A qui profite le terrorisme

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Pierre M. Gallois
Juin 2004
A qui profite le terrorisme ?
Le terrorisme ? Un vieux procédé de coercition rajeuni par la
mondialisation – et ses techniques de communication – et par la vulnérabilité
des sociétés industrialisées aux peurs qu’il inspire.
La science militaire des grandes puissances – les Etats-Unis les
dominant toutes de très haut – n’offre d’autre moyen de combat à leurs
adversaires que le terrorisme de groupe, sinon encore d’Etat.
Et, pour une large part, c’est à l’appropriation de l’énergie
indispensable au développement, c’est-à-dire à l’industrialisation, que le monde
doit une nouvelle fracture après celle créée par l’opposition entre l’économie de
marché et l’économie planifiée.
L’échec d’un des deux systèmes socio-économique en opposition
– et en compétition – pouvait mettre un terme à la guerre froide. Ce fut le cas à
la fin des années 80. En revanche, il se trouve qu’une répartition malheureuse
des ressources énergétiques naturelles risque de prolonger, jusqu’à leur
extinction, l’opposition entre les nantis et les démunis. La nature a voulu que le
sous-sol des pays à la population relativement peu dense abonde en énergies
fossiles, tandis que celles-ci font défaut dans la zone Asie-Pacifique (61 % de la
population mondiale) – et en Europe (Russie exceptée) – et même aux
Amériques où vivent 14 % de la population mondiale.
2.
Les lointaines amorces de la nouvelle grande fracture énergétique
– celle-là succédant au différend politico-social de la guerre froide – remontent à
la fin de la Première Guerre mondiale.
C’est en effet, en septembre 1919 que la province de Mossoul, riche
en pétrole, est passée du contrôle de la France (conformément aux accords
Sykes-Picot de mai 1916) à celui de la Grande-Bretagne, l’armée Allenby et
celle du Fayçal ayant imposé aux Ottomans vaincus un sévère armistice et
mainmise de Londres sur le pétrole de l’Irak septentrional entérinée par le traité
de Sèvres (1920). Un quart de siècle plus tard, le président Roosevelt, à bord du
Quincy, conclut avec les Séoud un accord attribuant aux Etats-Unis l’exploration
et l’exploitation du pétrole d’Arabie Séoudite (1945). Cet accord vient
prochainement à échéance, d’où sans doute, l’Arabie Séoudite devenue cible
privilégiée d’Al Qaeda afin que les Etats-Unis renoncent au renouvellement du
traité de 1945. Et en 1956, soit sept ans seulement après la signature du traité de
Washington créant l’Alliance atlantique, Washington fit cause commune avec
Moscou contre ses alliés français et britanniques engagés dans l’opération de
Suez. Le pétrole des pays musulmans du Proche-Orient imposa cette volte-face
diplomatique inattendue. Enfin, en 1973, agencée par Henry Kissinger en vue
d’obtenir une négociation égypto-israélienne, la guerre dite du Kippour rangea
les Etats-Unis aux côtés de l’Egypte pour que Tel Aviv, menacé d’invasion,
accepte de s’entendre avec le voisin égyptien. Ce qui fut fait. A nouveau,
Washington avait pris le parti des Arabes. Ce sera encore le cas en 1995/1999
dans les Balkans avec la création de la fédération croato-musulmane (1994), les
bombardements de la Serbie (1999) et le soutien fourni aux Albanais s’installant
en force au Kosovo, en évinçant les Serbes orthodoxes.
3.
Entre temps, sanctionnant durement l’invasion du Koweït, les
Etats-Unis s’en étaient pris à l’Irak, à l’époque visant, entre autres objectifs,
l’attribution à l’allié séoudien du quota pétrolier imparti à l’Irak. (Cette première
guerre du Golfe fut à l’origine de bien des malheurs : l’occupation de l’Arabie
Séoudite par les contingents de la coalition anti-irakienne réunit les conditions
du «choc des civilisations » et apporta à Oussama ben Laden bien des adeptes).
Faisant preuve d’une surprenante patience Washington ne réagit pas, ou fort
peu, au premier attentat du World Trade Center (1993), sembla se résigner à
celui de Dahran (1995), si ceux de Nairobi et de Dar es Salam (1998)
déclenchèrent des représailles à l’encontre du Soudan. Mais, en octobre 2000 le
destroyer Cole était attaqué à Aden et, le 11 septembre 2001 ce furent New York
et Washington qui subirent le terrible traumatisme qui mobilisa l’Amérique et
une large fraction du monde contre le terrorisme et, dans une forte mesure,
justifia, aux yeux des Américains la guerre d’Afghanistan et la seconde guerre
d’Irak. Ces attentats, et ceux qui suivirent, entre autres, au Pakistan, en
Indonésie, en Jordanie, au Maroc, en Espagne, en Arabie Séoudite, ont pesé
lourdement sur l’économie mondiale, freiné les échanges, assombri l’avenir,
augmenté le prix de l’énergie fossile mais, surtout, dressé une portion du monde
contre les puissances faisant cause commune avec les Etats-Unis accusés d’user
du prétexte terroriste pour étendre leur hégémonie par tous les moyens y
compris la force des armes.
Mais le combat contre le terrorisme, si coûteux matériellement et si
dommageable soit-il pour la démocratie américaine, présente cependant pour
elle quelques avantages :
- Pour une part, au moins, il escamote les violations du
droit et les atteintes à la morale dont se rendent coupables les Etats-Unis alors
qu’ils s’en proclamaient les champions.
4.
- Il associe aux Etats-Unis un certain nombre de
gouvernements soucieux de se concilier les bonnes grâce de l’unique
superpuissance, momentanément dans l’embarras, tandis que d’autres Etats, eux
aussi victimes du terrorisme, recherchent la protection des Etats-Unis.
- L’état de guerre autorise, à l’intérieur comme vis-à-vis
de l’extérieur, des mesures extrêmes dont les Etats-Unis pourront bénéficier,
ultérieurement, dans leur quête de pérennité : efforts financiers en matière de
recherche et d’armements, prises de positions stratégiques dans le monde,
neutralisation d’accords internationaux estimés paralysants, mobilisation à leur
profit des organismes internationaux, accroissement de la part des Etats-Unis
dans la conduite des affaires du monde.
- Enfin, le combat contre le terrorisme permet de désigner
à la vindicte publique les populations et les gouvernements critiquant le
comportement politique financier, économique et militaire des Etats-Unis en les
assimilant à des terroristes potentiels et en dressant contre eux la majorité de la
population mondiale. Ce serait là un des volets de la politique extérieure des
Etats-Unis.
- Le terrorisme implique la guerre au terrorisme et celleci, à son tour, permet aux Etats-Unis d’occuper dans le monde des positions
stratégique contribuant à leur suprématie. En ce qui concerne l’appropriation et
le contrôle des énergies fossiles la guerre au terrorisme autorise l’implantation
de bases militaires et même l’occupation en armes de territoires nationaux en
Asie, au Proche-Orient et en Afrique qui eussent été, pour eux, hors d’atteinte
sous le prétexte – et la réalité – du terrorisme. Celui-ci vise les Etats-Unis mais
ceux-ci en retirent un immense profit.
5.
Aussi, il ne serait pas exclu que pour le gouvernement
de Washington le terrorisme ait deux faces : l’une hideuse, celle des attentats et
de leurs victimes, l’autre favorable, parce que apparaissant assez redoutable pour
rassembler autour de l’Amérique, et sous sa direction, une importante fraction
de la collectivité en faisant pour elle, d’un grave péril, un atout politique.
supplémentaire.
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