Les soins de fin de vie : Enjeux médico-légaux Les enjeux des soins de fin de vie attirent actuellement une attention particulière au Canada. La décision de la Cour suprême du Canada, qui a déclaré non constitutionnelle la prohibition criminelle de l’aide médicale à mourir, 1 et la législation du Québec2 qui permet aux médecins d’offrir une aide médicale à mourir dans certaines circonstances à compter du 10 décembre 2015, sont des événements juridiques importants qui suscitent un intérêt accru. La couverture médiatique des résultats de sondages effectués auprès de médecins et du grand public aide à garder les soins de fin de vie sous les feux des projecteurs, tout comme les nouvelles déclarations, politiques et lignes directrices émanant de groupes de médecins, d’associations médicales et d’organismes de réglementation de la médecine (Collèges). Les soins de fin de vie : Enjeux médico-légaux Beaucoup de médecins doivent faire face à des questions liées aux soins de fin de vie et c’est pourquoi les membres de l’ACPM devraient bien connaître les enjeux médico-légaux connexes. Il y a certes d’autres enjeux qui ont trait aux soins de fin de vie, comme le fait de ne pas prodiguer un traitement ou d’y mettre fin, mais ce document porte avant tout sur les enjeux des soins de fin de vie particuliers à l’aide médicale à mourir, y compris l’objection de conscience, les directives préalables, le consentement et l’accès aux soins palliatifs. LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME La suspension pendant 12 mois de la décision unanime de la Cour suprême donne au Parlement et aux assemblées législatives provinciales le temps d’adopter des lois, et aux Collèges d’élaborer des politiques et des lignes directrices à l’intention des médecins. L’Association médicale canadienne (AMC) a produit un projet de cadre de réglementation visant à aider les responsables des politiques, qu’elle révisera au cours de son Conseil général en août 2015.3 Les médecins ont un rôle important à jouer en faisant avancer les discussions et veillant à ce que toutes les nouvelles mesures législatives et politiques tiennent compte de leurs points de vue. L’AIDE MÉDICALE À MOURIR : TOUJOURS ILLÉGALE La décision de la Cour suprême qui a déclaré inconstitutionnelle la prohibition criminelle de l’aide médicale à mourir est certes importante, mais l’ACPM veut que les médecins sachent que, tant qu’une mesure législative n’aura pas été adoptée, il demeure illégal pour quiconque, y compris les médecins, de donner des conseils ou de l’aide à une personne pour qu’elle se suicide ou pour lui faciliter la tâche à cet égard. L’AIDE À MOURIR : MESURES DE PROTECTION ET CRITÈRES Les mesures de protection adéquates dans le cas de l’aide à mourir préoccupent les patients, leur famille et les médecins. Toutes les parties savent qu’il peut y avoir des volontés contradictoires, sont conscientes de la qualité et du caractère sacré de la vie, et cherchent des moyens de protéger les intérêts des patients vulnérables. Les mesures de protection pourraient inclure notamment l’évaluation du patient par deux médecins indépendants, les périodes d’attente, la révocation verbale de la demande par le patient à n’importe quel moment et l’information complète au patient au sujet des soins palliatifs possibles. Les critères d’admissibilité à la demande d’aide médicale à mourir préoccupent aussi beaucoup de médecins. La Cour suprême a déclaré qu’un patient devrait être jugé « personne adulte capable » qui « consent clairement à mettre fin à sa vie », étant affectée de « souffrances intolérables » attribuables à des « problèmes de santé graves et irrémédiables ».4 Au Québec, la loi prévoit qu’un patient doit être une personne majeure, apte à consentir aux soins, qui est à la fin de sa vie et qui se trouve dans une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible de ses capacités. Le patient doit aussi être atteint d’une maladie grave et incurable qui entraîne des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables, ne pouvant être apaisées dans des conditions qu’il juge tolérables.5 La Cour suprême a certes essayé de clarifier certaines de ces conditions, mais les appréhensions des médecins persistent au sujet des définitions réelles, des zones grises et des questions sans réponse comme le droit de ceux qui ont une maladie mentale grave. Certains médecins peuvent se sentir à l’aise de fournir de l’aide à mourir aux patients qui ont certaines affections ou une maladie à un stade donné, mais non à d’autres problèmes. Dans tous les cas, les médecins souhaitent qu’il existe un processus robuste à suivre pour identifier correctement les patients pouvant avoir droit à l’aide à mourir et étant clairement capables de répondre aux exigences de la Loi ayant trait au consentement. OBJECTION DE CONSCIENCE En 2014, l’AMC a mis à jour sa politique sur l’euthanasie et l’aide à mourir. Elle y affirme appuyer l’accès pour les patients à l’éventail complet des soins de fin de vie qui sont légaux au Canada. Elle appuie aussi le droit des médecins, compte tenu des limites de la législation, à suivre leur conscience lorsqu’ils décident de fournir ou non une l’aide médicale à mourir.6 C’est important parce que certains médecins préféreraient un système reconnaissant leur droit de ne pas participer à des activités médicales allant à l’encontre de leurs croyances morales ou religieuses, ce qui peut inclure le droit de ne pas diriger des patients vers d’autres professionnels de la santé pouvant leur offrir les services en question. La préoccupation soulevée par l’obligation d’envoyer en consultation un patient recherchant une aide médicale à mourir émane en partie des positions adoptées auparavant par certains Collèges, qui ont affirmé que les médecins qui ne veulent pas fournir certains services médicaux (p. ex., avortement) en raison de leurs croyances morales ou religieuses doivent diriger le patient vers un autre professionnel de la santé.7 On ne sait pas trop si un Collège imposerait des demandes de consultation en ce qui a trait à l’aide médicale à mourir, mais les questions d’objection de conscience pourraient être réglées par une loi adoptée dans le sillage de la décision de la Cour suprême. La législation du Québec sur les soins de fin de vie, par exemple, oblige les médecins qui ne veulent pas diriger eux-mêmes un patient en consultation à prévenir l’autorité compétente (p. ex., un hôpital) qui elle, le fera.8 La décision de la Cour suprême précise clairement que l’on ne peut obliger les médecins à mettre fin à la vie d’un patient, mais la Cour a reconnu que les législateurs et les Collèges doivent trouver un moyen de concilier les droits garantis par la Charte à la fois des patients et des médecins. 9 Y parvenir efficacement pose un défi intimidant. L’EXPÉRIENCE DE L’ACPM Au début de 2015, l’ACPM a répertorié 96 dossiers médico-légaux conclus au cours des cinq dernières années, que l’on a associés à des enjeux de soins de fin de vie. DIRECTIVES PRÉALABLES Les médecins et les patients sont de plus en plus conscients de l’importance des discussions sur les soins de fin de vie, y compris les directives préalables. La nécessité d’améliorer la communication entre médecins et patients à la fin de la vie constitue en fait le sujet de plusieurs initiatives pilotées par des groupes de patients, des groupes de médecins, des régions sanitaires, des hôpitaux, des organisations de soins de longue durée et l’ACPM. Les médecins devraient être prêts à participer à des discussions sur les soins de fin de vie, y compris les directives préalables. On reconnaît en général que des conversations cruciales entre les patients, les membres de leur famille et les médecins peuvent aider à éviter les divergences de vues au sujet des soins de fin de vie. Ces échanges peuvent aboutir à des attentes plus réalistes au sujet des traitements de prolongement de la vie et, peut-être, de soins moins agressifs, effractifs et futiles à la fin de la vie. Le Collège des médecins de famille du Canada signale que les discussions sur la planification préalable des soins « …peuvent préparer les patients et leur famille à ce qui s’en vient et favoriser des soins de fin de vie réalistes ainsi qu’acceptables sur les plans de l’éthique et de la loi ».10 ENJEUX LIÉS AU CONSENTEMENT La tenue d’une discussion avec le patient ou son décideur remplaçant pour obtenir un consentement éclairé à l’égard des soins de fin de vie constitue une obligation importante des médecins. Du point de vue de l’ACPM, les allégations portant sur le caractère inadéquat du consentement et le défaut de documenter adéquatement la discussion sur le consentement sont des thèmes qui reviennent régulièrement dans ses dossiers médico-légaux. Certains Collèges et hôpitaux ont aussi des politiques sur les obligations des médecins quant au retrait et à l’interruption de soins qui, de l’avis des médecins, n’offriront aucun bienfait au patient ou lui nuiront. Pour en savoir davantage sur le retrait de traitements, veuillez lire l’article de l’ACPM « Mise à jour sur le retrait d’un traitement de maintien de la vie ». Les médecins doivent donc bien connaître la loi et les politiques pertinentes et documenter les discussions entourant le consentement et les décisions dans le dossier médical. Les médecins peuvent aussi envisager de consulter leurs collègues afin d’obtenir leur appui à l’égard des soins de fin de vie. Plaintes auprès du Collège 74% Actions en justice 16% Plaintes intrahospitalières 10% Il s’agissait pour la plupart de plaintes déposées auprès du Collège (74 %), d’actions en justice (16 %) et de plaintes intrahospitalières (10 %). La communication constituait le problème clinique le plus souvent indiqué (principalement une communication inadéquate avec le patient et sa famille). Des lacunes dans la documentation ont contribué à la rupture du processus de communication. Selon les experts consultés dans ces dossiers, les problèmes de communication relevés portaient sur le contenu des discussions (p. ex., explication au patient des différents niveaux de traitement offerts, des objectifs du traitement, de la terminologie utilisée), les efforts déployés pour veiller à ce que les membres de la famille comprennent l’objet de la discussion et y consentent et la documentation des discussions. Ils ont aussi signalé le manque de clarté entourant la délégation de pouvoir pour la famille. Les soins de fin de vie : Enjeux médico-légaux SOINS PALLIATIFS FRANCHIR LES ÉTAPES SUIVANTES Les intervenants reconnaissent que tous les Canadiens devraient avoir accès à des soins palliatifs de qualité. Le financement affecté aux soins palliatifs en établissement augmente certes, mais la couverture varie considérablement d’un bout à l’autre du Canada. Selon les normes internationales, le Canada compte moins de médecins spécialisés en soins palliatifs que des pays comparables comme les États-Unis et l’Australie, mais les patients qui arrivent à la fin de leur vie n’ont pas tous besoin d’être traités par un spécialiste des soins palliatifs.11 Alors que le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada se prépare à désigner la médecine palliative à titre de surspécialité, et que le Collège des médecins de famille du Canada élabore un certificat de compétence supplémentaire en soins palliatifs, la Société canadienne des médecins de soins palliatifs croit que tous les médecins devraient posséder des compétences de base en soins palliatifs.12 Ces initiatives démontrent qu’il faut aborder les soins palliatifs à la faculté de médecine, dans les programmes de formation postdoctorale, ainsi qu’en formation médicale continue, afin que plus de médecins puissent les intégrer dans leur exercice de la profession. Beaucoup d’intervenants différents jouent un rôle important en orientant et aidant les médecins au sujet des enjeux des soins de fin de vie. Cette orientation peut émaner des lois fédérales, provinciales et territoriales pertinentes, des cadres d’associations et de fédérations de médecins, ainsi que des politiques et des lignes directrices des Collèges et des hôpitaux. Il faut que les médecins participent aux discussions et aux décisions sur les soins de fin de vie et leur participation contribuera à l’adoption de politiques et de pratiques solides en la matière qui seront bénéfiques pour les patients et le système de santé. Suggestions de lecture à www.cmpa-acpm.ca L’ACPM est bien placée pour aider les intervenants à aborder les questions associées aux soins de fin de vie, est impatiente de le faire et appuie une collaboration soutenue dans ce domaine. L’Association encourage aussi ses membres à la consulter au besoin au sujet des soins de fin de vie. • « Mise à jour sur le retrait d’un traitement de maintien de la vie » • « Prodiguer des soins de fin de vie de qualité » • « L’annonce d’un mauvais pronostic aux patients en phase terminale » 1. Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5. Consulté en juin 2015. https://scc-csc/lexum.com/scc-csc/fr/item14637/index.do 2. Assemblée nationale du Québec, Loi concernant les soins de fin de vie, S.Q. 2014, c.2. Consulté en juin 2015. http://www.assnat.qc.ca/fr/travauxparlementaires/projets-loi/projet-loi-52-40-1.html 3. Association médicale canadienne, « L’AMC crée un cadre provisoire pour la légalisation de l’aide médicale à mourir », 10 juin 2015. Consulté en juin 2015. https://www.cma.ca/Fr/Pages/cma-creates-draft-framework-legislatingmedical-aid-in-dying.aspx 4. Voir note 1 ci-dessus. 5. Voir note 2 ci-dessus. 6. Association médicale canadienne, « L’euthanasie et l’aide médicale à mourir », 2014. Consulté en juin 2015. https://www.cma.ca/Assets/assetslibrary/document/fr/advocacy/EOL/CMA_Policy_Euthanasia_Assisted%20 Death_PD15-02-f.pdf 7. Voir les politiques suivantes : L’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, « Professional obligations and Human Rights », politique no 2-15, mars 2015. Consulté en juin 2015. http://www.cpso.on.ca/policiespublications/policy/professional-obligations-and-human-rights; Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique, « Professional standards and guidelines : Access to medical care », novembre 2012. Consulté en juin 2015. https://www.cpsbc.ca/files/pdf/PSG-Access-to-Medical-Care.pdf 8. Voir la note 2 ci-dessus. 9. Voir la note 1 ci-dessus. 10. Collège des médecins de famille du Canada, « Énoncé concernant les enjeux liés aux soins de fin de vie », mars 2015. Consulté le 5 mai 2015. http://www.cfpc.ca/uploadedFiles/Resources/Resource_Items/Health_ Professionals/CFPC%20Position%20Statement_Palliative%20Care_FR.pdf 11. Wanniarachige, D., « More palliative care specialists is not enough », Journal de l’Association médicale canadienne (2015), vol. 187, no 3, p. 171. 12. Société canadienne des médecins de soins palliatifs, « Commentary on the Number of Palliative Care Physicians in Canada », février 2015. Consulté le 24 mars 2015. http://www.cspcp.ca/wp-content/uploads/2014/10/Numberof-Palliative-Physicians-in-Canada.pdf @ACPMmembres www.cmpa-acpm.ca C.P. 8225, SUCCURSALE T, OTTAWA ON K1G 3H7 | TÉL. : 613-725-2000 1-800-267-6522 | TÉLÉC. : 613-725-1300 1-877-763-1300 8/15