : 62 % des personnes interrogées considèrent l’art
comme une valeur essentielle, universelle, 62 % demandent un enseignement artistique dès l’école primaire et 91 % du primaire à l’université !
8Le comédien, le metteur en scène, l’auteur, le dramaturge, l’assistant, le scénographe, l’éclairagiste, la costumière, le régisseur… et tous les métiers des lieux d’accueil.
9Training, italienne, travail à la table, jeu de soutien…
10 Bout à bout, filage arrêté, filage technique, générale, première…
11 Notes du metteur en scène après chaque répétition, après chaque représentation, le public, la presse, la corporation…
12 Combien d’autres structures doivent faire face à une telle diversité des compétences et des métiers ? Combien s’imposent un tel rythme, une telle exigence ? Combien
acceptent, comme le font les compagnies, d’être évalués en permanence, par le public, par le ministère, par les autres artistes, par les institutions, par la presse ?
13 Lui attribuer par exemple une subvention supérieure à 150 000 .
14 Chaque DRAC dispose d’une enveloppe globale titre IV qui évolue peu d’une année à l’autre.
L’attribution d’une subvention ne suffit plus à le définir6. Et
quand bien même elle y suffirait, en quoi ce statut parlerait-il
de ce que nous faisons? Les années Vilar sont loin derrière
nous. Que les structures de création, de production et de
diffusion d’art et de culture sont nécessaires et doivent être
prises en charge par la collectivité est aujourd’hui acquis. La
demande d’art, de littérature, de théâtre est profondément
ancrée en France 7et en Europe.
Le paradoxe est que l’intervention publique limite trop
souvent cet ancrage au symbolique. Pour nous, il ne s’agit
plus seulement de proclamer, il s’agit d’inscrire cette procla-
mation dans la réalité. Il ne s’agit pas de “sanctuariser” les
budgets de la culture et de l’éducation, mais de faire de ces
deux domaines des priorités de l’action publique.
LA LÉGITIMITÉ DU THÉÂTRE
PASSE AUSSI PAR L’UNION EUROPÉENNE
Le rapport d’initiative sur «l’importance et le dynamisme du
théâtre et des arts du spectacle dans l’Europe élargie»,
adopté en juillet 2002 par la commission culture du
Parlement européen, recommande un soutien actif de l’Union
européenne aux arts du spectacle. L’ensemble des attendus et
des résolutions de ce rapport est très favorable au développement
du théâtre en Europe.
Mais, au-delà du soutien européen qu’il préfigure, ce texte révèle
surtout que les élus européens sont convaincus de l’utilité
publique du théâtre. Il serait sans doute utile que chacun
d’entre nous rappelle à ses élus locaux l’existence de ce texte
et son rôle prépondérant sur le futur paysage culturel européen.
L’EXPÉRIENCE
Les compagnies, quand elles obtiennent les moyens d’inscrire
leur travail dans le temps, savent faire le travail quotidien
qu’appellent une implantation et une durée, l’inscription dans
un territoire. Elles ont accumulé dans leur parcours un savoir-
faire large et diversifié où se rejoignent l’art, la littérature, la
technique, la gestion, la relation avec les publics, la relation
avec les institutions nationales, la relation avec les élus politiques,
la relation avec les administrations centrales et déconcentrées
de plusieurs ministères (Culture, Éducation nationale,
Jeunesse et sports, Affaires étrangères, Travail…), la relation
avec plusieurs niveaux d’administrations territoriales (Ville,
Département, Région), la relation avec l’Union européenne, la
relation et les échanges avec les artistes, les instances
gouvernementales et les institutions culturelles d’autres pays…
Les compagnies conventionnées et celles qui méritent de
l’être savent assumer le rythme émotionnel de la création. Le
rythme du groupe, la façon dont il s’élargit, dont il se rétrécit,
dont il vibre, dont il cherche, dont il doute, son respect des
métiers 8, sa culture du partage 9, de l’échéance10, sa montée
en tension à mesure que le travail avance, à mesure que la
représentation approche, sa culture de l’évaluation11: tout
cela est extrêmement important pour la compagnie et requiert
la plus grande attention.
Et par-dessus tout, les compagnies savent mettre en question ce
savoir-faire accumulé, ne jamais s’en contenter. Elles expérimen-
tent sans cesse des nouveaux protocoles de travail, des nouveaux
rapports aux publics, des nouvelles formes de production…
Ce vécu professionnel considérable12 est aussi source de légitimité.
VERS UN NOUVEAU
DISPOSITIF
le conventionnement
Les compagnies conventionnées ne sont pas, en moyenne,
subventionnées à la hauteur minimum prévue initialement par
les textes (152 450 sur trois ans). En agissant ainsi, l’État
se prive d’une partie de son droit à l’évaluation. Comment
évaluer une compagnie conventionnée à 23 000? Comment
évaluer une mission quand on ne donne pas les moyens
nécessaires à sa réalisation?
Ce qui bloque aujourd’hui encore davantage les conventionnés,
c’est le problème du plafond. Les compagnies conventionnées
sont régies par une double contrainte paradoxale. Une DRAC
qui souhaite augmenter13 une compagnie conventionnée doit
rogner14 sur les subventions des autres compagnies de la
région. S’il n’est pas soutenu de façon durable par des
institutions puissantes telles que les CDN, un artiste qui veut
accéder malgré tout à des moyens plus importants n’a pas
d’autre solution que de prendre la direction d’une institution
nationale, autrement dit d’abandonner une équipe constituée
et un territoire.
Nous reviendrons sur ce point au chapitre suivant :
la compagnie nationale.
Avançons qu’une compagnie est libre et détentrice d’un
véritable pouvoir de création quand elle peut produire un acte
artistique que personne ne lui demande, ou n’attend d’elle.
Mais les compagnies ont-elles aujourd’hui une marge
suffisante pour faire autre chose que ce qu’on attend d’elles?
Que ce qu’on leur commande? Les objectifs induits ou exprimés
par ceux qui financent sont de plus en plus nombreux, les
travaux fléchés. Dans une société qui consomme de plus en
plus de produits événementiels, qui exploite à fond les plus
doués de ses membres, comment gère-t-on le tremblement
d’un artiste qui, à un moment donné, se demande vers quoi il
veut vraiment aller, ce qu’il cherche vraiment, ce qu’il a
vraiment envie de faire, comment il peut le créer, quel
processus il doit mettre en place?
la compagnie nationale15
ou durable
Certaines compagnies conventionnées produisent des actes
de création reconnus, elles ont un volume d’activité et une
visibilité nationale, internationale. Elles souhaitent aller plus
loin dans leur démarche, dans la justesse du geste qu’elles
ont choisi, dans la nature du travail qu’elles réalisent. Elles
souhaitent disposer de moyens plus importants, tout en
continuant de sculpter leur définition, de construire une
forme singulière. À celles-là les dispositifs actuels n’offrent
pas de solution collective. Le conventionnement, on l’a vu
précédemment, subit un effet mécanique de plafonnement.
Une seule autre voie se présente, mais elle est sans issue
collective : prendre l’ascenseur qui propulse le leader à la tête
d’un CDN et qui démembre à coup sûr la compagnie.
Cette nomination est contre-productive au moins sur deux plans.
Sur le plan de l’art, elle réduit la compagnie à la fonction de
rampe de lancement et elle foule aux pieds une part de ce qui
a fait la valeur et la force des artistes repérés : un acte singulier
de théâtre, une équipe de création, une recherche collective,
un univers de travail, une expérience partagée, la puissance
acquise collectivement, le réseau des gens qui participent au
travail de la compagnie, auteurs, metteurs en scène, acteurs,
l’efficacité et la souplesse de son unité de production…
Sur le plan du territoire, elle constitue une perte nette très
élevée, elle rompt la transmission liée à la mémoire intime,
quasi secrète, d’un territoire et d’une communauté: plusieurs
années d’une présence artistique structurante pour le
paysage culturel d’une ville, d’un département, d’une
région, un travail de proximité qui lie intimement art,
culture, social ; plusieurs années d’art en mouvement,
d’inventions de rapports inhabituels avec les habitants, de
rencontres, d’échanges, de transmission ; la construction
patiente de relations avec les collectivités territoriales, la
lente avancée du débat public entre les artistes, les habitants,
les élus politiques, sur l’acte théâtral, sur l’acte artistique,
sur la création…
Il nous semble nécessaire aujourd’hui de réouvrir la notion de
«compagnie nationale», déjà évoquée il y a quelques années;
de créer un nouveau cadre contractuel qui reconnaisse certaines
unités de création16 comme «compagnie nationale», qui les
prenne en compte singulièrement, en axant cette prise en
compte sur l’acte de création. Le terme «compagnie
nationale» est d’autant plus important aujourd’hui qu’il
permet de lutter contre l’enfermement dans des normes et
des cadres régionaux qui risquent de ne laisser aucune
chance de développement aux grandes aventures de création.
En fonction de leurs objectifs et des différents paramètres qui
les définissent, ces «compagnies nationales» pourraient être
subventionnées par l’État à hauteur de 150 000, 750 000,
voire 1 000 000 .
la coopérative artistique
de production (CAP)
Le secteur indépendant est désireux d’inventer de nouveaux
espaces intermédiaires, une nouvelle économie. Cet espace
pourrait s’initier autour de la notion de «coopérative artistique
de production» (CAP).
Il s’agit pour des compagnies et des artistes indépendants de
mettre en commun des moyens de production - lieu de travail
(fabrique, théâtre, hangar), personnel administratif et
techniques, financements – sans pour autant constituer une
nouvelle institution.
Les principes constitutifs de la CAP sont :
1- LE LIEU
C’est un outil indispensable au développement d’une
compagnie, à la continuité de son travail et de sa recherche.
Chaque lieu est différent, chaque projet singulier.
À Montreuil, dans les anciens studios Pathé, des artistes17 se
sont regroupés autour d’un pôle théâtre et d’un pôle cinéma.
Quatre compagnies de théâtre18 instruisent ensemble un
projet de coopérative artistique de production.
D’autres projets de ce type existent probablement déjà
ailleurs ou sont en gestation. Ces lieux sont avant tout des
espaces de travail. Simples lieux de répétitions, ateliers,
stockages de costumes et de décors… Ils peuvent être
également des lieux de représentations du travail des
compagnies, résidentes ou invitées.
15 Par commodité et par symétrie avec les appellations institutionnelles, nous adoptons provisoirement l’expression “compagnie nationale” pour désigner ce nouveau label.
16 Une soixantaine, par exemple (20 % des compagnies conventionnées).
17 Aurélien Recoing, Bernard Bloch, Nicolas Klotz, Philippe Lanton, Isabelle Rebrè, Dominique Aru, Éric Borg, Carlo Bozo.
18 Bernard Bloch, Aurélien Recoing, Philippe Lanton, Nicolas Klotz.