Connaissance et information-vfin - Séminaires CIC [communication

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Connaissance et information : une étude comparative critique
Jean Robillard
Téluq-UQÀM
Résumé
Cet article a pour objet une étude comparative de deux concepts, ceux de connaissance et
d’information, sur lesquels se fonde la plupart des théories de la connaissance apparues depuis
la seconde moitié du vingtième siècle, et la philosophie des sciences qui s’en sert à titre de
modèles d’analyse ou de corpus de thèses à vocation explicative ou justificative. Son but est
d’analyser certaines thèses, celles de Dretske en particulier, unissant ces concepts au sein d’un
même domaine théorique dans le but ultime de fonder une théorie de la connaissance sur une
théorie sémantisée de l’information. Nous nous limiterons à quelques thèses choisies en raison
de leur exemplarité et, surtout, de l’influence qu’elles ont exercée au cours de l’histoire
récente de la philosophie de la connaissance et des sciences. La thèse que nous défendrons est
la suivante : à l’encontre de l’usage courant des concepts de connaissance et d’information, il
appert que ces deux concepts ne sont pas réductibles l’un à l’autre, tant sur le plan logique que
sur celui de leur contribution à diverses théories qui les intègrent parmi les concepts
opératoires des explications qu’elles promettent de fournir des objets ou des événements sur
lesquels elles portent.
1. Introduction
The ultimate reality, according to Bohr, is not the thing in itself, but the sum
total of our information, quantified in terms of probabilities, about the thing.
(…) In fancy words, Bohr believed that physics is not about ontology, the
science of essence, but about epistemology, the study of how we know what
we know, and of the limitations to our knowledge. Epistemology, in turn, has
always been concerned with the flow of information (…) : Science is about
information.
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Les concepts de connaissance et d’information sont associés depuis au moins un siècle. Or,
cela n’a pas résulté en une union des plus heureuses. Outre les effets de mode ou de contexte
social, économique et politique, encouragés par des investissements massifs durant et après la
Deuxième Guerre
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, plusieurs chercheurs de tous les horizons des sciences (physiques,
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mathématiques, sociales et humaines) sont en quelque sorte montés dans le train, filant à vive
allure, de la recherche de solutions à des problèmes qui semblaient insolubles ou, du moins,
d’une très grande complexité. Les problèmes en question ont eu trait, entre autres choses, à la
valeur des connaissances dans un univers au sein duquel connaître devint rapidement assimilé
à un acte défini formellement comme une inférence qu’elle soit a) déductive ou b)
inductive, cela dépend de l’accent mis sur a’) la dimension justificatrice de l’analyse
épistémologique ou sur b’) la dimension opposée, en principe du moins, de la découverte de
nouvelles connaissances, laquelle aura motivé un déplacement focal de l’analyse
épistémologique vers les aspects psycho-cognitifs et individuels, voire personnels, de la
structuration des connaissances. À chaque dimension correspondent des problèmes, des
programmes de recherche et des théories et philosophies de la connaissance. Mais depuis plus
de vingt ans on cherche à les réunir. Ce travail vise à interpréter les théories de la
connaissance sous l’angle de la théorie de l’information. Est-ce possible de le faire?
Cet article a pour objet une analyse comparative des concepts de connaissance et
d’information. Son but est d’analyser certaines thèses, celles de Dretske en particulier,
unissant ces concepts au sein d’un même domaine théorique. S’il est juste qu’une étude
détaillée des diverses théories de la connaissance contribueraient à l’éclosion d’une analyse
plus solide par cela même, le contexte d’un article ne s’y prête guère. Nous devrons donc
nous limiter à quelques thèses choisies en raison de leur exemplarité et, surtout, de l’influence
qu’elles ont exercée au cours de l’histoire récente de la philosophie de la connaissance et des
sciences. La thèse que nous défendrons est la suivante : à l’encontre de l’usage courant des
concepts de connaissance et d’information, il appert que ces deux concepts ne sont pas
réductibles l’un à l’autre, tant sur le plan logique que sur celui de leur contribution à diverses
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théories qui les intègrent parmi les concepts opératoires des explications qu’elles promettent
de fournir des objets ou des événements sur lesquels elles portent.
2. Le problème de l’union
La question classique de la science, soit celle de savoir quels sont les objets du monde
observable et comment en expliquer, et les propriétés, et les relations causales que celles-ci
entretiennent entre elles, identifient méta-scientifiquement l’objet de la science. Elle
présuppose en outre que la science est appuyée d’une ontologie propre ou, du moins, et selon
la tradition positiviste logique, que de la science découleront quelques principes avérés
favorisant l’émergence d’une ontologie débarrassée de toute coloration métaphysique. L’idéal
positiviste de la science classique n’aura pas vu que cet objectif était en lui-même appusur
un principe proprement métaphysique, soit celui de la Vérité en tant que principe représentatif
d’un ordre naturel et objet premier de toute connaissance possible et exprimable sous la forme
de « Tables de Lois de la Nature ». Mais il aura fallu que cette science si sûre d’elle-même
introduise dans ses méthodes et ses principes analytiques un principe d’incertitude pour que
cette métaphysique s’écroule lourdement et qu’une nouvelle la remplace aussitôt.
L’incertitude, celle autant de la connaissance acquise par l’application de la méthode
statistique à l’étude des phénomènes de thermodynamique (cf. Maxwell), que celle de la
mesure effectuée par les astronomes (cf. Laplace) en raison de la qualité relative de leurs
instruments, cette incertitude dut être néanmoins solidement appuyée par quelque chose
d’autre, déjà présent dans l’analyse statistique, c’est-à-dire la rationalité probabiliste. Si le
monde est stochastique, alors son explication sera rien de moins que probabilitaire
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. Cette
dichotomie est présente dans l’œuvre de Hempel et fait aussi l’objet d’une vive attention chez
tous les épistémologues et philosophes des sciences qui ont œuvré grosso modo durant la
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période allant de 1930 à 1980, dont les travaux de Popper qui, à cet égard, reviennent
aisément à la mémoire
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.
Mais cette histoire serait bien incomplète s’il fallait ne s’en tenir qu’à ce seul axe d’un
raccourci utile aux seules fins de notre monstration. Car en même temps se tramait le
développement d’une théorie de l’information dont on estima rapidement qu’elle était
susceptible d’applications diverses, insoupçonnées par ses concepteurs mêmes. Entre 1920 et
1950, l’information comme concept et comme objet devint de plus en plus légitime au fur et à
mesure que se veloppaient en parallèle des technologies scientifiques et des résultats de
recherche qui, en physique, en sociologie, ou en économie, contribuèrent à rendre du monde
dans sa totalité une « image » dont la taille de l’échelle déconcertait. De l’infiniment petit à
l’infiniment grand, le regard scientifique ne pouvait plus désormais fournir de ce monde une
description à partir de règles et de lois uniformément valides. À une nouvelle science devait
obligatoirement correspondre une nouvelle philosophie de la science.
Mais il n’était pas nécessairement question que cette philosophie fût, dans son essence, une
ontologie. On retenait malgré tout les leçons viennoises, parfois sans même en dégager les
excès normatifs. Mais peu importe. Cette nouvelle philosophie gagerait de la science les
principes nécessaires à expliquer, enfin!, ce que connaître veut dire et en quoi il suffirait d’en
décrire les mécanismes intimes pour que la science fût pleinement justifiée dans ses principes
et dans ses objectifs; puisque, paradoxalement, le principe de la prépondérance de la
description des mécanismes du développement des connaissances accédait au statut de
principe de justification ultime de la science.
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Entra en scène la théorie de l’information. Shannon, en 1948-49, ussit à formaliser ce que
d’autres avant lui ne surent faire. L’idée géniale fut de s’inspirer de la thermodynamique
de Maxwell, et de mettre en relief
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le concept d’incertitude imbriqué dans le calcul de
l’entropie, afin d’illustrer comment un phénomène de communication non seulement lui
ressemblait, mais trouvait les fondements nécessaires à toute interprétation quelle qu’elle
soit de ce qui se passe lorsqu’un signal quelconque, émis à partir d’une source déterminée,
transite via un canal dont on sait seulement avec assurance qu’il est un lieu de transit
stochastique, et aboutit à l’autre extrémité passablement réduit en force et en clarté, parce que
réduit en nombre; ce phénomène n’est explicable qu’en vertu d’une hypothèse ergodique
stipulant que ce processus aléatoire ne produit d’événement connaissable qu’en vertu de la
considération de la stabilité de la source à partir de laquelle a lieu le transit
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. La probabilité
que la réception des signaux soit quantitativement équivalente à l’entrée et à la sortie du canal
devient ainsi le résultat d’un calcul, le résultat étant que l’information y est ensuite définie
comme la réduction de cette incertitude. Le niveau de grande généralité de cette théorie,
mathématique rappelons-le, permit ensuite plusieurs adaptations et appropriations.
Or, appliquée à d’autres domaines que celui des réseaux de télécommunication d’alors, que
pouvait donc bien signifier une telle théorie? En particulier, si, du point de vue du
développement scientifique, la théorie shannonienne de l’information pouvait servir de
modèle interprétatif aux phénomènes observés, comme par exemple en balisant la recherche
de modèles computationnels des phénomènes physiques ou économiques
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, que pouvait-elle
dire de la connaissance scientifique ou de la connaissance tout court? Ce à quoi l’on assista,
dans un premier temps, c’est à une réinterprétation des processus d’apprentissage, et plus
généralement cognitifs, à partir d’une incorporation, de la part de la psychologie d’inspiration
behavioriste, de la théorie de la communication. La question devint alors de comprendre ce
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