Fenêtre sur les unités d’urgence neurovasculaire La prise en charge préhospitalière des patients victimes d’un accident vasculaire cérébral ■ L. Derex* es modalités d’hospitalisation d’un patient sont étroitement liées à la nature de la pathologie dont il est atteint et à son traitement éventuel. Ainsi, des systèmes ont été mis en place pour permettre l’identification et le traitement rapides des pathologies pour lesquelles la nécessité d’un traitement d’urgence est bien documentée (infarctus du myocarde, polytraumatisme, etc.). La prise en charge préhospitalière des patients victimes d’une attaque cérébrale devrait évoluer en France dans les années qui viennent. En effet, l’efficacité du traitement précoce de l’infarctus cérébral a été démontrée par l’étude NINDS (National Institute of Neurological Disorders and Stroke) il y a déjà sept ans, et l’Agence européenne du médicament s’est récemment prononcée en faveur de la thrombolyse intraveineuse par l’activateur tissulaire du plasminogène (t-PA) chez certains patients sélectionnés présentant un infarctus cérébral de moins de trois heures. L POURQUOI HOSPITALISER RAPIDEMENT * Unité neuro-vasculaire, hôpital neurologique de Lyon. 36 LES PATIENTS VENANT DE PRÉSENTER UNE ATTAQUE CÉRÉBRALE ? Il est clair que seule une minorité de patients remplit les conditions d’inclusion pour un traitement thrombolytique. Cependant, la diligence du diagnostic précis de leur affection neurologique, facilitée par l’accès rapide à une imagerie cérébrale, permet d’apporter sans délai des soins adaptés à la majorité des patients victimes d’une attaque cérébrale, qu’ils présentent un infarctus ou un hématome intracérébral. Comme nous l’avons déjà énoncé, l’admission précoce est une condition indispensable dans l’optique d’une thérapeutique de revascularisation en cas d’ischémie cérébrale. L’étude NINDS a montré que les patients recevant le t-PA dans les trois heures voient leurs chances d’être indemnes de tout déficit neurologique ou d’être porteurs d’un déficit minime augmentées d’au moins 30 % par rapport à ceux recevant le placebo. Le bénéfice clinique se maintient à un an, avec une augmentation de 11 à 13 %, en valeur absolue, du taux de récupération clinique complète ou presque complète dans le groupe t-PA. Ces résultats ont amené la Food and Drug Administration à autoriser, en juin 1996, aux États-Unis, l’utilisation du t-PA par voie intraveineuse chez les patients victimes d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique datant de moins de trois heures. Les études de phase IV montrent la faisabilité de la thrombolyse cérébrale lorsque les critères de sélection des patients sont respectés, avec une sécurité et une efficacité comparables à celles des résultats de l’étude NINDS. Cependant, et en dépit, par ailleurs, de la pertinence économique démontrée du traitement, moins de 5 % des patients victimes d’AVC sont actuellement traités par le t-PA aux États-Unis. Le délai excessif d’hospitalisation des patients demeure le principal facteur limitant leur traitement en urgence. Face à ce véritable défi du traitement hyperprécoce des patients victimes d’un accident ischémique cérébral, encore souligné par le bénéfice particulier observé chez les 48 % de patients traités dans les 90 premières minutes dans l’étude NINDS, une chaîne de la prise en charge organisée doit être mise en place pour une hospitalisation et une évaluation diagnostique et thérapeutique aussi rapides que possible. En France, en 2002, le t-PA n’a pas encore reçu d’autorisation de mise sur le marché dans l’indication “infarctus cérébral”. La Société française neuro-vasculaire s’est prononcée en faveur de l’efficacité de la thrombolyse par le t-PA intraveineux dans les trois premières heures, mais a souligné que les essais cliniques Correspondances en neurologie vasculaire - n° 1-2 - Vol. III - 1er et 2e trimestres 2003 démontrant cette efficacité avaient été conduits dans des centres spécialisés dans la prise en charge des AVC. Ainsi, la généralisation du traitement, si elle devait intervenir en France, devrait aller de pair avec la mise en place d’unités neuro-vasculaires (UNV). Du fait des risques hémorragiques en cas de sélection inadéquate des patients, la thrombolyse ne peut être proposée aux patients venant de présenter un AVC que dans un centre d’expertise diagnostique et thérapeutique neuro-vasculaire, permettant également la surveillance attentive et le traitement des complications éventuelles. OÙ HOSPITALISER CES PATIENTS ? Il a été clairement démontré que la prise en charge des patients victimes d’une attaque cérébrale par des UNV spécialisées réduit la mortalité, la dépendance et la nécessité d’une institutionnalisation au long cours, comparativement à leur prise en charge par des services de médecine non spécialisés. Il est possible d’éviter un décès ou une institutionnalisation pour chaque groupe de 11 patients traités dans une UNV. Les UNV sont organisées autour d’une équipe multidisciplinaire et coordonnée spécialisée dans la prise en charge des AVC, de filières de soins organisées avec les structures préhospitalières (services d’accueil des urgences, SAMU, pompiers…), avec un réseau spécialisé dans la réinsertion des patients comprenant notamment des services de rééducation. Ces caractéristiques sont habituellement absentes des services de soins conventionnels. Les différences les plus notables entre les UNV et les services non spécialisés sont le niveau de spécialisation et d’intérêt du personnel vis-à-vis de l’AVC, le niveau de coordination interdisciplinaire, ainsi que l’implication du personnel soignant dans la rééducation. La durée de séjour des patients hospitalisés dans une UNV peut être réduite d’environ 30 % par rapport à celle des patients hospitalisés en unité non spécialisée. Même si les coûts d’hospitalisation à la phase aiguë sont plus élevés dans les UNV, la réduction de la durée d’hospitalisation et du nombre de transferts en soins de suite devrait permettre de réaliser des économies sur la prise en charge globale de ces patients. L’admission dans une UNV de tous les patients victimes d’AVC doit théoriquement être facilitée, quel que soit le délai depuis l’installation Correspondances en neurologie vasculaire - n° 1-2 - Vol. III - 1er et 2e trimestres 2003 des symptômes, car les UNV ont démontré qu’elles réduisaient la mortalité, la dépendance et l’institutionnalisation, indépendamment de tout traitement spécifique comme la thrombolyse, avec ses contraintes horaires. En pratique, l’admission de la majorité des patients victimes d’AVC dans une UNV, bien que souhaitable, est actuellement impossible en France du fait du nombre insuffisant de ces unités spécialisées. En raison de coûts relativement limités, des UNV devraient être créées dans toutes les grandes villes françaises afin d’assurer l’accès à des soins spécialisés et efficaces d’une majorité des patients victimes d’AVC, et non uniquement à moins de 5 % d’entre eux, comme cela est le cas actuellement. Si l’accès à une UNV est impossible, le patient doit alors être adressé à un service d’accueil des urgences sélectionné sur sa capacité à réaliser immédiatement un scanner cérébral et à contacter 24 heures/24 un médecin expert en pathologie neuro-vasculaire, afin d’orienter la prise en charge du patient. COMMENT RÉDUIRE LE DÉLAI D’ADMISSION DES PATIENTS PRÉSENTANT UNE ATTAQUE CÉRÉBRALE ? Nous avons évalué de façon prospective le délai d’admission de 166 patients consécutifs venant de présenter un AVC, hospitalisés en première intention dans l’UNV de l’hôpital neurologique de Lyon (service du Pr Paul Trouillas), du 2 juillet 1998 au 2 juillet 1999, et analysé les facteurs d’admission précoce. Il faut garder à l’esprit que ces résultats reflètent les modalités d’admission de patients dans une UNV et ne sont donc pas généralisables à tous les patients. Ils montrent que l’hospitalisation est possible dans la “fenêtre thérapeutique” des premières heures dans une UNV française. Le délai moyen entre l’installation des symptômes d’AVC et l’arrivée dans l’unité fut de 5 heures 10 minutes (ET = 4 heures). La médiane fut de 4 heures 5 minutes. Près de 30 % des patients bénéficient d’un scanner cérébral dans les trois premières heures, ce qui autoriserait le traitement par le t-PA intraveineux selon les critères de l’étude NINDS. Environ 75 % des patients sont admis dans les six premières heures. Les patients admis dans cette fenêtre horaire pourront peut-être, à l’avenir, bénéficier de l’inclusion dans des protocoles de revascularisation, 37 Fenêtre sur les unités d’urgence neurovasculaire éventuellement sur la base d’une sélection préthérapeutique par l’IRM de patients présentant une occlusion artérielle et chez lesquels la démonstration de l’existence d’un “tissu cérébral à risque” d’évolution vers la nécrose pourrait être faite. Par ailleurs, seuls 15 % des patients sont transportés par le SAMU et 20 % par les pompiers, alors que ces modes de transport sont associés aux délais d’admission les plus courts. Les patients transportés par le SAMU (délai moyen = 190 mn, ET = 70) ou les pompiers (délai moyen = 222 mn, ET = 105) le sont significativement plus tôt que ceux transportés par un autre moyen (délai moyen = 334 mn, ET = 256). Les patients admis dans les trois premières heures ont significativement plus de chances d’être transportés par le SAMU ou les pompiers. La chaîne de prise en charge préhospitalière des patients victimes d’une attaque cérébrale pourrait être améliorée par une réorganisation du système de santé fondée sur la reconnaissance de l’AVC, au même titre que l’infarctus du myocarde, comme une extrême urgence médicale et une priorité du transport rapide par ambulance. De nombreuses études ont montré que l’appel du médecin généraliste est un facteur accroissant le délai d’hospitalisation en cas d’AVC. Dans notre expérience, ne pas appeler le médecin traitant donne 3,7 fois plus de chances d’être transporté à l’hôpital par le SAMU ou les pompiers. La recherche d’un avis médical préalable à l’hospitalisation n’est pas une stratégie efficace d’admission précoce. Un contact direct des patients ou de leurs proches avec le centre téléphonique d’urgence (le 15) est susceptible de réduire le délai d’hospitalisation. Dans notre analyse, pour une augmentation de un point du score NIHSS (AVC plus sévère), les chances d’être transporté par le SAMU ou les pompiers sont multipliées par 1,07. Cependant, tous les patients, y compris ceux victimes d’un accident apparemment peu sévère, devraient être encouragés à rechercher une hospitalisation immédiate. Les professionnels de santé doivent aussi veiller à faire hospitaliser en urgence tous les patients victimes d’une attaque cérébrale. En effet, environ un tiers des patients aux symptômes neurologiques initiaux légers ou modérés vont présenter une aggravation clinique précoce et marquée. 38 De façon intrigante, nous avons observé que les femmes ont environ deux fois plus de chances que les hommes d’être transportées par le SAMU ou les pompiers. Les hommes sont-ils plus réticents à rechercher une aide médicale en urgence ? La réaction immédiate face aux symptômes est un élément essentiel de la chaîne de la prise en charge. En effet, les symptômes d’AVC sont observés en premier par le patient ou son entourage dans environ 90 % des cas, exceptionnellement par un médecin. Dans notre expérience, seulement 8 % des patients et de leur entourage ont observé un attentisme initial. La recherche d’une aide médicale rapide, si elle est majoritaire, est aussi très hétérogène : appel du médecin traitant dans 28 % des cas, de SOS Médecins ou du médecin de garde dans 20 % des cas, des pompiers dans 17 % des cas. Le SAMU n’est appelé en première intention que dans 19 % des cas. Cela montre qu’il n’existe pas actuellement de message clair relayé dans le public français concernant la conduite à tenir face à l’attaque cérébrale. Cela est sans doute lié à un manque de connaissance des symptômes évocateurs d’AVC et de prise de conscience de la nécessité d’une hospitalisation urgente face à leur survenue. Si 93 % des patients hospitalisés dans l’unité pour une attaque cérébrale considèrent l’AVC comme une urgence, 42 % d’entre eux ne peuvent citer un seul symptôme évocateur d’AVC, et 36 % ne peuvent citer un seul facteur de risque. Ces pourcentages sont supérieurs à ceux observés dans la population générale, où environ 25 % des personnes ne connaissent aucun symptôme ou facteur de risque d’AVC. Les personnes venant de présenter un AVC sont donc les moins susceptibles de reconnaître leurs symptômes comme étant ceux d’un AVC. Cela souligne la nécessité d’un message d’information très simple, susceptible d’être retenu facilement. Les campagnes médiatiques devraient insister sur la description de quelques symptômes fréquents, facilement identifiables et évocateurs d’AVC (faiblesse d’un membre, engourdissement d’un membre, trouble du langage, maux de tête soudains, perte d’équilibre). Toute campagne d’éducation du public concernant les symptômes d’AVC devrait inclure la consigne qu’une personne identifiant ces symptômes, chez elle ou chez une autre personne, doit appeler le centre téléphonique d’urgence (le 15) en vue d’une hospitalisation immédiate. Correspondances en neurologie vasculaire - n° 1-2 - Vol. III - 1er et 2e trimestres 2003 sans délai. Des systèmes de réponse hospitalière efficace devraient être mis en place dans les hôpitaux accueillant des patients victimes d’une attaque cérébrale, incluant l’organisation de la réalisation du scanner dans des délais appropriés à la sélection des patients pouvant bénéficier d’un traitement de revascularisation. COMMENT RÉDUIRE LE DÉLAI DE PRISE EN CHARGE INTRAHOSPITALIER À LA PHASE AIGUË ? Un autre élément crucial de la prise en charge de l’attaque cérébrale est le délai de réalisation des investigations paracliniques nécessaires, en particulier le scanner cérébral, avant l’initiation d’un éventuel traitement thrombolytique. Dans notre expérience, après entente téléphonique avec le radiologue et afin de limiter la perte de temps liée aux transferts intrahospitaliers, le patient est amené directement par l’ambulance au scanner, où il est examiné par le neurologue avant l’admission dans l’UNV. Ainsi, nous avons observé un délai moyen entre l’installation des symptômes et la réalisation du scanner de 4 heures 43 minutes, largement inférieur à 6 heures, mais qui doit encore être amélioré. Cela souligne le rôle d’une étroite coopération entre neurologues et radiologues, l’importance de la notification de l’arrivée imminente d’un patient suspect d’AVC auprès de l’équipe de radiologie et de la disponibilité permanente de cette équipe afin que le scanner cérébral soit réalisé Le NINDS recommande les fenêtres horaires suivantes lors de la prise en charge d’un patient victime d’AVC : un médecin devrait examiner le patient dans les 10 minutes suivant son arrivée dans le service d’accueil des urgences ; un médecin expert dans le traitement de l’AVC devrait être prévenu de la présence du patient dans le service d’accueil des urgences dans les 15 minutes ; le scanner cérébral devrait être réalisé et interprété dans les 45 minutes ; en cas d’AVC ischémique, le traitement thrombolytique devrait être initié dans les 60 minutes suivant l’admission. Ces recommandations peuvent sembler utopiques pour l’instant dans de nombreux hôpitaux. Aux cliniciens et aux radiologues de jouer, maintenant, pour optimiser la prise en charge des patients victimes d’une attaque cérébrale ! À découper ou à photocopier O UI, JE M’ABONNE AU Trimestriel Correspondances en neurologie vasculaire Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. ABONNEMENT : 1 an ÉTRANGER (AUTRE FRANCE/DOM-TOM/EUROPE ❐ ❐ ❐ à l’attention de .............................................................................. 60 € collectivités 48 € particuliers 30 € étudiants* *joindre la photocopie de la carte ❏ Particulier ou étudiant *joindre la photocopie de la carte + M., Mme, Mlle ................................................................................ Prénom .......................................................................................... QU’EUROPE) 80 € collectivités 68 € particuliers 50 € étudiants* ❐ ❐ ❐ ET POUR 10 € DE PLUS ! ❐ 10 €, accès illimité aux 26 revues de notre groupe de presse disponibles sur notre site vivactis-media.com (adresse e-mail gratuite) Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale ❏ autre.......................... + RELIURE Adresse e-mail ............................................................................... ❐ 10 € avec un abonnement ou un réabonnement Adresse postale ............................................................................. Total à régler ...................................................................................................... MODE Code postal ........................Ville …………………………………… ❐ carte Visa, Eurocard Mastercard Pays................................................................................................ Signature : Tél.................................................................................................. ❐ chèque (à établir à l'ordre de Correspondances en neurologie vasculaire) ❐ virement bancaire à réception de facture (réservé aux collectivités) Merci de joindre votre dernière étiquette-adresse en cas de réabonnement, changement d’adresse ou demande de renseignements. DE PAIEMENT .......... À remplir par le souscripteur N° CNV1-2-Vol. III Date d’expiration DATEBE - 62-64, rue Jean-Jaurès - 92800 Puteaux Tél. : 01 41 45 80 00 - Fax : 01 41 45 80 25 - E-mail : [email protected] Correspondances en neurologie vasculaire - n° 1-2 - Vol. III - 1er et 2e trimestres 2003 € 39