Pour Milton Friedmann, chef de file des monétaristes, le flottement des monnaies restitue à
la politique monétaire son autonomie ce qui signifie, dans son esprit, donner la priorité
absolue à la lutte contre l’inflation pour préserver la situation des rentiers.
Selon les monétaristes, l’autre avantage du flottement des monnaies est qu’il libère les
« vertus stabilisantes de la spéculation ». L’effet stabilisant tiendrait au fait que les
spéculateurs, agents supposés rationnels, achètent quand les cours sont bas et vendent
quand les cours sont hauts.
Mais ces vertus stabilisantes n’ont jamais été au rendez-vous depuis 1973 et, loin d’avoir
modéré l’instabilité intrinsèque du régime des changes flexibles, la spéculation, facilitée par
la globalisation financière, l’a poussée à son paroxysme.
95 % des opérations réalisées sur les marchés des changes correspondent à des
mouvements financiers indépendants des opérations sur biens et services.
La dynamique des 3 «D »
Si la déréglementation a été l’un de moteurs de la globalisation financière, elle n’en a pas
été le seul. La « désintermédiation » et le « décloisonnement » ont été les deux autres. C’est
la raison pour laquelle on parle souvent de la règle des 3 « D ». Par « désintermédiation » on
entend le recours direct des entreprises aux marchés financiers afin notamment d ‘aller y
chercher des financements, sans passer par le crédit bancaire.
Le « décloisonnement » des marchés correspond à la disparition des frontières
réglementaires entre les marchés interdisant notamment qu’un même établissement puisse
être à la fois banque de dépôt (celle ou est versé notre salaire) et banque d’affaire (celle
dans laquelle notre patron place le montant de la vente de ses stock-options). Ce
« décloisonnement » s’opère vers l’extérieur (ouverture des marchés nationaux) d’une part
mais aussi à l’intérieur par un éclatement des compartiments existant entre marché
monétaire (court terme), marché financiers, marché des changes, marchés à terme.
Les 3 « D » (désintermédiation, dérégulation, décloisonnement) fleurons de la globalisation
financière témoignent du recul en ordre dispersé des Etats face à la dynamique de
l’intégration financière lancée dans les années soixante. Ce faisant, non seulement les Etats
ont accepté de supprimer les entraves à la circulation de masses considérables de capitaux
mais pour tenter de les attirer sur leurs territoires, ils ont aussi renoncé à la majeure partie
de leurs prélèvements fiscaux sur les revenus du capital.
Les évangélistes du marché3
Il est évident que ces mutations sont la conséquence d’une série de choix de nature
politique. Ils sont été inspirés par une idéologie que l’on désigne généralement par le terme
néolibérale. Ce courant s’est organisé très tôt autour d’un certain nombre d’hommes dont
l’un premier est sans doute l’économiste autrichien Friedrich Von Hayeck qui créa dès 1949
la société du Mont Pèlerin dans laquelle on retrouve nombre d’intellectuels comme Milton
Friedmann qui fondera l’école de Chicago, obtiendra le prix Nobel d’économie et sera
l’inspirateur de la politique monétariste chère à Thatcher et à Reagan. La pensée néolibérale
se diffusera en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis tout d’abord par le biais des think tanks
[boîte à penser]. Les plus connus étant l’Institut of Economic Affairs en Angleterre et la
Heritage Foundation aux USA. A ces think tanks viendront s’ajouter le travail de conquête
mené dans les Universités dont l’Ecole de Chicago ou l’Institut des Hautes Etudes
Internationales de Genève sont des exemples et celui conduit dans les médias. C’est
lorsque Margaret Thatcher va prendre le pouvoir en 1979 que cette « logique » va enfin se
transformer en programme de gouvernement avant qu’à son tour, en 1982, Ronald Reagan
ne fasse de même.
3 Keith Dixon, Les évangélistes du Marché, Raisons d’Agir, 1998