Introduction
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INTRODUCTION
Alors que la presse financière relate les mérites de la « valeur pour
l’actionnaire » et que les investisseurs exhortent les dirigeants à adapter leurs
organisations afin d’en satisfaire les attentes, il peut être intéressant de se questionner
sur l’importance de cet actionnaire dans la gestion des firmes modernes. L’activité
d’émissions d’actions sur le compartiment primaire du marché boursier permet
d’appréhender, au niveau macro (au sens « d’en haut »), la portée de sa participation
dans le financement des entreprises françaises au cours des dernières années. Dans ce
but, le graphique n° 1 met en perspective trimestriellement le montant du financement
par nouveaux fonds propres des sociétés cotées obtenus sur le marché, relativement à la
FBCF.
Graphique n° 1 : Activité primaire à la bourse de Paris et formation brute de
capital fixe des entreprises non financières en France entre 1982 et 1997.
Légende : Sur l’échelle (logarithmique) de droite, l’activité sur le marché
boursier primaire est mesurée par la moyenne mobile sur deux trimestres de la somme
des fonds collectés lors des émissions d’actions par les entreprises cotées.
Comparativement, la formation brute de capital fixe des entreprises non financières
(valeurs aux prix courants CVS) est reportée sur l’axe de gauche, en milliards de francs.
1982T4
1985T1
1986T2
1988T2
1990T1 1994T1
1995T3
1996T3
1997T3
1997T4
90,0
110,0
130,0
150,0
170,0
190,0
210,0
230,0
1981T4
1982T2
1982T4
1983T2
1983T4
1984T2
1984T4
1985T2
1985T4
1986T2
1986T4
1987T2
1987T4
1988T2
1988T4
1989T2
1989T4
1990T2
1990T4
1991T2
1991T4
1992T2
1992T4
1993T2
1993T4
1994T2
1994T4
1995T2
1995T4
1996T2
1996T4
1997T2
1997T4
1998T2
6
6,5
7
7,5
8
8,5
9
9,5
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FBCF des sociétés non-financières et des EI - valeurs aux prix courants (données CVS)
activité d'émissions d'actions nouvelles sur le compartiment primaire du marché boursier
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L’examen de ce graphique révèle des fluctuations importantes de l’activité
d’émissions d’actions sur le marché ; c’est-à-dire l’existence de pics conjoncturels en
1986, au début de 1991 et de 1994, suivis de creux conjoncturels fin 1982, au second
trimestre 1988, et en 1995. Le troisième trimestre de 1993 correspond à une période où
le niveau d’activité d’émissions a été particulièrement important, en valeur absolue. La
collecte de 19,88 milliards de francs, représentant plus de 2 % du PIB du trimestre,
correspond à la réalisation de 17 émissions de titres de capital1. Dans un contexte d’une
croissance économique française de 30 % sur la période d’observation, l’investissement
des entreprises ne semble cependant pas financé par les actionnaires, puisque les
volumes d’émissions diminuent entre 1983 et 1997. Il serait alors tentant de s’interroger
sur l’attention particulière portée à la rémunération d’un actionnaire, dont la part dans la
production de la nation semble diminuer ou dont l’utilisation par les dirigeants pourrait
être moindre que par le passé. Au demeurant, l’interrogation porte aussi sur les raisons
pour lesquelles ces derniers font appel plus intensément aux actionnaires pour assurer
les besoins de financement de l’activité de leurs entreprises, à un moment particulier,
correspondant semble-t-il, aux périodes d’expansion de l’économie française.
L’hypothèse traditionnelle de la théorie du financement hiérarchique (Myers,
1984 ; Myers et Majluf, 1984), suggère que, si le coût de la sélection adverse2 est plus
faible à certains moments, l’entreprise devrait profiter de cette opportunité pour placer
ses titres. Des concentrations des émissions d’actions durant ces périodes pourraient
s’expliquer par les variations des coûts d’émissions d’actions associées aux phases du
cycle économique (voir notamment Choe, Masulis et Nanda, 1993). Qui plus est, les
fluctuations des volumes d’émissions devraient traduire, au niveau micro (au sens de
« dans le détail »), que les entreprises utilisent, plus ou moins selon les périodes, les
nouveaux fonds propres comme une source de financement de leurs investissements.
1 Selon les informations fournies dans les rapports annuels de la Commission des Opérations de
Bourses, les principales émissions sont Cie BULL (visa 651 du 13/12/93) pour 8 549,78 milliards de
francs, Générale des eaux (visa 546 du 03/11/93) pour 4 133,35 M.F., Schneider (absa, visa 492 du
13/10/93) pour 3 178,81 M.F., Crédit Foncier de France (visa 525 du 22/10/93) pour 1 482,31 M.F.
2 Lorsqu’un acheteur ne peut pas anticiper aisément la qualité d’un bien ou d’un service qu’il
recevra, la qualité des produits offerts par le vendeur attiré par le contrat avant la transaction est faible, ce
qui constitue un coût d’opportunité (Milgrom et Roberts, 1992, p. 166).
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Néanmoins, ce phénomène de concentrations des émissions d’actions n’est-il pas
un leurre au niveau local, de chaque entreprise ? La préférence pour les fonds propres
pourrait résulter de la nature de l’investissement ou d’une substitution entre les sources
de financement à disposition des dirigeants ? L’intérêt d’une explication plus précise de
ces phénomènes pour les gestionnaires financiers est évident. L’identification des
contraintes et des opportunités dans l’environnement, puis la compréhension des
comportements d’arbitrage des partenaires financiers, leur permettent de mettre en place
les architectures organisationnelles3. Chacune peut conduire à obtenir et à utiliser les
ressources de financement (y compris internes), en quantité suffisante et à moindre coût
(avec efficacité et efficience), en plaçant au mieux les titres de l’entreprise sur les
marchés financiers (définition de la politique de financement4).
L’objet de cette recherche consiste à comprendre les choix de financement
effectués par les dirigeants et, en particulier, à tenter d’expliquer leurs évolutions selon
le contexte économique et boursier. La direction de l’entreprise planifie quelles sortes
de titres doivent être émis et à quelle date. Deux dimensions apparaissent fondamentales
afin d’appréhender cet objet : d’une part, la nature du financement externe5 informant
sur les modes de gouvernance des transactions financières ; d’autre part, le calendrier
des émissions visant à cerner la nature du contexte dans lequel les relations
contractuelles se dérouleront.
Le sujet se situe à l’intersection des champs théoriques de la finance et de
l’approche contractuelle des organisations, qui proposent plusieurs déterminants de la
politique de financement des entreprises susceptibles d’expliquer son évolution dans le
3 Cette notion correspond au système allouant les droits décisionnels sur les ressources entre les
partenaires de l’entreprise, au système d’évaluation et de mesure de sa performance et au système
d’incitation, de rémunération et de contrôle des individus (Jensen, 1983 ; Jensen et Meckling, 1992 ;
Charreaux, 1997 ; Brickley et al., 1998)
4 Plus généralement, la politique financière participe à la définition de l’architecture
organisationnelle, et à ce titre, peut être considérée comme un instrument à la disposition des dirigeants
visant à mettre en œuvre des aménagements satisfaisant leurs propres intérêts éventuellement au
détriment des autres partenaires, financiers ou non, de l’entreprise.
5 La structure de financement correspond aux proportions pour lesquelles les sources de
financement interviennent dans la composition des flux de fonds permanents d’une entreprise. Autrement
dit, la structure de financement représente la nature (fonds propres ou dettes financières) des moyens
monétaires mis en œuvre pour financer ses actifs (Fama, 1990 b ; Cobbaut, 1992).
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temps (§A). L’intérêt de cette recherche est de nouer, selon les perspectives théoriques,
la politique de financement et les fluctuations économiques (§B). La solution proposée
pour confronter les théories et les éprouver empiriquement consiste à articuler les
champs théoriques en mixant leurs niveaux d’analyse grâce à plusieurs estimateurs
empiriques (§C). Cette mise en scène de la problématique permet de formuler les
questions de recherche de la thèse, et les lignes directrices qu’elle retient, dans un
dernier lieu (§D).
A) Les déterminants des choix de financement dans la théorie de la finance
organisationnelle
L’hypothèse fédératrice du paradigme de la finance organisationnelle, dans
lequel s’inscrit ce travail, est que les individus cherchant à satisfaire leurs propres
intérêts agissent, intentionnellement ou spontanément, de manière à minimiser les coûts
de fonctionnement de l’organisation. Dans ce cadre analytique, les individus peuvent
adapter l’architecture organisationnelle de leur coopération à l’environnement afin d’en
assurer la survie. Dans ce sens, la politique de financement réellement suivie par
l’entreprise peut être le résultat des actions de chacun des partenaires. Deux
perspectives permettent de mettre en évidence la substance des problématiques liées à la
structure de financement des entreprises.
La première approche consiste à faire apparaître les mécanismes
organisationnels comme un jeu contractuel entre différents partenaires conduisant à un
équilibre organisationnel6. La politique de financement correspond alors à un moyen de
réduire, au mieux de résoudre, les conflits d’intérêts entre les agents liés à une
divergence de leurs objectifs et à l’asymétrie informationnelle (Harris et Raviv, 1991 ;
Charreaux, 1999). La nature du financement de l’entreprise peut être déterminée par la
demande de titres exprimée par ses partenaires financiers actuels ou potentiels. Sous cet
6 Jensen, Meckling, Baker et Wruck (1998), dans le cadre du cours « Coordination, Control, and
the Management of Organizations » à Harvard, reprennent le terme de règles du jeu utilisé par North
(1990).
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angle théorique, pour les dirigeants, la structure de financement est contrainte par les
partenaires. Toutefois, d’autres configurations existent.
La seconde approche considère que les décisions financières peuvent résulter de
l’émergence et de la poursuite d’une stratégie personnelle par les dirigeants (recherche
d’indépendance, volonté d’enracinement…), c’est-à-dire de leur liberté d’action dans un
jeu contractuellement incomplet. Selon l’approche privilégiée par Charreaux (1997) et
par Wirtz (2002), les décisions financières majeures apparaissent liées à des problèmes
de contrôle et de discipline des dirigeants, et plus précisément ici, de leur volonté
d’indépendance. Les choix de financement optimums pour un dirigeant sont ceux qui
minimisent la contrainte des mécanismes de gouvernance de l’entreprise sur les choix
d’investissement et de financement. Au total, la nature du financement de l’entreprise
peut être déterminée par l’offre de titres exprimée par ses dirigeants (par exemple
Zwiebel, 1996). Sous cet angle théorique, pour les partenaires, la structure de
financement est contrainte par les dirigeants.
Cette logique, dédoublant les approches théoriques, a déjà été retenue en
finance. Levasseur et Quintart (2000) ont procédé ainsi en considérant que la capacité
d’endettement dépend de facteurs exogènes (les choix des partenaires) et endogènes (les
choix des dirigeants). Dans cette thèse, ces perspectives théoriques du financement, qui
devraient permettre d’améliorer la compréhension de la politique des dirigeants, sont
présentées dans le détail ci-dessous dans le souci de confrontation des déterminants de
la structure de financement.
1/ Les décisions de financement comme résultantes d’un processus de négociation
Cette approche consiste à appréhender le comportement d’une organisation à
partir de celui des acteurs la composant. La structure de financement, résultante de la
négociation entre les partenaires financiers de la firme, correspond à l’équilibre des
forces de marché qu’ils représentent. Les systèmes de financement s’intègrent dans
l’architecture organisationnelle, les règles du jeu (Jensen, 1983 ; Jensen et Meckling,
1992 ; Charreaux, 1997 ; Brickley et al., 1998). L’offre de financement émanant des
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