Le Soir Samedi 2 et dimanche 3 février 2013 FOCUS 18 L’ÉCONOMIE Welbio veut doper la médecine de demain La Région wallonne soutient des projets de recherche fondamentale. Objectif : tenter de décrocher le jackpot des sciences du vivant. S i l’Institut de recherche interuniversitaire Welbio, outil créé par la Région wallonne, a dévoilé vendredi, à Liège, le contenu des huit recherches dans le domaine des sciences du vivant qui ont décroché un nouveau financement de 200.000 ou 400.000 euros, c’est que cette injection entend aider la Wallonie à mieux s’inscrire dans la course mondiale pour décrocher des parts du marché croissant de ce secteur d’activités, très concurrentiel. Et si la Wallonie peut afficher un tissu de recherche dense et de haute qualité, c’est un atout qui est menacé par de nombreux acteurs des pays émergents. C’est dire que c’est autant comme ministre de l’Economie et du Commerce extérieur que des Technologies nouvelles que le ministre wallon Jean-Claude Marcourt a salué cette nouvelle vague de financement : « Cela vise à soutenir l’emploi dans des sec- « Le chercheur doit veiller à déposer une demande de brevet au bon moment » VINCIANE GAUSSIN, DIRECTRICE DE WELBIO teurs innovants tout en répondant à des enjeux sociétaux comme le cancer ou le vieillissement. Les activités de Welbio font parfaitement écho à l’objectif du Plan Marshall de stimuler l’excellence wallonne à l’échelle européenne ou mondiale. » Si la valorisation des résultats en applications médicales, pharmaceutiques et vétérinaires reste en tête des préoccupations de l’organisme, dont la présidence a été symboliquement confiée à Jean Stéphenne, ancien patron de la multinationale pharmaceutique GSK Vaccins, le principe n’est pas d’obliger le chercheur à conclure très vite sur une application « rentable », mais de lui permettre une recherche très pointue, comme sur l’immunothérapie du cancer ou sur la maladie du sommeil. Tout en croisant les doigts pour que la solution du problème scientifique puisse être traduite en jackpot en termes d’activités économiques et industrielles… Le projet, qui dispose d’un budget de 6 millions, s’adresse à toutes les universités de la Commu- nauté française. C’est la deuxième campagne du genre : en 2010, la première avait sélectionné 15 projets. Les 8 nouveaux projets couvrent des sujets très variés comme l’obésité, le diabète de type 2, les maladies inflammatoires de l’intestin, l’asthme et la mucoviscidose. Parmi ceux-ci, celui porté par le professeur Patrice Cani, de l’UCL, qui vise à réguler le dialogue entre les bactéries intestinales et notre organisme (lire ci-dessous). Parmi les projets déjà en cours, on trouve des recherches pour mieux comprendre les causes des cancers du sein et de la peau, mais aussi des maladies neurologiques. Des recherches dont les auteurs ont déjà été récompensés par des publications de très haut niveau dans Nature ou Science. La preuve que cela fonctionne, pour les responsables de Welbio. « Afin d’en assurer l’excellence, la sélection des projets retenus est faite par un jury international de haut niveau, explique Vinciane Gaussin, directeur général. La question de la valorisation est abordée dès le démarrage du projet par un soutien actif au chercheur. Celui-ci a envie de publier au plus vite, afin d’établir la primeur de sa découverte sur d’autres recherches simultanées. Mais il doit veiller aussi à déposer, au bon moment, une demande de brevet sur une partie de ses résultats qui ont le potentiel d’être valorisés. Les deux démarches doivent être coordonnées. Vient ensuite la recherche d’un partenaire industriel ou la création d’une spin-off pour valoriser au mieux la découverte. La découverte de données innovantes en recherche fondamentale peut, par nature, aboutir à des applications industrielles. Mais pour que cela ne constitue pas un frein à la liberté du chercheur, il faut que la recherche du potentiel d’application soit simultanée à la recherche fondamentale menée dans le labo. » Au stade ultérieur, le développement des découvertes éventuelles peut être intégré par exemple dans Wagralim, le réseau wallon d’entreprises et d’acteurs agro-industriels ou BioWin, le pôle wallon de compétitivité dans les domaines des biotechnologies et de la santé. ■ FRÉDÉRIC SOUMOIS REPÈRES Le diabète, une pandémie croissante D’après l’OMS, 347 millions de personnes sont déjà diabétiques dans le monde et ce chiffre devrait doubler d’ici 2030. En Belgique, ils seraient 600.000, dont la moitié l’ignore encore, les symptômes restant souvent discrets au début de la maladie. Le diabète tue environ 4 millions de personnes par an. Plus de 80 % des décès par diabète se produisent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, souvent par manque de soins. Si l’excès de poids, une alimentation déséquilibrée et le manque d’activité physique sont clairement des facteurs de risques, ses causes précises sont encore largement inconnues. Selon les dernières données de l’Observatoire de la santé du Hainaut, 10 % des jeunes de 13 à 16 ans présentent déjà un risque élevé de développer un diabète de type 2. L’Observatoire révèle que 54 % des jeunes ne mangent pas au moins une portion de légumes par jour et que près de 64 % ne consomment pas un fruit quotidiennement. Entre 10 et 16 ans, 1 sur 5 est en surcharge pondérale et 1 sur 10 déjà obèse. FR.SO 1NL C’est exactement au cœur de l’intestin, colonisé par des milliards de bactéries (les petits noyaux bleus, à gauche), que les micro-organismes qui protègent d’habitude la barrière intestinale (au centre, en diagonale) sont probablement mis en défaut, laissant passer des bactéries néfastes. © PATRICE CANI. Au cœur de la flore intestinale, sur la piste d’une solution contre la pandémie de diabète ette recherche est basée sur la constatation que la comC position du microbiote intestinal est très différente entre les individus obèses et minces. Cela rend plausible le lien direct entre les bactéries de la flore intestinale et le métabolisme énergétique », explique le professeur Patrice Cani, chercheur au Louvain Drug Research Institute de l’UCL, dont le projet de recherches vient de décrocher une des huit bourses de Welbio. « Nous avons découvert que ces bactéries de la flore étaient capables de moduler certains processus du métabolisme qui contribuent au développement des maladies associées à l’obésité, comme le diabète de type 2. Il est clair également que l’obésité et le diabète de type 2 sont associés à un état inflammatoire permanent, qui reste “à bas bruit” mais qui, en sollicitant le système immunitaire, peut expliquer le déclenchement des maladies. L’enjeu est fondamental, puisque la moitié des gens qui deviennent diabétiques étaient obèses au préalable et que le quart des maladies cardiovasculaires peut être directement lié à l’obésité. Nos recherches ont montré que les milliards de bactéries intestinales n’agissent pas seules, mais sont directement connectées non seulement avec notre système immunitaire, mais également avec un système appelé endocannabinoïde », qui régule notamment des messages de récompense et de satiété entre système digestif et cerveau. « Ce système est constitué de molécules messagères et de récepteurs sur lesquels elles se fixent. Ces récepteurs ont été découverts dans le cerveau, mais on les trouve aussi ailleurs : intestin, tissus adipeux, foie. » Pour le chercheur, il est certain que ces trois systèmes de notre corps interagissent entre eux. Quand cela fonctionne correctement, ils s’équilibrent. Par contre, leur déséquilibre est probablement à la base des maladies métaboliques comme le diabète. « Notre projet vise précisément à comprendre les mécanismes moléculaires de l’interaction entre le microbiote de l’intestin et les systèmes immunitaire et endocannabinoïde dans les différents organes. Identifier quelles molécules interagissent entre ces trois systèmes donne l’espoir d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques ou des bactéries qui pourraient s’avérer utiles pour la prise en charge de l’obésité ou du diabète de type 2 », explique le chercheur. Celui-ci a en effet mené des projets visant à vérifier l’efficacité de certains prébiotiques ou probiotiques qui peuvent modifier la flore intestinale. Ainsi, il a précédemment montré qu’en manipulant la flore intestinale de la souris obèse par des aliments prébiotiques, on peut enrayer ce phénomène. Ces prébiotiques spécifiques modifient le microbiote intestinal et augmentent entre autres les bactéries bénéfiques de l’intestin, comme les bifidobac- téries et lactobacilles, incitant l’intestin à produire, en plus grande quantité, une hormone positive pour sa propre santé, le GLP-2. « Ce projet-ci est encore plus large, puisqu’il tend à identifier les mécanismes moléculaires qui expliquent notamment ce résultat ou qui révèlent comment les micro-organismes qui protègent d’habitude la barrière intestinale sont mis en défaut, laissant L’espoir ? Identifier de nouvelles bactéries qui pourraient s’avérer utiles contre l’obésité passer des bactéries néfastes pour l’organisme. La découverte de ces mécanismes peut aboutir à identifier des molécules ou des métabolites produits par ces bactéries qui pourraient réguler le système global. Cela multiplie les cibles potentielles. » A cette fin, l’équipe de chercheurs dispose de souris qui affichent une mutation génétique qui mime l’action de ce mécanisme dans différents organes : intestin, foie, tissu adipeux. Bien entendu, une fois dévoilé les mécanismes qui expliquent comment les bactéries intestinales contrôlent le système de régulation de l’appétit, il faudra également imaginer comment les modifier. Quelle forme cette « potion magique » pourrait-elle prendre ? « Peut-être une bactérie, peutêtre une collection d’entre elles, mais cela pourrait aussi être une molécule très abondante dans l’alimentation ou produite par les bactéries elles-mêmes et dont la consommation plus abondante pourrait réguler le système. A ce stade, rien ne permet de le dire. Mais en quatre ans, nous avancerons, c’est sûr. » Mais n’est-ce pas chercher une aiguille dans une meule de foin ? « Deux fois dans ma carrière, j’ai eu la chance de mettre le doigt sur deux mécanismes potentiellement importants, je suis confiant. » Et si, demain, la solution trouvée est abondamment disponible dans la nature à vil prix, comment valoriser ces années de recherche ? « On fait le pari que ce sera plutôt une solution que l’on peut breveter, extraire ou concentrer », souligne Vinciane Gaussin, directeur général de Welbio. ■ Fr.So Pour le professeur Patrice Cani, la solution pourrait être une bactérie ou une molécule alimentaire. © D.R. www.lesoir.be