Nécrologie
Mary Douglas, anthropologue britannique
LE MONDE | 24.05.07 | 15h14 • Mis à jour le 24.05.07 | 15h15
La mort de l'anthropologue britannique "Dame" Mary Douglas, mercredi 16 mai à l'âge de 86
ans, ne frappe pas seulement une discipline dont elle était l'une des plus importantes figures.
Elle prive également la vie intellectuelle internationale d'une de ses voix les plus novatrices.
Par son sens du franchissement des limites trop tranchées entre les savoirs, par la curiosité
souvent pionnière qui poussa cette ethnologue à s'engager dans des domaines aussi divers que
celui des risques environnementaux, des règles de pureté biblique ou de la composition
littéraire, Mary Douglas incarnait éminemment une transdisciplinarité souvent vantée mais
rarement mise en pratique.
Cette femme, que les hasards de la carrière de son père, fonctionnaire britannique en Inde,
firent naître au retour de Birmanie à San Remo, le 25 mars 1921, jouissait d'une audience
relativement discrète en France où, pourtant, certains sociologues comme Pierre Bourdieu
appréciaient son oeuvre dont seule une faible partie reste accessible au public francophone.
Nul doute que sa véritable réception dans notre pays sera posthume. Cette situation est
d'autant plus paradoxale qu'elle-même se réclamait de l'héritage des sciences sociales à la
française, d'Emile Durkheim en particulier, et qu'elle jugeait "injuste" le mauvais accueil que
l'anthropologie britannique avait ménagé, selon elle, à Claude Lévi-Strauss.
Avant tout, Mary Douglas demeurera comme le maillon essentiel d'une tradition fondatrice de
l'anthropologie contemporaine qui a depuis le fameux Rameau d'or de James Frazer pris pour
thème central la vie religieuse. Elle fut l'étudiante et l'amie d'Evans-Pritchard, dirigeant du
prestigieux Institut d'anthropologie sociale d'Oxford, où elle fut formée, dont les études sur la
religion des Nuers du Soudan constituent un des "classiques".
Si Mary Tew (son nom de jeune fille) fit toutes ses preuves d'africaniste de "terrain" en allant
observer, à partir de 1949, les Lélé du Kasaï (au sud de l'ex-Congo belge, dans l'actuelle
RDC) - sa thèse en forme de monographie The Lele of Kasai sera publiée en 1963 -, le nom
de Mary Douglas restera surtout associé à deux tournants majeur de l'anthropologie.
Le premier consiste en cette idée, devenue commune depuis, que l'Occident, au sein duquel
cette discipline est née, peut tout à fait être exposé au regard que le chercheur a d'abord jeté
sur des univers qualifiés autrefois de "primitifs". Le deuxième bouleversement en découle :
une rupture avec l'"évolutionnisme moral" qui estime que les croyances plus modernes
représentent un progrès en matière de civilisation. Un préjugé qui imprégnait l'ensemble de la
littérature anthropologique des débuts du XXe siècle, mais aussi Totem et tabou de Freud.
C'est dégagée de tout eurocentrisme que Mary Douglas s'est au contraire intéressée aux rituels
de pureté, thème de ce qui demeure son ouvrage le plus célèbre, Purity and Danger (1967,
traduit en français sous le titre de La Souillure, La Découverte, 2001). Elle eut à coeur de
montrer que les rites doivent toujours être compris en relation à un système social déterminé
dont l'"impureté" (ou la saleté) dérange l'ordonnancement.