Les douleurs chez les patients atteints de cancers du poumon

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ONCO-PNEUMOLOGIE
Les douleurs chez les patients
atteints de cancers
du poumon : physiopathologie,
diagnostic et traitement
Pain in patients with lung cancer:
pathophysiology diagnosis and treatment
F. Lakdja*, L. Labrèze*, F. Dixmérias*, P.O. Lakdja*, O. Bernard*, M. Baurrault*
C
onstituant une des plus redoutables affections,
le cancer du poumon est celui qui entraîne
le plus de décès dans le monde (1). Après le
diagnostic et malgré le traitement, la survie à 5 ans
n’intéresse que 15 % des patients ; 80 % décèdent
dans l’année suivant le diagnostic (2). Celui-ci est
trop souvent tardif. Les symptômes intriqués sont
très fréquents, surtout en phase avancée : fatigue,
douleurs, toux, dyspnée, aux conséquences physiques
et psychologiques péjoratives expliquant la piètre
qualité de vie. La fin de vie est souvent vécue dans
l’urgence (3). Les douleurs sont présentes dans 47 %
des cas en moyenne, mais ce chiffre s’élève rapidement au fur et à mesure que la maladie évolue et
que les traitements sont prodigués (2), atteignant
90 % en phase ultime de l’affection (4). Les douleurs
peuvent être dues à la présence de la tumeur et/ou à
son extension ; elles sont aussi souvent la conséquence
des procédures diagnostiques et thérapeutiques. Dans
certains cas, elles peuvent être sans relation avec le
cancer et, parfois, les causes sont multiples, intriquées,
ce qui rend plus difficile la prise en charge.
Anatomie
* Centre d’évaluation et de traitement
de la douleur, institut Bergonié, centre
régional de lutte contre le cancer,
Bordeaux.
Sur le plan anatomique, il reste utile de rappeler
l’innervation thoracique (figures 1-4).
L’innervation sensitive des vertèbres, des côtes,
des muscles intercostaux, de la plèvre pariétale
et de la peau dépend des branches antérieures
16 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011
des nerfs intercostaux. La plèvre pariétale apicale
dépend des branches du plexus brachial (C5 à T1). La
partie postérieure des vertèbres (lames, épineuses,
apophyses articulaires) ainsi que la peau des régions
paravertébrales dépendent des branches postérieures
des nerfs somatiques. La branche cutanée postérieure peut innerver des zones très à distance de
la vertèbre d’origine, puisque, par exemple, pour
T12, la zone cutanée correspond à la crête iliaque
postérieure et à la partie haute de la fesse. Les nerfs
intercostaux sont accompagnés d’une branche
sympathique qui assure la vasomotricité, la sudomotricité et la pilo-érection. Les muscles proches de
la ceinture scapulaire (grand pectoral, petit pectoral,
grand dentelé, sus- et sous-épineux) dépendent des
racines cervicales allant de C5 à C8, l’omoplate ellemême recevant une innervation sensitive de C5 à C7.
De toute souffrance de ces racines cervicales peuvent
résulter des douleurs projetées à la partie haute
du thorax, en avant ou en arrière. Pour en terminer
avec l’innervation du contenant, rappelons que le
tiers périphérique du diaphragme dépend des nerfs
intercostaux (T6 à T9), alors que la partie centrale
dépend, comme le péricarde pariétal, des branches
sensitives des nerfs phréniques qui se projettent
sur la moelle entre C3 et C5. Cela explique qu’une
irritation du diaphragme entraîne des douleurs référées à la région scapulaire lorsque c’est le centre
qui est atteint, et des douleurs référées à la paroi
abdominale et à la région lombaire lorsque c’est la
périphérie qui est atteinte.
Résumé
Le cancer du poumon est celui qui entraîne le plus de décès dans le monde. Seuls 15 % des patients survivent à 5 ans. Le diagnostic est trop souvent tardif. Les symptômes intriqués sont très fréquents, surtout en
phase avancée : fatigue, douleurs, toux, dyspnée, aux conséquences physiques et psychologiques péjoratives
expliquant la piètre qualité de vie. Les douleurs sont présentes dans la moitié des cas en moyenne. De
nombreux tableaux cliniques se rencontrent chez les patients, et ils sont souvent multiples chez un même
patient. Une évaluation bioclinique, psychologique et socioprofessionnelle adéquate est indispensable
pour adapter un traitement optimal. Les traitements étiologiques et symptomatiques sont nécessaires, y
compris à des phases précoces de la maladie. La stratégie antalgique recommandés par l’OMS doit être
discutée, et les approches invasives ont une place dans certains traitements des douleurs. Une approche
interdisciplinaire diagnostique et thérapeutique devrait être la règle dans de nombreuses situations.
Mots-clés
Cancer du poumon
Traitements
symptomatiques des douleurs
Summary
Nerf vague
gauche
Nerf
vague
Nerf vague
droit
Surface
postérieure
de la trachée
Plexus
pulmonaire
postérieur
droit
Crosse
aortique
Trachée
Nerfs thoracique,
sympathique
et cardiaque
Plexus
pulmonaire
postérieur
Plexus
pulmonaire
postérieur
gauche
Œsophage
et plexus
B
Nerfs thoracique,
sympathique
et cardiaque
Poumon
droit
Nerf vague
gauche
Crosse
aortique
Nerf récurrent
laryngé gauche
Plexus cardiaque
Plexus
pulmonaire
antérieur droit
Diaphragme
A
Plexus
œsophagien
Plexus
pulmonaire
antérieur
gauche
Plexus
coronaire droit
Tronc pulmonaire
C
Plexus
coronaire
gauche
Figure 1. Anatomie du plexus pulmonaire et distribution (d’après Bonica JJ. Dans : The Management of Pain, volume 2,
2e édition. Philadelphie : Lea & Fibiger, 1990). A. Vue parasagittale droite montrant les origines, les trajets et les
terminaisons des nerfs du plexus pulmonaire droit. B. Vue postérieure. C. Vue antérieure de la trachée et des deux
premières bronches, montrant la relation du plexus pulmonaire avec ces structures.
Les viscères intrathoraciques voient leur innervation
sensitive cheminer avec la chaîne sympathique ou
les nerfs vagues. La plèvre viscérale et les alvéoles
n’ont pas d’innervation sensitive. L'innervation du
cœur, du péricarde, de l’aorte ascendante, de la
crosse aortique, des artères et des veines pulmonaires
projette sur les myélotomes T1 à T4 via la chaîne
sympathique. L’aorte descendante est innervée par
des nerfs qui empruntent la chaîne sympathique entre
T3 et T8. Le larynx dépend des nerfs laryngés issus
du vague, la trachée est innervée par le vague, et les
grosses bronches dépendent du vague et du sympathique (T3-T5). La partie supérieure de l’œsophage
dépend du nerf vague, et sa partie inférieure des nerfs
sympathiques entre T4 et T8. Enfin, mentionnons que
les viscères abdominaux de l’étage sus-mésocolique
dépendent des nerfs splanchniques issus de T7 à T9.
Les projections spinales des innervations viscérales
expliquent les références douloureuses somatiques
qui s’ajoutent aux douleurs proprement viscérales,
douleurs diffuses à localisation imprécise. Rappelons
qu’une afférence sensitive donnée projette sur près de
7 segments médullaires, ce qui facilite la dispersion
de l’information nociceptive, fait perdre la précision
clinique de la localisation de la douleur et explique
en partie des douleurs ressenties à distance de la
lésion affectée.
Lung cancer is responsible for
the highest number of deaths
from cancer in the world.
Five-year survival only concerns
15% of patients. The diagnosis
is too often late.
Associated symptoms are very
common, especially in the
advanced phases: fatigue, pain,
coughing, dyspnoea, and they
have pejorative physical and
psychological consequences
which also explain the poor
quality of life.
Pain is present in approximately
half of the cases on average.
Numerous clinical characteristics can be seen in patients and
they are often multiple.
An adequate bioclinical,
psychological and socio-professional evaluation is crucial to
adapt an optimal treatment.
Etiological and symptomatic
treatments are necessary
even at the early stages of the
disease.
The WHO analgesic strategy
must be discussed and invasive approaches have a place
in certain pain treatments.
An interdisciplinary diagnostic
and therapeutic approach
should be used as a rule in
many situations.
Keywords
Lung cancer
Symptomatic treatments of pain
Clinique
Le patient présentant un cancer pulmonaire peut
se plaindre de douleurs dues à l’affection et d’algies
secondaires aux traitements spécifiques ou présenter
des douleurs indépendantes des traitements ou de
la maladie sous-jacente (5).
La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011 | 17
ONCO-PNEUMOLOGIE
Les douleurs chez les patients atteints de cancers du poumon :
physiopathologie, diagnostic et traitement
Douleurs dues à la progression
de la maladie
Larynx
(nerf laryngé supérieur)
Trachée (artères,
branches vagales
thoraciques supérieures)
Plèvre apicale (plexus brachial)
Plèvre
viscérale,
alvéoles
pulmonaires
(insensibilité)
Plèvre pariétale
(nerfs intercostaux)
Plèvre diaphragmatique
(nerf phrénique)
Plèvre péricardique Diaphragme central
(nerf phrénique) (nerf phrénique)
Diaphragme périphérique
(nerfs intercostaux)
Figure 2. Vue schématique de la sensibilité du tractus trachéobronchique, de la plèvre
pariétale, de la surface supérieure du diaphragme et de la plèvre diaphragmatique
(d’après White JC. Sensory innervation of viscera: studies on visceral afferent neurons in
man based on neurosurgical procedures for the relief of pain. Dans : Wolff HG, Gasser HS,
Hinsey JC, eds. Pain. Baltimore : Williams & Wilkins,1943 : 373-90).
Les douleurs dues à la progression de la maladie sont
les plus fréquentes. Elles sont multifactorielles et
intéressent souvent plusieurs sites (4). Les traitements
peuvent produire des douleurs dans une proportion
de 13 % (2), en particulier après chirurgie thoracique (6) ou radiothérapie (7). Le thorax et la moelle
lombaire sont les sites habituels des douleurs, et 38 %
de patients présentent 2 localisations distinctes de
douleurs, voire davantage (8). Les douleurs sont plutôt
somatiques ou nociceptives, et un tiers d’entre elles
sont viscérales et neuropathiques (9).
Les douleurs des métastases osseuses, des compressions nerveuses, des invasions pleurales et viscérales
sont les plus fréquentes. Les atteintes osseuses sont
susceptibles de péjorer la qualité de vie du fait des
douleurs, des difficultés d’ambulation, de l’immobilité, des déficits neurologiques et des fractures
pathologiques qu’elles causent (10).
Les métastases ostéolytiques osseuses sont habituellement présentes en cas de douleurs osseuses,
Plexus brachial
Nerf intercostobrichial
Nerfs
thoraciques
intercostaux
Nerf long
thoracique
Branches
cutanées
antérieures
des nerfs
intercostaux
Branches cutanées
latérales des nerfs
intercostaux
Nerfs
intercostaux
thoracoabdominaux
Branches cutanées
latérales des nerfs
sous-costaux
Nerf
sous-costal
Branches cutanées
latérales du nerf
ilio-hypogastrique
Nerf iliohypogastrique
A
B
Figure 3. Distribution des nerfs intercostaux (d’après Bonica JJ. Dans : The Management of Pain, volume 2, 2e édition. Philadelphie :
Lea & Fibiger, 1990). A. Vue antérolatérale des branches cutanées latérales des nerfs intercostaux émergeant des muscles et du
fascia profond et divisés en branches antérieures et postérieures. B. Vue antérieure du côté droit du thorax, sans les muscles.
Les parties antérieures des nerfs intercostaux pénètrent le grand droit de l’abdomen, lui donnant des branches motrices, puis
traversent le muscle et ses fascias pour assurer les structures cutanées au niveau de la région médiane de la paroi abdominale.
18 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011
ONCO-PNEUMOLOGIE
Branches médiales et
latérales
Muscle intercostal externe
Subdivision postérieure
Branche cutanée latérale
Plèvre
Muscle de l’intima
intercostal
A
Nerf collatéral
Muscle intercostal interne
Première division
postérieure
Première division Muscles
subcostaux
antérieure
Branche
cutanée
antérieure
Branches médiales et latérales
de la première division postérieure
Membrane postérieure
intercostale
Nerf intercostal
Membrane antérieure
intercostale
Subdivision antérieure
Muscles
sous-costaux
Cartilage costal Ganglion sympathique
Branche cutanée antérieure
Veine intercostale
Et artère
Nerf intercostal
Muscle de l’intima intercostal
Branche cutanée collatérale
Muscle intercostal
interne
Muscle intercostal externe
B
C
Figure 4. A. Vue supérieure de l’espace intercostal montrant les divers muscles intercostaux et le nerf spinal thoracique
divisé en branches antérieures et postérieures, ces dernières devenant le nerf intercostal. B. Vue antérieure du thorax
montrant les relations entre les nerfs intercostaux et leurs branches et les relations entre les nerfs intercostaux et la
chaîne sympathique. C. Section de deux côtes adjacentes et des muscles intercostaux, montrant les vaisseaux et les nerfs
intercostaux (d’après Bonica JJ. Dans : The Management of Pain, volume 2, 2e édition. Philadelphie : Lea & Fibiger, 1990).
de fractures pathologiques, d’hypercalcémie et,
moins fréquemment, de compressions de structures
nerveuses. Les douleurs se développent durant des
semaines, voire des mois, et ont tendance à s’aggraver spontanément. Elles sont souvent localisées,
vespérales ou nocturnes, et surviennent en orthostatisme ou en charge. Elles sont décrites comme
des endolorissements, constants et graduellement
intenses. Elles augmentent à la pression loco dolenti.
La douleur continue peut être modérée au repos, mais
s’exacerber rapidement en cas de mouvement ou de
changement de position (se lever, marcher, s’asseoir).
Les accès douloureux paroxystiques (ADP) sont un
véritable défi, d’autant qu’ils ne sont pas toujours
prévisibles. Il s’agit d’augmentations intermittentes
des douleurs, qui peuvent survenir spontanément
ou en relation à des activités spécifiques (certains
auteurs parlent alors de douleurs incidentes), en
particulier en fin de dose lorsque les traitements sont
délivrés régulièrement. Face à ces douleurs, il faut
soupçonner un problème d’instabilité squelettique,
de fractures ou de menace de fractures. Plus difficiles
à maîtriser sont les syndromes mixtes avec des participations neuropathiques ou viscérales secondaires
à une atteinte spinale ou nerveuse ou en présence
d’une lésion viscérale. Les douleurs peuvent être
référées (la douleur est alors perçue à distance de
l’organe où siège la lésion responsable) et s’accompagner de spasmes musculaires (11).
Les douleurs viscérales en rapport avec une lésion,
primitive ou secondaire, d’un parenchyme ou de
ganglions lymphatiques et l’atteinte pariétale
pleurale peuvent être considérées comme somatiques. Les causes des douleurs des tissus viscéraux
peuvent relever aussi d’une ischémie, surtout dans
le contexte postopératoire ; l’ischémie agit comme
modulateur des mécanorécepteurs viscéraux. Les
douleurs viscérales sont difficiles à localiser et se
réfèrent à d’autres aires du thorax. Une localisation
plus précise indique une atteinte somatique, comme
une atteinte de la plèvre pariétale, et les douleurs
augmentent à la respiration et aux mouvements (11).
Les douleurs neuropathiques représentent un grand
nombre de syndromes dans lesquels il y a des lésions
nerveuses périphériques et/ou centrales. On relèvera
des radiculopathies, des plexopathies, des mononeuropathies ou des neuropathies périphériques
douloureuses (12).
La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011 | 19
ONCO-PNEUMOLOGIE
Les douleurs chez les patients atteints de cancers du poumon :
physiopathologie, diagnostic et traitement
Les radiculopathies douloureuses sont dues à des
compressions, des distorsions ou des inflammations des racines nerveuses, par exemple lors des
métastases vertébrales ou épidurales. L’atteinte de
la paroi thoracique entraîne des lésions intercostales étagées. Les douleurs postzostériennes sont
fréquentes chez les patients atteints du typique
syndrome douloureux radiculaire dans la région
infectée. La plexopathie brachiale maligne est plus
souvent observée chez les patients présentant un
cancer du poumon que dans les cas d’autres localisations cancéreuses. L’infiltration tumorale de la partie
haute du plexus est moins fréquente et se manifeste
par des douleurs de l’épaule, de la région latérale
du bras et de la main. Les patients présentant cette
atteinte plexuelle sont à haut risque d’extension
épidurale avec l’invasion des racines nerveuses et
des vertèbres et de panplexopathie avec syndrome
de Claude Bernard-Horner (11).
Le hoquet, cette contraction brutale coordonnée
de tous les muscles inspiratoires, rapidement suivie
par la fermeture des voies aériennes supérieures,
est le plus souvent d’origine œsophagienne (13).
Lorsqu’il devient chronique, d’une durée supérieure
à 48 heures, le hoquet peut être le signe d’une
affection sous-jacente comme un cancer pleural ou
pulmonaire ou encore survenir lors d’épanchements
pleuraux et de pleurésies diaphragmatiques. Le traitement passe par celui de sa ou de ses causes. Sur le
plan symptomatique, certains médicaments ont été
utilisés, tels les neuroleptiques, les antidépresseurs
tricycliques, les anticonvulsivants et le baclofène.
Douleurs engendrées par les traitements
La chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie
peuvent être impliquées dans la genèse de douleurs.
Les chimiothérapies induisent des neuropathies qui
se manifestent par des acroparesthésies douloureuses et des pertes de sensibilité pendant et après
le traitement, surtout en cas de traitement par
vinca-alcaloïdes, cisplatine ou paclitaxel. L’affection
sous-jacente peut produire des neuropathies par
atteintes lésionnelles nerveuses, probablement du
fait d’un mécanisme auto-immuno-inflammatoire.
Ces formes paranéoplasiques habituellement associées aux cancers à petites cellules sont des neuropathies sensorielles caractérisées par des paresthésies,
des pertes de sensibilité et une ataxie sensitive (11).
Les douleurs secondaires aux irradiations sont dosedépendantes et intéressent les plexus par toxicité
directe sur les axones et les vasa nervorum et par
20 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011
micro-infarcissements des nerfs. La plexopathie
survient dans 1 % des cas. Les syndromes plexopathiques post-irradiation ont été décrits chez les
patients traités (1,8 à 4,9 %), particulièrement chez
les patientes présentant des cancers du sein. La
plexopathie post-radiothérapique peut être transitoire ou progressive avec un délai d’installation de
4 mois après l’irradiation (14). Les signes cliniques
en sont des paresthésies et un déficit moteur de la
main. Les douleurs axillaires surviennent dans 60 %
des cas. Le syndrome s’améliore après 3 à 6 mois,
même si une paralysie reste possible (11). La toxicité directe intéresse les cellules de Schwann avec
démyélinisation. Les dégâts dépendent des doses,
des fractionnements et de l’association avec une
chimiothérapie. Les lésions des petits vaisseaux
et la fibrose constituée autour des nerfs peuvent
engendrer des troubles neurologiques tardifs (14).
Les signes prédominants sont, davantage que des
douleurs, des changements de sensibilité, une
fatigue, des lésions cutanées, un lymphœdème.
Ces troubles vont du simple inconfort à la paralysie complète, parfois douloureuse, avec même des
sensations fantômes du bras et une algohallucinose.
Même s’il reste nécessaire de distinguer la plexopathie radio-induite et celle inhérente au processus
malin, leur coexistence n’est pas rare (14). Les indicateurs de la croissance tumorale sont la présence de
douleurs (89 % des patients irradiés avec infiltration
néoplasique et 18 % des patients présentant une
plexopathie iatrogénique) et un syndrome de Claude
Bernard-Horner (56 % versus 14 %, respectivement).
En revanche, la présence de dysesthésies et d’un
lymphœdème avertit souvent de dommages nerveux
engendrés par l’irradiation. En outre, en faveur de
l’irradiation, on peut noter des myokymies, souvent
mentionnées au niveau du muscle court abducteur
du pouce et du pronator quadratus (7).
Les lésions de la partie inférieure du plexus se traduisent par des douleurs et des troubles de la sensibilité au niveau du coude, de la région médiane de
l’avant-bras et des doigts externes. Elles sont le fait
d’une invasion néoplasique, tandis que l’atteinte de
la partie supérieure du plexus, moins fréquente, se
traduit par des douleurs de l’épaule et de la partie
latérale du bras et de la main (11). On avance l’explication suivante : les os et les tissus mous protégeraient le plexus inférieur. L’IRM est supérieure
au CT scan pour différencier les plexopathies après
irradiation des lésions néoplasiques. Mais, parfois,
une biopsie diagnostique est indiquée, afin de distinguer une fibrose d’une infiltration tumorale autour
du plexus.
ONCO-PNEUMOLOGIE
Les douleurs chroniques postopératoires surviennent
plus fréquemment en fonction de certains facteurs
(génétique, âge, sexe, psychologie, douleur préopératoire, etc.). Cependant, dans ce contexte chirurgical,
ces facteurs n’ont pas été évalués. Les dommages
nerveux semblent être des facteurs déterminants
pour expliquer ces douleurs. La chirurgie mini-invasive pourrait atténuer la fréquence et l’intensité de
leur survenue (6). La lobectomie semble induire
moins de douleurs que la pneumonectomie (15). Les
dommages nerveux sont exacerbés par l’utilisation
d’écarteurs de côtes.
Le contrôle pharmacologique
des douleurs
La prise en charge antalgique des douleurs des
cancers se fonde sur les recommandations de
l’OMS (16).
Il s’agit davantage d’une proposition souple que
de protocoles rigides. Les anti-inflammatoires
non stéroïdiens (AINS) sont très utiles, à la fois au
premier palier et en association avec les opioïdes,
et sont à adapter aux mécanismes de la douleur,
surtout en ce qui concerne la fonction rénale et chez
les patients qui prennent de nombreuses médications. Le recours aux opioïdes faibles (tableaux I
et II) est plus discutable que le recours aux opioïdes
forts, selon certains auteurs, car ces derniers, utilisés
à faible dose, sont aussi efficaces et n’ont que peu
d’effets indésirables (17). Les douleurs se manifestent
de deux manières. Elles sont continues et nécessitent
des doses régulières de médications à intervalles
réguliers en fonction de la cinétique des produits
et de leur durée d’action. Malgré cette intention de
contrôle, d’autres douleurs, paroxystiques, peuvent
survenir. Ces ADP “traversent” l’analgésie malgré
l’antalgie de la douleur de fond (breakthrough pain).
Ces douleurs peuvent survenir lors de mouvements
et sont l’apanage des localisations osseuses ou des
fractures. Mais ces ADP, parfois idiopathiques,
peuvent surprendre le patient. Les douleurs de fin de
doses ou celles qui persistent au moment de l’ajustement posologique (titration) ne sont pas des ADP.
Les opioïdes sont la pierre angulaire des douleurs
modérées à sévères. Les voies d’administration
sont variées. La voie orale doit être privilégiée
parce qu’elle est la moins invasive, la plus simple
et la moins onéreuse (18). Mais, avec cette voie, le
premier passage hépatique constitue un problème :
la biodisponibilité, c’est-à-dire le pourcentage de
produit qui passe dans la circulation systémique,
reste très variable, allant de 15 à 65 % pour la
morphine par voie orale, et la demi-vie est de
3 heures. Afin de prolonger l’analgésie, des préparations galéniques sont proposées, habituellement
toutes les 12 heures, mais certains praticiens les
prescrivent toutes les 8 heures afin d’obtenir une
analgésie constante. En outre, pour faire face aux
ADP, les préparations à effet immédiat sont utiles,
mais la morphine met 30 minutes à agir. Aussi, dans
ce contexte, sont plus indiqués :
➤➤ les nouvelles formes galéniques de fentanyl
(un comprimé oral s’administrant par voie transmuqueuse orale avec applicateur [Actiq®] existe
à plusieurs dosages : 200, 400, 600, 800, 1 200,
1 600 μg) ;
Tableau I. Préparations de morphine orale disponibles en France.
Spécialités
Présentation (DCI)
Délai d’action
Actiskenan®
Gélules de sulfate de morphine
ouvrables 5, 10, 20, 30 mg
Durée d’action
15 à 30 mn
4h
Sevredol®
Comprimés de sulfate de morphine bisécables à 10 et 20 mg
15 à 30 mn
4h
Solution
Sevredol Cooper
Meram
Solution de chlorhydrate de morphine buvable 10, 20 mg pour 10 ml
10 à 30 mn
4h
Oramorph®
Unidoses de 10, 30, 100 mg
de sulfate de morphine flacon
ou gouttes (1,25 mg/goutte)
10 à 30 mn
4h
Moscontin®
Comprimés de sulfate de morphine 10, 20, 30 mg
1à2h
12 h
Skenan® LP
Gélules ouvrables 10, 30, 60, 100, 200 mg
1à2h
12 h
Kapanol® LP
Gélules 20, 50, 100 mg
30 à 60 mn
24 h
Tableau II. Coefficients de conversion des opioïdes.
Produit
Coefficient
Estimation de la dose de morphine orale
Dextropropoxyphène
1/6
60 mg de dextropropoxyphène ≈ 10 mg de morphine
Codéine
1/6
60 mg de codéine ≈ 10 mg de morphine
Dihydrocodéine
1/3
60 mg de DHC ≈ 20 mg de morphine
Péthidine
1/5
50 mg de péthidine ≈ 10 mg de morphine
Tramadol
1/5
50 mg de tramadol ≈ 10 mg de morphine
Morphine
1
= Opioïde de référence
Fentanyl
50
50 μg/h ≈ 60 mg de morphine
Sufentanil
500
50 μg/h ≈ 600 mg de morphine
Hydromorphone
7,5
4 mg d’hydromorphone ≈ 30 mg de morphine
Nalbuphine
1/2
20 mg de nalbuphine ≈ 10 mg de morphine
Buprénorphine
30
0,2 mg de buprénorphine ≈ 6 mg de morphine
Méthadone
2
5 mg de méthadone ≈ 10 mg de morphine
Oxycodone
1à2
5 mg d’oxycodone ≈ 10 mg de morphine
La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011 | 23
ONCO-PNEUMOLOGIE
Les douleurs chez les patients atteints de cancers du poumon :
physiopathologie, diagnostic et traitement
➤➤ un comprimé sublingual à dissolution rapide
(Abstral®), à plusieurs dosages (100, 200, 300, 400,
600 et 800 μg) ;
➤➤ un comprimé gingival “oravescent” (Effentora®),
à plusieurs dosages (100, 200, 400, 600 et 800 μg) ;
➤➤ la voie transmuqueuse nasale (Instanyl®), avec
3 dosages (50, 100, 200 μg).
L’action apparaît en 5 à 10 minutes, selon la forme
galénique (buccale effervescente, sublinguale, intranasale, etc.) [19].
La morphine est considérée comme la molécule de
référence. En cas d’inefficacité ou d’effets indésirables inacceptables. L’hydromorphone et l’oxycodone en sont des alternatives.
Parfois, les effets indésirables sont intolérables (nausées,
vomissements, etc.), et/ou il existe des troubles
gastroentérologiques (dysfonctionnement, obstruction, etc.), et les voies alternatives, intraveineuse, souscutanée ou transdermique, sont indiquées [20].
La rotation des opioïdes (substitution d’un opioïde
à un autre qui se pratique en cas de diminution du
ratio bénéfice/risque) est une stratégie éprouvée
pour améliorer la prise en charge dans certains cas.
Chez 10 à 30 % des patients sous opioïdes, les effets
indésirables restent importants, et l’analgésie inadéquate, car les variabilités sont interpersonnelles et
intra-sujet. Il est alors nécessaire d’essayer diverses
molécules pour rechercher le meilleur ratio bénéfice
analgésique/effets indésirables. Cette méthode a été
utilisée de manière bénéfique : une amélioration des
effets adverses allant jusqu’à 80 % a été notée, en
utilisant des tables éprouvées de conversion (21).
Les agents adjuvants sont des moyens complémentaires
efficaces d’améliorer l’analgésie des antalgiques (22).
Les antidépresseurs atténuent les troubles de l’humeur, améliorent le sommeil et diminuent la perception de douleur. Ils sont également antalgiques,
surtout l’amitriptyline. Ils ont des effets muscariniques (sécheresse buccale, trouble de l’accommodation visuelle, rétention urinaire, constipation), des
effets antihistaminiques (sédation) et des effets antialpha-adrénergiques (hypotensions orthostatiques).
La réponse analgésique est obtenue en 5 jours (23).
Les anticonvulsivants (carbamazépine, phénytoïne,
valproate et clonazépam) atténuent les douleurs
neuropathiques périphériques et centrales, même si
des résultats contradictoires ont été mentionnés. Ces
molécules pourraient agir sur les récepteurs NMDA
et bloquer les canaux sodiques. La gabapentine et la
prégabaline sont prometteuses comme adjuvants
associés aux opioïdes (24).
Les corticostéroïdes ont de multiples effets ; ils
agissent sur des symptômes comme l’anorexie,
24 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011
l’asthénie ; ils augmentent la consommation alimentaire, améliorent le bien-être général et atténuent
la dépression.
Les agents bloquant les récepteurs NMDA sont
également prometteurs.
La kétamine, bloquant non compétitif des récepteurs
NMDA, a en outre des actions synergiques (et donc
épargnants) avec les opioïdes. Une simple dose de
2,5 mg par voie i.v. produit un effet antalgique significatif dans de nombreuses situations dans lesquelles
la douleur est incontrôlable. Des doses de 110 mg
quotidiennes entraînent une excellente analgésie,
et les doses d’opioïdes pourraient être réduites de
50 %. Par voie orale, aux mêmes doses, la kétamine
semble avoir des effets similaires (25).
Les bisphosphonates soulagent certaines douleurs
osseuses en agissant sur la cause : ils préviennent ou
ralentissent la destruction de l’os du fait des métastases.
Ils corrigent également les hypercalcémies. Administrés
en perfusion une fois par mois, ils sont disponibles per
os. Le risque de provoquer une ostéoradionécrose est
surtout le fait d’un traitement intraveineux à hautes
doses (l’avis odontologique est très recommandé avant
l’instauration de ce traitement). D’autres effets indésirables sont également mentionnés (avec des molécules
telles que le risédronate monosodique [Actonel®],
l’acide alendronique [Fosamax®], l’acide ibandronique
[Bonviva®], le tiludronate disodique [Skelid®], l’acide
zolédronique [Zometa®, Reclast®], le pamidronate
[Aredia®], l’étidronate disodique [Didronel®], le clodronate [Clastoban®, Lytos®], etc.). Les douleurs musculaires et articulaires pourraient persister malgré l’arrêt
du traitement (26). Ces traitements présentent aussi un
risque de toxicité rénale et doivent être modulés chez
la personne âgée en fonction de la créatinine ou, mieux,
en fonction de la formule de Cockroft et Gault ou de
la formule MDRD (Modification of the Diet in Renal
Disease), proposée par Levey en 2000 (l’utilisation de
cette dernière formule, qui a par ailleurs l’avantage de
ne pas prendre en compte le poids du patient, est préférable chez le sujet âgé). Ces formules permettent d’estimer la clairance de la créatinine d’un sujet à partir de
4 éléments : le taux de créatinine plasmatique, le sexe,
l’âge, le poids (pour la formule de Cockroft et Gault)
ou l’origine ethnique (pour la formule MDRD) [27].
Autres approches
En cas de douleurs réfractaires aux procédures précédentes, d’autres approches sont possibles.
Les stratégies thérapeutiques doivent être adaptées à chaque situation. Les modalités offertes sont
ONCO-PNEUMOLOGIE
multiples. Les décisions d’application gagneraient
à être préalablement discutées dans le cadre d’une
rencontre pluridisciplinaire.
Pour les cas rebelles malgré un traitement bien conduit,
il convient de saisir une équipe plus spécialisée dans la
prise en charge de la douleur ou dans les soins palliatifs.
Les diverses stratégies thérapeutiques comportent :
➤➤ l’association d’opioïdes de longue durée d’action,
pour les douleurs continues, et d’opioïdes d’action
immédiate pour les douleurs incidentes ;
➤➤ des adjuvants, coantalgiques, incluant les AINS,
les anticonvulsivants, les antidépresseurs, les agents
analgésiques topiques, qui permettent d’améliorer
l’antalgie et de diminuer les doses d’opioïdes, ce qui
réduit les effets indésirables de ceux-ci ;
➤➤ les traitements prophylactiques de la constipation, des nausées, et des autres troubles moins
fréquents (dysurie, myoclonies, prurit, confusions et
hallucinations, sécheresse buccale, hypersudations) ;
➤➤ les options interventionnelles pour contrôler les
douleurs avec les blocs nerveux, les infusions spinales,
les interventions vertébrales et d’autres procédures ;
➤➤ les approches, de toute première importance,
ciblant la dimension psychologique de la souffrance,
souvent majeure.
Le rôle des facteurs psychosociaux a permis de
mieux comprendre comment les patients douloureux
atteints de cancers faisaient face à leur souffrance.
Les Anglo-Saxons parlent de “coping”, ce que nous
traduisons par “ajustement”. Un grand nombre
d’essais randomisés ont été effectués pour tester
l’efficacité des protocoles psychosociaux dans la
prise en charge des douleurs (28, 29).
Les méthodes employées peuvent être la relaxation
et l’imagerie, qui visent à diminuer l’anxiété et, par
là-même, l’intensité de la douleur.
Certains patients se voient aussi proposer des
techniques cognitivo-comportementales ou une
hypnothérapie.
La psychothérapie individuelle peut comporter un
programme d’entretiens réguliers entre le patient
et un psychiatre, voire un psychologue, un assistant
social psychiatrique, un infirmier.
La psychothérapie procure un soutien émotionnel
durant l’évolution du syndrome douloureux.
D’autres possibilités relèvent de la psychothérapie
d’inspiration analytique ou de la relaxation analytique.
N’oublions pas aussi le nécessaire soutien psychologique aux soignants impliqués dans la prise en charge
des patients douloureux, susceptibles de se trouver
désemparés du fait d’une implication inadaptée ou
d’un excès d’empathie, ce qui facilite l’installation
d’un burnout (épuisement émotionnel, déshumanisa-
tion de la relation à l’autre, perte d’accomplissement
de soi) [30].
D’autres approches intégratives, pour être envisagées, doivent passer par le filtre de l’évaluation.
La prévalence du recours aux médecines non conventionnelles est très variable d’un pays à l’autre : les
différentes enquêtes rapportent des taux allant
de 16 à 60 %, selon les pays. Le choix de l’une
ou l’autre de ces méthodes intervient lorsque les
médecines conventionnelles ont été en échec ou
n’ont pas été prodiguées dans les règles de l’art.
Les moyens thérapeutiques complémentaires les
plus cités sont les préparations à base de plantes,
de fabrication domestique ou industrielle, les vitamines et les compléments alimentaires. Viennent
ensuite les méthodes psychologiques, la méditation, la prière, puis l’homéopathie, l’acupuncture,
la chiropraxie, les massages, l’ostéopathie, et enfin
les techniques énergétiques telles que le Reiki ou
les champs magnétiques. Le manque de données
objectives relatives aux risques, aux bénéfices et au
coût de ces approches nous invite à proposer des
études méthodologiquement acceptables. Celles-ci
pourraient être menées de manière intégrative avec
la médecine conventionnelle.
Quand décider d’une approche
interventionnelle ?
Schématiquement, 2 situations incitent à prendre
cette décision : l’insuccès de traitements pharmacologiques antalgiques bien menés et les possibilités
anatomiques pour les interventions (31). Il demeure
qu’il serait souhaitable de ne pas prolonger trop
longtemps un traitement apparemment sans effet,
alors que le patient pourrait bénéficier de manière
significative du geste du chirurgien, du radiologue,
de l’anesthésiste, etc.) [32, 33].
Les situations de douleurs localisées et sévères ne
sont pas rares, et les procédures interventionnelles
devraient être proposées précocement, permettant
parfois l’épargne antalgique médicamenteuse. Mais
l’“interventionniste” doit déterminer les conditions
de ses gestes (contre-indications, troubles de la crase
sanguine, hémodynamique instable, etc.).
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Quels sont les moyens
possibles ?
Les injections médicamenteuses périmédullaires
sont à proposer aux patients non ou peu soulagés
La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011 | 25
ONCO-PNEUMOLOGIE
Les douleurs chez les patients atteints de cancers du poumon :
physiopathologie, diagnostic et traitement
par les essais multiples d’antalgiques et à ceux
qui présentent des effets indésirables inacceptables (34-36). Les injections sont envisageables
par voies péridurale et intratéchale. Cette dernière
semble plus économique : elle permet des analgésies
similaires à la péridurale et grâce à des volumes très
inférieurs (lorsque la voie péridurale nécessite au
moins 10 ml/h, la voie intratéchale ne demande que
0,5 ml/h) [37]. Si le patient a une affection progressive et une espérance de vie courte, un cathéter
percutané ou tunnélisé avec une pompe externe peut
être mis en place. Cette modalité est peu coûteuse
et rend possible un suivi à domicile (35). Le taux
d’infection superficielle est de 2,3 % : de 1,4 % pour
les infections profondes, de 0,9 % pour le risque de
saignement et de 0,4 % pour le risque de blessure
neurologique (38).
Les patients dont l’état nécessite l’implantation
d’une pompe doivent subir un essai préalable similaire à la situation clinique précédente (39). Les
produits utilisés sont souvent associés (anesthésiques locaux, morphiniques, voire le ziconotide,
dans les cas réfractaires) [35].
Les vertébroplasties, injections de ciment ou de
polymétacrylate dans les vertèbres douloureuses
et fracturées sont d’autres procédures analgésiques.
La kyphoplastie consiste à mettre en place des ballonnets dans le corps vertébral, à alterner des séquences
de gonflage et de dégonflage pour créer une cavité et,
éventuellement, à injecter un volume plus important
de ciment. Elle s’effectue de manière percutanée et en
ambulatoire sous anesthésie ou sous profonde sédation. La stabilisation vertébrale semble contribuer
à expliquer l’analgésie. Le meilleur candidat est le
patient présentant des douleurs axiales de vertèbres
fracturées et n’ayant pas reçu d’irradiation (40).
Dans les cas d’affection métastatique avancée, ces
procédures peuvent être combinées, avec bénéfice,
avec la chirurgie tumorale et l’irradiation (41).
Les ablations tumorales (radiofréquence et cryothérapie) et les cimentoplasties représentent des
progrès récents dans la prise en charge des douleurs.
L’atteinte lytique et la fracture menaçante peuvent
relever positivement d’une injection de ciment dans
l’espace laissé par l’ablation tumorale. Cette procédure est effectuée au niveau de la hanche, du fémur
et du pelvis (42).
Dans quelques cas réfractaires, les techniques neuroablatives peuvent aider. Certains auteurs mentionnent parfois la cordotomie antérolatérale en cas
de douleurs latéralisées, la myélotomie pour les
douleurs pelviennes, la rhizotomie et/ou la drezotomie, indiquée en cas de douleurs plexuelles (43).
26 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIV - n° 1 - janvier-février 2011
Il en est de même des stimulations cérébrales
profondes et de la stimulation corticale, qui relèvent d’équipes spécifiques (44).
La chirurgie palliative a également sa place : vertébrectomie, fixation de fractures pathologiques, actes de
dérivations chirurgicales. Plus récemment se sont développées des techniques de dilatation viscérale (stents)
pour les bronches, l’œsophage et les viscères creux (45).
Les blocages nerveux devraient reprendre leur place
dans l’arsenal antalgique. Les blocs neurolytiques
seront précédés de tests par des anesthésiques
locaux dans une intention diagnostique et pronostique (46). Il ne faut pas pour autant négliger les
risques de douleurs de déafférentation, qui sont dues
à un déséquilibre dans la régulation du message
douloureux (dans ce cadre, on rencontre le plus
souvent 2 types de symptômes : les douleurs spontanées, qui peuvent être continues ou paroxystiques,
et les douleurs provoquées soit par un stimulus
nociceptif donnant une hyperalgésie, soit par un
stimulus non nociceptif, entraînant une allodynie).
Dans le contexte des cancers du poumon, les neurolyses des nerfs intercostaux et des autres branches
peuvent procurer des soulagements de courte
durée (3 semaines, selon certaines études) [47].
Ainsi, au lieu de proposer en première ligne et
systématiquement la stratégie de l’OMS préconisant l’utilisation des opioïdes, de nombreux experts
sont désormais favorables à une approche qui serait
fondée sur les mécanismes de production des
douleurs tout en conservant un suivi multidisciplinaire et individualisé. Il s’agit de tendre de manière
plus réaliste à une fonctionnalité et une analgésie
optimales, et de proposer des moyens d’ajustement
effectif pour les douleurs continues (48).
Conclusion
Les douleurs des cancers pulmonaires se présentent
de diverses manières. Elles sont dues à l’affection ou
à sa progression locale, locorégionale et à distance.
Elles sont aussi secondaires aux traitements spécifiques de la maladie.
Une évaluation bioclinique, psychologique et socioprofessionnelle adéquate est indispensable pour
déterminer le traitement optimal. Les traitements
des douleurs sont d’abord étiologiques et spécifiques de l’affection. Sur le plan symptomatique,
les opioïdes sont largement préconisés, et d’abord
par voie orale. La voie transdermique est efficace
et également non invasive. Les voies alternatives
parentérales sont indiquées en cas d’effets indési-
ONCO-PNEUMOLOGIE
rables mal maîtrisés. Le traitement des ADP relève
des opiacés à libération immédiate par voie orale
ou, mieux, par voies transmuqueuses.
La rotation des opioïdes peut améliorer l’analgésie
en diminuant les effets indésirables. Les adjuvants
sont souvent très utiles et rendent moins fréquent
le recours aux analgésiques.
Certaines approches invasives doivent être discutées, y compris au début de l’histoire de la maladie,
surtout en cas de douleurs osseuses intenses, localisées et présentant un risque de fracture.
La stratégie diagnostique et thérapeutique interdisciplinaire reste la règle dans la plupart des situations.
■
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