La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 3 - mai-juin 2010 | 79
Résumé
En addictologie, nombreux sont les patients qui nous consultent sous la contrainte, que ce soit celle d’un
tiers (telle l’injonction thérapeutique…) ou leur propre contrainte (pour leur santé, pour les autres…).
Ainsi, le thérapeute se trouve dans une double contrainte, désigné par le corps social à la fois comme un
aidant et comme un outil de coercition, au risque de remettre en cause les concepts fondamentaux de toute
thérapie (le travail avec la demande, la motivation, l’alliance thérapeutique, le libre arbitre, le principe de
bienfaisance, le respect de l’autonomie, etc.). Les thérapies brèves systémiques semblent avoir un intérêt
pour ces patients : elles renforcent l’approche motivationnelle tout en intégrant le caractère obligé du soin.
Mots-clés
Addiction
Injonction de soins
Thérapie systémique
brève
Highlights
In departments of addictology,
many patients consult a thera-
pist under coercion due to a
third party (i.e. treatment order)
and if some patients come
spontaneously, they often do so
more ‘‘for the others’’ than for
themselves. Thus, therapists are
under a two-fold coercion fixed
by the social (or family) setting:
they act both as a helper and
as a coercive agent, and this
situation questions the funda-
mental concepts of treatment.
Brief systemic therapy seems
to have an interest in addic-
tology as it focuses on motiva-
tion while taking into account
coercion.
Keywords
Addiction
Coercion
Brief systemic therapy
cher tous les moyens pour y échapper. Comme l’avait
défini l’équipe de M. Selvini-Palazzoli (2), il trouvera
plusieurs échappatoires. Il peut adhérer à l’opinion du
demandeur et se trouver un ou des problèmes à l’ori-
gine de son comportement, sans pour autant changer
profondément. Il peut feindre de suivre la thérapie tout
en restant sur ses positions, et donc ne pas changer. Il
peut aussi tenter de faire alliance avec le thérapeute
contre le demandeur, en se positionnant comme
victime. Ou, enfin, il peut retourner le contexte du
soin à son avantage pour en tirer profit (pension,
allocation, dédouanement vis-à-vis du demandeur)
et ainsi maintenir le comportement jugé probléma-
tique. Cette dernière solution devient toutefois de
plus en plus difficile à tenir étant donné que l’emprise
d’un toxique constitue aujourd’hui une circonstance
aggravante et non atténuante en cas de délit.
Donc, ne pas travailler avec la contrainte ou ne pas
en tenir compte dans la définition du problème, c’est
prendre le risque que le patient y échappe, mais c’est
aussi prendre le risque de créer nous-mêmes la résis-
tance au changement (si souvent évoquée à l’endroit
des patients addicts). En effet, un patient contraint est
quasiment obligé de résister à un changement qui lui
est imposé. En particulier, dans un contexte psycho-
pathologique souvent peu favorable à l’introspection
(alexithymie, intolérance à la frustration, incapacité à
planifier, voire errance médico-psycho-sociale, etc.),
il n’est pas rare que ces patients consultent en étant
encore sous l’emprise d’une ou plusieurs substances,
ce qui peut altérer leur jugement sur le bien-fondé de
l’injonction de soins (qu’elle soit sociale ou individuelle).
Mais, au-delà de cet aspect, le sujet contraint, se
sentant incompris, vit un sentiment d’injustice et n’a
pas d’autre choix que de mettre en échec l’ensemble
des propositions de soins centrées sur le traitement
de la dépendance au produit (hospitalisation à temps
complet, hospitalisation de jour, sevrage ambulatoire,
consultations programmées ou non, etc.). En d’autres
termes, nous voulons dire ici que la résistance n’est
pas une caractéristique propre au patient, mais qu’elle
est aussi un symptôme de la relation soignant-soigné.
Car la contrainte est un facteur insuffisant à lui seul
pour créer de la résistance, alors que la non-compré-
hension du point de vue du patient en est un facteur
clé. En effet, cette résistance étant incluse dans la
relation thérapeutique, la tentation du thérapeute sera
naturellement l’escalade symétrique, la persuasion
directe, voire le rejet du patient (par épuisement du
thérapeute) : des solutions somme toute bien limi-
tées pour aider ces sujets dans la résolution de leur
ambivalence. C’est d’ailleurs ce que l’approche moti-
vationnelle des addictions nous a apporté en France
ces dernières années, en nous apprenant à comprendre
l’état d’esprit du patient, allant jusqu’à inclure (à juste
titre) la rechute comme un stade évolutif (3).
Renégocier le contrat
Nous partons du postulat que, même si un patient
n’adhère pas à l’objectif thérapeutique initialement
annoncé, il existe de toute façon une plainte sous-
jacente pour laquelle il serait réellement motivé à faire
évoluer sa situation. En fait, l’objet de la plainte est
simplement différent de celui de la demande du tiers.
Travailler avec le patient sur l’objet de sa plainte dans
le cadre de la contrainte est ce que R. Fisch appelle
“renégocier le contrat” (4).
En effet, même si la tentation de résister est
toujours présente, un sujet contraint doit entendre
et comprendre qu’il a toujours 3 possibilités face à
une telle situation :
➤
accepter ; dans ce cas, il reconnaît être en difficulté
avec le produit (ou le comportement). Il accepte alors
de se faire soigner pour répondre aux exigences du tiers ;
➤
refuser, et rester dans le déni de la dépendance
(ou de l’excès). Il refuse que l’on s’occupe de lui et
n’accepte pas les “reproches” du tiers. N’admettant
pas son problème, il doit quitter le soin et en référer
au demandeur ;
➤négocier ; c’est une solution fréquente. Le patient
reconnaît qu’il existe un problème entre lui et le deman-
deur. Même s’il n’adhère pas à la version du demandeur,
il conçoit que son comportement pose un problème
au demandeur. Il ne pourra évidemment pas négocier
la réalité des faits qui lui sont reprochés (dépendance,
ivresse au volant ou sur la voie publique, violences,
isolement, etc.). En revanche, il pourra négocier les
raisons qui le poussent à avoir ce comportement et qui
poussent son entourage à lui demander de se soigner. Il
est en droit d’expliquer ses raisons, ou encore sa vision
de la situation (conjugale, familiale, professionnelle,
etc.).