Les Etats-Unis et la lutte contre le terrorisme international depuis le

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les états-unis et la lutte
contre le terrorisme international
depuis le 11septembre 2001
Carole ANDRÉ-DESSORNES
Consultante en géopolitique, doctorante chercheure à l’EHESS,
auteure et conférencière
INTRODUCTION
Le 11 septembre 2001 a marqué un tournant dans l’histoire des relations inter-
nationales. Il y a eu l’après-Seconde Guerre mondiale et l’émergence d’un monde
bipolaire qui a dominé la scène internationale durant toute la guerre froide, puis
la chute du bloc soviétique qui a suscité les espoirs les plus fous ! À cela il faut
ajouter, comme date clé, le 11 septembre ; il y a eu un avant-11 septembre et un
après-11 septembre.
La lutte contre le terrorisme est devenue un axe majeur de la politique étran-
gère américaine, ce qui ne signifie pas pour autant que cette lutte était inexistante
auparavant, mais celle-ci va devenir une clef de voûte de la politique conduite par
Washington.
L’administration Bush est donc passée d’une politique étrangère qui au départ se
voulait comme la moins interventionniste à une politique essentiellement fondée sur
cette « guerre contre le terrorisme ».
Avant d’aller plus loin, il convient de voir quelles définitions du terrorisme et le
pluriel s’impose ici – les États-Unis ont adoptées. Pour bien comprendre la difficul
à délimiter ce qu’est le terrorisme, il faut savoir que, selon les experts des Nations
unies, on ne dénombre pas moins de quelque deux cents définitions ; jusqu’à main-
tenant, aucune d’elles n’a fait l’unanimiet aucune n’a donc été adoptée de façon
officielle et définitive par l’ONU.
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Pour en revenir aux États-Unis, la difficulté reste la même, plusieurs définitions
se font jour, cependant trois d’entre elles peuvent retenir notre attention du fait
qu’elles émanent d’institutions incontournables et directement concernées par cette
lutte contre le terrorisme :
– En effet, pour le ministère de la Défense, le terrorisme comprend tout type de
mouvement qui recourt délibérément à la violence illicite, destinée à inspirer la peur
pour intimider, voire contraindre les pouvoirs publics et la société à changer leur
attitude, en vue de fins généralement politiques, religieuses ou idéologiques
1
.
Pour ce qui est du FBI, ce phénomène englobe tout recours illicite à la force
et à la violence, dirigé contre des personnes tout autant que des biens, dans le but
d’intimider ou de contraindre les pouvoirs publics et les civils, dans la volonté de
poursuivre des objectifs d’ordre politique ou social
2
.
– En ce qui concerne le Département d’État, ce dernier inclut dans le terrorisme
tout type de violence préméditée, à motif politique, qui est perpétrée à l’encontre de
cibles non combattantes (personnels militaires et civils qui ne sont pas armés ou sont
en repos) par des mouvements propres à un pays ou des agents clandestins, et dont
l’objectif final est d’influer sur la population
3
N’oublions pas d’ajouter que le « terrorisme international », quant à lui, implique
les citoyens et territoires de plus d’un pays. On peut parler de terrorisme globalisé !
Se lancer dans une « guerre contre le terrorisme international » soulève un pro-
blème majeur, à savoir s’engager dans une lutte hors des sentiers battus, car il ne s’agit
pas d’affronter un pays précis, mais de s’aventurer dans un combat contre un ennemi
« interétatique » flou, fluctuant et difficile à identifier !
QUELLE GUERRE CONTRE LE TERRORISME?
Aux origines d’une situation devenue inextricable
La situation actuelle, qui médiatiquement fait la part belle aux réseaux islamistes
djihadistes, au nombre desquels on compte Al-Qaida, trouve ses origines dans une
politique américaine qui n’a pas hésité à financer, à s’appuyer sur ces groupuscules
1. United States Department of Defense, 12 avril 2001, http://www.dtic.mil/doctrine/jel/
new_pubs/jpl02.pdf.
2. Counterterrorism reat Assesment and Warnong Unit, 1999, http://www.fbi.gov/
publications/terror/terror99.pdf.
3. Office of the Coordinator for Counterterrorism, 2002, 2003, http://www.state.gov/
documents/organization/20177.pdf.
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radicaux dans le seul but de mener à sa perte le bloc communiste, l’« Axe du mal »
de la guerre froide.
Dans une interview accordée au Nouvel Observateur le 15 janvier 1998
4
, Zbigniew
Brzezinski, ancien conseiller pour la Sécurinationale du président Jimmy Carter
de 1977 à 1981, reconnaît que l’aide officiellement apportée en 1980 aux moudja-
hidine en Afghanistan, soit après l’invasion soviétique de décembre 1979, a en fait
débuté en juillet 1979 lors de la signature d’une première directive d’assistance clan-
destine aux opposants au régime prosoviétique de Kaboul, augmentant les chances
d’une intervention russe en Afghanistan et contribuant ainsi à favoriser la chute de
l’Empire soviétique.
Le fondamentalisme islamique n’était alors qu’un outil, le véritable danger à
l’époque était incarné par le communisme, et tout valait mieux que cette idéologie
qui entendait diriger la moitié du monde, si ce n’est plus !
Washington a opté ouvertement pour les groupuscules les plus radicaux et
Gulbuddin Hekmatyar
5
était alors l’un des plus « dignes représentants » de cet ex-
trémisme.
Ce choix visait à créer un mouvement qui contaminerait toutes les républiques
d’Asie centrale de l’URSS, les musulmans étaient majoritaires. Parallèlement à
cela, il était essentiel, pour Washington, d’éviter que des progressistes prennent la
tête de la lutte, car cela aurait conduit inévitablement à une vraie indépendance, ce
qui n’était évidemment pas souhaité.
Quand les Soviétiques sont partis en 1989, le pays a sombré dans l’anarchie la
plus totale et Washington, qui soutenait financièrement les talibans, ayant atteint
son objectif, a stoppé le financement et le soutien logistique alors massifs ; mais c’est
Ben Laden qui, après avoir soutenu Hekmatyar, a choisi le camp des talibans et dé-
veloppé le réseau Al-Qaida, déjà créé en 1987
6
, mais qu’il a dirigé seul depuis 1989
et qui s’est très vite transformé en centre logistique du djihadisme international.
Les cellules implantées au Pakistan ainsi que sur le territoire afghan ont aussi
bénéficié de l’aide de l’administration Reagan jusqu’en 1989.
4. Interview de Zbigniew Brzezinski, in Le Nouvel Observateur, 15-21 janvier 1998, p. 76.
5. Il a été le chef du parti islamiste Hezb-i-islami, à la tête duquel il a d’abord combattu les
Soviétiques lors de la guerre d’Afghanistan dans le cadre de l’opération Cyclone de la CIA et
avec le soutien des services secrets pakistanais (ISI).
6. Al-Qaida, « La base », mouvement d’inspiration sunnite fondamentaliste, a été fondé par
le cheik d’origine palestinienne Abdhullah Yusuf Azzam et son disciple Oussama Ben Laden.
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Les États-Unis vont faire l’objet d’attaques virulentes à travers des discours
de responsables fondamentalistes d’une ampleur inégalée, lesquelles attaques ne
seront que la première étape d’une escalade sans précédent
L’arrivée au pouvoir du régime taliban avec le mollah Omar à sa tête va entraîner
le retour de Ben Laden en Afghanistan, pays qu’il a quitté auparavant pour se rendre
en Arabie Saoudite, puis au Soudan, où il a trouvé refuge quelque temps.
Les États-Unis sont très rapidement devenus la cible d’une vague d’attentats
bien avant ceux du 11 septembre 2001. L’attentat du World Trade Center du 26 fé-
vrier 1993, très probablement organisé par une cellule d’Al-Qaida, a été le premier
d’une longue série d’attaques ciblant les États-Unis. Cet attentat a été planifié par un
groupe de conspirateurs, parmi lesquels se trouvait Ramzi Yousef
7
.
Il est suivi par l’attentat visant les tours de Khobar en Arabie Saoudite le 25 juin
1996, où 19 Américains et un Saoudien ont péri, et 372 personnes ont été blessées.
Le 7 août 1998, les ambassades américaines à Nairobi, au Kenya et à Dar el-Sa-
lam, en Tanzanie, ont été prises pour cibles. Ces opérations suicides ont été menées
par des membres locaux d’Al-Qaida et ont fait de très nombreuses victimes : l’attaque
contre l’ambassade de Nairobi a tué au moins 213 personnes dont 12 Américains,
blessé de 4 000 à 5 500 personnes
8
, celle contre l’ambassade à Dar el-Salam a tué
11 personnes et en a blessé 85.
Entre temps, Ben Laden a lancé en février 1998 sa célèbre fatwa contre « juifs et
croisés », visant plus précisément les Américains
9
.
7. Ramzi Ahmed Yousef, d’origine pakistanaise a été l’un des planificateurs de l’attentat de
1993 ainsi que de l’opération Bojinka (c’était un plan d’attentats terroristes sur des avions de
ligne américains, découvert en janvier 1995. Ce plan est considéré comme le précurseur des
attaques terroristes du 11 septembre 2001). Il a été arrêté à Islamabad en 1995 et extradé aux
États-Unis où il purge une peine de prison à vie.
8. http://www.voanews.com/french/news/a-46-2008-08-07-voa1-91961649.html?CFTOKE
N=38131282&CFID=68411897.
9. International Islamic Front for Jihad Against the Jews and the Crusaders.
Ben Laden lance une fatwa : « Nous appelons chaque musulman qui croit en Dieu à tuer les
Américains et à piller leurs richesses, où que ce soit et dès que ce sera possible. Nous appelons
également chaque musulman à attaquer les troupes sataniques américaines et ses démons alliés.
L’ordre de tuer des Américains est un devoir sacré dans le but de libérer les mosquées d’Al-Aqsa
et de La Mecque. »
Le Monde, 20 septembre 2001, et presse internationale
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Ce n’est pas George Bush qui est à l’origine de cette guerre contre le terrorisme ;
en effet, au cours de son second mandat, Bill Clinton va promulguer une succession
de lois antiterroristes, au nombre desquelles figurent l’Antiterrorism and Effective
Dealth Penalty of 1996
10
et l’Illegal Immigration and Migrant’s Responsibility Act
11
.
Clinton va remettre au goût du jour la notion de War on Terror
12
face à une montée
du terrorisme international.
VERS LA GLOBAL WAR ON TERROR, OU LE SYMBOLE DES
ANNÉES BUSH
Une politique étrangère qui a pour socle la lutte contre les puissances du mal
Toutes ces lois n’ont pas pour autant pu empêcher de nouvelles actions vio-
lentes, ni stopper les déchaînements médiatiques des groupes radicaux à l’encontre
des États-Unis, puisque, le 12 octobre 2000, c’est l’USS Cole, le 17
e
destroyer de la
classe Arleigh Burke de l’US Navy, qui a été victime d’une attaque à l’embarcation
piégée à Aden, tuant pas moins de 17 marins et en blessant une cinquantaine.
Un an plus tard, le destin des États-Unis basculait dans l’horreur
13
, l’objectif ici
n’est pas de revenir sur cette journée, mais plutôt sur les conséquences de celle-ci sur
la politique adoptée par Washington.
Les attentats du 11 septembre ont entraîné une réponse immédiate qui s’est tra-
duite par l’invasion de l’Afghanistan qui a eu lieu sous le nom de code Operation
Enduring Freedom
14
, mettant fin au régime taliban au pouvoir depuis 1994.
10. http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=104_cong_public_laws&
docid=f:publ132.104.
11. http://www.americanlaw.com/1996law.html.
12. Cette War on Terror avait déjà été utilisée par Reagan mais dans un contexte de lutte contre
l’Axe du mal qui était alors assimilé au bloc soviétique. Le but ultime était alors, purement et
simplement, la disparition de ce bloc.
13. Quatre attentats suicides sont perpétrés le 11 septembre 2001 aux États-Unis par des
membres du réseau Al-Qaida. : dix-neuf terroristes détournent quatre avions de ligne afin
de les écraser sur des bâtiments hautement symboliques du Nord-Est du pays. Deux avions
sont projetés sur les tours jumelles du World Trade Center à New York, et le troisième sur le
Pentagone, à Arlington, près de Washington DC. Le quatrième avion, volant en direction de
Washington, s’est écrasé en rase campagne en Pennsylvanie, après que des passagers et membres
d’équipage ont essayé d’en reprendre le contrôle. Les attaques ont entraîné la mort de 2 995
personnes.
14. http://www.globalsecurity.org/military/ops/enduring-freedom.htm.
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