Au temps de la Révolution, la décentralisation, jusqu`où

Au temps de la Révolution, la décentralisation,
jusquoù ?
Claude WANQUET,
Professeur émérite d’Histoire moderne, Universi de La union
L’époque de lavolution a certainement permis à Bourbon/La
Réunion la première expérimentation véritable de lacentralisation.
Une centralisation tellement pouse qu’elle s’est carrément
transfore en autonomie et quelle a même failli déboucher sur
l’indépendance.
L’époque a pourtant aussi été celle d’une très forte manifestation
du sentiment d’appartenance à la Nation française et d’une véritable
volonté dintégration de l’île à cet ensemble, par exemple par les
députations successives à la Législative, à la Convention et aux Conseils
du Directoire1.
En fait, loin d’être inconciliables les deux démarches sont non
seulement complémentaires mais souvent même conjointes. Et si l’on
peut leur reprocher une certaine ambiguïté, cette ambiguïté n’est que le
reflet, et peuttre que la conséquence, des ambiguïtés de la Révolution
en général dont une des décisions les plus rapides2 et les plus durables, le
réaménagement complet de l’espace par la création des partements,
peut être interprée de deux manières totalement opposées selon que
l’on considère le département comme « l’agent de l’unification
nationale ou, au contraire, la chance de la voie locale »3. Selon
l’interptation historiographique dominante la Constituante a fait des
1 Sur ce sens très affirmé, de la députation insulaire à lAssembe nationale voir
Claude Wanquet, Les premiersputés de la Réunion à l’Assemblée Nationale :
Quatre insulaires envolution (1790-1798).
2 La réforme, inspie par la nuit du 4 août 1789, a été mise en œuvre le 7 septembre
suivant et achevée, avec la dénomination des départements, dès le 26 vrier 1790.
Pour une vue d’ensemble de la question départementale voir la notice
« Administration locales » de J. J. Clère dans le Dictionnaire historique de la
volution française, p. 5-10.
3 Mona Ozouf , « Département » in Dictionnaire critique de la révolution française,
p. 563-564.
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départements des véritables petitespubliques autonomes et donc
accompli une œuvre totalement décentralisatrice. Mais les régionalistes
font au contraire du département l’instrument me de la centralisation
utilisant la pyramide d’assemblées créées pour diffuser plus aisément les
cisions du centre vers la périphérie.
En fait tout a dépendu des circonstances politiques nérales, la
départementalisation favorisant à coup sûr aussi bien la révolte
fédéraliste de 1793 que la centralisation jacobine de la constitution de
1795 (dans laquelle le commissaire représentant le gouvernement
central anticipe sur les projets de l’Empire).
Pour ce qui est de Bourbon/La Réunion, s’est instaurée en
permanence durant lavolution une sorte de mouvement fortement
contrasté.
Avec d’un côté l’attente et l’imitation, allant parfois jusqu’à la
caricature involontaire, des modèles « et » décisions métropolitaines et
de l’autre, la critique, la contestation voire le refus de ces modèles et
décisions4. Et là aussi, la chronologie a eu une importance essentielle,
d’autant que lespace se mesurait alors en fait en durée, trois mois au
moins et souvent beaucoup plus séparant un événement tropolitain
de la connaissance qu’on pouvait en avoir dans l’île.
I- L’EVEIL LOCAL A LA CONSCIENCE ET A LA RESPONSABILITE
POLITIQUES
L’aspect le plus immédiat et en définitive peuttre le plus
durable – de lavolution pour les Mascareignes a été l’éveil de la
conscience politique. Jusquen 1789 les insulaires avaient été quasiment
privés de toute possibilité réelle dexpression et, a fortiori, de gestion de
leurs propres affaires. Tout était aux mains d’une administration
importée et autoritaire. A sa tête des gouverneurs, généralement
officiers de marine et comme tels habitués à la terrible discipline de la
« Royale ». A l’échelon local des commandants de paroisse,
arbitrairement nommés par ces gouverneurs et d’abord chefs de la
milice, dont le service pesait en principe sur tous les colons de 15 à 55
ans. Et pour atténuer la rigueur d’un tel régime, pas même le rôle
consultatif, en matière fiscale et économique, dune Assemblée coloniale
comme celle dont les îles du Vent, la Martinique et la Guadeloupe,
avaient été dotées depuis 1787.
C’est seulement dans les derniers mois de 1789 que le processus
révolutionnaire inspiré surtout, non par la pression locale, mais par celle
4 Cf. Claude Wanquet, Histoire d’unevolution, La Réunion (1785-1803), 3 vol.
1981-1984, et «volution française et identitéunionnaise » in Revue française
d’histoire d’outre-mer, t. LXXVI (1989-), n° 282-283, p. 35-37.
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des élus et des événements de Saint-Domingue, démarre dans les îles
orientales. Diverses lettres du ministre La Luzerne, relayées sur place
par les administrateurs, demandent à leurs habitants « s’ilssirent ou
non létablissement d’une Assemblée coloniale » et s’il leur part
« intéressant » d’avoir la faculté de correspondre habituellement avec un
ou plusieurs députés chargés de leurs affaires communes, résidents en
France5. A ces questions les administrateurs exigent en principe des
paroisses des réponses limitées et surtout isolées. Mais, dès le 27
décembre à Saint-Denis un comité élu se déclare permanent et entend
clamer, au nom de toutes les paroisses, une Assemblée générale. Les
administrateurs ironisent sur la ptention de ces quatre puis cinq
membres à se croire aux Etats Généraux mais l’arrivée, début février
1790, dun navire parti de Bordeaux le 23 octobre précédent et
porteur des « nouvelles extravagantes »6 de ce qui s’est pas en
tropole les conforte singulièrement. Les administrateurs sont obligés
de concéder launion dune Assembe générale élue par la paroisses,
qui ouvre ses séances le 17 mai 1790. Les débuts de la Révolution sont
d’abord, pour les colons, l’occasion d’enfin s’exprimer. Et ils
s’abandonnent à cette liberté nouvelle avec une espèce de griserie.
Les archives de cetteriode offrent une foule de textes abordant
les sujets les plus divers, des plus graves et des plus techniques aux
relativement futiles, dans une espèce de défoulement verbal collectif.
Mais de la prise de parole on passe rapidement à la prise de
décision. A peine vient-elle de se constituer que l’Assemblée générale se
clare à l’unanimité « permanente, inviolable et ne pouvant être
dissoute que par un décret de l’Assembe Nationale sanctionné par le
Roi ».
Et si elle décide, le 11 juin, denvoyer une députation à
l’Assemblée Nationale elle arrête de ne le faire qu’après s’être occupée
« de tout ce qui regarde le travail intérieur de la colonie ». Déjà elle a
commencé diverses réformes touchant aussi bien aux tribunaux ou à la
milice qu’à la réfection des chemins ou à la législation du marronage.
II- LES TEXTES FONDATEURS DE LA DECENTRALISATION DANS LE
DOMAINE COLONIAL (MARS 1790)
A cette date cependant la position de lAssemblée rale
demeure précaire et l’application de ses décisions hypothétiques.
« Quoiqu’elle se livt à ces éclats d’autorité, écrit l’ordonnateur
Duvergé, elle sentait qu’ils ne portaient sur aucun fondement légal, et
5 ADR (Archives Départementales de La Réunion) L 93/2.
6 L’expression est employée par le gouverneurral Conway dans une lettre du 10
février 1790 à son adjoint à Bourbon, Cosigny ADR L 81/1.
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cetteflexion, qui a plus d’une fois percé dans ses délibérations, était
encore un frein pour la plupart de ses membres. Mais elle n’en a plus
connu, ajoute-t-il, à l’arrivée ducret de l’Assembe nationale du 8
mars 1790. Il était parvenu indirectement, et dépourvu de tout caractère
d’authenticité mais l’Assemblée croyait y voir la liberté de se faire des
lois et une forme de gouvernement à son gré ; aussi a-t-il été saisi et
promulg avec une espèce de « délire »7.
Ce décret en effet, en autorisant les Assemblées coloniales, légalise
a posteriori l’œuvre de celles qui s’étaient jà spontanément créées .
Dans son préambule « l’Assemblée Nationale déclare que consirant
les colonies comme une partie de l’empire français et désirant les faire
jouïr des fruits de l’heureuse régénération qui s’y est opérée, elle n’a
cependant jamais entendu les comprendre dans la constitution qu’elle a
décrée pour le royaume et les assujettir à des loix qui pourraient être
incompatibles avec leurs convenances locales et particulières ». Aussi
autorise-t-elle « chaque colonie à faire connaître son vœu sur la
constitution, la législation et l’administration qui conviennent à sa
prospérité et au bonheur de ses habitants, à la charge de se conformer
aux principes géraux qui lient les colonies à la Métropole et qui
assurent la conservation de leurs intérêts respectifs » (Article 1). Elle
arrête que « les plans préparés dans les assembes coloniales seront
soumis à l’Assembe Nationale pour être examinés, crétés par elle et
présentés à l’acceptation et à la sanction du Roi » (article 4) ; que « les
décrets de l’Assemblée Nationale sur lorganisation des municipalités et
des assemblées administratives seront envoyés aux assemblées coloniales
avec pouvoir de mettre à exécution la partie des décrets qui peut
s’adapter aux convenances locales, sauf la décision définitive de
l’Assemblée Nationale et du roi sur les modifications qui auraient pu y
être apportées et la sanction provisoire du gouverneur » (article 5).
Enfin elle « met les colons et leurs proprs sous la sauve-garde
spéciale de la Nation ; déclare criminel envers la Nation quiconque
travaillerait à exciter des soulèvements contr’eux » (article 6).
Il sagit du texte ritablement fondateur de lautonomie des
colonies en matre de législation. Autonomie qui doit toutefois se
conjuguer avec les impératifs qu’imposent l’unité nationale et l’intérêt
même de ces colonies. Ce que souligne par exemple de façon ts
explicite ce passage de la longue instruction du 28 mars qui accompagne
le décret :
« La nature de leurs intérêts qui ne sauraient jamais entièrement se
confondre avec ceux de la Métropole, les notions locales et
particulres que nécessite la préparation de leurs loix, enfin la
7 Lettre au ministre de la Marine 19 du 1er novembre 1790, ADR, L 94/1.
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distance des lieux et le temps nécessaire pour les parcourir,
établissent de grandes différences de situation entrelles (les colonies)
et les provinces françaises et nécessitent par conséquent des
différences dans leur constitution.
Mais en s’occupant à les rechercher, il ne faut jamais perdre de vue
qu’elles forment cependant une partie de l’empire français et que la
protection qui leur est due, par toutes les forces nationales, que les
engagements qui doivent exister entrelles et le commerce fraais,
en un mot, que tous les liens d’utilité réciproque qui les attachent à
la tropole n’assureraient aucune espèce de solidité, sans
l’existence des liens politiques qui leur servent de base »8.
Mais de ces restrictions ou garde-fous, l’opinion dirigeante locale
na cure et retient surtout que la Constituante « a promis d’avance
d’adopter toutes les propositions utiles de l’Assembe Coloniale »9. Une
position que paraissent conforter la première Constitution française de
septembre 1791 qui met les colonies à part de lagislation nationale et
la seconde de 1793 qui les passe carrément sous silence.
III- MODALITES ET CONSEQUENCES DE LEXPERIENCE
DECENTRALISATRICE REVOLUTIONNAIRE
D’avoir pris en main les desties de leurs îles permet aux élus
réunionnais d’essayer de combler les retards dont elle souffre au niveau
de sonveloppement. Ces retards, ts nombreux et imputables à des
causes multiples, sont assez bien résumés dans latition de la colonie à
l’Assemblée nationale du 21 avril 179110 que l’on peut assimiler à un
véritable cahier de doléances local. Avec l’aide d’une Métropole elle
même « nérée » par la Révolution, dont la colonie sestime en droit
d’attendre beaucoup11, des barrières sautent au niveau économique
(comme lobligation imposée jusqu’alors aux navires français de faire
leur retour exclusivement à Lorient ou Toulon), des progrès notables se
8 Le texte du décret et de linstruction de mars 1790 a été publié par R. D’Unienville
dans Histoire politique de l’Isle de France, t. I (1789-1791), p. 129-142.
9 claration de J.B. Greslan, président de la première Assemblée coloniale élue en
conformité avec les instructions, à l’ouverture de ses travaux, le 23 novembre 1790.
ADR, L 49.
10 ADR, L 18.
11 Ainsi que le rappelle fermement en 1801 aux consuls, nouveaux maîtres de la France,
le comité administratif local quand il écrit : « Comme Français éloignés de leurs plus
précieuses affections, les colons ont droit à une attention immédiate de la part de la
Métropole et leur industrie, soit commerciale, soit agricole, veut être progée parce
qu’elle représente une des sources de la fortune nationale ». Lettre du 25 brumaire
an X (16 novembre 1801), ADR, L 75/6.
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