S
i l’Institut de recherche
interuniversitaire Wel-
bio, outil créé par la Ré-
gion wallonne, a dévoilé
vendredi, à Liège, le con-
tenu des huit recherches dans le
domaine des sciences du vivant
qui ont décroché un nouveau fi-
nancement de 200.000 ou
400.000 euros, c’est que cette in-
jection entend aider la Wallonie
à mieux s’inscrire dans la course
mondiale pour décrocher des
parts du marché croissant de ce
secteur d’activités, très concur-
rentiel. Et si la Wallonie peut affi-
cher un tissu de recherche dense
et de haute qualité, c’est un atout
qui est menacé par de nombreux
acteurs des pays émergents.
C’est dire que c’est autant com-
me ministre de l’Economie et du
Commerce extérieur que des
Technologies nouvelles que le mi-
nistre wallon Jean-Claude Mar-
court a salué cette nouvelle vague
de financement : « Cela vise à
soutenir l’emploi dans des sec-
teurs innovants tout en répon-
dant à des enjeux sociétaux com-
me le cancer ou le vieillissement.
Les activités de Welbio font par-
faitement écho à l’objectif du
Plan Marshall de stimuler l’excel-
lence wallonne à l’échelle euro-
péenne ou mondiale. »
Si la valorisation des résultats
en applications médicales, phar-
maceutiques et vétérinaires reste
en tête des préoccupations de l’or-
ganisme, dont la présidence a été
symboliquement confiée à Jean
Stéphenne, ancien patron de la
multinationale pharmaceutique
GSK Vaccins, le principe n’est
pas d’obliger le chercheur à con-
clure très vite sur une application
« rentable », mais de lui permet-
tre une recherche très pointue,
comme sur l’immunothérapie du
cancer ou sur la maladie du som-
meil. Tout en croisant les doigts
pour que la solution du problème
scientifique puisse être traduite
en jackpot en termes d’activités
économiques et industrielles…
Le projet, qui dispose d’un bud-
get de 6 millions, s’adresse à tou-
tes les universités de la Commu-
nauté française. C’est la deuxiè-
me campagne du genre : en
2010, la première avait sélection-
né 15 projets. Les 8 nouveaux pro-
jets couvrent des sujets très va-
riés comme l’obésité, le diabète
de type 2, les maladies inflamma-
toires de l’intestin, l’asthme et la
mucoviscidose. Parmi ceux-ci, ce-
lui porté par le professeur Patrice
Cani, de l’UCL, qui vise à réguler
le dialogue entre les bactéries in-
testinales et notre organisme (li-
re ci-dessous).
Parmi les projets déjà en cours,
on trouve des recherches pour
mieux comprendre les causes des
cancers du sein et de la peau,
mais aussi des maladies neurolo-
giques. Des recherches dont les
auteurs ont déjà été récompensés
par des publications de très haut
niveau dans Nature ou Science.
La preuve que cela fonctionne,
pour les responsables de Welbio.
« Afin d’en assurer l’excellence,
la sélection des projets retenus est
faite par un jury international
de haut niveau, explique Vincia-
ne Gaussin, directeur général. La
question de la valorisation est
abordée dès le démarrage du pro-
jet par un soutien actif au cher-
cheur. Celui-ci a envie de publier
au plus vite, afin d’établir la pri-
meur de sa découverte sur d’au-
tres recherches simultanées.
Mais il doit veiller aussi à dépo-
ser, au bon moment, une deman-
de de brevet sur une partie de ses
résultats qui ont le potentiel
d’être valorisés. Les deux démar-
ches doivent être coordonnées.
Vient ensuite la recherche d’un
partenaire industriel ou la créa-
tion d’une spin-off pour valoriser
au mieux la découverte. La décou-
verte de données innovantes en re-
cherche fondamentale peut, par
nature, aboutir à des applica-
tions industrielles. Mais pour
que cela ne constitue pas un frein
à la liberté du chercheur, il faut
que la recherche du potentiel d’ap-
plication soit simultanée à la re-
cherche fondamentale menée
dans le labo. » Au stade ulté-
rieur, le développement des dé-
couvertes éventuelles peut être in-
tégré par exemple dans Wagra-
lim, le réseau wallon d’entrepri-
ses et d’acteurs agro-industriels
ou BioWin, le pôle wallon de com-
pétitivité dans les domaines des
biotechnologies et de la santé.
FRÉDÉRIC SOUMOIS
Le diabète, une pandémie croissante
D’après l’OMS, 347 millions de personnes sont déjà diabéti-
ques dans le monde et ce chiffre devrait doubler d’ici 2030. En
Belgique, ils seraient 600.000, dont la moitié l’ignore encore,
les symptômes restant souvent discrets au début de la maladie.
Le diabète tue environ 4 millions de personnes par an. Plus de
80 % des décès par diabète se produisent dans des pays à reve-
nu faible ou intermédiaire, souvent par manque de soins.
Si l’excès de poids, une alimentation déséquilibrée et le manque
d’activité physique sont clairement des facteurs de risques, ses
causes précises sont encore largement inconnues. Selon les der-
nières données de l’Observatoire de la santé du Hainaut, 10 %
des jeunes de 13 à 16 ans présentent déjà un risque élevé de dé-
velopper un diabète de type 2. L’Observatoire révèle que 54 %
des jeunes ne mangent pas au moins une portion de légumes
par jour et que près de 64 % ne consomment pas un fruit quoti-
diennement. Entre 10 et 16 ans, 1 sur 5 est en surcharge pondé-
rale et 1 sur 10 déjà obèse. FR.SO
C
ette recherche est basée sur
la constatation que la com-
position du microbiote intesti-
nal est très différente entre les in-
dividus obèses et minces. Cela
rend plausible le lien direct entre
les bactéries de la flore intestina-
le et le métabolisme énergéti-
que », explique le professeur Pa-
trice Cani, chercheur au Louvain
Drug Research Institute de
l’UCL, dont le projet de recher-
ches vient de décrocher une des
huit bourses de Welbio.
« Nous avons découvert que
ces bactéries de la flore étaient ca-
pables de moduler certains pro-
cessus du métabolisme qui contri-
buent au développement des ma-
ladies associées à l’obésité, com-
me le diabète de type 2. Il est clair
également que l’obésité et le diabè-
te de type 2 sont associés à un
état inflammatoire permanent,
qui reste “à bas bruit” mais qui,
en sollicitant le système immuni-
taire, peut expliquer le déclenche-
ment des maladies. L’enjeu est
fondamental, puisque la moitié
des gens qui deviennent diabéti-
ques étaient obèses au préalable
et que le quart des maladies car-
diovasculaires peut être directe-
ment lié à l’obésité. Nos recher-
ches ont montré que les milliards
de bactéries intestinales n’agis-
sent pas seules, mais sont directe-
ment connectées non seulement
avec notre système immunitaire,
mais également avec un système
appelé endocannabinoïde », qui
régule notamment des messages
de récompense et de satiété en-
tre système digestif et cerveau.
« Ce système est constitué de mo-
lécules messagères et de récep-
teurs sur lesquels elles se fixent.
Ces récepteurs ont été découverts
dans le cerveau, mais on les trou-
ve aussi ailleurs : intestin, tissus
adipeux, foie. »
Pour le chercheur, il est cer-
tain que ces trois systèmes de no-
tre corps interagissent entre eux.
Quand cela fonctionne correcte-
ment, ils s’équilibrent. Par con-
tre, leur déséquilibre est proba-
blement à la base des maladies
métaboliques comme le diabète.
« Notre projet vise précisément à
comprendre les mécanismes mo-
léculaires de l’interaction entre le
microbiote de l’intestin et les sys-
tèmes immunitaire et endo-
cannabinoïde dans les différents
organes. Identifier quelles molé-
cules interagissent entre ces trois
systèmes donne l’espoir d’identi-
fier de nouvelles cibles thérapeu-
tiques ou des bactéries qui pour-
raient s’avérer utiles pour la pri-
se en charge de l’obésité ou du dia-
bète de type 2 », explique le cher-
cheur.
Celui-ci a en effet mené des
projets visant à vérifier l’efficaci-
té de certains prébiotiques ou
probiotiques qui peuvent modi-
fier la flore intestinale. Ainsi, il a
précédemment montré qu’en ma-
nipulant la flore intestinale de la
souris obèse par des aliments pré-
biotiques, on peut enrayer ce phé-
nomène. Ces prébiotiques spéci-
fiques modifient le microbiote in-
testinal et augmentent entre au-
tres les bactéries bénéfiques de
l’intestin, comme les bifidobac-
téries et lactobacilles, incitant
l’intestin à produire, en plus
grande quantité, une hormone
positive pour sa propre santé, le
GLP-2.
« Ce projet-ci est encore plus
large, puisqu’il tend à identifier
les mécanismes moléculaires qui
expliquent notamment ce résul-
tat ou qui révèlent comment les
micro-organismes qui protègent
d’habitude la barrière intestina-
le sont mis en défaut, laissant
passer des bactéries néfastes
pour l’organisme. La découverte
de ces mécanismes peut aboutir à
identifier des molécules ou des
métabolites produits par ces bac-
téries qui pourraient réguler le
système global. Cela multiplie les
cibles potentielles. » A cette fin,
l’équipe de chercheurs dispose
de souris qui affichent une mu-
tation génétique qui mime
l’action de ce mécanisme
dans différents organes :
intestin, foie, tissu adi-
peux. Bien entendu, une
fois dévoilé les mécanismes
qui expliquent comment les
bactéries intestinales contrô-
lent le système de régulation de
l’appétit, il faudra également
imaginer comment les modifier.
Quelle forme cette
« potion magique »
pourrait-elle
prendre ?
« Peut-être une bactérie, peut-
être une collection d’entre elles,
mais cela pourrait aussi être une
molécule très abondante dans
l’alimentation ou produite par
les bactéries elles-mêmes et dont
la consommation plus abondan-
te pourrait réguler le système. A
ce stade, rien ne permet de le dire.
Mais en quatre ans, nous avance-
rons, c’est sûr. »
Mais n’est-ce pas chercher une
aiguille dans une meule de foin ?
« Deux fois dans ma carrière,
j’ai eu la chance de mettre le
doigt sur deux mécanismes po-
tentiellement importants, je suis
confiant. » Et si, demain, la solu-
tion trouvée est abondamment
disponible dans la nature à vil
prix, comment valoriser ces an-
nées de recherche ? « On fait le
pari que ce sera plutôt une solu-
tion que l’on peut breveter, extrai-
re ou concentrer », souligne Vin-
ciane Gaussin, directeur général
de Welbio.
Fr.So
« Le chercheur doit
veiller à déposer
une demande de brevet
au bon moment »
VINCIANE
GAUSSIN, DIRECTRICE DE WELBIO
L’espoir ? Identifier de
nouvelles bactéries qui
pourraient s’avérer
utiles contre l’obésité
La Région wallonne soutient
des projets de recherche
fondamentale. Objectif :
tenter de décrocher le jackpot
des sciences du vivant.
REPÈRES
Au cœur de la flore intestinale, sur la piste
d’une solution contre la pandémie de diabète
Pour le profes-
seur Patrice
Cani, la
solution pour-
rait être une
bactérie ou
une molécule
alimentaire.
©D.R.
L’ÉCONOMIE
Welbio veut doper
la médecine de demain
C’est exactement au cœur de l’intestin, colonisé par des milliards de bactéries (les petits noyaux bleus, à gauche), que les micro-organismes qui protègent
d’habitude la barrière intestinale (au centre, en diagonale) sont probablement mis en défaut, laissant passer des bactéries néfastes. © PATRICE CANI.
FOCUS
Le Soir Samedi 2 et dimanche 3 février 2013
18
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