SYSTèME NERVEUX ET NUTRITION

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Système nerveux et nutrition
ECOLE D’ÉTÉ
Département Alimentation humaine
7 au 10 juillet 2014
Membre fondateur de
E
n 2014 s’est tenue la douzième édition de l’école d’été du département
Alimentation humaine. Initiées en 2003 par Xavier Leverve, les écoles d’été ont,
depuis lors, reçu le soutien des chefs de département qui lui ont succédé, Patrick
Etiévant puis Jean Dallongeville. L’objectif est de sensibiliser les jeunes chercheurs du
département à l’analyse d’articles scientifiques en développant leur esprit critique et en
élargissant leur connaissance dans des champs de la recherche qui ne sont, la plupart du
temps, pas le leur. Les écoles se déroulent dans un cadre agréable et détendu favorisant les
échanges entre jeune et moins jeune générations sans soucis de protocole et de hiérarchie.
En 2014, l’école d’été s’est intéressée aux relations entre système nerveux et nutrition.
Cette synthèse vous fera revivre les présentations et les discussions de ces trois journées
et intéressera non seulement les participants mais aussi plus largement les chercheurs
impliqués dans les questions de nutrition.
Je tiens à remercier tout particulièrement les intervenants pour la qualité de leurs
présentations et la richesse des débats qu’ils ont suscités, Véronique Roustain et l’équipe
administrative du département pour la coordination logistique de ces journées ainsi que
Jeannine Goacolou et Claire Gaudout qui ont réalisé ce recueil à partir de leurs notes et
des heures d’enregistrements effectués au cours de cette école d’été.
Jean Fioramonti, conseiller scientifique du département Alimentation humaine
-1-
Comment se déroule l’école d’été ?
L’école d’été réunit doctorants, post-doctorants et jeunes chercheurs dans un lieu
convivial pendant 6 demi-journées, autour d’une thématique qui va leur permettre
d’approfondir leurs connaissances, dans un domaine plus ou moins proche de leur sujet
de thèse ou de leur activité quotidienne.
Le principe veut que, tour à tour, au cours de ces journées, les participants soient dans
la position d’enseigné et d’enseignant. Chaque thématique, déclinant le thème choisi,
s’articule autour d’une demi-journée de travail.
Tout d’abord, le chercheur senior sollicité par le département présente une synthèse
de l’état de l’art. Puis cinq articles scientifiques sélectionnés par celui-ci sont ensuite
présentés de façon critique par les doctorants sous forme de présentations orales de 10
minutes.
L’article en question, choisi et préparé au préalable par l’étudiant, donne ensuite lieu à un
débat animé par le chercheur, qui peut également aider l’étudiant dans sa présentation
si nécessaire.
L’objectif est donc au moins triple :
• développer l’esprit critique et de la discussion contradictoire des jeunes vis-à-vis et
autour des travaux publiés dans la littérature qu’ils considèrent souvent comme
« paroles d’évangile ».
• permettre aux jeunes de passer plusieurs journées consécutives avec des chercheurs
renommés dans les domaines traités et de leur offrir des perspectives de contacts
futurs.
• offrir un cadre convivial, permettant d’instaurer des connexions fortes entre des
étudiants et jeunes chercheurs qui n’auraient jamais eu l’occasion de se rencontrer,
ainsi qu’un climat relationnel de chercheur à chercheur avec les organisateurs et les
intervenants.
Directeur de la publication : Jean Dallongeville
Réalisation : Jeannine Goacolou, Claire Gaudout
Impression - Mise en page : Imprimerie Decombat
Photo en page de couverture : INRA
-2-
Sommaire
Neurones hypothalamiques à AgRP : un contrôle de la balance
énergétique à plusieurs niveaux
Session animée par Serge LUQUET
page 5
Signaux intéroceptifs impliqués dans le contrôle du comportement
alimentaire : apports de l’imagerie cérébrale
Session animée par Charles-Henri Malbert
page 23
Le rôle des interactions individus-environnements dans les comportements alimentaires
Session animée par Jocelyn Raude
page 51
L’intestin : carrefour des interrelations entre le métabolisme
glucidique et l’homéostasie énergétique
Session animée par Gilles Mithieux
page 81
Les relations entre la nutrition et la dépression : de l’association aux mécanismes
Session animée par Lucile Capuron
page 101
Implication des oméga-3 dans la physiologie cérébrale :
rôle possible dans la prévention des altérations liées au stress et au vieillissement
Session animée par Isabelle Denis
page 125
-3-
-4-
1
Session 1
Neurones hypothalamiques à AgRP :
un contrôle de la balance énergétique
à plusieurs niveaux
Serge LUQUET
Nous allons nous pencher aujourd’hui
sur certains circuits de la régulation de
la prise alimentaire.
Les dépenses énergétiques couvrent le
métabolisme de base, la thermogénèse,
et l’exercice. Il est plus facile d’agir
sur la composante exercice que la
thermogénèse
Régulation de la balance énergétique
L’énergie fournie par l’alimentation
est dépensée par différents pôles
de dépenses énergétiques, ce qui
conditionne la prise ou la perte de
poids. Un différentiel assez faible
d’énergie va être compensé par les
capacités de régulation du poids
corporel de manière très subtile.
Pour réguler les dépenses énergétiques
le corps doit être capable d’évaluer les
stocks énergétiques. Le corps analyse
ensuite les signaux perçus et développe
une réponse adaptée : augmentation ou
diminution du métabolisme de base,
augmentation de la prise alimentaire.
Un système retour permet d’arrêter la
prise alimentaire lorsqu’un nouvel état
d’équilibre est atteint.
Je prends toujours l’exemple d’un
biscuit (50 kcalories) consommé
chaque soir : si l’on considère que les
autres repas ont compensé les dépenses
énergétiques,
la
consommation
journalière de ce biscuit entraîne une
augmentation de la masse grasse de
10 kg en 4 ans. Un petit différentiel
sur des périodes de temps relativement
courtes peut finalement s’accumuler de
manière dramatique, et bien entendu
augmenter la masse. Généralement
un tout petit différentiel, 50 kcalories
cumulés, est ajusté soit en augmentant
la dépense énergétique soit en
diminuant la prise alimentaire.
La leptine
La leptine, qui vient de leptos en grec
qui signifie mince, est une hormone
qui a été découverte par le laboratoire
de J. Friedman dans les années 90, à
partir du gène responsable du modèle
génétique d’obésité spontanée ob/ob.
L’animal dépourvu de cette hormone
est hyperphagique, hypométabolique
et développe une obésité massive. La
leptine est secrétée par le tissu adipeux
en proportion de sa masse : plus il y a
de masse grasse, plus il y a de leptine.
-5-
Les différents types de régulation
La leptine a des sites de liaison dans
l’hypothalamus, ce qui entraîne une
diminution de la prise alimentaire et
une augmentation du métabolisme.
Les régulations à court terme
permettent de terminer un repas. Lors
de la distension gastrique par exemple,
les mécano-récepteurs de la poche
gastrique envoient un signal nerveux
dans les structures du noyau du
tractus solitaire et permettent d’arrêter
le repas. La chirurgie de l’obésité,
notamment l’anneau gastrique, repose
sur ce type de régulation.
Un enfant leptino-déficient traité avec
de la leptine retrouve un poids normal.
Il s’agit ici d’un cas monogénique
d’obésité qui reste rare. L’obésité a le
plus souvent un terrain multifactoriel.
Si la leptine joue bien son rôle chez
l’homme sain, la leptino-résistance
chez l’obèse représente une limitation
importante pour l’utilisation de la
leptine comme traitement (étude de
J. Friedman).
Les régulations à long terme permettent
de lisser le poids corporel sur une
période d’une semaine, quelques mois,
quelques années. La Fig. 1 illustre ces
Fig.1 :
Les régulations à court
et long termes
-6-
homologue, l’Agouti Related Protein
(AGRP), contrôle directement la
prise alimentaire. α – MSH est le
liguant endogène des récepteurs à la
mélanocortine de type 3 et 4 (MC3-R
et MC4-R). Lorsque ce liguant se
fixe sur son récepteur, la cascade
dite mélano-cortine aboutit à une
diminution de la prise alimentaire et
une augmentation du métabolisme.
AGRP est tout simplement l’agoniste
inverse d’α – MSH. Plus il y a d’AGRP,
moins α – MSH va être capable de lier
à son récepteur.
régulations. Il existe des relations très
importantes entre la sphère intestinale
et la sphère nerveuse qui échangent de
manière réciproque des informations
nerveuses mais aussi hormonales pour
établir une forme de dialogue.
La plupart des signaux diminuent
la prise alimentaire, sauf l’octanoylghreline qui est, à ce jour, à ma
connaissance, la seule hormone
circulante qui ait été décrite comme
étant un promoteur de la prise
alimentaire.
A cours des cinq dernières années de
recherche dans le domaine, de nouvelles
structures synaptiques dans certains
groupes neuronaux qui permettent
de réguler la prise alimentaire ont été
identifiées. Le cortex préfrontal est
notamment extrêmement important
dans le choix, dans la décision. Dans
l’aire tegmentale ventrale vivent des
neurones dits dopaminergiques qui
vont être capables de coder toute la
partie hédonique et motivationnelle
associée à la nourriture mais pas
uniquement. Les hormones (leptine,
insuline, ghréline) qui circulent sont
probablement capables de moduler une
multitude de structures directement
sur ces neurones.
Neurotransmetteurs impliqués dans
la régulation de la prise alimentaire
Nous allons nous concentrer sur
trois neuropeptides impliqués dans la
régulation de la prise alimentaire ou de
la balance énergétique.
Pour savoir si une hormone est
orexigène ou anorexigène, on l’injecte
chez un animal, soit dans le cerveau,
soit en périphérie et on observe la prise
alimentaire.
Le neuropeptide Y (NPY) et l’Agouti
Related Protein (AGRP) sont des
hormones orexigènes. A l’inverse,
l’injection en central ou en périphérie
de l’Alpha Melanocyte Stimulated
Hormone (α – MSH) qui est le produit
de coupure d’un pro-peptide plus
gros pro opiomelanocortine (POMC),
diminue la prise alimentaire et
augmente le catabolisme énergétique.
Le système à la mélanocortine
La mélanocortine (MSH) est une
hormone qui stimule la synthèse
de mélanine dans les cellules de
la peau. Dans le cerveau, son
-7-
Fig. 2 : Les principaux signaux impliqués dans la régulation de la balance énergétique
Le noyau arqué de l’hypothalamus
liant aux récepteurs à la mélanocortine
(4 et 5) diminue la prise alimentaire.
Inversement, la ghréline est orexigène :
elle stimule les neurones à NPY et à
AGRP qui vont en retour libérer leurs
neuropeptides et donc promouvoir
la prise alimentaire, notamment en
s’opposant à la liaison d’α-MSH sur
son récepteur
Les neurones à AGRP et NPY sont
situés dans le noyau arqué. Ce sont
des neurones de premier ordre car ils
sont les premiers à être renseignés sur
le statut énergétique. Les neurones à
AGRP et NPY sont coexprimés. En
revanche, les neurones à POMC font
exactement l’opposé : ce sont des
neurones qui, lorsqu’ils sont stimulés,
vont libérer l’ α – MSH, qui diminue
le prise alimentaire et augmente le
catabolisme.
L’étude de M. Cowley a montré que la
leptine agit de manière synergique à la
fois sur les neurones à POMC qu’elle
active et sur les neurones à NPY et à
AGRP qu’elle inhibe.
La leptine est anorexigène : elle vient
stimuler le neurone à POMC, POMC
libère le peptide α – MSH, qui en se
Un neurone peut avoir un axone
qui projette très loin. Par exemple,
des neurones qui vivent dans l’aire
-8-
été observé. De même, l’inactivation
du gène à AGRP n’a montré aucun
effet. La destruction des neurones
NPY/AgRP en revanche chez un
animal adulte conduit à l’arrêt de la
prise alimentaire. (Luquet, S., Perez,
F. A., Hnasko, T. S., and Palmiter, R.
D. (2005) NPY/AgRP neurons are
essential for feeding in adult mice but
can be ablated in neonates. Science 310,
683-685.)
tegmentale ventrale projettent de
l’autre côté du cerveau dans le
striatum. Donc, pour connaître les
cibles potentiels neuro-anatomiques
d’un groupe neuronal, vous pouvez
suivre le neuro peptide qui est libéré.
Les neurones fabriquant le NPY et
l’AgRP sont connus principalement
pour leur rôle sur la prise alimentaire,
mais aussi pour des fonctions qui
pouvaient être dépendantes ou
indépendantes du système à la
mélanocortine.
Est-ce, pour autant, la démonstration
que ces neurones sont des inducteurs
de la prise alimentaire ? Ce sont peutêtre tout simplement des neurones
qui préviennent l’anorexie. D’autres
groupes neuronaux pourraient induire
la prise alimentaire.
Les neurones à NPY et à AGRP
libèrent
un
neurotransmetteur,
l’acide γ-aminobutyrique (GABA),
qui a une action inhibitrice, alors
que les neurones à POMC sont
majoritairement
glutamatergiques,
c’est-à-dire qu’ils libérent le glutamate
qui est neurotransmetteur excitateur.
Les techniques d’optogénétique
L’optogénétique a été élue technique de
l’année par Nature Methods en 2010.
Le principe repose sur l’expression
forcée à la surface d’un neurone (ou
tout autre type cellulaire) d’un gène
codant pour une protéine « photoactivable » appelée opsine. L’opsine
est alors activée à l’aide d’une fibre
optique implantée dans le cerveau,
provoquant la dépolarisation ou
l’hyperpolarisation du neurone.
Imaginons que vous n’ayez pas mangé
pendant un certain temps : lorsque la
leptine diminue, la masse adipeuse
diminue, puis la leptine diminue en
conséquence, il y a moins de signaux
excitateurs sur les neurones à POMC
et moins de signaux inhibiteurs sur les
neurones NPY/AGRP ce qui se traduit
in fine par l’augmentation de la prise
alimentaire et la diminution de la
dépense énergétique.
L’excitation in vivo à l’aide de cette
méthode des neurones NPY/AgRP
conduit à une augmentation de la
prise alimentaire (Aponte et al., 2011).
De la même manière, l’excitation
des neurones à POMC induit une
diminution de la prise alimentaire.
Le knock out, ou invalidation génique,
est l’inactivation totale d’un gène. Le
groupe de Richard Palmiter a réalisé
un knock out du gène codant pour le
neuropeptide Y (NPY). Aucun effet n’a
-9-
Fig.3 : L’optogénétique
n’aura aucune conséquence. C’est
l’inverse qui se produit. L’animal se
laisse mourir de faim. Cela signifie
qu’un autre médiateur produit par
les neurones NPY/AgRP intervient. Il
s’agit du GABA.
Les neurones à AGRP inhibent en
permanence les neurones à POMC
par l’intermédiaire du GABA. En cas
de destruction des neurones à AGRP,
les neurones à POMC se trouvent
très excités puisqu’ils n’ont plus de
tonus inhibiteur. Comment expliquer,
alors, que l’ablation chez l’adulte des
neurones à AGRP se traduise par une
anorexie massive ? Pour répondre à
cette question, on a étudié un modèle
d’obésité, l’Agouti Yellow, chez qui
le système α – MSH ne fonctionne
pas car le modèle produit de manière
endogène un antagoniste. Si on
détruit les neurones à AGRP chez ce
modèle, on pourrait penser que cela
Le laboratoire de Richard Palmiter a
pu démontrer que l’injection de GABA
dans le noyau parabrachial (PBN)
permet d’éviter l’anorexie qui suit la
perte des neurones NPY/AgRP. Les
animaux ne se sont pas laissé mourir
de faim (Qi Wu et al.). Ce papier a
montré, pour la première fois, que si ces
neurones à NPY et à AGRP avaient une
fonction dans la voie mélanocortine,
-10-
Dialogue cerveau / tissus
ils avaient aussi une fonction dans une
voie non mélanocortine, qui impliquait
la libération de GABA dans beaucoup
de structures, notamment le PBN.
Nous allons voir maintenant que le
cerveau a un rôle important dans la
manière dont les tissus, tels que le foie
et les muscles vont dialoguer (figure 4).
Qui n’a pas connu une aversion pour
un aliment qui l’a rendu malade ? Le
conditionnement aversif passe par
un dialogue très fort entre l’intestin
et une intégration via le PBN. Le
PBN est capable de projeter dans
des structures plus évoluées dans le
cerveau, et c’est notamment la force
de conditionnement négative qui fera
que plus jamais vous ne mangerez un
aliment qui vous a rendu malade.
Les neurones connectent directement
à des structures qui vont contrôler ce
qu’on appelle la composante autonome,
c’est-à-dire la quantité de noradrénaline/acétylcholine qui va être libérée par
le système sympathique/parasympathique sur les différents tissus.
Par exemple, dans le tissu adipeux, la
libération de noradrénaline par le système autonome promeut directement
la libération d’acides gras : la lipolyse.
A l’aide de techniques optogéniques,
Scott M. Sternson a montré que la
stimulation du PBN n’induisait pas la
prise alimentaire contrairement à ce
qu’avait démontré R. Palmiter, mais
que c’est la stimulation du noyau
paraventriculaire (PVN) qui - à l’aval
des neurones à AGRP - se traduit par
une réponse oréxigène.
Joly-Amado et al. (2012) ont montré
qu’un animal privé de neurones NPY/
AgRP présentait un défaut de dialogue
avec les neurones du PVN, ceux-là
même qui contrôlent une partie du
système autonome.
La calorimétrie indirecte permet de
mesurer les échanges d’O2 ou de CO2
chez un animal. Chez un animal à
jeun, le quotient respiratoire (QR) qui
est le rapport entre CO2/O2 est un
indicateur du substrat métabolique
qu’un organisme utilise. Lorsque le
QR est voisin de 0.7 il brûle du gras,
voisin de 1, il brûle des sucres. Les
animaux dépourvus de neurones NPY/
AgRP utilisent préférentiellement
du gras comme source métabolique
puisque leur QR est souvent voisin de
0,7. Joly-Amado et al. ont montré que
Quelques années plus tard, R. Palmiter
a émis l’hypothèse que la clé n’était
pas d’activer ces neurones mais
de les inhiber comme le faisaient
naturellement les neurones à AGRP. A
l’aide de techniques d’optogénétique
et de pharmacogénétique (stimulation
avec une molécule synthétique), il a
montré que l’inhibition des neurones
du PBN les protégeait de la perte
soudaine des neurones NPY/AgRP et
était aussi capable d’induire la prise
alimentaire.
-11-
Fig. 4
des animaux ayant perdu 600 à 800
neurones à NPY/AgRP présentaient
un tonus adrénergique (c’est-à-dire
une libération d’adrénaline) plus
important dans les muscles de type
rouge (essentiellement consommateurs
de gras) et un tonus adrénergique
diminué dans les muscles de type blanc
(essentiellement consommateurs de
sucre). La perte de ces neurones entraîne
une altération du dialogue cerveau/
périphérie qui promeut l’utilisation
préférentielle du gras. Ces animaux
soumis à un régime hyperlipidique
ne développent pas de diabètes,
bien au contraire leur tolérance au
glucose s’améliore démontrant que
ces animaux sont mieux disposés à
utiliser métaboliquement le gras. Les
neurones NPY/AgRP sont impliqués
dans la partition des flux énergétiques
en périphérie ou « nutrient
partitioning », c’est-à-dire qu’ils
peuvent communiquer directement
via le système autonome vers les
tissus périphériques et coordonner
l’utilisation préférentielle d’un substrat
plutôt qu’un autre.
-12-
Fig. 5
Article 1
antagoniste sur l’appétit. Les neurones
à AGRP augmentent l’appétit, ce
sont des neurones orexigènes, et les
neurones à POMC sont des neurones
anorexigènes.
Deconstruction of a neural
circuit for hunger
présenté par Polina PANCHENKO
AGRP (Agouti Related Peptide) agit
comme antagoniste du récepteur de
la mélanocortine, il empêche l’action
anorexigène de POMC.
Le but de cette étude était de cartographier des réseaux neuronaux impliqués
dans la régulation de l’appétit chez la
souris, et surtout de décrypter le rôle
fonctionnel de ces réseaux de neurones
dans le comportement alimentaire.
Il est connu que les neurones
AGRP peuvent secréter trois types
de substances : AGRP lui-même,
NPY et GABA. GABA est un
Les neurones à AGRP et POMC
dans l’hypothalamus ont une action
-13-
DISCUSSION
neurotransmetteur inhibiteur présent
un peu partout dans le cerveau.
S. LUQUET Scott Sternson utilise tous les
inhibiteurs pharmacologiques sauf un.
Les auteurs ont étudié l’effet des
neurones à AGRP sur les neurones
à POMC dans le noyau arqué, sur
l’hypothalamus
paraventriculaire
(PVH) et aussi sur le noyau
parabrachial (PBN).
P. PANCHENKO Sauf l’inhibiteur de M3,
le récepteur à la mélano cortine de 3ème
et 4ème type. Du coup il ne regarde pas
l’effet d’AGRP lui-même.
S. L. Non seulement il ne regarde pas les effets
d’ AGRP lui-même mais il ne regarde pas
non plus l’effet d’α-MSH.
Les auteurs ont utilisé l’optogénétique
et des méthodes d’électrophysiologie ;
ils ont étudié le comportement
alimentaire et ils ont utilisé les
bloqueurs pharmacologiques des
différents récepteurs, par exemple le
récepteur GABA et le silencing des
neurones (système hM4D).
Lorsque ces neurones à AGRP sont stimulés
par la ghréline sur une longue période,
quelle cascade d’événements pouvez-vous
imaginer ?
P. P. Je pense que cela induit des
changements de l’expression d’ARN
messager dans les cibles des neurones
de 2ème et 3ème ordre.
Cette étude montre que les axones des
neurones à AGRP régulent différentes
composantes
du
comportement
alimentaire :
S. L. Scott Sternson étudie justement
des stimulations longues des neurones
à NPY/AGRP/GABA. AGRP et GABA
n’ont probablement pas les mêmes
effets dans le temps. Il y a probablement
une adaptation des cibles postsynaptiques
par
internalisation
des récepteurs MC4. C’est une des
hypothèses.
zles neurones à AGRP permettent
une inhibition des neurones POMC
dans le noyau arqué (réponse à long
terme).
zles neurones à AGRP inhibent les
neurones de PVH et cette réponse est
immédiate.
P. P. Les auteurs étudient la relation
entre AGRP et POMC dans le noyau
arqué. J’imagine qu’il y a aussi d’autres
populations de neurones dans le noyau
arqué qui pourraient être intéressantes.
Les neurones à AGRP intègrent les
signaux de la leptine, de la ghréline,
de l’insuline, mais aussi il y a des
récepteurs de glutamate.
zles neurones à ocytocine sont une
cible principale des neurones à
AGRP du noyau arqué
z GABA et NPY sont impliqués dans la
réponse orexigène dans le PVH
z les projections des neurones à AGRP
dans le le noyau parabrachial n’ont
pas d’effet direct sur l’appétit.
-14-
Article 2
S. L. Un élément de littérature décrit
un circuit qui vient du système
ventromédian directement sur les
neurones à POMC. Il existe un système
de retour sur ces neurones à AGRP qui,
dès qu’ils intègrent un signal dans le
noyau paraventriculaire, renvoient un
signal simulateur.
Genetic identification of a neural circuit
that suppresses appetite
présenté par Florent MESCLON
Cet article de Matthew E. Carter se
penche sur l’identification génétique
des circuits neuronaux qui suppriment
l’appétit. Cet article a été publié dans
Nature en 2013.
Lors de la stimulation optogénétique, est-on
certain, surtout dans des structures qui sont
extrêmement petites comme l’hypothalamus,
qu’il n’y a pas de stimulation aspécifique ?
Parmi les régions du cerveau qui
régulent l’appétit, le noyau parabrachial
(PBN) regroupe une population
hétérogène de neurones qui régulent
notamment le goût, la respiration
ou encore la sensibilité thermique. Il
interviendrait dans la suppression de
la prise alimentaire lors de sécrétion
d’hormones anorexigènes, ou encore
d’intoxication alimentaire, ou d’une
infection bactérienne.
S. L. A la différence de la stimulation
électrique, la génétique permet
d’exprimer de manière spécifique dans
un groupe neuronal. Néanmoins, la
stimulation de certaines populations
neuronales exige beaucoup de lumière.
En général, les chercheurs utilisent
également la pharmacogénétique, en
complément de l’optogénétique, qui
permet de de contrôler, dans le temps,
la fréquence de la stimulation.
L’objectif de cet article est d’identifier
les neurones spécifiques du PBN qui
participent à la suppression de la prise
alimentaire.
Tout d’abord les auteurs ont dû
identifier dans le PBN quels neurones
étaient impliqués dans la suppression
de l’appétit. Pour supprimer l’appétit,
ils ont réalisé une ablation des neurones
à AGRP et une injection de LiCl qui
simule une intoxication alimentaire. Ils
ont analysé l’expression de FOS qui est
un marqueur de l’activité neuronale :
FOS en fait serait au niveau d’une
région du PBN appelée PBelo.
-15-
trouvé une coexpression des protéines
au niveau d’une des divisions de
l’amygdale, appelée le CeAlc.
Les auteurs utilisent un modèle de
souris transgénique dite CalcaCre,
c’est-à-dire qui exprime la recombinase
Cre au niveau du locus Calca. Le gène
Calca, qui exprime la protéine CGRP,
est notamment exprimé dans le PBelo.
Pour confirmer la connexion entre
CeAlc et PBelo, ils ont injecté des
rétrobilles fluorescentes dans le CeAlc.
Ces rétrobilles sont capables de remonter
les projections afférentes. Les auteurs
ont retrouvé ces rétrobilles au niveau
du PBN confirmant ainsi la connexion
entre ces deux régions neuronales.
Le contrôle de l’activité des neurones
PBelo se fait à l’aide d’adénovirus.
Lorsqu’il y a action de la recombinase
Cre, cela retourne la cassette
d’expression de l’adénovirus et permet
son expression. Comme la Cre n’est
exprimée qu’au niveau du PBelo, cela
va permettre une expression spécifique
de leur protéine dans cette région.
Les auteurs ont montré qu’une
stimulation des neurones du CeAlc
conduit à une inhibition réversible de la
prise alimentaire.
Dans des conditions qui suppriment
l’appétit, FOS et mCherry sont comarqués. Les auteurs ont observé
un lien entre le nombre de cellules
coexprimés mCherry et FOS et la
réduction de la prise alimentaire.
Les auteurs ont décrit un circuit
neuronal passant par les neurones PBelo
exprimant CGRP et allant jusqu’aux
neurones du CeAlc qui inhibent la
prise alimentaire. En l’absence de stress,
l’inhibition de ces neurones n’influe
pas sur la prise alimentaire. Les auteurs
émettent l’hypothèse que les neurones
PBelo CGRP seraient impliqués dans
la suppression de la prise alimentaire
dans des conditions plus sévères
de satiété, comme une distension
gastrique ou en cas de maladie, c’est-àdire des conditions inconfortables ou
désagréables.
Les auteurs ont étudié l’impact de
l’activation des neurones PBelo CGRP
sur la prise alimentaire. Ils ont constaté
une diminution rapide et réversible de
la prise alimentaire. L’inhibition des
neurones PBelo CGRP augmente la
prise alimentaire dans des conditions
qui suppriment l’appétit.
Pour voir quelles étaient les projections
efférentes des neurones PBelo CGRP
impliquées dans le contrôle de la
prise alimentaire, les auteurs ont fait
exprimer des protéines fluorescentes
dans le PBelo et la synaptophysine-GFP,
une protéine capable de se déplacer
dans les projections. Ils ont notamment
DISCUSSION
S. LUQUET Quel est le rôle de ces neurones ?
Est-ce que c’est promouvoir la prise
alimentaire vers le noyau paraventriculaire,
ou faire en sorte qu’on s’arrête de manger
quand un aliment va être ressenti comme
nocif ? C’est vraiment une question ouverte.
-16-
F. MESCLON En lisant cet article je me
dis que ces neurones sont importants
pour supprimer l’appétit dans des
conditions où il ne faut pas manger, par
exemple dans les maladies gastriques.
F. M. Peut-être que c’est un relais de la
suppression de l’appétit.
Intervenant Lors d’une aversion
alimentaire chez l’homme, on observe
des projections somato-sensitives :
des structures du cortex auditif
sont allumées. Un très bon article
montre qu’une centaine de réseaux
interpénétrent dans le cerveau. En
prenant au hasard et en utilisant
l’option maximale d’erreur de type 2
en stat, vous allez toujours trouver un
bon réseau. Il y a très certainement un
biais statistique à l’interprétation.
S. L. Ce besoin de venir temporiser l’action du
noyau parabrachial est un peu compliqué.
Chez le rongeur, les noyaux du parabrachial
ne sont pas loin des neurones du NTS. Quel
pourrait être le rôle des neurones à AGRP si
vous avez faim mais que vous vous trouvez
face à un aliment peu palatable ?
F. M. Catherine MORIN, une collègue,
a montré que des souris, à qui l’on
donnait un régime carencé en leucine,
préféraient moins manger plutôt que
manger plus du régime carencé. Donc il
y a peut-être un phénomène d’aversion
qui se développe.
S. L. L’optogénétique est effectivement
une méthodologie très puissante mais
qui peut fabriquer de l’erreur.
S. L. Pour ce qui est du goût, on peut
imaginer que lorsque vous augmentez
le tonus électrique des neurones à
AGRP parce que vous avez faim, il n’y
a pas de leptine mais il y a beaucoup de
ghréline, ce qui va venir neuromoduler
les structures du noyau parabrachial
et inciter à consommer sans « drive »
hédonique.
Avec les approches d’optogénétique, on
allume une population de neurones
indépendamment de toutes les autres, ce
qui n’est jamais le cas dans le cerveau. Je
me demande s’il y a besoin d’avoir une
population très spécifique de neurones dans
un endroit très particulier du cerveau pour
communiquer un sentiment de distension
gastrique ?
-17-
Article 3
Ils ont ensuite injecté la toxine à l’âge
adulte chez des souris adultes de 10 –
11 semaines. Ils ont constaté un arrêt
de la prise alimentaire 7 jours après
l’injection et une perte de 20 % de leur
poids corporel 5 jours après l’injection.
Ils ont observé également une
augmentation de la consommation
d’eau. Le gavage alimentaire a permis
de restaurer le poids des souris
transgéniques, ce qui montre que la
perte de poids est bien due à l’arrêt
alimentaire.
NPY/AGRP neurons are essential
for feeding in adult mice
but can be ablated in neonates
présenté par Virginie DAUMAS-MEYER
Cet article de Serge LUQUET a été publié
en 2005. Il s’intéresse aux neurones à
NPY / AGRP qui sont essentiels pour la
prise alimentaire chez des souris adultes
mais qui peuvent être supprimés chez
les souris nouveaux nés.
Plusieurs études ont permis de
montrer que des mutations de la voie
anorexigène conduisent à l’obésité. En
revanche, les mutations qui concernent
la voie orexigène, donc les neurones à
NPY et AGRP, ont peu d’impact sur le
comportement alimentaire puisque la
prise alimentaire reste peu modifiée.
Cet article a pour objectif de savoir si
la signalisation des neurones orexigènes
(NPY et AGRP) est essentielle à la
régulation du poids corporel.
Pour vérifier l’efficacité de l’ablation
néonatale, ils ont marqué NPY chez
des souris contrôles et chez des
souris transgéniques qui possèdent le
récepteur à la toxine. Ils ont observé
une réduction de 85 % des cellules
positives NPY, une réduction des fibres
NPY dans le noyau paraventriculaire,
une réduction de l’ADN de l’AGRP
dans le noyau arqué et dans le noyau
paraventriculaire. Ils ont également
vérifié que les neurones POMC
n’étaient pas touchés par l’ablation.
Pour répondre à cette question, les
auteurs de cet article ont choisi de
pratiquer l’ablation des neurones à NPY
et AGRP chez des souris transgéniques
par une technique de knock out
cellulaire médié par une toxine.
Les souris AGRP traitées par la toxine à
la naissance survivent à une injection de
toxine à l’âge adulte contrairement aux
souris «naïves». Elles mettent en place
un réseau neuronal compensatoire qui
reste inconnu.
Les auteurs ont d’abord étudié l’effet de
l’ablation des neurones à NPY et AGRP
dès la naissance. Ils n’ont pas constaté
de modification de la prise alimentaire
et seulement une légère diminution de
11 % du poids corporel.
DISCUSSION
V. DAUMAS : Je m’interroge sur les modes
d’administration utilisés, en particulier la
voie intrapéritonéale, qui cause de nombreux
décès chez les témoins également et sur le
-18-
Article 4
nombre d’injections puisque, dans la plupart
des expériences, les auteurs ont fait deux
injections de toxine mais seulement une chez
les nouveaux nés.
Melanocortin signaling in the CNS
directly regulates circulating cholesterol
S. LUQUET : Depuis, nous avons compris
que la manipulation des petits est à
l’origine des décès. Je vous conseille de
répandre l’urine des femelles sur vos
gants, ce qui permet de manipuler les
petits sans laisser de trace et évite ainsi
que leur mère ne les mange. Désormais,
on injecte une solution saline aux
contrôles pour éviter les biais liés au
stress dû à la manipulation.
présenté par Matieny Aicha MAIGA
Au cours des injections sous-cutanées
de ghréline à des souris pendant une
semaine, les auteurs ont observé à la
fois une augmentation de la graisse
corporelle, une augmentation du
taux plasmatique de cholestérol et
de triglycérides tandis que le taux de
glucose plasmatique restait normal.
Puisque la plupart des effets de
la ghréline passent par le système
mélanocortine, les auteurs se sont
demandé si l’inhibition de ce système
mélanocortine pouvait avoir un effet
sur le taux circulant de cholestérol.
Commentaire
S. L. La conclusion du papier à
l’époque était de dire que la plasticité
du système nerveux en période
périnatale permettait la mise en place
d’un nouveau circuit à la place des
neurones NPY. A titre personnel, je
crois maintenant que la conclusion est
fausse. Si vous injectez du GABA dans
le noyau parabrachial, vous évitez la
mort de l’animal. Finalement la perte
subite des neurones à AGRP produit
un dérèglement du noyau parabrachial.
En revanche, quand vous enlevez ces
neurones avant la maturité alimentaire,
ils n’ont pas encore connecté leur
cible, et on ne peut donc pas créer
« d’imbalance ».
Les auteurs ont utilisé un antagoniste du
système mélanocortine, le SHU9119, et
un agoniste du même système, le MTII.
Ces substances ont été administrées
par des injections chroniques intracérébroventriculaires.
Lors d’un blocage du système
mélanocortine, soit directement par
l’agoniste, soit indirectement par la
ghréline, les auteurs ont observé une
augmentation du taux de cholestérol
indépendamment de la prise alimentaire
et du poids corporel. Ils en ont
conclu qu’un circuit neuroendocrine
impliquant
l’axe
intestin-cerveau
contrôle
le
HDL
cholestérol
indépendamment de l’évolution de la
prise alimentaire et du poids.
-19-
diminution de la clairance (vitesse de
disparition des particules au niveau
plasmatique). Ils ont émis l’hypothèse
suivante : l’antagoniste pourrait
avoir un effet sur la réabsorption
hépatique du cholestérol via le
récepteur HDL au niveau hépatique.
Ils ont regardé le niveau d’expression
de ce gène récepteur hépatique de
HDL cholestérol, Scarb1, et de ses
facteurs de transcription et ont vu
qu’au cours d’un blocage avec la
ghréline ou l’antagoniste du système
mélanocortine, l’expression au niveau
des ARN messagers était diminuée pour
Scarb1 et ses facteurs de transcription
NR14 et NR5A2. Ils ont observé l’effet
inverse avec un traitement GLP-1. Ils
en ont donc conclu que les interactions
intestin-cerveau peuvent réguler la
réabsorption hépatique du cholestérol
par le contrôle de la transcription de ce
récepteur hépatique et de ses facteurs
de transcription.
Par ailleurs, au cours d’une injection de
l’agoniste du système mélanocortine,
ils ont observé une forte diminution
du taux de cholestérol sans influence
sur le poids corporel.
Ils ont par la suite voulu déterminer le
rôle physiologique de la ghréline et du
système mélanocortine endogène sur
la régulation du taux de cholestérol.
Pour cela, ils ont utilisé des souris KO
de ghréline ou de récepteur de ghréline
ou les deux récepteurs MC3R et MC4R
du système mélanocortine. Ils se sont
aperçu que seules les souris double
KO ghréline et son récepteur avaient
un taux de cholestérol diminué par
rapport au simple KO et WT.
Sous un régime standard, les auteurs
n’ont pas observé de différences entre
les souris KO récepteur mélanocortine
et WT tandis que, sous un régime hyper
lipidique, les souris KO MC4R avaient
une forte augmentation du taux de
cholestérol. Ils en ont conclu que ce
récepteur de type 4 de mélanocortine
est un sous type de récepteur qui est
crucial dans le contrôle neuroendocrine
du taux de cholestérol, notamment le
HDL.
En conclusion cet article montre
zque le taux de HDL cholestérol
circulant peut être modulé au
niveau
du
système
nerveux
central
particulièrement
au
niveau du système mélanocortine
hypothalamique.
Quelque soit le traitement, la taille
des particules HDL était la même,
mais les auteurs ont constaté une
augmentation du taux plasmatique de
l’apolipoprotéine A-I au cours d’un
blocage par l’antagoniste ou la ghréline.
zque la ghréline, qui est le seul
inhibiteur endogène connu du
système mélanocortine, régule le
taux plasmatique de HDL cholestérol
par la modulation de sa réabsorption
hépatique.
Au cours de traitements avec le
SHU9119, les auteurs ont constaté une
-20-
z que le GLP-1, un activateur endogène
du système mélanocortine, va
s’opposer à l’effet de la ghréline.
Pourquoi faut-il absolument un double
knock-out ghréline et ghréline récepteur pour
avoir un effet knock-out ?
La modulation pharmacologique
directe ou indirecte de l’hypothalamus
par la mélanocortine peut offrir un
moyen de traiter l’hypercholestérolémie
ainsi que les troubles du syndrome
métabolique.
S. L. Le récepteur à la ghréline aurait
une activité auto catalytique dans certaines structures, certaines complètement indépendantes de la ghréline,
d’autres pas.
Est-ce qu’on peut utiliser les techniques
d’optogénétique ou de pharmacogénétique
pour obtenir ce même type de résultats ?
DISCUSSION
Commentaire
S. L. Un animal qu’on soumet à des
manipulations optogénétiques ou
pharmacogénétiques présente une
désensibilisation assez rapide et c’est
très difficile de stimuler sur le long
terme. C’est une limite technique.
S. LUQUET : Les auteurs ont regardé les
conséquences de l’apport alimentaire sur
le cholestérol et son transport hépatique.
La perte de poids ne semble pas due à un
effet anorexigène mais à la fonte du tissu
adipeux, vraisemblablement via une
augmentation du tonus sympathique
sur le tissu adipeux. Ce qui veut dire
que ce n’est pas le fait de diminuer la
prise alimentaire de manière aiguë qui
entraîne le changement du taux de
cholestérol.
Quelle est la nature du dialogue direct entre le
foie et le cerveau ?
S. L. Il s’agit du système autonome.
Souvent, pour bloquer le dialogue,
on coupe le nerf vague. Cela permet
de mettre en évidence comment les
relations nerveuses, en plus des relations
endocrines, peuvent être importantes
dans la nature de ce dialogue.
M. A. MAIGA : Je me demande si, d’un point de
vue éthique, on peut envisager une pompe qui
diffuserait la substance chez l’homme pour
traiter l’hypercholestérolémie ?
S. L. Un agoniste de la mélanocortine
a été utilisé chez l’homme pour traiter
les troubles de l’érection. Il faut
arrêter d’utiliser le rongeur comme
modèle car le transport du cholestérol
est totalement différent de celui de
l’homme, et une pharmacologie dont
on sait que, chez l’homme, elle n’a pas
d’effet anorexigène ni métabolique.
Commentaire
J. FIORAMONTI Il ne faut pas oublier que le
duodénum est plein de chémorécepteurs
et notamment de récepteurs spécifiques
à certains lipides, à certains acides gras
même, et spécifiques sur la longueur
de chaine. Il y a des afférences qui
remontent via le nerf vague.
-21-
Serge Luquet, Unité de Biologie Fonctionnelle et Adaptative, CNRS-UMR8251,
Université Paris Diderot-Paris 7
Articles analysés
> Article 1 : présenté par Polina PANCHENKO, Biologie du développement et de la
reproduction, Jouy-en-Josas
Deconstruction of a neural circuit for hunger, Atazoy et al., Nature, vol. 488, 9 August
2012
> Article 2 : présenté par Florent MESCLON, Unité de nutrition humaine, ClermontFerrand
Genetic identification of a neural circuit that suppresses appetite, Carter et al., Nature,
2013, vol. 503, no.7474, 111-+
> Article 3 : présenté par Virginie DAUMAS-MEYER, Neurobiologie de l’olfaction,
Jouy-en-Josas
NPY/AGRP neurons are essential for feeding in adult mice but can ablated in neonates,
Luquet et al., Science, vol. 310, 28 October 2005
> Article 4 : présenté par Matieny Aicha MAIGA, Immuno-allergie alimentaire,
Jouy-en-Josas
Melanocortin signaling in the CNS directly regulates circulating cholesterol, PerezTilve et al., Nature Neuroscience, vol. 13, no. 7, July 2010
-22-
2
Session 2
Charles Henri est directeur de recherche à l’INRA de Rennes.
Il travaille depuis plusieurs années sur le comportement alimentaire et les signaux intéroceptifs qui viennent principalement du tube digestif et constituent le socle de la régulation
du comportement alimentaire. Charles Henri a développé une
plate-forme d’imagerie cérébrale chez le porc. Il va nous dire
comment l’imagerie nous aide à comprendre ces signaux.
Signaux intéroceptifs impliqués
dans le contrôle du comportement alimentaire :
apport de l’imagerie cérébrale
Charles Henri Malbert
Introduction
Les signaux intéroceptifs impliqués
dans le contrôle du comportement
alimentaire
J’ai divisé ma présentation en deux
parties. Dans la première, je vous
présenterai les signaux intéroceptifs
impliqués dans le contrôle du
comportement alimentaire. Dans
une seconde partie, je vous décrirai
brièvement les stratégies utilisées
pour obtenir des images d’activation
fonctionnelle cérébrale chez l’homme
et l’animal. Je vous montrerai
comment ces images sont obtenues,
quelles sont leurs limites et comment
on peut les circonvenir. Cela introduira
les présentations des deux publications
qui seront faites par les doctorantes.
On peut définir un comportement
comme une information transformée
en action. Le cerveau joue un rôle clé,
puisqu’il récupère une information
pour la transformer en action, comme
par exemple : « j’ai faim donc je mange ».
L’information peut venir des organes
des sens, dont fait partie le tube digestif,
puis l’action bloquera le signal qui est à
la source de ce comportement de façon
à déclencher la fin du comportement.
-23-
Nature des signaux intéroceptifs
a donc une certaine redondance des
informations.
Le tube digestif peut être considéré
comme un organe des sens, car il
émet des signaux qui complètent
ceux qui sont associés à la présence de
masses grasses, abdominales et extraabdominales, ou à celles de métabolites
dans le sang, ou d’aliments dans
l’estomac. Tous ces signaux convergent
vers le cerveau donnant, d’une part, une
boucle qui contrôlera l’homéostasie des
métabolites et, d’autre part, un deuxième
réseau cérébral qui modulera la balance
hédonique de ces informations.
Les signaux qui convergent vers le
cerveau utilisent deux portes d’entrée
principales :
z l’hypothalamus. C’est la porte d’entrée
privilégiée des hormones du fait de la
présence de capillaires fenêtrés qui
facilitent leurs passages au travers de
la barrière hémato-méningée ;
zle complexe vagal dorsal. Il comprend
notamment le noyau du tractus
solitaire. Il reçoit les voies d’entrées
vagale et spinale, mais aussi une partie
des informations humorales.
La remontée des signaux du tube digestif
vers le cerveau se fait principalement
par trois voies complémentaires :
z la voie vagale. C’est une sorte
d’autoroute de l’information située
de part et d’autre de l’oesophage.
80 % des neurones vagaux sont
afférents, c’est-à-dire qu’ils vont de la
périphérie vers le cerveau ; seuls 20 %
redescendent vers le tube digestif ;
z la voie spinale. On pensait, il y a
quelques décennies, que cette voie
ne faisait remonter que des signaux
de nature nociceptive. On sait
aujourd’hui que ce n’est pas vrai ;
z des voies humorales s’ajoutent aux deux
voies neuronales précédentes. Elles sont
essentiellement associées à la leptine,
la ghréline, l’insuline, la CCK et au
peptide YY. Ces voies ne sont que
partiellement humorales, puisque la
CCK, par exemple, utilise à la fois la
voie vagale et la voie humorale. Il y
D’autres voies, moins connues,
apportent
des
compléments
d’informations au cerveau. C’est le cas
de la voie métagénomique qui a été
explorée plus récemment, notamment
par Patrice Cani, ou de la voie
cytokinergique dont on ignore toujours
la porte d’entrée.
Anatomie fonctionnelle
Les éléments nerveux sont insensibles
stricto sensu à la présence des
nutriments dans le tube digestif. Pour
devenir sensibles, ils ont besoin d’un
intermédiaire cellulaire dont le rôle est
de traduire les informations chimiques
en quelque chose susceptible de
mettre en œuvre ces éléments nerveux.
Les informations sont perçues au
niveau des villosités intestinales et
plus particulièrement au niveau des
cellules enterochromaffines qui servent
-24-
de capteurs primitifs aux éléments
chimiques associés à l’aliment. Les
molécules qui sont intégrées dans les
cellules épithéliales constituent des
relais pour les éléments nerveux. Si ces
derniers étaient directement sensibles
aux nutriments, toute une série de
modulations n’existeraient pas.
z
les mécanorécepteurs. Ils interviennent dans les messages de nature
mécanosensorielle. Ils traduisent la
capacité des neurones ou des structures support à détecter les distensions du tube digestif consécutives,
par exemple, à un repas ;
z les chémorécepteurs. Ils commencent
à être activés une minute après le
début du repas et restent activés
plusieurs minutes après le repas. Ils
ne sont habituellement sensibles
qu’à l’état physico-chimique des
produits ingérés mais, dans certaines
Nature du message
Si l’on fait abstraction des états pathologiques et des états inflammatoires à bas
bruit, le message passe par trois types de
récepteurs :
Schéma 1
-25-
Spécificité de la détection
conditions, ils sont capables de
détecter l’état chimique endogène du
tractus digestif ou la présence d’une
bactérie non désirable ;
Il existe aussi une spécificité spatiale
et structurale de la détection. Les
extrémités des neurones vagaux sont
libres. Elles peuvent soit enserrer des
structures neuronales propres au tube
digestif, appelées plexus myentériques,
soit se répartir aléatoirement le long
du muscle externe du tube digestif et
détecter les distensions longitudinales
ou celles de la paroi circulaire du tube
digestif.
z
les récepteurs multimodaux. Ils
sont à la fois mécanorécepteurs et
chémorécepteurs.
Intégration chimique
Les nutriments sont captés par le
pôle apical d’une cellule entéroendocrine de la bordure en brosse
appelée entérochromaffine, car elle
présente la particularité d’être marquée
histologiquement par des substances
contenant des métaux lourds. La
cellule transforme les nutriments
et libère, à son pôle basolatéral, des
substances actives sur les neurones.
Il s’agit essentiellement de la CCK, de
la substance P et de la sérotonine. Ces
substances libérées par voie paracrine
dans le milieu interstitiel parviennent
jusqu’aux récepteurs présents sur les
extrémités terminales des neurones
vagaux afférents. La transduction de
la présence de triglycérides dans le
tube digestif est plus complexe car elle
nécessite deux intermédiaires cellulaires
(schéma 1). Il faut un entérocyte et
une cellule endocrine. L’entérocyte
fournit de l’Apo A IV à la cellule
entérochromaffine pour qu’elle puisse
capter les acides gras, les transformer en
CCK et les libérer à son pôle basolatéral.
L’Apo A IV est régulé négativement par
la quantité d’acides gras présents dans
la lumière intestinale.
Le schéma 2 illustre la fréquence de
décharge de neurones situés dans
la couche longitudinale du muscle
externe du tube digestif. Chaque
impulsion correspond à un potentiel
d’action ; les neurones augmentent
ainsi leur fréquence de décharge
au cours de la distension du tube
digestif assurant de ce fait l’encodage
de l’information de distension.
L’adaptation de ces structures à une
distension continue est faible : elles
déchargent très vite et très fort au début,
puis la fréquence de décharge diminue
alors que la distension est maintenue.
A contrario, les structures situées
autour des ganglions mésentériques
ont un potentiel d’adaptation fort et
relativement rapide.
Les récepteurs des neurones vagaux
afférents
diffèrent
selon
leur
localisation sur le tube digestif (schéma
3). Au niveau de l’estomac, les neurones
portent essentiellement des récepteurs
à la ghréline et à la leptine. Au niveau du
-26-
Schéma 2
Schéma 3
-27-
Schéma 4
Cortex
Cingulaire
antérieur
Cortex prefrontal
Cortex
Orbitofrontal
Hippocampe
Amygdale
Accumbens
Ventral
striatum
Insula
Thalamus
Parabrachial
nucleus
Cortex insulaire
Noyau tractus
solitaire
Hypothalamus
Noyau Arqué
duodénum et du jéjunum, ils portent
des récepteurs à la CCK et au 5HT
du fait de leur sensibilité au glucose
et aux triglycérides. La transduction
du signal mécanique vers chimique
puis spatialement vers le cerveau se
fait via des récepteurs différents. Il est
possible de « tromper » ces récepteurs
en appliquant directement l’agoniste
structural du récepteur présent sur
le nerf vague, ce qui court-circuite la
cellule entérochromaffine.
entrées par le tractus solitaire ou le
noyau arqué de l’hypothalamus, les
informations envahissent les cortex
situés vers l’avant du cerveau : le cortex
orbitofrontal, le cortex cingulaire
antérieur et le cortex préfrontal. Des
structures qui n’ont, a priori, rien à
voir avec le traitement de l’information
viscérale sont également impliquées.
C’est le cas de l’hippocampe et
des structures amygdaliennes qui
interviennent surtout dans les
fonctions mémorielles, de l’insula qui
est connue pour ses fonctions affectives,
ou encore des structures thalamiques
qui participent à l’autorégulation des
grandes fonctions dont l’homéostasie
calorique.
Le traitement individualisé des
informations viscérales implique de
très nombreuses zones du cerveau,
comme le montre, d’une manière très
simplifiée, le schéma 4. Après être
-28-
Distension gastrique
de ce cortex, qui est associée à la matrice
nociceptive, se produit chaque fois
que le cerveau perçoit une douleur
provenant du tube digestif. Lorsque
l’on injecte un analogue structural de la
ghréline à un patient, on observe que les
zones de son cerveau qui sont activées
sont presque les mêmes que lors d’une
distension gastrique non douloureuse.
On peut donc penser que le signal
qui remonte au cerveau lors d’une
distension non douloureuse est avant
tout un signal ghréline dépendant.
Cependant, l’activation du cortex
préfrontal n’est observée que lors de la
distension gastrique non douloureuse
et non après l’injection de ghréline.
Cette activation serait donc associée à
une remontée ghrélinergique conjointe
à une remontée vagale de l’information.
Photo 1
Le cerveau est capable, via un
mécanisme encore mal connu, de
différencier une distension de l’estomac
importante volumétriquement mais
non désagréable, d’une distension
importante mais douloureuse, ou
d’une distension faible et durable.
Lorsque la distension est perçue comme
non désagréable, on observe (photo
1) une activation de plusieurs zones
du cerveau : l’insula, les structures
thalamoréticulées descendantes et
une petite partie du cortex préfrontal.
Lorsque la distension gastrique est
perçue comme douloureuse, c’est
principalement le cortex cingulaire
antérieur qui est activé, comme le
montrent les coupes sagittale, transverse
et coronale de la photo 2. L’activation
En fait, la réalité est plus complexe, car
nos habitudes alimentaires impactent
directement la façon dont les récepteurs
capturent l’information instantanée.
Photo 2
-29-
Modulation périphérique des signaux
intéroceptifs par l’alimentation
L’existence d’une neuroplasticité
périphérique est connue depuis 2011.
Dockay et son équipe ont montré que
cette plasticité se faisait notamment au
niveau du ganglion noueux qui contient
tous les corps cellulaires vagaux
afférents. Ils ont observé qu’aucun
récepteur cannabinoïde de type 1
n’était activé chez le rat immédiatement
après le repas, alors qu’ils l’étaient tous
après 24 heures de jeûne. Ce qui est
vrai au niveau du corps cellulaire l’est
aussi au niveau périphérique. Ainsi,
une équipe australienne qui mesurait,
chez le rat, la fréquence des potentiels
d’action des mécanorécepteurs en
fonction d’une charge stomacale
croissante a montré que des récepteurs
sensibles uniquement à la distension
de l’estomac étaient moins sensibles
chez un animal qui avait été nourri
avec un régime high fat par rapport
à un animal qui avait reçu un régime
standard. Ces récepteurs sont en outre
sensibles à la 5HT. Une perfusion de
5HT entraîne une augmentation de la
fréquence de décharge. Une injection
de leptine potentialise l’effet de la 5HT,
tandis qu’une injection de ghréline
produit l’effet inverse puisqu’elle
inhibe le récepteur (schéma 5).
Schéma 5
Conséquences fonctionnelles
On sait que la présence de lipides dans
le duodénum inhibe la vidange de
l’estomac et déclenche des contractions
du tube digestif que l’on appelle
contractions isolées du pylore. Par
contre, lorsqu’on perfuse des lipides
dans le duodénum d’un homme qui
vient de suivre un régime de 14 jours
riche en lipides, on supprime l’inhibition
de la vidange ainsi que la présence
de contractions isolées du pylore.
Cette suppression est uniquement
associée à ce régime riche en lipides. Le
phénomène existe chez d’autres espèces,
notamment le porc chez lequel la
perfusion dans le duodénum de lipides
n’est quasiment plus détectée après un
régime de plusieurs semaines riche en
glucides ou en graisses. Ces expériences
montrent une sensibilité dégradée visà-vis du frein duodénal à l’évacuation
de l’estomac.
-30-
Conséquences comportementales
apporter des récepteurs susceptibles de
capturer le signal produit par la cellule
entérochromaffine.
Au-delà des conséquences sur le fonctionnement du tube digestif, il existe
des conséquences comportementales
importantes. Des expériences menées
avec des animaux conditionnés pour
appuyer sur un bouton afin d’obtenir
une récompense alimentaire ont montré qu’un régime normal avec administration de lipides dans le duodénum
entraînait l’arrêt du comportement
au bout de 30 minutes, alors que ce
comportement persiste 120 minutes
chez l’animal qui a reçu au préalable
plusieurs semaines d’un régime
riche en graisses ou riche en glucides
(schéma 6).
Détection des nutriments intestinaux
Le cerveau doit généralement intégrer
des informations qui proviennent
de plusieurs zones du tube digestif
et de plusieurs zones cérébrales.
Jusqu’à présent, on ne sait pas
comment le cerveau réalise cet exploit.
Grâce à l’imagerie et à la chirurgie
expérimentale, nous avons équipé nos
animaux de capteurs et de cathéters de
façon à pouvoir injecter des nutriments,
simultanément ou séparément, soit au
niveau du duodénum, soit au niveau de
la veine porte, soit au niveau des deux.
Schéma 6
Ces expériences montrent que,
lorsqu’on donne un régime riche en
graisses ou riche en glucides, on a, d’une
part, une modulation de la capacité de la
cellule entérochromaffine à transformer
le signal qui existe à son pôle apical en
signal produit au niveau de son pôle
basal et, d’autre part, une modification
de la capacité de l’afférent vagal à
Photo 3
-31-
La photo 3 (page précédente) illustre
les résultats que nous avons obtenus
après avoir perfusé soit du sérum
physiologique soit du glucose dans
la veine porte ou dans le duodénum.
Les
pseudo-couleurs
traduisent
un contraste statistique entre une
stimulation duodénale versus une
stimulation contrôle. On observe ici
une activation du cortex préfrontal, du
putamen (qui fait partie d’une des zones
de la récompense), de l’aire piriforme
antérieure et de l’hippocampe. La photo
4 montre les résultats d’une perfusion
de nutriments dans la veine porte
versus une perfusion de nutriments
dans le tube digestif. Les zones activées
sont différentes, puisqu’il s’agit du
cortex dorsal antérieur, de l’insula
et de l’hippocampe. L’hippocampe,
surtout connu pour être une structure
mémorielle, a donc bien d’autres
fonctions.
Photo 4
important de patients en surpoids,
Volkow et son équipe ont montré,
en 2009, qu’il existe une association
négative entre le poids corporel et
l’activation du cortex orbitofrontal. Ils
ont également observé une activation
moindre du cortex préfrontal chez
les personnes obèses. Une question
demeure : l’inhibition de certaines
zones cérébrales est elle due à une
neuromodulation liée à l’alimentation
ou, au contraire, les personnes
susceptibles de devenir obèses ontelles, au préalable, cette modulation/
altération des réseaux centraux ?
Modulation centrale des signaux
intéroceptifs
La modulation au niveau central a été
mise en évidence, au début des années
2000, par une équipe américaine dirigée
par J.G Wang. Ils ont montré, en 2002,
grâce à la technique de tomographie
d’émission positronique (TEP), que
les patients obèses ont un métabolisme
accru dans les aires qui correspondent
à la bouche, aux lèvres et à la langue.
Encore fallait-il comprendre cette
modulation centrale de l’information
intéroceptive. Chez un nombre
Notre modèle animal de prédilection
nous permet de répondre à cette
-32-
plus, elles portent moins de récepteurs
dopaminergiques. Cela est uniquement
associé au régime alimentaire. Comme
il y a une inhibition du striatum et
que celui-ci est associé à tous les effets
d’addiction, certains chercheurs se
sont demandé si l’obésité pouvait être
considérée comme une addiction !
Pour autant, comme le montre la
photo 5, l’absorption d’amphétamines
ou d’alcool entraîne une activation
du striatum postérieur, tandis que
le régime alimentaire entraîne une
activation du striatum antérieur.
L’obésité ne peut donc être considérée
comme une addiction, au même titre
que les amphétamines ou d’alcool.
question. Nous avons étudié le
métabolisme cérébral de mini-porcs
de poids normaux, puis nous les avons
rendus obèses. Grâce à l’imagerie
cérébrale réalisée avant et après
qu’ils soient devenus obèses, nous
pouvons maintenant affirmer que les
désactivations au niveau du cortex
préfrontal et l’activation au niveau
du thalamus résultent du régime
alimentaire et ne sont pas préalables à
l’obésité.
En 2001, la même équipe a pu
montrer toujours par TEP que, chez
les patients obèses, la capture d’un
agoniste dopamine de type 2 marqué
au 11C était fortement diminuée et
qu’il y avait une baisse de la densité des
récepteurs dopaminergiques au niveau
du striatum. Donc, non seulement
les zones striatales chez les personnes
obèses sont moins activées, mais, en
Conséquences physiopathologiques
et thérapeutiques
Pour essayer de faire maigrir les
patients, plusieurs stratégies sont
proposées. On peut les répartir selon
deux axes (schéma 7) : faible ou haut
risque et faible ou forte efficacité
pour le patient. Dans l’espace compris
entre faible risque et faible efficacité,
on trouve les régimes alimentaires
(la plupart sont inefficaces et 80 %
entraînent même, au bout d’un an, un
surpoids par rapport au poids initial),
les régimes « très basse énergie » (very
low energy diet), des produits « pour
maigrir » achetés en pharmacie et les
endo-barrières (tubes très souples
installés par endoscopie qui doivent
freiner l’absorption des nutriments
par la paroi de l’intestin grêle) qui
Photo 5
-33-
Schéma 7
tentent de faire une Roux en Y. La pose
d’un ballon dans l’estomac s’avère
également peu efficace.
La Roux en Y modifie non seulement
l’information chimique, mais aussi la
réponse des cellules du complexe vagal
dorsal à certaines hormones, comme
la CCK. Browning et son équipe ont
fait, chez le rat, des enregistrements
des cellules du complexe vagal dorsal.
Ils ont montré que les rats porteurs
d’une Roux en Y présentaient une
sensibilité accrue à la CCK, alors que
cette sensibilité avait disparu lorsque
le rat était préalablement soumis à
un régime riche en graisse. La Roux
en Y entraînait donc une modulation
centrale de certaines hormones. Celleci est également capable de modifier
la désactivation que l’on détecte chez
les patients obèses, comme vous le
verrez dans une des publications qui
Les
stratégies
efficaces
sont
malheureusement à haut risque pour
le patient. C’est le cas, notamment, de
la chirurgie bariatrique. L’objectif est
bien sûr de développer des stratégies de
haute efficacité et de faible risque.
La Roux en Y
La stratégie dite de Roux en Y est la
seule qui fonctionne sur le long terme.
Elle doit son nom à un chirurgien
vaudois, César Roux. Cette technique,
décrite par le schéma 8, se compose
d’une chirurgie dite restrictive et
d’une chirurgie dite malabsorptive.
-34-
Schéma 8
La stimulation vagale chronique
vous sera présentée. Une autre équipe
a montré que, lorsqu’on présente à des
patients obèses porteurs d’une Roux
en Y, des photos de repas très riches
en calories, on réactive les structures
striatales, donc des structures de la
récompense, qui étaient désactivées
chez ces patients obèses. De même, sept
semaines après la chirurgie, on observe
une augmentation de la quantité de
récepteurs dopaminergiques au niveau
du striatum et une réactivation de ces
neurones.
Une des alternatives, qui est aujourd’hui
probablement la plus avancée en
termes de translationnalité à l’homme,
est la stimulation vagale chronique.
Cette méthode consiste à placer des
électrodes de neurostimulation sur
les troncs vagaux et à connecter ces
dernières à une neuroprothèse placée
sous la peau. L’ensemble permet
de moduler, voire de retrouver, les
informations provenant du tube
digestif manquantes chez les personnes
obèses. Le schéma 9 (page suivante)
montre les résultats que nous avons
obtenus chez le porc. Chez l’animal
jeune et de poids normal comme chez
l’animal adulte obèse, on observe
une modification du comportement
alimentaire, avec une réduction de
la quantité d’aliments ingérés en
comparaison des animaux contrôles. Si
les effets sont à peu près identiques chez
les deux types d’animaux, on observe
Cette technique présente plusieurs
inconvénients. Elle est assez lourde et
totalement irréversible, mais surtout
elle présente un risque élevé pour le
patient. En effet, environ 7 % d’entre
eux meurent des suites de la chirurgie à
un mois ; d’où l’importance de trouver
des solutions alternatives dans le cadre
de ces modulations périphérique et
centrale des informations digestives.
-35-
Schéma 9
un remodelage partiel des structures
cérébrales centrales. Les photos de la
série 6 illustrent la technique opératoire
par cœlioscopie. Les électrodes sont
placées sur les troncs vagaux et le
neurostimulateur est placé en position
sous-cutané. Nous nous sommes
immédiatement rendu compte que
la neurostimulation vagale active le
réseau de la récompense, c’est-à-dire la
substance grise, le putamen, le cortex
cingular antérieur et le noyau caudé ; le
cortex orbitofrontal n’est lui pas activé.
La photo 7 montre une concordance
entre les activations associées à la
stimulation vagale et la présence de
récepteurs dopaminergiques dans le
cerveau (identifiés ici par la quantité
de transporteurs - imagerie Datscan).
Les mêmes structures sont activées
dans les deux cas. Chez ces animaux
qu’il existe un délai de quatre semaines
entre le moment où on débute la
neurostimulation et le moment où on
commence à avoir des effets significatifs,
délai qui est probablement associé à
Photos 6
-36-
on pouvait agir était le surpoids.
Aujourd’hui, nous disposons de cibles
thérapeutiques centrales beaucoup
plus précises qui ouvrent la porte à des
traitements sur le long terme.
Méthodes d’obtention des images
Mon objectif est de vous présenter les
méthodes pour obtenir des images
fonctionnelles du cerveau, afin que vous
connaissiez les biais expérimentaux
de ces méthodes. Malheureusement,
même des chercheurs confirmés les
ignorent et n’hésitent pas à tirer des
conclusions erronées. Quand on fait de
l’imagerie fonctionnelle chez l’homme,
on utilise soit l’imagerie nucléaire, soit
l’imagerie par résonnance magnétique
nucléaire. Ces deux approches sont
complémentaires, mais la première est
de moins en moins utilisée pour des
raisons d’irradiation. Chez l’animal,
seule la médecine nucléaire est utilisée,
car c’est la seule à ne pas être impactée
par l’anesthésie obligatoire lorsque l’on
cherche à réaliser une imagerie chez
l’animal.
Photo 7
obèses, il se produit une réactivation
dopaminergique. C’est l’inverse de
ce que l’on observe chez l’homme
lorsqu’il devient obèse.
Conclusions
Le tube digestif est une structure
sensorielle au même titre que les autres
organes des sens. Il a cependant la
particularité de pouvoir être modulé
par le régime alimentaire. Il est régi par
deux types de modulation, adaptable et
plastique. À la modulation associée à la
présence ou à l’absence de nutriments
se surajoute une modulation associée
aux régimes. Cette neuromodulation,
périphérique et centrale, est perturbée
par les éléments de la vie de relation,
c’est-à-dire par la valence hédonique.
Inversement, les structures hédoniques
perturbent
le
comportement
alimentaire. Jusqu’à présent, la seule
cible thérapeutique sur laquelle
Genèse de l’imagerie cérébrale
Lorsque l’on fait de l’imagerie par
résonance magnétique nucléaire,
on s’intéresse au signal de l’IRM
fonctionnelle, ou IRMf. On étudie
l’effet bold (Blood Oxygénation Level
Dependant), qui correspond à un
apport plus important d’hématies
oxygénées. Pour être activé, un
neurone a besoin de sang et de glucose.
-37-
Comme les images n’ont pas la même
couleur, le cerveau risque de détecter
les couleurs, vert vs marron, au lieu des
aliments, salade vs viande. Afin d’éviter
cet artefact, il faut adapter les nuances
de couleurs entre les images.
Plus il travaille, plus ses besoins sont
importants et plus cet apport sanguin
est détectable. En fait, on détecte
l’oxygène transporté par les hématies,
ce qui ne représente que 2 % de tout
le signal IRM. On ne joue donc que
sur des variations de quelques % de
2 % du signal. C’est pourquoi, il faut
impérativement optimiser le rapport
signal sur bruit. Pour augmenter le
signal et diminuer le bruit de fond,
on produit un signal périodique et
récurrent, puis on additionne chaque
point de la période du signal. Avec
l’IRM, on est obligé de faire des
tests répétitifs de façon périodique.
Beaucoup d’études utilisent la
technique dite de block design. C’està-dire que l’on fait une tâche A (effet
d’un son aigü par exemple), puis une
tâche B (effet d’un son grave) et cela
de façon répétée. La différence est
faite entre la somme des tâches A et la
somme des tâches B. Afin d’éviter une
pollution de A par B, on intercale entre
A et B des visions d’images de couleurs
différentes (rouge versus verte) qui
n’ont rien à voir avec le son.
La médecine nucléaire convient mieux
aux études sur la nutrition dans la
mesure où le pas de temps des stimuli
que l’on peut utiliser est beaucoup plus
proche du pas de temps de la nutrition.
Par exemple, on peut comparer
deux régimes qui ont été donnés
successivement à un patient pendant
une semaine.
Avant 2013, l’IRMf permettait
d’étudier les effets de l’activation et
de la désactivation des structures
cérébrales avec la récurrence des
signaux. Néanmoins, depuis cette date,
on peut utiliser une stratégie d’IRM
fonctionnelle dite de steady state qui
permet de créer un réseau d’activation
potentielle de structures cérébrales
à partir d’une zone origine (dite de
seed), que l’on a définie a priori. Cette
méthode rend possible l’étude de la
présence ou de l’absence d’un réseau
cérébral au cours de phénomènes très
lents bien adaptés à notre pas de temps
en nutrition. Elle est très importante
car elle cherche à approcher ce que l’on
peut faire en médecine nucléaire en
utilisant la puissance de l’IRM.
Le signal bold a un autre inconvénient :
il disparaît très vite, au bout de deux
à trois secondes maximum. Tous
les stimuli que l’on veut fournir au
cerveau ne sont pas adaptés à cette
récurrence rapide. Par exemple, on
peut présenter une image d’un aliment
riche en graisses versus un aliment
pauvre en graisses (salade vs steak par
exemple), mais pas l’aliment lui-même.
Pour obtenir une imagerie fonctionnelle, on fait en réalité deux imageries :
l’une est dite fonctionnelle et l’autre
anatomique. En effet, pour pouvoir
-38-
C-H.M. Contrairement à d’autres nerfs,
comme les nerfs spinaux, le nerf vague
est incapable de réflexe d’axone, car
les fibres C et Aδ, qui sont les seules
présentes au niveau abdominal, en
sont incapables. Ce réflexe n’est
possible qu’avec les fibres Aα et B. A
priori, il n’y a pas de risque au niveau
cardiaque. De plus, nous ne faisons pas
une stimulation du nerf vague, mais
une neuromodulation vagale, c’est-àdire un remodelage vagal au niveau du
complexe vagal dorsal. La stimulation,
au sens strict du terme, des fibres
C et Aδ, qui sont de petit diamètre,
nécessiterait des quantités plus
importantes de densité électronique
et pendant un temps plus long, alors
que pour leur neuromodulation,
nous n’utilisons que 5 mA pendant 1
milliseconde.
comparer des images cérébrales, il faut
mettre les images fonctionnelles dans
le même référentiel spatial (on parle de
référentiel stéréotaxique). Par exemple,
les structures du cortex antérieur d’un
front relativement vertical par rapport
à un front incliné vers l’arrière ne sont
pas positionnées dans le même référentiel. Le cerveau d’un patient ayant
vécu à Montréal sert aujourd’hui de référence au monde entier. Sur les photos que je vous ai présentées, l’image
anatomique du cerveau de référence
est en gris. Les spots de couleurs symbolisent la différence statistique entre
deux groupes d’individus ayant subi
deux protocles de stimulation differents. Du fait de l’importance du bruit
de fond, on ne peut qu’établir des différences populationnelles.
Discussion
Commentaire
La dérégulation associée à l’obésité est-elle
réversible ? Avec un régime ad hoc, avezvous réussi à réverser le poids des porcs et
à obtenir des signaux normaux ? Si oui, au
bout de combien de temps ?
J.F. Merci d’avoir un peu levé le voile
sur cette « boite noire » qu’est le
cerveau : on voit ce qui entre et ce qui
sort, mais le milieu reste un mystère. Tu
nous as montré à quel point la densité
nerveuse du tube digestif est grande.
Chaque villosité est extrêmement
riche en neurones. Le cerveau est au
courant de tout ce qui se passe dans le
tube digestif, même des contractions
intestinales.
C-H.M. Au niveau périphérique, il
faut compter, chez l’homme comme
chez l’animal, une quinzaine de
jours pour obtenir une inhibition de
l’information, tandis que la réversion
de la dérégulation nécessite près de trois
mois. Au niveau central, nous n’avons
pas encore eu le temps de faire les
manips chez l’animal. Chez l’homme,
les seules données dont on dispose
concernent des patients ayant subi des
La stimulation artificielle du nerf vague,
que vous avez qualifié d’autoroute de
l’information, ne risque-t-elle pas d’avoir
aussi des effets au niveau cardiaque ?
-39-
roux en Y. Il faut compter deux mois
post-opératoires pour avoir un début
de réversion de la désactivation du
cortex orbitofrontal et du préfrontal.
Il n’y a pas de données associées aux
régimes.
Quels sont les effets d’un régime high fat ?
C-H.M. La régulation négative est
beaucoup plus importante avec les
régimes riches en graisse qu’avec
des régimes riches en glucose ou en
fructose. Quand on régule à la baisse
l’absorption et la détection des lipides,
la détection des glucides est également
perturbée ; pourtant les transporteurs
sont différents. Je pense que l’extrémité
afférente vagale porte des récepteurs
qui sont identiques pour les substances
qui sont libérées au niveau basal après
l’absorption de lipides ou de glucides.
Il est probable que c’est à ce niveau
qu’une régulation négative croisée se
produit.
Dans les années 90, on parlait beaucoup
d’une molécule qui empêchait l’absorption
des acides gras et qui avait sans doute un
effet sur la libération de CCK. On l’appelait
orlistat. L’utilise-t-on encore aujourd’hui ?
C-H.M. L’Orlistat, ou d’autres, avaient
des effets secondaires néfastes dus à la
présence de lipides non digérés dans
le colon : vous imaginez aisément
les conséquences sur le transit ! De
plus, orlistat n’a guère d’effet sur
l’amaigrissement des patients. Par
contre, c’est un superbe outil pour les
chercheurs car il bloque l’absorption
des lipides au niveau des cellules
entérochromaffines. Lorsque l’on met
des lipides dans le duodénum, on
peut étudier l’effet de la distension
sans l’effet chimique qui est associé à
la présence de lipides émulsifiés. J’ai
beaucoup utilisé cette molécule comme
outil expérimental. Dans les études
cliniques, son efficacité était limitée,
notamment parce que les patients en
prenaient pendant quelques mois puis
s’arrêtaient (les lipides n’étant pas les
seuls nutriments qui font grossir). Pour
qu’une oie fasse du foie gras, on ne la
gave pas avec des lipides mais avec du
maïs. Pour toutes ces raisons, l’orlistat
n’est plus en vogue aujourd’hui.
G.M. Il est très difficile de distinguer
l’effet signal de l’effet métabolique
qui est pourtant très différent pour
le glucose ou le fructose, et qui est
également tissu dépendant.
Si j’ai bien compris tes premiers schémas,
il n’y a pas de détection des nutriments en
tant que tels si ce n’est à travers leur effet
hormonal ou humoral détecté au niveau de
la barrière intestinale.
Je réaffirme que le neurone vagal est
insensible aux nutriments, y compris
glucidiques. Il nécessite l’existence
d’un intermédiaire cellulaire qui libère
une substance qui elle même agit sur le
neurone sensoriel vagal.
On ne sait toujours pas exactement ce
qui permet au nerf vague de détecter les
nutriments. C’est vraiment extrêmement
complexe, car si on prend deux nutriments
-40-
Article 1
aussi différents que les lipides et les protéines,
les deux ont les mêmes effets sur la libération
des hormones gastro-intestinales, que ce soit
le GLP1 ou la CCK.
" Obese patients after gastric
bypass surgery have lower brain-hedonic
responses to food than
after gastric banding "
Oui pour la libération circulante,
mais non au niveau paracrine. Par
exemple, on est incapable de détecter
l’augmentation
de
sérotonine
postprandiale qui existe pourtant au
niveau paracrine.
présenté par Stéphanie da Silva
Introduction
L’obésité qualifie l’état d’un individu
qui présente un excès de poids du
fait d’une augmentation de sa masse
adipeuse avec un indice de masse
corporelle supérieur ou égal à 30.
Depuis 1997, elle est reconnue par
l’OMS comme étant une maladie.
Cette organisation définit le surpoids
et d’obésité comme une accumulation
anormale ou excessive de graisse
corporelle pouvant nuire à la santé. La
chirurgie bariatrique est actuellement
la méthode la plus efficace, à long
terme, pour traiter l’obésité et les
problèmes de comorbidités qui lui
sont associées. Deux techniques sont
utilisées : l’anneau gastrique et le bypass (ou roux en Y).
Je suis tout à fait d’accord quant à la présence
d’un intermédiaire, mais je pense qu’il existe
aussi une sensibilité spécifique du duodénum
aux nutriments.
Actuellement, la plupart des données
laisse à penser qu’un même neurone
est capable, selon l’environnement
(nutritionnel et autres) dans lequel il se
trouve, de détecter un peu de glucose,
un peu d’acide gras à courte ou à
longue chaîne. Cette détection et cette
spécificité du neurone par rapport à un
nutriment donné est modulable par le
régime alimentaire.
Pourquoi l’appelle-t-on « nerf vague » ?
Le nerf vague est aussi appelé nerf
pneumogastrique. Il correspond à la
10e paire de nerf crânien. C’est un nerf
très long situé de part et d’autre de
l’organisme. On sait d’où il part, mais
on ne sait pas exactement où il s’arrête,
d’où son nom. Certains pensent qu’il
va jusqu’au colon proximal, d’autres
jusqu’à l’anus.
L’anneau gastrique
L’objectif est de limiter la quantité
d’aliments arrivant à l’estomac.
L’anneau est placé au niveau de la
jonction avec l’œsophage. À partir
de 1986, des anneaux ajustables ont
permis de réaliser les gastroplasties
sans agrafe. La perte de poids est en
moyenne de 14 %.
-41-
Le by-pass
a permis d’identifier plusieurs zones
cérébrales : noyau accumbens strié et
noyau caudé (conditionnement de la
réponse, de l’attente ; comportements
d’habitudes et de motivations), amygdale (réponse émotionnelle aux stimuli
de récompense), insula antérieure (intégration des informations sensitives
et notamment gustatives), cortex orbitofrontal (code la valeur de la récompense et la prise de décision associée).
Cette technique associe la réduction de
la taille de l’estomac et la malabsorption
des aliments. Elle consiste à faire une
transsection verticale de l’estomac de
façon à isoler une poche proximale
de capacité restreinte (10 à 30 ml).
Séparée du reste de l’estomac, cette
poche est ensuite reliée directement
au jéjunum. La perte de poids est en
moyenne de 25 %.
Activation cérébrale
avec des images d’aliments
Cette étude associe les deux types de
chirurgie. L’objectif de ce travail repose
sur l’hypothèse selon laquelle la perte
de poids plus importante obtenue avec
le by-pass qu’avec l’anneau gastrique
pourrait être due à des différences de
perception des aliments et du plaisir
via des changements physiologiques.
Pour cela, les auteurs utilisent
l’imagerie fonctionnelle par résonance
magnétique chez trois types de patients
de
caractéristiques
comparables
(âge, sexe, IMC, caractéristiques
psychologiques…) : 20 patients obèses
non opérés (BMI-M), 21 patients
obèses avec un anneau gastrique
(BAND), 20 patients obèses avec un
by-pass (RYGB). Chez les patients
opérés, les analyses ont été faites deux
mois après l’intervention.
L’activation est plus faible chez les
patients by-pass vs anneau gastrique
avec les images d’aliments riches
en calories et au niveau du cortex
orbitofrontal et de l’amygdale.
Comportements alimentaires
On observe une baisse de l’attrait
alimentaire envers les aliments à forte
densité calorique et les aliments sucrés
chez les patient by-pass par rapport
aux patients des deux autres cohortes.
Il n’y a pas de diminution de la
consommation de crème glacée sucrée,
mais une baisse de la perception de
plaisir et de la consommation de
lipides chez les patients by-pass par
rapport aux patients anneau gastrique.
On note aussi une diminution de la
sensation de faim, du plaisir à manger
et du volume de nourriture ingérée
chez les patients opérés par rapport
aux patients non opérés. Les troubles
alimentaires psychologiques sont
Résultats
Zones cérébrales d’intérêt
L’étude de l’activation neuronale, en
réponse à des stimuli alimentaires, en
mesurant le niveau d’oxygène sanguin
-42-
Les résultats de cette étude
mettent en évidence :
moins importants chez les patients bypass par rapport aux patients des deux
autres cohortes (résultats obtenus à
partir de questionnaires).
z
que la chirurgie de type bypass permet aux patients obèses
d’améliorer leur perte de poids à plus
long terme ;
Phénotypes hormonaux et métaboliques. Après un repas, on observe chez
les patients by-pass, par rapport aux
patients anneau gastrique, une plus
forte de sécrétions 1) de glucagon-like
peptide-1 (GLP-1 fait partie des hormones de satiété), 2) du peptide YY
(PYY réduit l’appétit), 3) d’acides biliaires (ils facilitent l’absorption des
graisses alimentaires). Par contre, il n’y
a pas de modification du taux de ghréline (hormone induisant la satiété).
z
l’implication de l’axe
cerveau dans l’obésité ;
intestin-
zqu’il conviendrait d’explorer davantage l’axe intestin-cerveau en liaison
avec le circuit de la récompense et
l’aspect hédonique de l’alimentation,
afin de développer des traitements
non chirurgicaux de l’obésité.
Discussion
Conclusions
Quelles sont d’après vous les limites
de cette étude ?
Les patients qui ont subi une chirurgie
bariatrique de type by-pass présentent
une réponse à l’alimentation différente
de ceux ayant un anneau gastrique
ajustable. En effet, on observe chez les
premiers : 1) une baisse de l’activation
cérébrale des zones relatives à la
récompense alimentaire ; il en découle
une baisse de l’attrait pour les aliments
sucrés et gras ; 2) une augmentation de la
sécrétion des hormones et des peptides
liés à la satiété, d’où une diminution du
volume alimentaire consommé ; 3) un
syndrome de dumping plus important
car, même si d’après les questionnaires,
les patients ayant subi un by-pass
disent se sentir mieux, on observe, chez
eux, un sentiment général de malaise et
une accélération du pouls après qu’ils
aient consommé des aliments sucrés.
S.DS. Je pense que les panels des trois
groupes de patients étaient trop
restreints pour permettre de corréler
les taux d’hormones et de peptides
sanguins avec l’activation neuronale
liée à la récompense et au plaisir. Il
me semble aussi que la répartition des
patients a été faite en fonction de la
comorbidité ou de leurs besoins et non
de manière randomisée. Les auteurs
n’ont pas tenu compte de la notion de
plaisir alimentaire avant la chirurgie,
et je pense qu’il aurait peut-être été
intéressant de connaître cet aspect
psychologique des patients avant leur
opération. Les patients du groupe bypass avaient plus de comorbidités préopératoires et plus d’effets secondaires
post-opératoires, comme la nausée
-43-
post-prandiale qui doit aussi être
associée au syndrome de dumping.
Enfin, j’aurais tendance à relativiser
le test de consommation de la crème
glacée, car les patients du groupe
by-pass sont moins attirés par les
aliments sucrés. Un panel alimentaire
aurait peut-être été plus intéressant
pour évaluer le volume ingéré et la
consommation alimentaire.
Pour quelles raisons les auteurs ont-ils choisi
la stratégie de l’anneau gastrique et celle de
la roux en Y ? Pouvez-vous nous expliquer
les avantages et les inconvénients des deux
chirurgies.
S.DS et C-H.M. Ce sont actuellement les
deux stratégies les plus utilisées dans
le traitement de l’obésité. L’anneau
gastrique est ajustable. Il est placé au
niveau de la jonction de l’estomac
avec l’œsophage, ce qui permet de
comprimer l’estomac. Il présente
l’énorme avantage de pouvoir être
retiré. Par contre, il présente aussi
un risque majeur de remontée intrathoracique de l’anneau du fait de la
destruction partielle des moyens de
fixation de l’estomac. Cette remontée
est une urgence médicale et chirurgicale
absolue car il y a un risque de mort
imminente. La roux en Y permet
une perte de poids plus importante
et diminue certaines comorbidités,
comme le diabète de type II. Par
contre, c’est une chirurgie irréversible.
De plus, le fait qu’il ne subsiste qu’une
toute petite poche pose des problèmes
de malabsorption des nutriments, des
minéraux et des oligo-éléments. Par
exemple, la non absorption de certaines
vitamines liposolubles nécessite une
supplémentation
médicamenteuse
à vie.
Merci pour votre très bonne analyse de cet
article qui soulève pas mal de questions.
Je vais commencer par répondre à votre
dernière critique : crème glacée versus panel
alimentaire.
C-H.M. Quand un patient est dans l’IRM,
bien qu’il soit sanglé, si son cerveau
bouge de plus de 2 mm, on a ce qu’on
appelle un artefact de susceptibilité
magnétique qui ne permet plus de faire
l’analyse d’IRM fonctionnelle. C’est
ce qui se produit avec le simple fait de
mâcher. C’est la raison pour laquelle
les auteurs ont choisi de donner de la
crème glacée préalablement passée au
four à micro-ondes, le patient devant
l’aspirer à l’aide d’une paille. Avec
l’imagerie fonctionnelle, l’image est
enregistrée durant le paradigme, ce qui
pose un gros problème qui n’existe pas
en médecine nucléaire. En effet, celleci permet de dissocier paradigme et
imagerie, car le patient reçoit le radiotraceur hors de la machine. Par contre,
avec la médecine nucléaire, on perd la
notion temporelle et dynamique que
l’on a avec l’IRM, grâce à laquelle on
obtient des images successives.
Comment expliquez-vous le faible nombre
de patients ayant subi une roux en Y ?
C-H.M. Contrairement à la pose d’un
anneau gastrique, une chirurgie de type
by-pass est assez peu reproductible. La
-44-
Avec les mêmes données, ils auraient
pu aller beaucoup plus loin. C’est
vraiment l’archétype d’une expérience
que l’on pourrait ré-analyser, grâce
notamment aux archives ouvertes.
taille de la poche qui subsiste varie selon
les chirurgiens et leurs patients. Pour
limiter les artefacts liés au chirurgien,
on ne prend que les patients d’un
même chirurgien sur une période la
plus restreinte possible.
Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est
le resting fMRI et nous dire pourquoi les
auteurs ont d’abord utilisé le resting fMRI
et ensuite la stratégie d’IRM dite classique,
alors qu’habituellement on fait le contraire ?
Les auteurs de l’article auraient-ils pu tirer
d’autres conclusions ?
C-H.M. Je ne comprends pas pourquoi
ils ont fait de l’imagerie d’un côté, du
comportement, du dosage d’hormones
et de peptides de l’autre. Pourquoi
n’ont-ils pas analysé tout en même
temps ? Aujourd’hui, les outils
informatiques permettent d’intégrer
des données non images aux images.
En d’autres termes, quand on fait des
statistiques d’images, voxel à voxel
(un voxel est un pixel en 3D), on peut
intégrer des variables dites explicatives
et des variables dites de nuisances. Dans
ce type de modèle, ils auraient dû tenir
compte de la perte de poids du sujet
entre l’avant et l’après chirurgie. Cette
variable de nuisance aurait permis
d’évacuer les facteurs ayant pollué
l’information finale. On peut aussi
augmenter la puissance de l’analyse
d’images en utilisant des variables
explicatives. Intégrer des données de
nutrition, des données images aux
données statistiques permet de donner
un sens physiologique beaucoup
plus important. Je ne comprends
pas pourquoi les auteurs ont choisi
le seul outil informatique d’analyse
de l’imagerie fonctionnelle qui ne
permettait pas de faire cette intégration.
C-H.M. Le resting fMRI (ou encore
resting state) permet de faire une
analyse dite sans a priori. Les auteurs
ont d’abord comparé, sans a priori, tous
les voxels des patients des deux groupes
(roux en Y et anneau gastrique), afin
de trouver ceux qui étaient différents.
Sur les zones identifiées comme étant
pertinentes (cortex orbitofrontal,
amygdale, insula antérieure, noyau
accumbens), ils ont ensuite fait une
analyse avec un a priori. S’ils avaient
fait, dans un premier temps, une
analyse avec a priori, elle aurait été
très critiquable. C’est une très belle
étude, publiée dans Gut, qui répond
parfaitement à la question posée mais,
à mon avis, elle aurait pu livrer d’autres
informations.
-45-
Article 2
raison pour laquelle les auteurs de cette
étude ont utilisé un édulcorant non
calorique présentant le même pouvoir
sucrant, c’est-à-dire la même valeur
hédonique, qu’une boisson sucrée. Ils
ont voulu tester deux hypothèses : 1)
les régions cérébrales stimulées chez les
sujets obèses et les sujets minces lors
de l’ingestion d’une boisson édulcorée
ou sucrée sont similaires ; 2) après
qu’ils aient consommé ces boissons, la
stimulation visuelle par des images liées
à l’alimentation entraîne des réponses
cérébrales supérieures chez les sujets
obèses par rapport aux sujets minces.
En l’occurence, il s’agit de 20 femmes,
10 obèses et 10 minces, pour lesquelles
les critères d’exclusion au moment
de la sélection ont été : les chirurgies
gastro-intestinales,
les
problèmes
psychologiques,
les
traitements
médicaux, les maladies chroniques, la
grossesse, le tabagisme...
" Differences in brain responses
between lean and obese women
to a sweetened drink "
présenté par Sarah Ployon
Introduction
Aux États-Unis, on compte aujourd’hui
près de 34 % de personnes obèses et
34 % de personnes en surpoids, ce qui,
en 2013, représentait déjà un coût de
75 milliards de dollars. Les effets des
régimes sont décevants sur le long
terme et seule la chirurgie a aujourd’hui
une certaine efficacité. On sait que
l’ingestion d’un aliment sucré active le
circuit de la récompense, qui est régulé
par les signaux endocriniens et neuroendocriniens de la satiété. On pense
qu’un déséquilibre entre les mécanismes
vagaux et endocriniens de la satiété et
le circuit de la récompense pourrait
être à l’origine d’une prise alimentaire
excessive. Des études précédentes ont
montré que, lors de stimulations visuelles
par des aliments riches ou pauvres en
calories, les réponses cérébrales étaient
différentes entre les personnes obèses
et les personnes minces. On retrouvait
cette différence d’activité cérébrale
lorsque les personnes regardaient ces
mêmes images après avoir consommé
de l’eau ou de l’eau sucrée. L’eau
étant non palatable, les sujets savent
qu’ils consomment une boisson non
calorique pour laquelle il n’y a pas
de composante hédonique. C’est la
Résultats
Variables cliniques et appétit
Les deux groupes de femmes ont un
profil psychologique (état dépressif
ou d’anxiété) similaire. Les réponses
physiologiques sont semblables, car il
n’y a aucune différence de perception
entre la boisson sucrée et la boisson
édulcorée. Toutes deux entraînent une
diminution de la sensation de faim
et de l’envie de sucré, ainsi qu’une
augmentation de la satisfaction.
Cependant, la perception est plus faible
chez les sujets obèses.
-46-
Réponses cérébrales associées à la
consommation de boissons édulcorée ou
sucrée suivie d’une stimulation visuelle
Pour les deux groupes, on observe
une activation de l’insula gauche, de
l’amygdale bilatérale, de l’hippocampe
gauche et du cortex cingulaire
antérieur bilatéral, avec toutefois une
intensité plus élevée chez les personnes
obèses. Par contre, chez les personnes
obèses qui ont consommé une
boisson sucrée, on note l’activation
de l’insula antérieure bilatérale, du
cortex cingulaire antérieur droit, de
l’amygdale bilatérale, de l’hippocampe
gauche et du cortex visuel ne se produit
que. Cette expérience montre, d’une
part, qu’une stimulation visuelle après
l’ingestion d’une boisson sucrée (sucre
ou édulcorant) entraîne une réponse
excessive chez les personnes obèses et,
d’autre part, que d’autres mécanismes
liés au taux de glucose circulant
pourraient être impliqués.
Réponses cérébrales associées à la
consommation des boissons
Après la consommation d’une boisson
édulcorée ou sucrée et la visualisation
d’une image neutre (c’est-à-dire non
liée à l’alimentation), les images de
l’IRMf montrent, chez les deux groupes
de sujets, une activation des mêmes
zones cérébrales : thalamus, amygdale,
hippocampe, insula antérieure droite.
La perception des deux boissons
par tous les sujets découle donc de
l’activation des mêmes récepteurs
linguaux et intestinaux. Elle ne
nécessite pas l’intervention d’autres
mécanismes requérant l’absorption de
glucose.
Réponses cérébrales et sensation subjective
de faim lors d’une stimulation visuelle par
l’image d’un aliment
La sensation subjective de faim est
évaluée avec le questionnaire de
satiété. Un score élevé correspond à
une sensation de faim élevée. L’IRM
montre, tant pour les personnes obèses
que pour celles du groupe contrôle
qui ont consommé les deux boissons
et regardé des images d’aliments,
une activation de l’insula postérieur
gauche. Par contre, l’activation de
l’insula antérieure bilatérale n’existe
que chez les personnes obèses. Cette
expérience montre que la sensation
de faim est plus importante chez les
personnes obèses. Elle est corrélée à
une augmentation de l’activation des
circuits hédoniques engagés durant la
stimulation visuelle.
Conclusion
Chez les personnes obèses, les signaux
intestinaux post-ingestion génèrent
moins d’effets hédoniques que la
mémoire stimulée par des images
d’aliments.
Discussion
Qu’avez-vous pensé de cet article ?
S.P. Je n’ai pas trouvé que l’objectif
était bien défini et que les hypothèses
étaient clairement exposées. Les auteurs
ne parlent de stimulation visuelle que
-47-
de l’imagerie. Cette étude a été menée
par une très bonne équipe dirigée par
E.A. Mayer qui travaille chez l’homme
et non chez l’animal. Chez l’homme,
on fait des tests de latéralisation avant
de commencer les expériences afin
d’expliquer les latéralisations si tant est
que l’on en trouve. Les personnes qui
font de l’imagerie travaillent avec des
physiciens et, comme eux, ils savent ce
que c’est que de partager d’énormes
quantités de données brutes. Les
données d’imagerie doivent toujours
être présentées de la même façon, ce qui
donne le tableau que vous avez trouvé
immonde. De plus, les coordonnées
sont définies par rapport à un set de
coordonnées, dont l’un est appelé
MNI, car les données ont été élaborées
par le Montreal Neurological Institut.
L’autre set de référence est décalé de
près de 1 cm dans toutes les directions
de l’espace par rapport au set MNI.
Pour être acceptée, une publication
relatant une expérience d’imagerie doit
impérativement comporter certaines
informations dans le but, d’une part, de
pouvoir refaire l’expérience et, d’autre
part, d’abonder les archives ouvertes.
Comme la place est limitée dans les
revues, les tableaux sont souvent mis en
annexes supplémentaires, non publiées
mais accessibles. Je pense qu’à terme,
tous les secteurs de la biologie seront
contraints de faire la même chose.
Cela aura, et a déjà, des conséquences
importantes en termes de financements
et de structures, car celles-ci
nécessitent désormais des moyens
dans la partie « matériels et méthodes ».
J’ai impression qu’ils n’ont fait que
valider une hypothèse qu’ils avaient
déjà proposée dans un article antérieur.
J’ai parfois été noyée par la quantité
d’informations, en particulier par les
différentes régions cérébrales, droites,
gauches, antérieures, bilatérales. Le
fait qu’ils aient choisi de prendre une
boisson sucrée et une boisson édulcorée
a permis d’éviter le biais des études
précédentes, car il n’y avait pas de
différence hédonique entre les deux
boissons. Je ne sais pas si c’est une
bonne idée d’avoir fait les deux tests à
25 minutes d’intervalle (on considère
que c’est le temps qu’il faut pour que
l’organisme ressente la satiété après
l’ingestion d’un aliment). Concernant la
sélection des sujets, je trouve qu’ils ont
fait une bonne standardisation, mais que
le nombre de personnes par groupe était
faible. Pour les stimulations visuelles, ils
ont pris le temps de connaître les goûts
de chacun, afin que des préférences ou
des aversions ne viennent pas biaiser
les résultats. Quant aux résultats, ils les
ont présentés dans de grands tableaux
de coordonnées d’IRM, assez indigestes
pour les non-initiés. Je pense aussi
qu’il manquait un contrôle, à savoir
une stimulation visuelle mais sans
consommation de boisson.
Commentaires
C-H. M. Je vous remercie pour tous les
points que vous avez soulevés, et je
me rends compte qu’ils ne vont pas
de soi pour les gens qui ne font pas
-48-
considérables pour fonctionner. Une
seule expérience pourra faire l’objet de
plusieurs publications par des équipes
différentes qui n’auront plus que les
données à analyser.
femmes au même moment du cycle
hormonal. Par contre, on sait, mais
on n’en connaît pas la raison, que la
désactivation du cortex orbitofrontal
que l’on observe chez les personnes
obèses est beaucoup plus marquée chez
la femme, quel que soit le moment
du cycle, que chez l’homme. Wang
avait relaté cette observation dans ses
premières publications. Les auteurs de
cet article ont donc introduit un biais
expérimental en ne prenant que des
femmes, mais tout le monde préfère
avoir des sujets répondants plutôt que
des sujets peu répondants.
Concernant le nombre de patients
que vous avez trouvé faible (4X10),
il est quand même à l’origine de 40
sets d’images. Or, un set d’images
d’IRMf représente entre 3 et 4 Go de
données. L’ordinateur va donc devoir
gérer entre 150 et 200 Go de données,
ce qui nécessite déjà une mémoire
vive importante. Une expérience en
imagerie générant plusieurs To de
données, nous sommes déjà plus
que limités par la puissance de nos
machines. Pour vous donner un ordre
d’idée, l’INRA essaye aujourd’hui
de constituer une archive ouverte de
données, mais l’institut dispose de
moins de 5 To.
Pourquoi les auteurs ont-ils différencié
l’insula postérieure gauche de l’Insula
postérieure droite et de l’insula bilatérale,
sans en expliquer l’intérêt ?
C-H.M. Le laboratoire de Mayer est
un laboratoire assez riche puisqu’il
dispose d’une IRM qui fait 7000 fois
le champ magnétique terrestre. Plus
le champ magnétique produit par
la machine est important, plus le
rapport signal / bruit augmente, ce qui
permet de détecter des sous structures
dans l’insula. Les auteurs de l’article
précédent ne disposaient que d’une
IRM de 3 tesla qui ne leur permettait
pas d’identifier des sous-structures.
Grâce à neurospin, la France est en
train de se doter de la machine la plus
puissante au monde, une IRM de 12
tesla. Ce projet est porté par le CEA et
l’INSERM à Saclay. On espère pouvoir
y mettre un patient en 2015 ou 2016.
Cette machine permettra d’isoler des
Vous avez, à juste titre, soulevé un
point très important : la qualité des
hypothèses. L’imagerie fonctionnelle
cérébrale repose sur les hypothèses :
on pose une hypothèse, on monte
son expérience et on valide, ou non,
l’hypothèse. Le paradigme ne peut être
construit sur une idée vague. L’imagerie
est l’antithèse de toute la biologie en
« omique ».
Pourquoi les auteurs n’ont-ils choisi que des
femmes ?
C-H.M. Ce n’est pas pour des raisons
hormonales, puisqu’ils ont supprimé
le problème en choisissant des
-49-
structures d’une centaine de neurones,
et donc d’identifier, par exemple, une
trentaine de sous-zones de l’insula.
longtemps travaillé sur les troubles digestifs
et en particulier sur le côlon irritable, qui
est une pathologie essentiellement féminine.
Peut-être as-tu une autre explication ?
Le cerveau d’une femme et celui d’un
homme ne se développent pas de la
même façon. Ce n’est pas qu’une question
d’hormones. Il y a aussi des différences au
niveau des transcriptions et des phénomènes
d’épigénétique. A-t-on, grâce à l’imagerie
fonctionnelle, une idée plus claire de ces
différences entre les sexes ?
C-H.M. Je ne sais pas quelle était leur
raison, mais moi j’ai choisi cette revue
car c’est la toute première qui, dans
le domaine de la nutrition, utilise les
dernières avancées algorithmiques
du resting state pour mélanger des
données non images. Mayer et son
équipe ont réussi à faire le lien entre
satiété et imagerie. En intégrant dans
leur modèle des données non images,
ils ont réussi à n’avoir qu’une seule zone
réellement activée : l’insula. Ils n’ont
pas utilisé le même logiciel d’analyse
que celui de l’expérience précédente.
Ils ont utilisé le logiciel SPM, qui a
une capacité d’inférence bayésienne
et dont l’algorithme intégré permet
d’introduire des données non images.
C-H.M. Je sais qu’une équipe du Royal
College a récemment publié dans
la revue « Nature » un article sur la
perception géospatiale chez l’homme
et chez la femme. Il me semble qu’ils
n’ont pas trouvé une seule zone du
cerveau identique dans les deux cas.
À la lecture du titre et après avoir lu
l’article, je me suis demandée pourquoi les
auteurs avaient choisi de publier dans la
revue Neurogastroenterol Motil. Mayer a
Charles-Henri Malbert, US ANI-SCAN, INRA, Rennes
Articles analysés
> Article 1 : présenté par Stéphanie da Silva, Toxicologie alimentaire, Toulouse
Obese patients after gastric bypass surgery have lower brain-hedonic responses to
food than after gastric banding, Scholtz S. et al., Gut Online First, 20 August 2013, doi:
10.1136/gutjnl-2013-305008
> Article 2 : présenté par Sarah Ployon, Centre des Sciences du Goût et de
l’Alimentation, Dijon
Differences in brain responses between lean and obese women to a sweetened drink,
Connolly et al., Neurogastroenterol Motil (2013) 25, 579-e460
-50-
3
Session 3
Jocelyn est Maître de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes
en Santé Publique de Rennes. Il est aussi professeur invité à
l’université de Montréal. Il a été, malheureusement de façon
très éphémère, chargé de recherche à l’INRA. Sans doute a-t-il
préféré le cidre breton au vin de Bourgogne ? Il s’intéresse depuis
plusieurs années aux aspects sociologiques de l’alimentation.
Rôle des interactions individus environnements dans les comportements alimentaires :
éléments de réflexion théorique et pratique
Jocelyn Raude
Citons, par exemple, les ω 3 qui étaient
inconnus du grand public il y a une
quinzaine d’années. Aujourd’hui, je
vais surtout vous parler des interactions
environnements-individus
dans
les
comportements
alimentaires.
L’université de Los Angeles (UCLA)
et l’université de Montréal ont été les
premières à proposer des modèles sur
la manière dont les environnements
sociaux et culturels influencent nos
pratiques et nos comportements. Les
premiers travaux datent de la fin des
années 80. Je vais vous présenter les
apports de cette réflexion écosystémique
qui fait appel aux différentes sciences
humaines : la sociologie, la psychologie,
l’économie et l’anthropologie.
Introduction
Comme l’a dit Jean, je m’intéresse depuis
quelques années aux phénomènes
cognitifs sous-jacents aux modifications
du comportement alimentaire autour
des thèmes de la santé, de l’alimentation
et de la maladie. En effet, on s’est aperçu
que des termes, des notions, des idées,
des croyances ou des représentations,
qui émanent du monde scientifique,
émergent dans l’espace public et ont des
trajectoires qui peuvent, dans certains
cas, donner lieu à des modifications du
comportement alimentaire. Nous avons
ainsi pu observer des changements
assez importants ces dernières années
sur des pratiques alimentaires dans
tous les grands pays développés.
-51-
Qu’est-ce qu’un comportement ?
illégal, mais constitue une infraction
dans un code culturel qui veut que,
dans un microcosme, on se dise au
moins bonjour, au revoir ou merci. Les
approches normatives sont étudiées
par l’anthropologie, la sociologie et,
dans certaines mesures, la psychologie.
Ces disciplines cherchent à savoir
quelles sont les normes sous-jacentes
à tout système culturel. Les approches
descriptives sont celles qui essaient
de comprendre les motivations des
acteurs. Nous avons tous une marge
de liberté dans ce qui nous est donné
de faire ou de ne pas faire. Une grande
partie du travail des sociologues et
des psychologues est d’essayer de
trouver les raisons et les motivations
qui expliquent les comportements.
Par exemple, on peut se demander
pourquoi la consommation des fruits
et des légumes augmente aujourd’hui
en France, alors qu’il y a cinq ou six ans
elle était plutôt en baisse.
La notion de « comportement » a, dans
les sciences humaines, une définition
différente de celles qui dominent dans
les sciences de la vie. Elle est souvent
utilisée de manière interchangeable
avec les concepts d’action, d’habitude,
de pratique et de choix ou de décision.
D’une manière générale, le concept
de « comportement » fait référence à
quelque chose que les individus font,
ou s’abstiennent de faire, de manière
plus ou moins intentionnelle ou
involontaire. En général, on distingue
les actions des habitudes. L’action est
le plus souvent unique, mais si elle
devient répétitive et n’exige plus de
processus conscients de délibération
devant aboutir à une décision ou à
une action, elle devient une habitude.
Les économistes utilisent plutôt les
concepts de choix ou de décision là où
les sociologues et les anthropologues
utilisent la notion d’action.
Les approches infra-personnelles versus
les approches supra-personnelles
Les différentes manières
d’appréhender les comportements
Ces approches ne concernent pas
seulement la psychanalyse, car elles
s’appuient sur toutes les théories
de l’inconscient et du cognitif. Elle
s’intéresse à tous les réflexes et toutes
les fonctions qui ont été sélectionnés au
cours de l’histoire et qui, par exemple,
ont permis à l’homme mais aussi aux
autres animaux de capter les signaux de
danger, de reconnaître les intentions…
Les approches normatives, ou prescriptives,
versus les approches descriptives,
ou compréhensives
La plupart des comportements
sont encadrés par des normes qui
s’inscrivent dans un système culturel
donné. Par exemple, ne pas saluer
une personne que l’on rencontre dans
un contexte social n’est, en soi, pas
-52-
Les approches synchroniques, ou statiques,
versus les approches diachroniques, ou
dynamiques
Les premières cherchent à comprendre
quels sont les facteurs qui expliquent, à
un moment donné, tel ou tel comportement. Les secondes s’intéressent aux
séquences, à la progressivité des actions
qui conduisent à un comportement.
Par exemple, comment devient-on fumeur ? ou pourquoi a-t-on choisi tel
régime alimentaire ?
Les approches individualistes, ou
théorie de l’agent, versus les approches
écosystémiques, ou théorie structuraliste
Schéma 1
schéma 1 est un des premiers modèles,
et il date du début des années 90,
qui synthétise la manière dont on
pouvait penser les interactions entre
des environnements naturels, sociaux,
des expériences personnelles et leurs
influences sur des comportements.
Les travaux que je mène à l’université
de Montréal s’appuient sur ce type de
représentation.
Les premières mettent l’accent sur la
liberté de l’acteur qui dispose d’une
autonomie par rapport à un système
de normes ou de valeurs ; mais cette
liberté de choix est aussi contrainte.
Les écosystèmes qui nous gouvernent
et pèsent sur nos comportements, nos
choix et nos habitudes sont pris en
compte dans la théorie structuraliste.
L’approche écologique
Modèles individualistes versus
structuralistes
L’écologie est définie comme étant la
science qui s’intéresse aux interactions
complexes et multiples entre des
organismes et leur environnement.
C’est vrai pour la biologie, mais c’est
également vrai pour les sciences sociales.
La psychologie sociale est née dans les
années 40. Son fondateur, Kurt Lewin,
écrivait déjà que les comportements
résultaient d’interactions entre les
individus et les environnements. Le
Au sein des sciences sociales et
humaines, on distingue les approches
théoriques qui mettent l’accent, soit
sur les facteurs endogènes, intrasubjectifs ou individuels (la source
de nos comportements est en nous,
dans notre histoire, nos valeurs
et nos préférences), soit sur les
facteurs exogènes, extra-subjectifs ou
-53-
Les motivations des choix
alimentaires
structurels qui sont à l’origine de nos
comportements. Cette distinction
procède de la division historique
entre les approches individualistes/
cognitivistes et les approches sociales/
constructivistes qui tend à dichotomiser
les sciences humaines et sociales.
Jusqu’à une époque récente, ces deux
univers communiquaient assez peu
et s’opposaient. Depuis une dizaine
d’années, des psychologues et des
économistes commencent à s’intéresser
aux facteurs structuraux, tandis que
des anthropologues et des sociologues
prennent en compte des facteurs intraindividualistes, y compris issus des
sciences cognitives et des neurosciences.
Les travaux que je vais vous présenter
sont issus de cette mouvance qui essaie
de comprendre comment ces deux
univers peuvent cohabiter, s’entendre
et créer de nouvelles approches pour
essayer de comprendre les phénomènes
que l’on observe.
Parmi les travaux sur les déterminants
des comportements alimentaires,
le schéma 2 illustre les travaux de
K. Glanz et son équipe. Il fait le lien
entre consommation alimentaire,
physiologie et métabolisme, et il essaie
de comprendre les grands facteurs qui
expliquent les choix : le coût, le goût, la
variété, la santé, l’aspect pratique. De
quelle façon les contraintes budgétaires
et économiques interviennent-elles ?
Les aliments industriels se sont
progressivement imposés dans nos
assiettes depuis ces trois ou quatre
dernières décennies, modifiant en
profondeur la structure sociale. Quelle
est la part de la subjectivité sur la santé
liée aux aliments ? Par exemple, j’avais
été étonné de voir qu’en France le vin
rouge avait été classé parmi les aliments
bienfaisants et protecteurs ; aux ÉtatsUnis, en Angleterre ou au Canada,
c’était plutôt la bière ! N’oublions
pas que l’alcoolisme est la deuxième
cause de mortalité évitable en France
aujourd’hui. Concernant la variété,
il faut trouver un équilibre entre la
protection de l’identité culturelle et
la découverte de nouveaux univers
alimentaires. Le principal problème de
ce modèle est qu’il ne tient pas compte
de l’environnement.
Pour simplifier, je dirais, qu’en sciences
sociales comme en santé publique, on
distingue deux grands types de facteurs
d’explication ou de relation causale
des modèles observables : des facteurs
endogènes et des facteurs exogènes. Les
facteurs endogènes mettent l’accent
sur les motivations individuelles qui
caractérisent les individus, dont chacun
est situé dans un espace socioculturel
et biophysique. Les facteurs exogènes
correspondent à des effets de contexte
qui sont de trois ordres : géographiques,
temporels et culturels.
La perspective individualiste
Les approches individualistes mettent
avant tout l’accent sur l’autonomie
-54-
efficacité : les consommateurs ont,
en général, l’impression d’avoir la
maîtrise d’eux-mêmes et de leur
environnement ; ils se sentent
capables de changer leurs pratiques
alimentaires ;
des
agents
(individualisme
méthodologique) et les variables
subjectives. Dans cette perspective, les
variables explicatives privilégiées sont
de quatre ordres :
zles intentions, désirs, motivations,
aspirations, projets et anticipations ;
z les compétences, aptitudes et savoirfaire. Par exemple, plusieurs études
ont montré que l’un des premiers
freins à la consommation des légumes
en France n’est pas le coût, mais le
manque de compétences culinaires.
Cette perte de transmission des
savoir culinaires est également
observée chez les migrants.
zles attitudes, préférences, croyances,
idées,
jugements,
perceptions,
représentations... ;
z la maîtrise de soi et l’autocontrôle. La
capacité à changer son comportement
alimentaire est en général lié à ce que
l’on appelle le sentiment d’autoSchéma 2
-55-
La théorie
des comportements planifiés
de l’individu à tous les objets ou
situations auxquels il est confronté » ;
z
les normes subjectives. Ajzen
les définit, en 1991, comme la
perception de l’approbation ou
de la désapprobation que d’autres
personnes pourraient avoir de notre
comportement, notre action ou
notre choix ;
C’est la théorie dominante en sciences
humaines. Elle a été créée par deux
psychologues, Ajzen et Fishbein,
qui
s’intéressent
essentiellement
aux questions de marketing, et
notamment aux comportements
d’achat dans le domaine alimentaire.
Leur théorie repose sur trois concepts
fondamentaux :
zla contrôlabilité comportementale
perçue. Il s’agit de la croyance qu’a
un individu de sa capacité à maîtriser
son activité et son environnement.
z les attitudes. Elles ont été définies par
Allport, en 1935, comme étant « un
état mental et neural de préparation,
organisé à partir de l’expérience,
exerçant une influence directive
ou dynamique sur les réponses
Entre ces trois types de variables
et le comportement, Ajzen situe
l’intention des acteurs (schéma 3). Par
exemple, l’intention de consommer
Schéma 3
-56-
Schéma 4
des aliments frais peut se heurter à
des problèmes d’accès. Le concept de
déserts nutritionnels est apparu aux
États-Unis où les habitants des zones
paupérisées des villes très étendues ne
peuvent plus consommer de fruits et
de légumes frais à moins de faire des
dizaines de kilomètres en voiture, et
n’ont souvent accès qu’à des fast-food.
mieux donner plus d’importance
à ce qu’on appelle aujourd’hui
« les chemins non intentionnels de
l’action ». Au début du XXe siècle, on
donnait aux facteurs inconscients,
dont fait partie le conditionnement,
un rôle prépondérant (cf Freud et la
psychanalyse) puis, avec la théorie des
comportements planifiés, les facteurs
conscients, délibératifs ont pris de
l’importance. Depuis les années 2000,
on réfléchit aux interactions entre les
facteurs conscients et inconscients
(schéma 4). Les humains sont dotés de
deux systèmes :
Les déterminants des comportements
Des méta-analyses réalisées dans les
années 2000 ont montré que les modèles
surestimaient le contrôle intentionnel
des comportements et qu’il valait
-57-
j’ai besoin de perdre du poids car c’est
bon pour ma santé et je vais mettre
en place un comportement adéquat ».
Ici, le raisonnement donne lieu à
une intention ; on est sur un mode
décisionnel ; on se projette dans le
futur car on escompte certains effets.
Cela nécessite des capacités cognitives
supérieures, puisqu’on doit mettre
en œuvre une réflexion importante
pour essayer de modifier les pratiques
(par exemple, en apprenant à cuisiner
des légumes). Le second système,
le système impulsif ou intuitif, est
immédiatement activé par des stimuli
environnementaux. Le futur n’est pas
représenté et les capacités cognitives ne
sont pas nécessaires.
zun système intuitif qu’ils partagent
avec les autres animaux et qui est
probablement issu de la sélection
naturelle. Il est automatique,
spontané, rapide et ne demande pas
d’apprentissage ;
zun système de raisonnement qui
leur est fourni via l’éducation, la
culture…
Intuition et raisonnement cohabitent
et donnent parfois lieu à des
contradictions.
On retrouve cette dualité avec le
schéma 5, proposé par Strack et
Deutsch en 2004, qui schématisent les
interactions entre les systèmes réflexif
et impulsif. Ils partent d’une bonne
intention : « je veux perdre du poids ;
Schéma 5
-58-
Un échec de la prévention active ?
L’influence des normes culturelles sur
les comportements alimentaires
Force est de constater que les recommandations individuelles concernant
la lutte contre l’obésité (manger mieux,
faire plus d’exercices) n’ont pas beaucoup d’effets et qu’il vaudrait mieux
prendre en compte les aspects environnementaux et notamment les environnements toxiques. Par exemple, j’ai pu
voir dans un fast-food de New York que
l’on pouvait avoir un deuxième hamburger gratuit dès que l’on avait fini le
premier. Cela témoigne de l’importance
de l’approche quantitative et de l’abondance alimentaire dans la culture américaine.
Prenons l’exemple de quelques
aliments :
z les insectes sont mangés en Amérique
du Sud, en Asie et en Afrique, mais
dégoûtent les européens et les
nord-américains. Des études sont
aujourd’hui financées, notamment
par la FAO et l’ANR, sur la
valorisation des protéines issues des
insectes qui seraient, selon certains,
notre futur. Pour l’instant, on
assiste surtout au développement de
filières qui concernent l’alimentation
animale et pose moins de problèmes
d’acceptabilité ;
z le chien est apprécié notamment
en Asie et en Océanie, mais sa
consommation révolte les européens
et les nord-américains ;
z le cheval et le lapin sont consommés
dans les pays d’Europe du Sud, mais
ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne
et aux États-Unis ;
z la grenouille ravit les papilles des
consommateurs français et asiatiques,
mais répugne celles de plusieurs pays
d’Europe et d’Amérique du Nord.
La frontière entre le mangeable et
l’immangeable n’est pas immuable et
dépend de la proximité que l’homme
entretient avec l’animal. Le cheval a été
domestiqué ; le chien et maintenant
le lapin sont considérés comme des
animaux de compagnie. Dès lors,
ces animaux sont, pour beaucoup
d’européens, devenus immangeables.
La perspective écosystémique
Les approches écosystémiques privilégient les influences contextuelles,
sociales et culturelles sur les variables
individuelles (holisme méthodologique). Dans cette perspective, les
variables étudiées sont le plus souvent :
zles normes, les conventions et les
systèmes de valeurs ;
zl’influence des pairs, parents, amis,
proches... ;
zles ressources, les opportunités et les
contraintes, notamment matérielles
et sociales ;
zl’influence des environnements et
des contextes.
-59-
L’influence du contexte
et de l’environnement
Premier exemple.
En 2011, une équipe américaine a
étudié l’effet de la densité et de la
proximité des bureaux de tabac sur
l’arrêt du tabagisme. Elle a montré que
le fait de vivre à moins de 250 m d’un
bureau de tabac réduisait de moitié les
chances de succès des programmes de
sevrage tabagique.
Photo 1
Troisième exemple
Deuxième exemple
La perception de la taille des portions
varie en fonction de la taille des assiettes.
C’est la raison pour laquelle on se sert
plus dans une grande assiette. Les
perceptions de taille et de volume sont
également différentes selon la couleur
du contenant : un consommateur a
une conscience plus aiguë de la taille
d’une plâtrée de spaghettis si ceux-ci
sont présentés dans une assiette rouge,
par rapport à une assiette blanche.
Une autre étude, publiée dans
« Psychological sciences » en 2003,
s’était intéressée à la taille des
portions servies dans des restaurants
comparables à Philadelphie et à Paris
(McDonald’s, Hard Rock Cafe, Pizza
Hut, Häagen Dazs, Quick, des pizzeria,
crêperies, bistros français et italiens,
restaurants chinois, des établissements
qui vendent des glaces). Résultats :
aux États-Unis, les portions étaient
en moyenne 30 % plus grandes qu’en
France. Seule exception, le Hard
Rock Cafe. En fait, cet établissement
est surtout fréquenté par les touristes
américains venus visiter Paris et compte
une clientèle française réduite. New
York a été le premier État américain
à interdire les sodas de plus de 1 litre.
Ceux qui sont allés aux États-Unis ont
pu se rendre compte que les plus petits
formats américains correspondent,
en moyenne, aux plus grands formats
français. Les normes sont un enjeu
pour les industries agroalimentaires,
comme le montre la photo 1.
Quatrième exemple
Pour les besoins d’une étude, un
restaurateur a modifié des éléments
d’ambiance de son restaurant et
utilisé des décorations se référant à
la mer : figurines de vieux loup de
mer à l’entrée, bateaux sur les tables,
serviettes avec une ancre bleu. Si la
présence de ces éléments n’a aucune
incidence sur le dessert, elle entraîne
une forte augmentation du choix de
plats de poisson par rapport aux plats
de viande.
-60-
Cinquième exemple
une faible ou à l’absence de récompense
nécessitent un engagement fort, car la
personne doit croire ou attribuer une
valeur à ce qu’elle fait.
D’autres études portent sur l’impact
de la publicité, notamment indirecte.
Jusqu’à présent, on était habitué aux
coupures des émissions audiovisuelles
par des annonces publicitaires.
La stratégie des annonceurs est
aujourd’hui de placer des produits
(bières, montres, voitures...) dans les
films et de mettre les marques bien en
évidence. Des expériences ont montré
que le choix de la boisson qui avait été
vue dans un film avait été multiplié
par deux lors du buffet qui suivait la
projection.
Plusieurs effets d’engagement et
techniques de manipulation permettent
d’accroître la probabilité d’occurrence
d’un comportement. Ce sont :
Les effets de type « amorçage »
Les psychologues se sont intéressés à
la prise de décision, notamment dans
les organisations, pour construire une
théorie de l’engagement. Ils essaient
de comprendre comment certains
individus en viennent parfois à prendre
des décisions manifestement contraires
à leurs intentions. Ils cherchent à savoir
pourquoi les individus maintiennent
durablement certains comportements
et pas d’autres. Ils veulent identifier les
contextes qui favorisent l’engagement.
Des expériences de psychologie sociale
montrent qu’un premier geste peu
coûteux favorise ou prépare l’individu
à un deuxième geste plus coûteux. Par
exemple, dans l’expérience du quêteur,
des
étudiants
expérimentateurs
ont demandé à des gens dans la
rue : « vous n’auriez pas un euro pour
me dépanner, car je dois absolument
téléphoner à mes parents et j’ai oublié
mon portefeuille ? ». La réponse était
négative à 80 ou 90 %. Par contre,
si l’étudiant avait d’abord demandé
l’heure ou son chemin, une personne
sur deux lui aurait donné un euro.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que les
quêteurs connaissent ces études de
psychologie sociale, car nombreux sont
ceux qui utilisent ce subterfuge.
Ils ont notamment pu montrer par des
expériences que certaines situations
sont plus engageantes que d’autres.
Ainsi, les actions ou les comportements
qui sont liés à une forte récompense
(ou rémunération) ou à une forte
contrainte (ou sanction) n’entraînent
qu’un engagement faible. A contrario,
les actions ou les comportements liés à
Une autre expérience montre que,
contrairement à ce que l’on croit, on
n’est pas honnête ou malhonnête en
soi. L’honnêteté ou la malhonnêteté
peuvent aussi être favorisées par
le contexte : c’est ce que montre
l’expérience du portefeuille. Première
situation : « l’enquêteur » s’adresse à
une personne dans la rue, le cobaye,
L’influence du contexte social
-61-
Les effets de type « porte-au-nez »
pour lui demander son chemin. Il le
remercie, laisse tomber son portefeuille,
faisant mine de ne pas s’en apercevoir,
puis s’en va. Je crois me souvenir
que seule la moitié des cobayes ont
rapporté spontanément le portefeuille
ou signalé à l’enquêteur qu’il était
tombé. Deuxième situation : après
avoir demandé son chemin, l’enquêteur
remercie le cobaye et lui dit qu’il est
vraiment quelqu’un de bien. Comme
précédemment, il laisse tomber son
portefeuille et s’éloigne. Dans ce cas,
le taux de récupération du portefeuille
était quasiment de 100 %. L’enquêteur
a créé une réalité qu’il avait annoncée ;
c’est ce que l’on appelle une anticipation
auto-réalisatrice. On sait bien, que si
l’on veut obtenir quelque chose de
quelqu’un, on a plus de chances après
l’avoir flatté. Pour illustrer les effets
de type amorçage, on pourrait citer
d’autres exemples, comme les superpromotions limitées ou les « fausses »
enquêtes du télémarketing.
Ils peuvent être illustrés par l’expérience
du recrutement de bénévoles. Un
enseignant dit à ses étudiants qui
commencent leur cursus qu’il serait
bien qu’ils aient des expériences avec
des personnes handicapées. Il leur
demande s’ils accepteraient de venir
dans des Centres pour handicapés
chaque samedi pour s’occuper
pendant trois heures de ces personnes.
Le taux de volontaires est très faible : de
l’ordre de 3 à 4 % selon les cohortes. La
semaine suivante, il leur dit : « je n’ai
pas eu beaucoup de volontaires ; je peux
aussi vous proposer d’accompagner
les
personnes
handicapées
au
cinéma tous les trois mois. Est-ce
qu’il y aurait d’autres volontaires ? ».
L’enseignant obtient alors 70 % de
réponses favorables. S’il avait, dès le
début, proposé l’accompagnement
au cinéma, il aurait eu beaucoup
moins de volontaires. En proposant
d’abord quelque chose d’assez coûteux,
l’enseignant a préparé le deuxième
comportement. L’idée sous-jacente
est que, après un premier refus, une
personne se sent d’une certaine manière
redevable et accepte plus facilement
une deuxième demande. On retrouve
ce type d’effets lors des demandes de
dons. Ces techniques de marketing
sont bien connues, en particulier
des télé-enquêteurs. Ces derniers se
présentent souvent pour ce qu’ils ne
sont pas, sinon on leur raccrocherait au
nez, et ils arrivent à nous soutirer des
Les effets de type « pied-dans-la-porte »
Ce phénomène bien documenté
en psychologie sociale consiste à
demander à des sujets de réaliser un
acte peu coûteux (comme porter un
badge contre la violence routière ou
signer une pétition pour la défense de
l’environnement) de manière à préparer
et à faciliter leur acceptation d’une
demande plus conséquente (comme le
versement d’une somme d’argent ou la
participation en tant que bénévole à une
action de mobilisation sociale).
-62-
informations très importantes, comme
la valeur du logement, les salaires,
le nombre de personnes, certaines
habitudes … et tout ce qui pourrait
présenter de l’intérêt pour une revente
de fichiers, voire un cambrioleur. Un
conseil, ne répondez jamais à des
démarchages par téléphone, même
si votre interlocuteur vous dit faire
une enquête pour le compte d’EDF,
de votre banque, de votre compagnie
d’assurances ou même du Ministère de
la santé.
Photo 2
neurosciences pour la prévention en
santé publique. La photo 2 montre
quelques livres édités sur le sujet. Je vais
maintenant vous présenter quelques
utilisations de ces nudges, notamment
en milieu scolaire.
Le retour de la prévention passive ?
Depuis 2010, une nouvelle approche
est apparue : le nudging (« nudge »
peut se traduire par « coup de pouce »
en français). Elle s’est beaucoup
développée dans le champ de la santé
publique et notamment en nutrition.
Cette approche a pour but d’améliorer
les états de santé des populations, sans
que les politiques proposées soient
contraignantes. Plusieurs travaux ont
montré que des situations pouvaient
être globalement améliorées grâce à
des petits changements structuraux
de l’environnement. Plusieurs articles
sont parus dans le British medical
journal dont l’un disait, par exemple,
qu’il était possible d’utiliser les nudges
pour lutter contre l’obésité. En France,
le Centre d’analyse stratégique,
qui est directement rattaché au
premier ministre, a édité, en 2010,
un rapport sur l’apport des sciences
comportementales, cognitives et des
Photo 3
La première fois que j’ai vu la photo 3,
j’étais dans l’aéroport d’Amsterdam.
Depuis, je l’ai vu dans des cinémas
à Rennes. Il s’agit de la photo d’un
urinoir sur laquelle une mouche a
été dessinée. Le dessin de la mouche
joue le rôle d’attracteur cognitif : il
attire l’attention des hommes qui
-63-
vont spontanément uriner en visant
la mouche. Expérimentalement, on a
montré que sa présence réduit de 70 %
les éclaboussures hors toilettes.
devient rouge au bout de 100 litres.
Les nudges alimentaires ont été
particulièrement bien étudiés par Brian
Wansink. Aux États-Unis, la liberté de
choix est un droit fondamental qui
est même inscrit dans la constitution.
C’est la raison pour laquelle il est très
difficile d’interdire les armes à feu.
Wansink et son équipe ont essayé de
comprendre comment fonctionnaient
les usages sociaux d’infrastructures,
comme une cafétéria (schéma 6). Ils
ont montré :
La plupart des stratégies qui utilisent
des attracteurs cognitifs ont été mises
en place à l’université de Chicago.
Voici l’exemple d’un nudge qui est
utilisé pour la sécurité routière : on
retrouvait régulièrement dans le
lac Chicago des automobilistes qui,
roulant trop vite, rataient leur virage
et terminaient leur trajectoire dans le
lac. Les avertisseurs lumineux et les
ralentisseurs n’avaient guère d’effets.
Pour inciter les conducteurs à réduire
leur vitesse, certains ont proposé
de peindre des lignes sur le sol, car
lorsqu’un automobiliste roule à
vitesse constante sur ces lignes, il a un
sentiment d’accélération qui l’incite à
ralentir.
1) que les aliments placés en première
position étaient davantage consommés
que les aliments qui étaient moins
accessibles. Ils ont donc recommandé
de mettre systématiquement les
légumes et les aliments sains en
première position dans les selfs ;
2) que la manière dont on nommait
les aliments influait et sur leur
consommation. Par exemple, l’intitulé
« brocoli cuisiné à l’huile d’olive » est
plus attractif que le seul « brocoli »,
même si les produits sont les mêmes ;
En France, depuis quelques temps, on
est guidé dans certains lieux publics
par un marquage au sol qui fait
généralement passer les visiteurs par
les escaliers et non par les ascenseurs,
afin de les inciter à faire de l’exercice
physique. D’autres signaux ont pour
but de favoriser les attitudes proenvironnementales. Par exemple,
certains signaux de consommation
peuvent nous inciter à éteindre nos
appareils électriques pendant la nuit
ou à ne pas rester trop longtemps
sous la douche. Dans ce dernier cas, le
repère visuel est une simple pastille qui
change de couleur tous les 10 litres et
3) qu’en l’absence de signaux visuels,
les sodas ou les glaces, notamment,
sont beaucoup moins consommés.
Dissimuler les produits gras ou sucrés
sous des couvercles, permettrait donc
de diminuer leur consommation ;
4) que l’implantation de bars
indépendants (qu’ils appellent « bars
à salades »), dont l’accès est simplifié,
augmente la consommation des
-64-
produits chez les jeunes américains. Ils
conseillent donc d’installer des bars de
fruits ou de légumes indépendants ;
Ce type d’étude appartient à ce que
l’on appelle l’architecture des choix.
Les interventions fondées sur cette
architecture consistent à modifier les
propriétés, l’emplacement, ou les deux à
la fois, des objets ou des stimuli au sein de
micro-environnements, avec l’intention
de favoriser des comportements sains
qui exigent des personnes un faible
engagement cognitif. Depuis quelques
années énormément de travaux ont
été menés sur ces questions de santé
publique : plus de 300 concernent les
régimes, 80 l’activité physique, une
trentaine l’alcool et une quinzaine le
tabac.
5) que les enfants et les adolescents ont
tendance à se servir des produits en
libre service en grande quantité. C’est
pourquoi, ils préconisent de laisser les
jeunes remplir leur coupelle lorsqu’il
s’agit, par exemple, de compotes ou
de fruits coupés, mais de préparer
à l’avance dans des portions plus
restreintes les produits plus sucrés,
comme les crèmes dessert.
Schéma 6
-65-
Conclusion
femmes sont en fait des personnes
malades. L’Espagne a été le premier
pays à légiférer en interdisant les
mannequins trop maigres. Elle a été
suivie par l’Angleterre. En France, la
réflexion n’a guère avancé.
Pour modifier les comportements
alimentaires on peut :
zse référer à des méthodes de prévention active (système réflexif). Pour
cela, il faut diffuser de l’information,
faire de l’éducation à la santé et des
informations personnalisées pour
que les consommateurs aient un
retour sur leur état physiologique. Il
faut aussi renforcer l’autorégulation
en faisant éventuellement appel à
des conseillers, qui vont nous aider
à définir et à atteindre des objectifs
(sevrage tabagique par exemple),
ou à développer des compétences
(responsabilisation par exemple) ;
Discussion
Vous nous avez parlé du côté positif du
neuromarketing dont le but serait de
diminuer l’obésité mais, dans les faits, le
marketing recherche plutôt la rentabilité et
pousse à la consommation de produits qui
ont l’effet inverse. Je pense, par exemple, à
la diffusion d’arômes, qu’il s‘agisse de rôtir
des poulets sur les trottoirs ou de diffuser
un produit chimique comme le di-acétyle à
proximité des établissements qui vendent des
viennoiseries.
z
s’appuyer sur des méthodes de
prévention
passive
(système
automatique). Depuis quelques
années, on cherche de plus en plus
à modifier l’environnement, qu’il
s’agisse de l’environnement physique
(urbanisme, logements, magasins,
offre alimentaire, accès à l’alcool
et au tabac...), de l’environnement
social (valeurs et normes sociales)
ou de l’environnement économique
(prix, taxes, subventions).
J.R. Je suis d’accord avec vous. Nous
sommes dans un système économique
de libres entreprises dans lequel il n’est
pas facile de faire accepter des mesures
qui vont à l’encontre de la rentabilité
immédiate.
Les distributeurs de canettes, gâteaux et
autres sucreries ont été interdits dans les
établissements scolaires, mais ces machines
très lucratives pour leur propriétaire se sont
multipliées à la sortie des collèges et des lycées.
Les jeunes n’ont souvent que la rue à traverser
pour aller acheter ce qu’ils savent ne pas être
bon pour leur santé.
Je voudrais terminer ma présentation
par un dernier exemple : celui
des mannequins. Plusieurs études
médicales ont montré que la plupart
des mannequins que l’on voit dans les
magazines et les journaux sont dans
un état de maigreur pathologique. Ces
modèles que l’on présente aux jeunes
J.R. « ça ne sert à rien de les interdire » :
c’est la critique que l’on entend le
plus souvent. Pourtant, les études
d’évaluation montrent que l’effet global
de cette mesure est positif. Quand vous
diminuez la pression environnementale,
-66-
minoritaire. Ce phénomène d’autoentretien d’une demande de régimes est
problématique pour la santé publique.
Il y a 3 ans, des expertises collectives
auxquelles l’Inra a participé ont montré
que la plupart des régimes à la mode
produisaient des effets contraires sur le
long terme et qu’ils étaient responsables
de carences nutritionnelles importantes.
quand vous éloignez la source du désir,
vous diminuez aussi la consommation.
Aujourd’hui, l’environnement urbain
est saturé de ces machines à snack ; il y en
a sur tous les quais du métro. Cela pose
un vrai problème de santé publique.
Cependant, je ne suis pas de ceux
qui cherchent à diaboliser l’industrie
alimentaire. Certes, les industriels
cherchent à faire des bénéfices, mais la
logique des acteurs économiques est
avant tout de s’adapter à la demande.
C’est aussi aux consommateurs de
réclamer des produits plus sains et plus
équilibrés. Les choses sont peut-être en
train de changer, car j’ai vu récemment,
dans la gare Montparnasse, un
distributeur d’aliments diététiques. J’ai
eu aussi l’agréable surprise de voir qu’un
grand groupe alimentaire, qui m’avait
contacté avant de mettre en place une
cantine professionnelle, était prêt à
adopter plusieurs mesures bénéfiques
pour la santé de ses employés, même
si le retour sur investissements est loin
d’être immédiat.
J.F. Les régimes sont tous plus ou moins
éloignés des apports nutritionnels
conseillés, et je qualifierais ceux qui en
sont très éloignés de criminels. Je suis
rassuré de voir que la consommation
qui s’approche le plus de la référence est
la consommation moyenne française.
J.R. La France a l’un des taux d’obésité
les plus bas des pays développés après
le Japon, la Corée du Sud. Elle est au
même rang que l’Italie. Cela signifie
que notre régime alimentaire est
relativement protecteur.
Je trouve qu’il y a un décalage énorme entre
notre physiologie qui a été modelée pendant
des millénaires et le contexte actuel qui
est apparu il y a quelques décennies. Par
exemple, le tube digestif a une particularité :
plus on lui procure des aliments, plus il est
efficace. Il peut donc favoriser l’obésité.
Nos ancêtres ne vivaient pas à côté de
supermarchés, mais sans doute géraientils mieux leurs besoins alimentaires. Je suis
étonné de voir le nombre de personnes qui
sont traitées par des inhibiteurs de la pompe
à protons, afin de diminuer l’acidité de leur
estomac. Il semblerait que nous n’ayons
maintenant plus besoin d’un pH acide pour
digérer certains aliments.
Plus que de suivre des régimes stricts, il me
semble que la mode, portée par les médias, est
aujourd’hui de « manger équilibré ». Savezvous si ce message est bien perçu ?
J.R. Les régimes sont encore largement
plébiscités, en particulier par la gente
féminine. Il suffit d’ouvrir les journaux
féminins pour y trouver les derniers
régimes à la mode, surtout avant
l’été. Chez les hommes, ce moyen de
communication, qui répond à une
logique économique, reste encore très
-67-
J.R. D’après certains anthropologues, il
y aurait eu deux étapes dans l’évolution
humaine. La première étape correspond
à la période où nos ancêtres vivaient
dans des forêts tropicales et disposaient
d’une abondante nourriture. La
seconde débute, il y a plus de
10 000 ans, avec le développement
de l’agriculture et l’apparition des
disettes. Dès lors, l’organisme humain
va être sélectionné sur sa capacité à
résister, assimiler, stocker les graisses
et l’énergie…Je te rejoins quand tu dis
que notre organisme n’est pas adapté à
l’univers d’abondance dans lequel on
vit aujourd’hui.
s’adaptera assurément, mais dans
combien de temps, dans combien de
siècles ? Personne ne le sait.
C-H.M. Mon commentaire porte sur les modèles
animaux et le lien que les anthropologues
font entre pléthore et obésité. Lorsque l’on
place l’homme, mais aussi le chat ou le chien
en situation d’abondance alimentaire, ils
deviennent obèses, ce qui n’est pas le cas
pour les primates non humains. Ces derniers
régulent leur consommation alimentaire, à
tel point que les modèles d’obésité chez les
primates sont rarissimes. Je n’en connais
qu’un seul : il s’agissait d’un singe à qui
on avait donné, jour et nuit, des smarties !
Le lien entre pléthore et obésité me semble
donc beaucoup plus complexe. Je voulais
aussi faire une remarque entre l’adaptation
alimentaire et l’adaptation au long cours
à l’obésité. Aux Etats-Unis, les chirurgiens
ont baissé l’IMC nécessaire et suffisant pour
faire de la chirurgie bariatrique. En France,
il est de 35 sans comorbidité et de 30 avec
comorbidité. Aux USA, il est respectivement
de 30 et de 28 : çà c’est de l’adaptation !
J.F. Je ne sais pas si c’est un drame, mais
il est possible que notre organisme
s’adapte aux régimes actuels. L’exemple
de la lactase illustre bien la rupture
entre les deux grandes étapes dont
tu nous as parlé. Pendant la période
des chasseurs-cueilleurs, la lactase ne
perdurait pas chez l’adulte. Avec le
développement de l’agriculture et de
l’élevage, elle a persisté. Aujourd’hui,
certains adultes la produisent et
d’autres non. Sa présence s’explique
chez les adultes qui ont continué à
boire du lait pendant des périodes où
normalement on n’en consomme plus.
A long terme, un type d’alimentation
donné risque donc d’induire des
modifications
enzymatiques
qui
pourraient durer des millénaires.
J.R. Je n’ai pas identifié à ce jour de
travaux scientifiques qui permettraient
d’expliquer, de manière satisfaisante, la
meilleure régulation chez les primates
et chez les chasseurs-cueilleurs en
situation d’abondance alimentaire.
L’une des hypothèses sociologiques est
que les normes sociales qui organisent
les prises alimentaires sont plus rigides
dans les sociétés primitives que dans les
sociétés développées au sein desquelles
les
consommations
alimentaires
relèvent plus largement du libre arbitre
et de la volonté individuelle.
J.R. L’adaptation à notre environnement
étant un des mécanismes biologiques
fondamentaux, notre
organisme
-68-
Article 1
La prévalence de l’obésité est très liée aux
niveaux socio-culturels. Pourriez-vous nous
en dire davantage ?
Shape of glass and amount of alcohol
poured: comparative study of effect of
practice and concentration
Dans tous les pays occidentaux, on
observe un gradient social de l’obésité,
qui commence aussi à apparaître
dans les pays en développement.
Dans ces pays, jusqu’à une période
récente, on observait une relation
inverse : l’opulence devait être visible
« physiquement » : plus une personne
était riche, plus elle devait être grosse.
En Inde, par exemple, la corpulence est
encore pour beaucoup synonyme de
richesse et de réussite. C’est un excellent
marqueur social. Nicole Darmon et
Adam Drewnowski ont montré que
le gradient, presque parfait, entre
pauvreté et obésité dans les pays riches
pouvait s’expliquer par ce qu’ils ont
appelé « la calorie vide ». Les aliments
les plus denses en calories sont aussi les
moins chers. Les personnes les moins
riches consomment donc plus de
calories. Par exemple, les boissons les
plus chères sont les jus de fruits frais et
les moins chères sont les sodas sucrés.
La densité énergétique serait donc un
principe explicatif du gradient social.
présenté par Arnaud Thomas
Introduction
Brian Wansink est professeur en science
des aliments et en comportements
alimentaires. Cet article paru en 2005
dans le British medical journal prolonge
une publication du même auteur, parue
en 2003, dans laquelle il montrait que
l’on versait 28 % de jus d’orange en
plus dans un verre court par rapport à
un verre long de même contenance. Ce
biais de perception concerne le verre
long qui donne l’impression de pouvoir
contenir un plus grand volume. Pour
compenser cette différence, on sert
une plus grande quantité de jus dans
le verre court. Dans cette étude, B.
Wansink voulait savoir si le biais de
perception pouvait être réduit par
un entraînement ou une attention
accrue. Face aux problèmes de santé
publique que représente l’alcoolisme,
la réponse à cette question intéresse
non seulement les professionnels de
santé, mais aussi les professionnels de
la restauration et les consommateurs
eux-mêmes.
Résultats
Concernant l’entraînement des étudiants
zLe biais de perception sur le volume
des verres est confirmé : 346 ml pour
-69-
le verre long versus 329 ml pour le
verre court.
z Pour compenser la différence perçue,
les étudiants versent un volume
d’alcool supérieur dans le verre court
(59 ml) par rapport au verre long
(45 ml).
zLe volume versé perçu par les
étudiants est inférieur dans le verre
court par rapport au verre long
(44,6 ml versus 46,1 ml), la quantité
standard pour les cocktails étant de
44,3 ml.
z
Les séances d’entraînement permettent de réduire le surdosage dans
les deux types de verre, mais cette diminution est plus faible pour le verre
court (de 60 à 57 ml pour le verre
court et de 48 à 42 ml pour le verre
long).
zPour savoir si ce biais de perception
a un impact sur la consommation,
l’auteur nous renvoie à son article
paru dans Journal marketing en 1996 :
« Can package size accelerate usage
volume ? ».
z Les biais de perception devraient être
mieux pris en compte dans les études
épidémiologiques. Dans les études
qui s’intéressent à la consommation
d’alcool, rares sont celles qui
prennent en compte la forme des
verres, les quantités versées…
zDeux mesures simples pourraient
facilement être mises en place :
préférer les verres longs aux verres
courts et utiliser des verres marqués
indiquant la quantité d’alcool à ne
pas dépasser.
Discussion
Concernant la concentration des barmans
Je vous remercie pour cette très bonne
présentation. Qu’avez-vous pensé de cet
article ?
z
Malgré plus de six années
d’expérience, les barmans servent
20,5 % d’alcool de plus dans le verre
court par rapport au verre long.
A.T. J’avais choisi cet article pour son
titre qui avait un côté un peu ludique
et je m’étonnais qu’il ait été publié dans
un journal dont le facteur d’impact est
assez élevé. Ceci dit, il me semble que
trois points peuvent être discutés :
zUne attention accrue lors du service
permet de diminuer le surdosage
dans le verre court par rapport au
verre long.
Conclusions
- 1) le design expérimental. Si j’avais
eu à réaliser cette expérimentation,
j’aurais demandé à chaque sujet de
réaliser la tâche, d’abord sans puis
avec entraînement, à une semaine
d’intervalle, en randomisant l’ordre de
présentation ;
zUn
entraînement
ou
une
concentration accrue ne permet pas
d’éliminer complètement le biais de
perception. Le volume versé dans
un verre court sera toujours plus
important que dans un verre long.
-70-
- 2) la partie « analyse des données »
est presque inexistante et m’a semblé
parfois incohérente. Par exemple,
certains graphiques ne présentent
aucune barre d’erreur. L’auteur écrit
que l’entraînement permet de réduire le
surdosage dans les grands verres (avec
une probabilité inférieure à 0,05) mais
pas dans les verres courts (p > 0,10),
alors que l’interaction forme du verre/
entraînement n’est pas significative ;
Ce genre d’erreur a t-il un impact sur les
enquêtes alimentaires ?
J.R. J’élargirais ta question en demandant : « qu’elle est la marge d’erreur
des enquêtes nutritionnelles ? ». Des
études ont montré qu’elle est de l’ordre
de 30 %. En d’autres termes, même si
on fait des enquêtes, on ne sait pas très
bien ce que les gens mangent, surtout
si elles sont basées sur du déclaratif a
posteriori.
- 3) j’aurais aimé y trouver d’autres
types d’analyses, comme l’effet sexe et
surtout la comparaison entre le panel
des étudiants et le panel des barmans.
B.D-V. Pour beaucoup de sujets, l’aspect
visuel est plus évocateur qu’une mesure
de poids ou de taille. C’est une raison
pour laquelle, dans les études Suvimax
puis Nutrinet, les sujets devaient
indiquer la taille des portions qu’ils
consommaient en se référant à une
photo. Pour minimiser les incertitudes
des enquêtes alimentaires et obtenir
des données plus objectives et plus
fiables, le Département « Alimentation
humaine » de l’INRA développe,
comme d’autres organismes, des
approches basées sur des biomarqueurs
d’exposition qui s’appuient sur des
analyses métabolomiques.
J.R. Je vous ai proposé ce papier
pour deux raisons. Je voulais, d’une
part, illustrer le principe selon
lequel la perception humaine, dont
celle des volumes, pouvait être
biaisée ou modifiée par des formes
environnementales et, d’autre part,
montrer l’influence que cela peut
avoir sur les quantités consommées.
Le fait que ce soit de l’alcool avait
peu importance ; il aurait pu s’agir de
calories ou d’autres choses. L’article
montre que la perception des volumes
reste altérée même chez les personnes
qui sont a priori habituées, formées ou
entraînées à évaluer des quantités, des
proportions… L’entraînement ne peut
que diminuer le biais, mais ne l’élimine
pas complètement. Je pense que la
portée, en matière de santé publique,
d’une telle publication est très limitée
et je partage votre point de vue sur les
aspects statistiques.
-71-
Article 2
Résultats
The office candy dish: proximity’s
influence on estimated and actual
consumption
z
A
proximité
identique,
la
consommation de bonbons dépend
de leur visibilité, puisqu’elle diminue
lorsque les bonbons ne sont pas
visibles.
z
A
visibilité
identique,
la
consommation de bonbons dépend
de la proximité, puisqu’elle diminue
lorsque les bonbons sont plus
éloignés.
zLorsque les bonbons sont placés à
proximité, qu’ils soient visibles ou
non visibles, leur consommation est
sous-estimée. Dans les deux cas, la
consommation réelle est supérieure
à la consommation estimée.
z
Quand les bonbons sont plus
éloignés, qu’ils soient visibles ou
non visibles, leur consommation est
sur-estimée. Dans les deux cas, la
consommation réelle est inférieure à
la consommation estimée.
présenté par Reggie Surya
Introduction
Cet article paru dans International
journal of obesity, en 2006, s’intéresse
à l’influence de la proximité sur
la consommation de bonbons.
L’hyperconsommation est devenue
très inquiétante dans la mesure où
elle conduit souvent à l’obésité,
elle-même liée à de nombreuses
pathologies.
L’hyperconsommation
dépend de plusieurs facteurs, parmi
lesquels : le goût, l’humeur, le stress,
le contexte social... Dans cet article,
Brian Wansink et ses collègues
différencient
la
consommation
actuelle, qui correspond à la vraie
quantité de nourriture ingérée, de la
consommation estimée, qui est celle
que l’on pense avoir mangée. Elles sont
souvent différentes ! Leur objectif est de
savoir si la visibilité et la proximité de
bonbons influencent la consommation
tant actuelle qu’estimée. Quarante
secrétaires réparties en quatre groupes
ont participé à cette étude qui a duré
quatre semaines. Des bonbons étaient
placés soit dans un bol transparent,
soit dans un bol opaque (visibilité) et
soit sur le bureau, soit à une distance de
deux mètres (proximité).
Explications complémentaires
des auteurs
Concernant la proximité et la visibilité :
Les secrétaires ont remarqué que
les bonbons proches attiraient leur
attention et qu’elles avaient beaucoup
de mal à résister. 65 % d’entre elles
ont dit que, quand les bonbons étaient
éloignés, elles avaient le temps de se
demander si elles avaient vraiment
besoin d’en manger un. Une autre
étude a montré que les aliments sont
plus visibles chez les familles obèses.
-72-
Concernant la sous-estimation :
Les secrétaires ont dit qu’elles ne
se rendaient pas compte de leur
consommation lorsque les bonbons
étaient situés à portée de main.
faciles à manger, comme par exemple
des oranges qu’il aurait fallu éplucher.
Commentaire
J.R. Je voulais préciser que les nombres
de bonbons que vous avez indiqués
sur votre graphe représentent des
consommations par personne et par
jour. Ces nombres varient de trois,
lorsque les bonbons sont éloignés et
peu visibles, à huit, lorsqu’ils sont bien
visibles sur le bureau. Avec ce protocole
extrêmement simple, on voit qu’il
existe un écart non négligeable entre
la consommation perçue et déclarée et
la consommation réelle. On imagine
aisément ce que peuvent donner des
enquêtes nutritionnelles beaucoup
plus complexes avec, par exemple,
des aliments comme de la purée, des
saucisses et différentes boissons. Ce
type d’expérience montre que l’on
ne mémorise pas tout ce que l’on
consomme, en particulier lorsque les
aliments sont proches et visibles, et cela
même si l’on fait l’effort d’essayer de se
rappeler ce que l’on a mangé.
Concernant la sur-estimation :
Lorsque les bonbons étaient loin, les
secrétaires ont expliqué qu’elles en
prenaient plusieurs à chaque fois pour
ne pas avoir à se déranger trop souvent,
ce qui leur donnait l’impression d’en
avoir mangé beaucoup.
Conclusion
Les auteurs conseillent de placer les
aliments sains de façon visible et
facilement accessible et de mettre les
aliments moins « recommandables »
hors de portée de main.
Discussion
Je vous remercie de votre présentation très
enthousiaste et synthétique des résultats.
Qu’avez-vous pensé de cet article ?
R.S. J’ai trouvé que répéter l’expérience
sur quatre semaines, c’était trop long.
Les secrétaires s’attendaient à ce qu’on
leur pose toujours la même question à
la fin de chaque semaine : « combien
de bonbons avez-vous mangés durant
la semaine ? ». De plus, comme elles
travaillaient dans la même université,
elles pouvaient en parler entre elles.
Les résultats étaient-ils différents d’une
semaine sur l’autre ? Dix sujets par
groupe, est-ce un nombre suffisant pour
la robustesse des statistiques ? Je me
demande aussi si les résultats auraient
été les mêmes avec des aliments moins
Comment les résultats que vous nous avez
présentés pourraient être exploités dans des
politiques de santé publique, qu’elles soient
locales ou nationales, afin d’améliorer les
pratiques alimentaires ?
R.S. Je partage la conclusion des
auteurs qui disent d’éviter de laisser à
la portée des regards et des mains les
aliments dont la surconsommation
pose des problèmes de santé publique.
Les parents ont également un rôle
à jouer en « cachant » les bonbons
-73-
dans les placards et en les donnant
à leurs enfants, plutôt que ceux-ci
se servent eux-mêmes. Les pouvoirs
publics finlandais ont décidé de rendre
invisibles tous les distributeurs de
cigarettes. Cette mesure a provoqué
une baisse très importante de la
consommation. On pourrait imaginer
que cela soit appliqué aux distributeurs
de nourriture, ce qui irait à l’encontre
des gros profits que se font les vendeurs.
participent à ce type d’étude. Elles
ont un problème avec leur image
corporelle et se pensent plus grosses
qu’elles ne le sont réellement. Il serait
bon que l’environnement fasse qu’elles
se ressentent moins grosses.
D’autres études ont montré qu’en plus
du biais de mémorisation, il existe aussi
un biais de désirabilité qui conduit les
personnes obèses à sous-estimer leur
consommation.
Dans l’étude qui vient de nous être
présentée, les secrétaires travaillaient
dans la même université, mais pas
dans le même service. Peut-être ne
disposaient-t-elles pas du même degré
de liberté par rapport à leur hiérarchie.
J.R. En terme de politique publique, on
pourrait essayer de jouer à la fois sur
la disponibilité des produits (points
d’accès par exemple) et sur leur visibilité
dans l’espace public. L’exemple du
tabac que vous avez cité est de mon
point de vue excellent. En France, on
fait l’inverse puisque les distributeurs
sont de plus en plus nombreux dans
les espaces publics. Il faudrait que
nos politiques pensent à jouer sur les
variables environnementales pour
modifier les mauvaises pratiques
alimentaires. Vous avez évoqué l’espace
familial sur lequel il est sans doute
plus simple de travailler. Plutôt que
de longues séances d’éducation à la
nutrition, qui ne semblent pas être
toujours efficaces, ou des régimes qui
demandent de tout mesurer ou de tout
peser, jouer sur la taille des assiettes
ou la taille des verres, par exemple, me
semble être une meilleure stratégie.
De nombreux fast-foods se sont implantés
à proximité des lycées, qui ont pourtant des
cantines scolaires. Quand ils ouvrent, ils font
souvent des promotions du type : le deuxième
hamburger est gratuit ou à moitié prix.
Les pouvoirs publics s’en préoccupent-ils ?
Pourquoi ne pas envisager l’existence d’un
« périmètre de sécurité » autour des lycées
et des collèges : par exemple, les fast-foods
ne pourraient pas être implantés à moins
de 300 ou 400 mètres, ce qui réduirait leur
fréquentation, un peu comme dans l’exemple
des bureaux de tabac dont tu nous as parlé.
Commentaires
J.R. La seule régulation qui a été mise
en place concerne les sex-shops, qui
doivent respecter une certaine distance
par rapport aux établissements
scolaires !
De nombreuses études, notamment
celles de Nutrinet, montrent que ce
sont majoritairement les femmes qui
Depuis quelques années, on remarque
aussi l’apparition des kebabs à
proximité des lycées.
-74-
Article 3
annuelle par américain, qui est de 0,4
à 1,1 kilo par personne et par an. Pour
arriver à cette perte de poids, il suffirait
de diminuer la prise alimentaire de 10
à 100 kcal par jour, ce qui ne semble
pas insurmontable.
Nudge to nobesity I: minor changes in
accessibility decrease food intake
présenté par Julia Keller
Introduction
Dans cet article, les auteurs se sont
intéressés à l’influence de l’accessibilité des aliments présentés dans un
bar à salades sur les choix et la prise
alimentaire. Ces petits changements
environnementaux passent généralement inaperçus, d’où le terme de
« coup de pouce ».
Cet article intitulé « coup de pouce à la
non obésité : des changements mineurs
dans l’accessibilité de la nourriture
diminuent la prise alimentaire », a été
publié, en 2011, par Paul Rozin et ses
collègues dans Judgment and decision
making. Ces chercheurs travaillent
au Département de psychologie de
l’université de Pennsylvanie. Cette
publication est suivie par un deuxième
article, publié dans le même journal, et
qui concerne l’influence de la position
des plats d’un menu de restaurant sur
les choix des clients (d’où le chiffre
« 1 » mentionné dans le titre).
Résultats
Le bar à salades présente à son extrémité
gauche la salade et à son extrémité
droite les assaisonnements. Les
différents ingrédients (tomates cerise,
dés de fromage...) qui permettent
d’agrémenter la salade sont disposés au
milieu, sur trois rangées. Pour se servir,
les clients peuvent tourner autour du
bar.
Je rappelle que l’obésité est un
problème de santé publique, qu’elle
est au deuxième rang des causes de
décès évitables et qu’elle entraîne
de nombreuses complications. Il est
donc important de se pencher sur son
traitement et sa prévention. Pour les
auteurs de cet article, les interventions
environnementales constituent des
approches prometteuses. Il s’agit,
par exemple, de réduire la taille des
portions ou de rendre la nourriture
plus ou moins accessible. Les résultats
de ces approches sont certes modestes,
mais ils sont cumulatifs et pourraient
contrer la prise de poids moyenne
Schéma 1
z Effet de la proximité/accessibilité d’un
ingrédient sur la quantité choisie (schéma
1 vs schéma 2). La consommation
moyenne des aliments positionnés
au milieu est moins importante que
-75-
z Effet de l’ustensile, cuillère ou pince, sur la
quantité d’ingrédient choisi. L’utilisation
d’une pince entraîne une réduction
moyenne de la consommation de
16,5 %.
Schéma 2
Conclusion-discussion
lorsqu’ils sont placés sur les bords.
Pour les quatre ou cinq ingrédients
testés, la réduction moyenne de
consommation est de 13,4 %.
Il existe bien une relation entre
l’accessibilité et l’augmentation ou la
diminution de la prise alimentaire. Il
s’agit de mesures de la prise alimentaire,
mais non de la consommation réelle.
Les auteurs ont observé une réduction
de la prise alimentaire d’environ 9
à 16 % quand les aliments étaient
moins accessibles ou quand c’était plus
difficile de se servir.
z Effet du nombre de bacs sur la quantité
d’ingrédient choisi (schéma 1 vs schéma
3). La différence de consommation
n’est pas significative entre les deux
présentations, si les ingrédients sont
placés sur la même rangée.
D’après les auteurs, si toutes les
interventions
environnementales
qu’ils proposent étaient mises en place
pendant un an et que les personnes
viennent déjeuner dans ce bar, elles
perdraient, en moyenne, 140 à 460 g
sur l’année. Ces mesures, faciles à
mettre en place et peu onéreuses,
pourraient avoir un impact sur la santé
publique. C’est pourquoi, ils proposent
de réaliser une étude à plus long terme
afin de voir si, effectivement, ces
mesures ont un effet sur le poids.
Schéma 3
z Effet de la proximité/accessibilité sur la
quantité d’ingrédient choisi, mais sans le
biais du nombre de bacs (schémas 1, 4
et 5). Lorsque l’ingrédient est placé
au milieu, on observe une réduction
moyenne de sa consommation de
8,9 %.
Schéma 4
Schéma 5
-76-
Discussion
biais, me semble-t-il. Les données ne sont pas
individuelles. Les effets peuvent être plus ou
moins importants selon les individus, mais
on ne sait pas s’il y a des effets d’adaptation
puisque les données sont globales. L’article ne
mentionne que des moyennes par individu
pondérées sur des durées. C’est sans doute
la limite de l’expérience. À votre avis, quel
protocole, un peu différent, permettrait de
répondre à ces questions ?
Je vous remercie pour cette très bonne
présentation. Et comme toujours, je vous
demande ce que vous avez pensé de cet
article.
J.K. J’ai trouvé que l’article était très
intéressant et qu’il concernait une
expérience de la vie quotidienne. Il
est bien construit et facile à lire. La
durée des études et le nombre des
consommateurs qui ont participé à ces
expériences sont suffisants. La partie
« discussion » des auteurs est fournie
et compréhensible. Ils ont été honnêtes
et transparents quant aux raisons pour
lesquelles ils ont exclu des données qui
ne leur semblaient pas correctes. Ils
soulèvent eux-mêmes le fait qu’il n’y ait
pas de mesure de la prise alimentaire.
Je me suis posé des questions, comme
par exemple : les restes des repas ont-ils
été pris en compte ? Comment ont-ils
considéré les apports caloriques, parfois
conséquents, des assaisonnements ?
Pourquoi n’ont-ils pas présenté
directement la troisième étude qui
concernait l’effet de la proximité sans
le biais du nombre de bacs ? Les sujets
de l’étude étaient-ils au courant ? On
peut aussi se demander s’il vaut mieux
informer le consommateur ou modifier
son environnement « en cachette »
pour avoir des effets plus efficaces sur
la prévention de l’obésité ?
J.K. Pour avoir une idée précise de ce
que les personnes mangent, et pas
seulement de ce dont ils se servent, il
faudrait récupérer les assiettes en fin de
repas pour voir ce qui a effectivement
été mangé. Certains sujets emmènent
peut-être des aliments pour les manger
ultérieurement.
J.R. Ce serait faisable, mais ce type
d’étude est très difficile à mener avec
des enfants. En effet, un ethnologue
qui suivait le comportement des
enfants dans les cantines scolaires
a fait des observations que l’on
n’avait absolument pas anticipées
et que personnellement j’étais loin
d’imaginer : les enfants fauchent
beaucoup et s’échangent les aliments,
ce qui complexifie grandement les
mesures de prises alimentaires.
Les chercheurs font des manipulations en
pensant pouvoir améliorer les choses. Ici,
les manipulateurs sont les « marketeurs ».
Ils payent parfois très cher les distributeurs
pour que leurs produits soient placés en tête
de gondole. On imagine aisément que ces
commerçants, quand ils sauront quel est
l’emplacement qui permet de mieux vendre
un produit dans les cantines scolaires, iront
Comme vous l’avez mentionné, cette
expérience a été menée en conditions
réelles. Effectivement, les sujets n’étaient
pas informés. Les auteurs évoquent un autre
-77-
voir le directeur pour lui demander de mettre
leurs produits à cet endroit, en échange
d’un meilleur prix. Ne risque-t-on pas d’en
arriver à de telles dérives ?
positifs sur les comportements alimentaires
et l’éducation des jeunes ?
J.R. Les études longues, comme celleci, sont malheureusement trop peu
nombreuses. De plus, elle n’a pas été
faite en milieu scolaire. Je dis souvent
à mes collègues américains que les
meilleurs nudges sont les aliments les
plus savoureux. Cependant, il faudrait
tester des protocoles en les menant à
coûts constants et acceptables pour les
familles. On devrait pouvoir améliorer
la réalité que l’on observe dans les
cantines scolaires en France, car la
moitié des légumes qui sont proposés
finissent à la poubelle. Le gaspillage
est énorme. Mais, pour arriver à faire
manger des légumes aux enfants, il faut
qu’ils soient bons.
J.K. Espérons que dans les cantines
scolaires les choses sont mises en place
avec un objectif différent et pour le
bien des enfants.
J.R. En principe, les cantines scolaires
appartiennent à l’espace public et
ne sont pas soumises à ce type de
marché. Les sociétés de restauration
d’entreprises et de collectivités ont un
cahier des charges très précis ; aussi
je ne crois pas qu’elles pourraient se
permettre ce genre de pratiques. Je
reconnais que ce type de travaux est
déjà connu des marketeurs du privé.
C’est la raison pour laquelle vous
trouvez pléthore de sucreries devant les
caisses des supermarchés. Le principe
du « coup de pouce » est, avant tout,
de faciliter les choix qui sont à la fois
bons pour la santé, l’éducation ou
l’environnement. Bien sûr, il peut être
détourné et c’est ce que l’on voit déjà.
Pour faire grossir mes rats, je change
de nourriture tous les jours, sans quoi
ils s’habituent et maîtrisent leur prise
alimentaire, même si je leur donne une
nourriture riche en graisse et en sucre. C’est
le cas lorsqu’on se trouve devant un buffet
à volonté : le premier jour, on a envie de
goûter à tout et on mange beaucoup trop ; le
deuxième jour, on mange un peu moins mais
c’est encore trop ; le troisième jour, on va
directement vers les aliments que l’on aime et
on mange beaucoup moins. L’augmentation
de la diversité et de la nouveauté pourraitelle être envisagée dans les cantines scolaires,
ou cela poserait trop de problèmes logistiques
et financièrement inacceptables ?
Même si vous avez les meilleures intentions
du monde de manger des nourritures saines,
et que vous y êtes fortement incités, une
grande part du succès réside dans la qualité
des produits et de leurs préparations. Dans
les cantines scolaires et universitaires, la
pression financière est telle que certains
aliments sont immangeables. J’ai lu il y a
quelques années, mais aussi récemment,
des articles disant que les efforts menés aux
États-Unis dans des salles de classe et des
cantines scolaires étaient restés sans effet.
Y a-t-il des études qui montrent des effets
Pour avoir travaillée en restauration
collective, je peux vous dire que peu de
cantines font de la restauration directe.
Elles dépendent souvent de grandes
-78-
attracteurs environnementaux car les
programmes d’éducation nutritionnelle
ne fonctionnent pas bien. Au cours
de ces quatre dernières années, près
de 300 études ont été menées sur les
nudges. Malheureusement, ce sont des
études ponctuelles qui ne comparent
pas grand-chose. Je pense qu’il faudrait
développer des stratégies différentes
et avoir des projets beaucoup plus
ambitieux.
cuisines centrales qui desservent
plusieurs écoles. Ils ne peuvent pas
se permettre de faire plusieurs petits
plats. J’ai connu plusieurs cuisiniers
dans la restauration directe qui
essayaient vraiment de faire des efforts
et de proposer aux enfants des plats de
qualité. Mais sans un travail, en amont,
des parents, les enfants ont tendance
à délaisser un aliment qu’ils n’ont
pas l’habitude de manger. L’influence
des autres enfants est également
essentielle : il suffit que l’un dise « ce
n’est pas bon, je ne mange pas » pour
que toute la tablée n’en veuille pas.
G.M. La bonne nouvelle est que
l’éducation nutritionnelle des adultes
est meilleure lorsqu’elle se fait par
le biais des enfants. Si on diffuse des
informations nutritionnelles claires et
pédagogiques dans les écoles, les jeunes
pourront ensuite rééduquer leurs
parents. Aujourd’hui, les parents ont
tendance à acheter à leurs enfants ce qui
leur fait plaisir. Mais cette éducation, à
l’envers, ne relève-t-elle pas aussi de
la manipulation ? Est-ce aux enfants
d’éduquer leurs parents ?
Pourquoi devrait-on répondre à la
manipulation par la manipulation ? Doiton contrer les effets délétères du marketing
par le nudge ? Est-ce qu’il existe des études
qui ont comparé l’impact d’une information
claire, honnête et transparente par rapport à
l’impact du nudge et de la manipulation ?
J.R. Il y a aujourd’hui un assez fort
consensus international sur les
-79-
Jocelyn Raude, Professeur invité à l’Université de Montréal,
Maître de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique
Articles analysés
> Article 1 : présenté par Arnaud Thomas, Centre des Sciences du Goût et de
l’Alimentation, Dijon
Shape of glass and amount of alcohol poured: comparative study of effect of practice
and concentration, Wansink et al., 2005, British Medical Journal, 331(7531), 15121514
> Article 2 : présenté par Reggie Surya, Toxicologie alimentaire, Toulouse
The office candy dish: proximity’s influence on estimated and actual consumption,
Wansik et al., 2006, International Journal of Obesity, 30, 871-875
> Article 3 : présenté par Julia Keller, Toxicologie alimentaire, Toulouse
Nudge to nobesity I: minor changes in accessibility decrease food intake, P. Rozin et
al., Judgement and Decision Making, Vol. 6, No. 4, June 2011, pp. 323-332
-80-
4
Session 4
L’intestin : carrefour des interrelations entre le
métabolisme glucidique et l’homéostasie énergétique
Gilles MITHIEUX
glycémie. Par sa production de glucose
endogène, le foie est le principal organe
responsable du maintien de la glycémie
à l’état post absorptif « nourri » et à
l’état de jeûne.
Je dirige l’unité INSERM Nutrition et
Cerveau. Nous nous préoccupons de la
régulation de la glycémie.
Il est généralement acquis que ce sont
les mêmes neurones qui contrôlent,
au niveau de l’hypothalamus, l’apport
de glucose dans le sang, que ce soit
le glucose qui provienne de la prise
alimentaire, ou le glucose généré par
l’organisme.
La glucose-6-phosphatase : une
enzyme clé de la néoglucogénèse
L’insuline est censée inhiber la
production de glucose par le foie,
qui, lorsqu’il se met à produire trop
de glucose, est un facteur d’insulinorésistance et de diabète. On a
découvert, il y a une dizaine d’années,
que l’intestin lui-même était capable
de produire du glucose.
Régulation de la glycémie
La régulation de la glycémie est cruciale.
Un apport insuffisant de glucose au
cerveau pendant quelques minutes
peut entraîner des effets délétères
irréversibles. D’autres organes, le rein
et l’intestin, ont également besoin de
beaucoup de glucose.
Les organes qui sont capables de
produire du glucose expriment une
enzyme, la glucose-6 phosphatase. C’est
la seule phosphatase intracellulaire
qui peut hydrolyser le glucose-6
phosphate. Le glucose-6-phosphate
est l’intermédiaire obligatoire de la
glycolyse : le glucose est phosphorylé
en glucose-6-phosphate, sinon il ne
peut pas être utilisé par le métabolisme.
Réguler la glycémie consiste à maintenir
le niveau de glucose autour de 1g/L
dans la situation physiologique la plus
commune. On estime que 30 % du
glucose est consommé par le cerveau à
l’état de repos. L’insuline sert à activer
l’utilisation de glucose, et donc, par
exemple, après le repas, à faire baisser la
-81-
Figure 1
La néoglucogenèse est la synthèse
de glucose à partir de composés non
glucidiques, des composés à trois
carbones tels que le pyruvate, le lactate,
certains acides aminés glucoformateurs.
Production de glucose
Le gène de la glucose-6-phosphatase,
enzyme membranaire, a été cloné dans
les années 93 – 94.
Au bout de 20 heures de jeûne chez
l’Homme, il n’y a plus de glycogène
dans le foie. Le glycogène ne peut pas
être stocké dans le rein et dans l’intestin.
C’est alors la néoglucogenèse qui va
fonctionner. Le rein va produire le
glucose pour 50 %, l’intestin 2 0 % et le
foie 30 %
Après 5 ou 6 heures de jeûne, le principal
organe producteur de glucose est le foie
(80 %), puis le rein (15 %) et l’intestin
(5 %).
Le transporteur du glucose-6 phosphate
est exprimé dans tous les tissus. Ce n’est
donc pas lui qui conditionne la capacité
à produire du glucose. C’est bien la
glucose-6 phosphatase qui est exprimée
dans le duodénum et le jéjunum chez
le rat. Elle est très peu exprimée dans
l’intestin distal, sauf dans certaines
situations que je vais vous décrire. Elle
est exprimée également chez l’homme
et son expression est augmentée dans
des situations d’insulino-résistance.
La majorité de la littérature est basée
sur des estimations de production
endogène de glucose qu’on continue
d’assimiler à la production hépatique
de glucose.
Le rôle principal du foie est d’équilibrer
rapidement la glycémie dans les
-82-
situations de transition. Le rein a sans
doute un rôle quantitatif au cours
du jeûne, qui peut être soutenu pour
beaucoup de raisons physiologiques
telles que l’acidose métabolique, si vous
jeunez pendant plusieurs jours voire
plusieurs semaines (ce qui était le cas
lorsque l’homme suivait des troupeaux
par exemple pour arriver à manger).
portal, nous avons émis l’hypothèse
que l’intestin a la capacité de pouvoir
diminuer la prise alimentaire et
également de contrôler la production
de glucose par le foie.
La preuve de concept a été obtenue
grâce aux régimes riches en protéines.
Je ne suis pas favorable aux régimes qui
font perdre du poids rapidement mais
c’est un outil extrêmement intéressant
car il induit des phénomènes de satiété
(diminution de la sensation de faim
pour les repas suivants). Nous avons
montré qu’il y avait une induction
des gènes de la néoglucogenèse dans
l’intestin si on donnait à manger aux
rats des régimes riches en protéines,
donc, qu’il y avait un signal dans les
protéines qui permettait d’induire la
néoglucogenèse.
Claude Bernard a notamment découvert
que le foie produit du glucose à partir
du glycogène (à l’époque il n’avait
pas compris que c’était le glycogène).
Et il a aussi découvert que le cerveau
contrôlait la glycémie. Sa définition de
la physiologie était la suivante : « c’est
la science des phénomènes de la vie
comprenant la nutrition, l’innervation
et la génération » (génération, au sens
de reproduction). C’est à l’interface des
fonctions de nutrition et d’innervation
que nous avons trouvé un sens à la
production intestinale de glucose.
Le détecteur portal de glucose a été
identifié en 2012 comme étant SGLT3
c’est-à-dire le récepteur de glucose des
cellules L intestinales qui peuvent aussi
contrôler la sécrétion des hormones
au niveau de l’intestin. Ces capteurs
activent les régions de l’hypothalamus
qui contrôlent la prise alimentaire : cela
entraîne une diminution de 20 % de la
faim.
Le signal glucose-portal
Si on perfuse du glucose directement
dans la veine porte d’un rat à jeun, cela
active les neurones de l’hypothalamus
et diminue sa sensation de faim.
Par le biais de l’innervation vagale et
sympathique, le cerveau a la capacité de
contrôler la production de glucose par le
foie, notamment en contrôlant le stock
de glycogène. Le système sympathique
active la production de glucose tandis
que le système parasympathique induit
le re-stockage du glycogène.
Comme la néoglucogenèse de l’intestin
se situe en amont du signal glucose-
Figure 2
-83-
En 2008, Troy et al. ont montré que
l’inactivation du système nerveux
portal après un by-pass gastrique
entraînait l’inefficacité de la chirurgie
bariatrique (réapparition de la
sensation de faim). Cela nous a permis
de proposer un nouveau concept des
relations entre production endogène
de glucose et diabète.
semaines : chez un animal recevant de
la capsaïcine autour de la veine porte,
on peut empêcher les informations de
remonter au cerveau et donc accréditer
l’idée que le signal de départ vient de
l’intestin.
Délétion spécifique d’organes par la
methode cre-lox
Quand le foie produit trop de glucose,
c’est un facteur d’hyperglycémie et de
résistance à l’insuline qui fait dériver
vers le diabète, mais paradoxalement,
grâce à ce système glucose-portal, il
y a un glucose qui est bénéfique à la
régulation de la glycémie car il induit
la satiété, il diminue la production
hépatique de glucose- c’est-à-dire
justement celle qui est délétère pour la
régulation de la glycémie- et il améliore
sa sensibilité à l’insuline. On pourrait
dire qu’il s’agit d’une « production de
glucose anti-diabétique ».
On « loxe » un des exons de la glucose-6
phosphatase chez un animal que l’on
croise avec un animal qui exprime
une recombinase qui est activable par
le tamoxifène et qui est exprimé sous
le promoteur de la viline. C’est un
promoteur qui permet d’exprimer la
CRE uniquement dans l’intestin. Chez
l’animal traité avec le tamoxifène,
après une semaine, on a enlevé l’exon3
de l’ADNc.
Sur cette base, notre équipe a poursuivi
deux objectifs : accréditer cette
nouvelle conception et comprendre
les mécanismes de régulation de la
néoglucogénèse intestinale.
En 2012 nous avons montré la nécessité
d’une détection nerveuse des protéines
pour que le système puisse se mettre en
place. Nous avons traité des animaux
avec la capsaïcine autour de la veine
porte. Chez les animaux pseudoopérés, le sérum salin autour de la
veine porte entraîne une induction.
Chez l’animal où le système nerveux est
vraiment inactivé par la capsaïcine, il
n’y a plus d’induction. C’est également
le cas pour la PEPCK, qui est l’autre
enzyme régulatrice majeure de la
néoglucogenèse.
Comment est-ce-que les protéines
font pour induire la néoglucogenèse ?
Pour cela nous avons utilisé deux outils.
La capsaïcine
La capsaïcine est une drogue qu’on
peut trouver dans le poivre, dans les
piments. Utilisée à des concentrations
élevées, elle crée une inflammation
très puissante du système nerveux et
elle peut l’inactiver pendant plusieurs
-84-
En 1979, Zioudrou et al. ont montré
que les fractions oligopeptidiques
libérées des protéines alimentaires
avaient des activités mu-opioïdes.
Les récepteurs mu-opioïdes sont les
récepteurs de la morphine. Ils sont
exprimés dans le cerveau et le système
nerveux gastro intestinal.
qui n’avaient pas le récepteur muopioid, chez les souris qui n’ont pas la
glucose-6 phosphatase dans l’intestin
(donc qui n’ont pas la capacité de
produire du glucose avec leur intestin),
et chez la souris dénervée autour de la
veine porte.
Autour de la veine porte, il y a deux
types de nerfs : les branches du nerf
vague, et les nerfs sympathiques
jusqu’à la chaine de ganglions. Le relais
principal de la voie spinale est le noyau
parabrachial et le relais principal du
nerf vague est le complexe vagal dorsal.
Ces deux systèmes sont connectés
à l’hypothalamus. Les informations
peuvent donc remonter par les deux
voies. Une chirurgie du nerf vague
entraîne une inactivation du complexe
vagal dorsal tandis que l’activation
noyau parabrachial est maintenue. Les
effets d’induction de la néoglucogenèse
sur la satiété sont maintenus.
Chez des animaux porteurs d’un
cathéter dans la veine porte, nous avons
infusé des agonistes et des antagonistes
mu-opioïdes classiques. Nous avons
étudié leur rôle dans l’activation
du système nerveux au niveau de la
réception des nerfs périphériques.
Lorsqu’on mange des protéines, elles
sont digérées dans l’intestin jusqu’au
stade dipeptides. Une partie de ces
peptides passe dans la veine porte
pour aller dans le foie. Nous avons
montré (Duraffourd et al., 2012) que
la fraction de peptide libérée dans
la veine porte pouvait aller se lier
au récepteur mu-opioïde et exercer
un effet antagoniste. C’est suffisant
pour activer les régions du cerveau
impliquées dans la réception de ces
signaux. C’est donc un arc réflexe qui
induit la néoglucogenèse intestinale.
Pour la première fois, un système de
satiété (c’est-à-dire qui ne coupe pas
la faim rapidement pendant le repas
mais qui coupe la faim plus tard) est
expliqué sur le plan moléculaire en
tenant compte de l’aspect temps.
Est-ce-que la néoglucogenèse
intestinale peut expliquer les
bénéfices métaboliques induits pas
les fibres alimentaires ?
Les fibres alimentaires peuvent être
solubles (fermentées par le microbiote)
ou insolubles (excellentes pour le transit
intestinal, ce sont des polysaccharides,
des béta-glucanes par exemple, ou des
fruto-oligosaccharides, des galactooligosaccharides).
A partir de fibres solubles, le microbiote
produit du propionate, du butyrate et
de l’acétate. Ils présentent des bénéfices
Nous avons montré que le système
ne fonctionnait plus chez les souris
-85-
Nous avons fait circuler du propionate
14C dans le sang pour étudier
l’enrichissement du glucose au niveau
de l’intestin. Nous avons observé un
enrichissement de 6 % en carbone du
propionate dans le glucose de la veine
par rapport à l’artère.
pour l’homéostasie énergétique et
pour la régulation de la glycémie. Ils
induisent une augmentation de la
dépense énergétique et donc une perte
de poids. Ils ont également des effets sur
la tolérance glucidique.
Le butyrate est très étudié. On sait
qu’il régule l’expression génique dans
l’intestin, et induit la production
d’ATP. C’est un substrat essentiel en
tant qu’énergie pour le colonocyte mais
aussi pour l’entérocyte, même si c’est
plutôt dans le colon qu’il est produit.
Par ailleurs, nous avons vu que la
glucose-6-phosphatase et la PEPCK
(autre enzyme régulatrice de la
néoglucogénèse) étaient augmentées
lorsqu’on nourrissait les animaux avec
une diète soit riche en propionate, soit
riche en butyrate, soit riche en fibres. Il
y a donc production d’un substrat lors
de la néoglucogenèse et expression des
gènes. Une induction a également été
constatée dans le colon.
Le propionate a longtemps été décrit
comme un substrat de la néoglucogenèse
mais on a pu récemment trouver que
c’est aussi un ligand des récepteurs
FFAR2 et FFAR3. Il s’agirait donc
de GPR41 – GPR43, qui permettent
notamment de réguler la sécrétion de
leptine et d’incrétines.
Quels sont les mécanismes
d’induction d’expression des gènes ?
In vitro sur cellules CaCo2, le
propionate n’induit aucun effet tandis
que le butyrate induit bien un effet.
Paradoxe : comment peut-on
concilier une fourniture d’énergie,
qui n’aurait pas été récupérée sans
les bactéries, et une fourniture
d’un substrat hépatique pour la
néoglucogenèse ?
Pour le propionate nous avons montré
il y avait des régulations GPR41dépendantes avec des analogues et des
antagonistes.
Lorsqu’on perfuse du propionate dans
la veine porte des animaux, deux à trois
fois plus de neurones centraux sont
activés par rapport à la perfusion de
sérum salin. Si on étudie ce propionate
chez un animal dont la veine porte est
dénervée, plus rien ne se passe. C’est
donc bien une détection périphérique
nerveuse qui permet d’activer ces cibles
centrales.
Nous avons émis l’hypothèse que le
propionate pouvait aller produire dans
l’intestin du « bon » glucose capable
d’informer le cerveau et de médier les
effets bénéfiques de la néoglucogenèse
intestinale au lieu d’aller jusque dans
le foie pour constituer une source
de « mauvais » glucose générateur de
résistance à l’insuline et du diabète.
-86-
Quel est le phénotype
induit par les fibres ?
Si on administre du FOS à des souris
soumises à un régime HF HS (high fat
high sucrose) résistantes à l’insuline,
on observe un effet protecteur vis-àvis de l’obésité. Chez l’animal intestinKO, soumis au régime HF-HS et
supplémenté en fibres, on observe
une dégradation de la situation :
les animaux grossissent plus. Ces
animaux n’ont pas le signal bénéfique
d’induction de la dépense énergétique
(figure 3).
Figure 4
(De Vadder et al., Cell 2014)
Figure 5
(De Vadder et al., Cell 2014)
En collaboration avec le groupe
de Fredrik Bäckhed, spécialiste du
microbiote intestinal, nous avons
démontré
qu’une
augmentation
du propionate dans la veine porte
constitue un substrat pour le foie, ce
qui permet d’expliquer la moins bonne
tolérance au glucose chez la souris
intestin-KO.
Figure 3
(De Vadder et al., Cell 2014)
Les animaux supplémentés en fibres
stockent moins de tissus adipeux, mais
pas les animaux intestin-KO (figure 4).
Lors d’un test de tolérance au glucose,
l’animal HF-HS ne régule pas bien
sa glycémie par rapport à un animal
sauvage, mais l’administration de
FOS améliore la situation (le glucose
augmente moins et diminue plus
vite). Chez l’animal intestin-KO,
la régulation est moins bonne et
l’ajout de fibres entraîne une petite
dégradation(figure 5).
La composition du microbiote
joue-t-elle un rôle ?
Sans microbiote il n’y a pas de
production d’acides gras à courte
chaine, donc il n’y a pas d’effet des fibres
alimentaires. Les animaux axéniques,
par exemple, ne peuvent rien faire des
fibres.
-87-
une diminution de l’adiposité grâce à
des effets sur la dépense énergétique
(figure 6).
Le séquençage à haut débit des bactéries
a permis de montrer que manger des
fibres entraîne la diversification du
microbiote.
Les firmicutes sont en général associés
à l’obésité et à la mauvaise santé métabolique. Les bacteroidetes sont associés
à la minceur et à la santé métabolique.
Ils augmentent dans les deux types de
génotypes (sauvage et KO).
Chez l’animal KO, les actinobactéries
sont augmentées de façon significative
lorsqu’on introduit les fibres. Nous
étudions donc maintenant la capacité
du métabolisme intestinal à rejaillir sur
la composition du microbiote.
Figure 6
(De Vadder et al., Cell 2014)
Les firmicutes sont des bactéries qui
produisent du propionate. Dès votre
premier repas riche en fibres, quelle que
soit la composition de votre microbiote,
vous avez la capacité d’acquérir les
effets bénéfiques liés à la production de
propionate et de butyrate.
Est-ce que les souris intestin-KO
développent plus facilement un
diabète ?
Nous avons montré que les souris
intestin-KO n’ont pas de problèmes
de régulation de la glycémie
bien qu’elles aient un organe
gluconéogénique en moins : elles
ont une légère hyperglycémie et une
légère hyperinsulinémie. Même à
jeun, elles ont toujours une glycémie
un peu élevée (1,1g/l au lieu de 0,9
chez la souris sauvage). Elles ont une
intolérance au glucose et à l’insuline
et elles ont une résistance à l’insuline
de la production endogène de glucose.
Elles ont une perte de la première phase
de la sécrétion insulinique in vivo. Les
souris intestin - KO présentent une
En résumé
L’absorption de fibres entraîne une
fermentation par le microbiote. Le
propionate et le butyrate peuvent activer
la néoglucogenèse par des mécanismes
complémentaires : le butyrate via un
mécanisme dépendant de l’AMPc, le
propionate par un circuit neuronal
intestin-cerveau. Les informations
remontent jusqu’au cerveau pour
induire les effets métaboliques qui
sont : une meilleure régulation de la
glycémie, une meilleure sensibilité à
l’insuline, une diminution du poids,
-88-
DISCUSSION
augmentation de la sécrétion basale
de l’insuline. Les ilots sécrètent de
l’insuline en permanence, si bien qu’ils
ne peuvent pas ré-augmenter leur
sécrétion lorsqu’on élève la glycémie
de 5,5 à 16,7.
Vous ne parlez pas du glycogène musculaire.
G. M. Tout simplement parce qu’il n’y
a pas de glucose-6-phosphatase dans
le muscle. Le glycogène musculaire est
uniquement pour le muscle, il ne peut
pas réguler la glycémie. Par contre, il
peut permettre de stocker le glucose.
La cible du glucose portal est
l’hypothalamus qui contrôle à la fois la
faim et la régulation de la glycémie. Lors
d’un challenge à la leptine, la souris
sauvage diminue sa prise alimentaire,
la souris KO la diminue beaucoup
moins. La phosphorylation de stade
3 est un intermédiaire moléculaire
obligatoire du signal de leptine dans
l’hypothalamus. Les animaux témoins
on une bonne phosphorylation tandis
que les KO présentent près de deux
fois moins de phosphorylation. Il y
a donc une résistance à la leptine. La
souris KO nourrie en régime HF-HS
devient diabétique au bout de 2 mois
contre 6 mois pour une souris sauvage
(Soty et al., en préparation). La souris
KO est donc prédisposée à développer
le diabète.
Vous travaillez sur les modèles souris et
rat. Est-ce que les microbiotes rongeurs et
humains sont comparables ?
G. M. Ils sont très semblables, de même
que les régulations par les nutriments.
Mais il y a 100 milliards de bactéries
présentes dans notre corps. La diversité
est donc énorme.
Il ne nous reste plus qu’à essayer le régime
riche en fibres pour vérifier !
G. M. Si vous mangez des fruits et des
légumes, vous allez certainement
réguler votre glycémie et votre obésité
mais il y a tellement de raisons pour
lesquelles c’est difficile à faire.
Les fruits et légumes contiennent beaucoup
d’eau. Il faut donc en manger beaucoup pour
atteindre la quantité de fibres nécessaire.
Les produits céréaliers aussi contiennent
des fibres dites insolubles qui ne sont pas
fermentées mais qui régulent le transit, telles
que les béta-glucanes de l’orge. Il faut donc
diversifier pour avoir différentes catégories
de fibres avec des propriétés différentes.
Principaux messages
1 – La production endogène de glucose
ne se réduit à la production hépatique
de glucose.
2 – Le glucose de l’intestin est bénéfique
pour la régulation de la glycémie.
Comprendre son fonctionnement
représente un levier pour possiblement
lutter contre le diabète et l’obésité.
G. M. Beaucoup de féculents sont
extrêmement intéressants : les pois,
les pois chiches contiennent des fibres
solubles. Mais l’eau permet de remplir
l’estomac à moindre coût !
-89-
Article 1
Quand on donne des FOS, les animaux
maigrissent mais, quand ils sont phosphataseKO, au contraire ils grossissent. Les études
sont réalisées à partir d’animaux axéniques.
Est-ce-que ces animaux axéniques n’auraient
pas certaines déficiences en phosphatase ou
des problèmes d’enzymes un peu similaires
pour expliquer ces variations de poids ?
Butyrate activates the CAMP-protein
kinase A-cAMP response elementbinding protein signaling pathway in
Caco-2
présenté par Axel DESIR VIGNE
G. M. Je pense, comme toi, qu’il peut y
avoir des situations où il n’y a pas de
production intestinale de glucose pour
des raisons autres que l’absence de
gènes. La production de glucose à partir
de la glutamine requiert l’utilisation de
glucose pour des raisons biochimiques.
Il faut un pool de pyruvate suffisant
dans l’intestin. Il a été montré que
ce pool de pyruvate s’effondre en
cas d’alimentation lipidique élevée.
Une hypothèse est que, si ce régime
lipidique n’est pas associé à des fibres,
l’intestin produit très peu de glucose.
L’organisme est ainsi privé d’un signal
bénéfique pour la santé.
L’étude réalisée par Wang et ses
collaborateurs et publiée dans Journal
of Nutrition en 2012 tend à prouver
que le butyrate active la voie AMPc,
PKa, Creb dans des cellules Caco2.
Le butyrate, au même titre que
l’acétate ou le propionate, est un acide
gras à courte chaine produit par la
fermentation des fibres solubles par
les bactéries anaérobies contenues
essentiellement au niveau du colon. Le
butyrate a un effet prépondérant dans
le métabolisme de la barrière épithéliale
colique, et la régulation des fonctions
intestinales. Le butyrate a donc une
action sur la motricité colique, sur la
perméabilité et la capacité sécrétrice
et absorptive de la barrière épithéliale
colique.
A-t-on une idée du mécanisme moléculaire
qui permet la régulation de la glucose-6phosphatase, en particulier lors des régimes
enrichis en protéines ?
Le butyrate constitue la première
source énergétique des colonocytes.
On estime que 70 à 80 % de l’énergie
nécessaire au bon fonctionnement des
colonocytes provient du butyrate. Des
études tendent à prouver aussi que le
butyrate joue un rôle prépondérant
dans l’homéostasie de la barrière
épithéliale et réduirait l’inflammation.
Le butyrate, dans des conditions
physiologiques normales, va en fait
G. M. Nous avons soumis un article à
ce sujet. Nous montrons que le VIP,
le Vasoactive Intestinal Peptide, est le
facteur qui augmente l’expression de
propionate. C’est un neuro médiateur
libéré par le tissu nerveux intestinal.
-90-
réguler la prolifération et la maturation
des cellules au niveau intestinal
tandis que, dans le cadre des cellules
cancéreuses, le butyrate va induire
une apoptose et une inhibition de la
différenciation de ces cellules.
Les auteurs ont montré que le butyrate
stimule le facteur de transcription
Creb pour des concentrations
physiologiques de l’ordre de 1mmol/L
à 10mmol/L de butyrate. Le butyrate
induit aussi une augmentation de la
phosphorylation de CREB à toutes les
concentrations testées.
L’un des effets les plus connus du
butyrate est son effet régulateur de
l’expression des gènes, tout d’abord par
son action inhibitrice des histones des
acétylases et aussi dans une moindre
mesure, son effet stimulant des histones
acétyl transférases.
Deux récepteurs membranaires GPR41
et GPR43 ont été reconnus comme
étant des récepteurs des acides gras à
courte chaine. Les auteurs indiquent
que l’activation de la voie ne passe pas
par ces récepteurs GPR41 et GPR43.
L’objectif de l’étude était de préciser
les mécanismes impliqués dans la
signalisation du butyrate. On sait que
le butyrate a une action régulatrice
sur les gènes grâce à son activité acétyl
transférase et inhibitrice des histones
acétylase, mais on suppose qu’il y a
d’autres mécanismes qui rentrent en
compte.
Les auteurs ont observé, à toutes les
concentrations testées en butyrate,
une augmentation de l’activité de la
protéine Kinase A qui est impliquée
dans la phosphorylation du facteur
CREB.
Le butyrate augmente la concentration
d’AMPc produite par une production
accrue d’ATP et non par une
stimulation de l’adélynate cyclase.
Les auteurs ont utilisé des lignées
cellulaires d’adénocarcinome colique,
les Caco-2, et ont essayé d’étudier les
différents acteurs de la signalisation
AMPc, PKA, Creb. Ils ont mesuré
l’activité de la protéine Kinase A (PKA)
dans les lignées cellulaires Caco-2 qui
ont été mises en présence de différentes
concentrations de butyrate. Ils ont
aussi mesuré l’activité de l’Adénylate
cyclase (AC) et de la Phosphodiesterase
AMPc-spécifique (DPE). Ils ont analysé
l’activation du facteur CREB et réalisé
des dosages de la production d’ATP et
de l’AMPcyclique intracellulaire.
En résumé, il apparait que le butyrate
va stimuler la voie AMPc- PKA Creb
non pas par une action extracellulaire
via les récepteurs GPR41 et GPR42
mais plutôt par un mode d’action
intracellulaire qui nécessite en fait
l’internalisation du butyrate, sa
métabolisation au cours de la bétaoxydation des lipides. Ce butyrate
va permettre une grande production
d’ATP, et cet ATP sera autant de
substrat disponible pour l’adénylate
cyclase pour la production d’AMPc.
-91-
récepteurs, parce que l’adénylate
cyclase est couplée aux récepteurs par
des molécules G activatrices. Ils ont
démontré qu’on augmente le substrat
de l’enzyme. Le butyrate rentre dans
la cellule, il est converti en ATP parce
qu’il est très efficacement oxydé par
les mitochondries. Le substrat de
l’adénylate cyclase augmente, ainsi que
la production d’AMP cyclique.
Cet AMPc sera pris en charge par
la protéine Kinase A et va induire
une plus forte phosphorylation du
facteur Creb. Ce facteur Creb va être
internalisé dans le noyau des cellules
et va se fixer sur la séquence CRE de
gènes porteurs de cette séquence et
va permettre l’expression de gènes
cibles impliqués notamment dans la
prolifération, la différenciation ou
dans des phénomènes de suppression
de tumeurs.
Caco-2
est
une
lignée
cellulaire
d’adénocarcinome colique. Est-ce que ces
cellules sont représentatives des cellules
coliques normales ?
DISCUSSION
Un article de Borthakur et al. sur des lignées
cellulaires C2BBe1 et IEC6 va à l’encontre
des données qui ont été présentées dans cette
étude et montre que le butyrate va agir par
le biais d’un récepteur membranaire et qu’il
induit une diminution de la concentration
en AMP intracellulaire.
G. M. La cellule Caco-2 est un modèle
d’entérocyte lorsqu’elle est cultivée
à confluence. Un modèle in vitro
ne reconstitue pas l’ensemble du
phénomène. Par exemple, je vous ai
montré que le propionate n’a aucun
effet sur cette cellule in vitro. Le
propionate a besoin du contexte in vivo
pour jouer son effet parce que son effet
passe par le système nerveux.
G. M. Les IEC6 sont cellules intestinales
endocrines. Les Caco-2 sont un modèle
de muqueuse générale (entérocytes
et colonocytes). Dans les cellules
endocrines, il y a rôle très clair de GPR
41 et 42 pour détecter et transformer le
signal butyrate en signal d’expression
des gènes. Les cellules endocrines
sont donc un modèle différent des
entérocytes.
A part Caco-2, est-ce qu’il y a d’autres
lignées cellulaires modèles des cellules
coliques humaines qui ne sont pas dérivées
d’une lignée cellulaire cancéreuse ?
G. M. Si vous essayez d’isoler des
entérocytes in vitro, elles se mettent
très rapidement en situation d’hypoxie
ce qui change leur métabolisme. Elles
deviennent glycolytiques et sont très
difficiles à manipuler in vitro.
Commentaire
G. M. Cet article est très intéressant, à
mon avis, car les auteurs ont montré
qu’il n’y avait pas d’activation de ces
récepteurs par le butyrate. Ils ont
montré que ça n’active pas l’adénylate
cyclase, ce qui est le propre des
Commentaire
G. M. Vous avez indiqué que le butyrate
est le principal substrat énergétique
-92-
Le traitement par le butyrate est de
16 heures. Le butyrate à ces faibles
concentrations a sans doute été
consommé depuis longtemps, ce qui
n’est plus vrai à 1mmol/L. Une partie
des effets est probablement perdue
parce qu’il n’y a plus de butyrate dans
la cellule.
du colon. Ces données sont obsolètes.
Windmueller a mis au point un
modèle d’intestin perfusé isolé, dans
les années 80. Il a démontré que le
métabolisme intestinal couplait la
glutamine et le glucose par l’alanine
transaminase. Il a pu mesurer quels
étaient les substrats qui produisaient le
plus de CO2 dans l’intestin. Il a montré
que l’intestin faisait de la glycolyse
mais qu’il économisait le glucose de
façon très forte. Le principal substrat
énergétique de l’intestin ce sont les
corps cétoniques (50 % de l’énergie).
Le deuxième substrat est la glutamine
avec 30 % environ, suivi par les acides
gras et le glucose.
Je me demande si on voit vraiment un effet
spécifique et plus important du butyrate
par rapport à d’autres acides gras saturés à
chaine moyenne, C6 ou C8 ? Ou est-ce juste
spécifique du C4 ?
G. M. Tous les acides gras à nombre pair
de chaines de carbone sont susceptibles
de donner de l’énergie. Le butyrate n’est
qu’un exemple particulier. L’intérêt du
butyrate est que son accessibilité à la
mitochondrie est immédiate.
Dans des situations de jeûne, l’oxydation
du glucose diminue beaucoup, et donc
l’organisme tire son énergie d’autres
sources : le tissu adipeux et le muscle.
Un des produits des acides gras à
nombre impair de carbone est le
propionate parce qu’ils arrêtent à C3
dans l’oxydation des acides gras. C’est
sans doute pour ça qu’il a été rapporté
dans la littérature que les acides gras à
nombre impair de carbone avaient des
effets paradoxalement bénéfiques. Les
acides aminés sont très bien convertis
en propionate par les bactéries.
Le butyrate est un inhibiteur des HDAC
(histone deacetylase). Quel est le mécanisme ?
In vitro, une partie du butyrate rentre
dans le noyau et affecte en effet
l’acétylation des histones
Le butyrate peut-il être utilisé dans le
traitement des cancers ?
G. M. Il y a effectivement beaucoup de
littérature à ce sujet. Cette approche
s’attaque à un mécanisme général qui
porte sur la structure de l’ADN, ce qui
ne permet pas une approche ciblée.
A 0.01 et 0.1 mmol/L, il n’y a pas d’effet
sur le gène rapporteur alors qu’il y a des
effets sur la phosphorylation de Creb.
-93-
Article 2
qui permet une hausse de la captation
du glucose au niveau hépatique et donc
une hausse du glucose périphérique et
permet alors une amélioration de la
sensibilité à l’insuline chez les sujets
opérés, indépendamment du poids.
Les auteurs ont voulu valider chez
les personnes opérées d’un bypass
gastrique ce travail réalisé chez la
souris.
Is intestinal gluconeogenesis a key
factor in the early changes in glucose
homeostasis following gastric bypass?
présenté par Cédric CHAVEROUX
L’article a été publié dans Obesity
Surgery en 2011 et porte sur la
question : Est-ce que la néoglucogenèse
intestinale a un rôle clé dans les
changements précoces de l’homéostasie
du glucose suite à un bypass gastrique ?
Chez 28 patients opérés d’un bypass
gastrique selon la technique de roux
en Y, les auteurs ont prélevé du sang
à jeun avant opération et 6 jours après
opération au niveau de la veine atriale
qui permet d’avoir une vision du
glucose au niveau périphérique, et au
niveau de la veine porte.
La chirurgie bariatrique est considérée
comme un traitement efficace contre
l’obésité, en particulier morbide. L’une
des techniques les plus utilisées est la
technique de bypass gastrique Roux
en Y. Cette technique est notamment
utilisée pour traiter le diabète de type
2. On observe une amélioration de la
sensibilité à l’insuline et de la fonction
des cellules béta du pancréas dans les
7 jours post opération, avant même
le changement visible de poids des
patients. Il n’y a pas de modification
de sécrétion de GLP1, une hormone
intestinale liée à la satiété. Les cliniciens
voient une amélioration de l’indice
HOMA (indice de prédiction de
l’insulinorésistance).
Ils ont deux cohortes : une de patients
diabétiques et une de non diabétiques
d’âge similaire et d’indice de masse
corporelle quasiment identique.
Suite à l’opération, il y a une nette
amélioration de l’indice HOMA chez
les diabétiques, et une amélioration
plus faible chez les non diabétiques.
Les concentrations de glucose et
d’insuline à jeun après la chirurgie sont
améliorées de façon drastique.
Un papier de Troy et al. publié dans
Cell Metabolism en 2008 montre que
la partie isolée de l’intestin qui n’a pas
de contact avec la nourriture en post
absorptif va stimuler la néoglucogenèse
intestinale. Le glucose synthétisé va être
relargué au niveau de la veine porte, ce
Les auteurs n’observent pas de
différences chez les personnes
diabétiques, que ce soit au niveau
périphérique et au niveau porte,
avant et après chirurgie, malgré
l’amélioration liée à la chirurgie.
-94-
souris. Les auteurs ne mesurent pas une
production de glucose, ils mesurent
une glycémie. Chez l’homme, c’est très
compliqué de faire les deux.
La seule différence observée chez
les personnes non diabétiques après
chirurgie est une différence de
concentration entre la veine porte et
le niveau périphérique. Il y a une plus
grande concentration de glucose au
niveau de la veine porte qu’au niveau
périphérique ce qui pourrait accréditer
l’hypothèse de la néoglucogenèse
intestinale mais la différence est
relativement faible.
Chez les obèses non diabétiques il y a une
élévation de 0,2mmol dans la veine porte.
Est-ce que c’est faible ?
G. M. Le glucose a un effet signal et ce
n’est pas anodin. Il faut tenir compte
du flux sanguin intestinal qui est
de 1 litre / minute. 0,2 mmol de
glucose doit donc sortir de l’intestin
toutes les minutes. Chez l’homme, la
production de glucose est 10 micromol
kg/minute. Pour un individu de
100 kg, 0,2 mmol représente 20 % du
glucose total produit. Les diabétiques
ont exactement la même glycémie
dans le sang portal que dans le sang
périphérique, ce qui veut dire qu’ils ont
produit la même quantité de glucose
qu’ils en ont consommé par leur
intestin. Et cette quantité de glucose
est à peu près 20 % chez l’homme. Ce
papier montre en fait à mon avis que la
situation se produit chez l’homme telle
que mesurée chez l’animal.
Les auteurs concluent qu’il y a une
invalidation de l’hypothèse pour un
rôle de la néoglucogenèse intestinale
et donc d’un senseur potentiel de ce
glucose au niveau du système porte
dans l’amélioration de la glycémie chez
les patients obèses.
DISCUSSION
Les deux papiers utilisent deux techniques de
détection différentes. Les auteurs utilisent la
technique classique de dosage enzymatique
du glucose tandis que Troy et al. ont utilisé
du glucose tritié. J’ai l’impression qu’il y a
quand même une mauvaise interprétation
des auteurs par rapport au papier original
puisqu’ils considèrent que c’est la partie de
l’intestin dépourvue de nutriments qui va
générer le glucose intestinal. Or, le papier
de Troy montre que c’est tout l’intestin qui
peut être à l’origine de la forte production de
glucose.
Est-il possible au moyen de biopsies chez
l’homme de regarder les expressions des
enzymes PEPCK et la G6P phosphatase ?
G. M. Ce n’est pas facile. Les chirurgiens
n’adhèrent pas à ce type de protocole.
Lors de résections pour tumeur par
exemple ou pour maladie de Crohn,
cela peut être possible. C’est en fait très
compliqué d’aller étudier l’expression
des gènes dans l’intestin humain.
G. M. Effectivement, il y a une induction
de la néoglucogenèse un peu partout.
Sur le fond, la question est de savoir si
la production de glucose qu’on mesure
chez l’homme est significative et peut
représenter ce qu’on a mesuré chez la
-95-
à courte chaine a lieu en post-absorptif,
elle n’a pas lieu en postprandial parce
qu’il faut le temps que les aliments qui
n’ont pas été assimilés aient le temps
d’aller jusqu’aux bactéries.
Est-il possible d’avoir des contrôles des gens
obèses, opérés pour autre chose, pour juste
avoir une valeur de base de quelqu’un qui
n’est ni obèse ni diabétique ?
Pour avoir accès au sang portal, les
auteurs font remonter une sonde par
la veine ombilicale accessible par le
nombril. Chez à peu près la moitié des
individus elle reste assez facilement
accessible. Ils ont laissé un cathéter à
demeure pendant plusieurs jours. En
Europe, ça ne serait pas permis par le
comité de protection des personnes.
Chez les cirrhotiques au dernier
degré, le sang n’arrive presque plus
à traverser le foie, ce qui entraîne des
hyperpressions portales gigantesques
et peut conduire à une rupture de la
veine porte. On peut insérer chez ces
patients un stent à travers le foie pour
libérer la pression portale. Un article
publié en 1978 suggère que, lorsque le
foie n’arrive plus à produire de glucose,
l’intestin constitue effectivement une
source de glucose importante.
Un article récent paru dans Nature
Communication indique que l’acétate
diminue la faim. Il faut monter à des
concentrations d’acétate plasmatique
assez importantes et donc je ne suis
pas très convaincu par le résultat
de l’article. Je crois plus aux effets
physiologiques sur l’intestin même si
ce sont de vieilles données.
Commentaire
J. F. L’intestin est un organe très
fortement irrigué. Il subit des
fluctuations
de
débit
sanguin
gigantesques entre une situation à jeun
et une situation post prandiale. La
régulation de la vasomotricité se fait
essentiellement via les nutriments.
Commentaire
G. M. Des vieux papiers montrent que
l’acétate augmente le flux sanguin
intestinal. La production des acides gras
-96-
Article 3
et notamment chez l’homme atteint
d’obésité, et l’impact sur son métabolisme. L’objectif de ce papier
est d’étudier les effets du transfert
d’un microbiote intestinal issu de
donneurs minces sur la composition
du microbiote mais également sur le
métabolisme glucidique des patients
receveurs obèses qui sont atteints de
dysfonctionnements métaboliques.
Transfer of intestinal microbiota from
lean donors increases insulin sensitivity
in individuals with metabolic syndrome
présenté par Cindy LE BOURGOT
Les auteurs de cet article publié
en 2012 dans Gastroenterology ont
montré qu’un transfert de microbiote
intestinal issu de donneurs minces
permettait d’augmenter la sensibilité
à l’insuline chez des individus atteints
du syndrome métabolique.
Des études ont montré que le microbiote
intestinal de modèles animaux atteints
d’obésité et d’individus obèses
présentait une diversité diminuée, et
avait une proportion de bactéroidetes
diminuée et de firmicutes augmentée.
Une étude a montré que lorsqu’on
colonise des souris axéniques avec
un microbiote, celui-ci participe au
contrôle de l’adiposité, à la sensibilité
à l’insuline et a également un rôle
dans le métabolisme glucidique et
le métabolisme lipidique. Une autre
étude de 2008 a montré que, lorsqu’on
transfère le microbiote de souris
obèses à des souris minces, on pouvait
induire l’obésité chez les souris minces
receveuses. Enfin, une étude de 2013 a
montré que transplanter un microbiote
humain chez la souris axénique permet
de moduler le métabolisme de la souris
receveuse.
Deux groupes de 9 patients obèses
ont été sélectionnés selon leur
IMC supérieur à 30 et selon leur
concentration en glucose plasmatique
à jeun supérieure à 5,6mmol/L. Le
premier groupe allogénique a reçu une
infusion de microbiote intestinal issu
de donneurs sains, alors que les patients
du second groupe, le groupe autologue,
ont reçu une infusion d’un microbiote
intestinal issu de donneurs obèses.
Des mesures on été effectuées à J0
avant infusion de microbiote intestinal
puis 6 semaines après l’infusion du
microbiote. La technique de clamp
euglycémique et hyperinsulinémique
(infusion d’insuline et de glucose)
a été utilisée pour déterminer la
sensibilité à l’insuline des individus.
Les auteurs ont également réalisé des
biopsies au niveau de l’intestin grêle
pour déterminer la composition du
microbiote au niveau fécal.
Les auteurs ont observé une
amélioration de la sensibilité à
l’insuline périphérique 6 semaines
après infusion allogénique et une
tendance à l’amélioration de la
Peu d’études se sont intéressées au
transfert de microbiote chez l’homme,
-97-
une amélioration de la sensibilité à
l’insuline. Les auteurs ont montré une
augmentation du nombre de bactéries
liée à la production de butyrate à la fois
au niveau du microbiote fécal mais
également au niveau du microbiote de
l’intestin grêle. Ils ont montré que le
butyrate a un rôle sur le métabolisme
du glucose.
sensibilité à l’insuline hépatique.
Aucune modification n’a été observée
dans le groupe autologue.
Une augmentation de la diversité
microbienne fécale a été observée après
infusion allogénique : augmentation de
16 groupes bactériens 6 semaines après
infusion du microbiote, notamment
de R. intestinalis qui est une bactérie
productrice de butyrate. Les auteurs
ont observé une altération de 6 groupes
bactériens entre les deux groupes
allogénique et autologue.
Il reste maintenant à étudier
l’administration orale d’un microbiote
identifié sur le métabolisme glucidique.
Cela pourrait être une nouvelle piste
d’intervention thérapeutique sur le
microbiote intestinal qui permettrait
de prévenir ou traiter des désordres
métaboliques.
Au niveau des biopsies de l’intestin
grêle, ils ont montré une modulation
de 7 groupes bactériens dans le
groupe allogénique après infusion
du microbiote, avec encore une fois
une modulation dans un groupe de
bactéries producteur de butyrate,
Eubacterium hallii. Lorsqu’ils ont
comparé les deux groupes allogénique
et autologue, ils ont vu une modulation
de 3 groupes bactériens.
DISCUSSION
Je voudrais savoir comment le transfert de
microbiote se fait entre les patients. Sachant
que les patients qui reçoivent le microbiote
ont déjà du microbiote dans leur colon, est-ce
qu’il n’y a pas de mélange possible ?
Après une série de lavages pendant 5
heures pour éliminer le microbiote
adhérent, le microbiote est injecté
par voie nasoduodénale. C’est une
technique qui est utilisée pour
traiter par exemple les infections à
Clostridium, qui est une bactérie qui
résiste aux traitements antibiotiques.
Ils se sont ensuite intéressés à
l’activité fermentaire du microbiote
au niveau fécal en dosant les acides
gras volatiles dans les feces. Dans le
groupe allogénique, ils ont montré une
diminution de la production d’acétate
et une diminution du butyrate. Aucune
différence n’a été observée dans le
groupe autologue.
Est-ce que la flore, une fois transférée, reste à
vie, ou est-ce qu’il peut y avoir des rejets de
flore d’autrui ?
Une
infusion
allogénique
de
microbiote intestinal de donneur sain
module la composition du microbiote
des patients receveurs obèses et induit
G. M. La flore va se remodifier très rapidement selon ce que vous allez manger.
-98-
Commentaire
On peut inoculer des animaux axéniques
avec une flore simplifiée, une ou deux souches
bien caractérisées.
Il y une contradiction dans l’article. Les
auteurs ont observé une augmentation
des bactéries productrices de butyrate
et une diminution de la production
de butyrate dans les fèces. Il faut
également mentionner que l’étude
était faite dans des conditions peu
contrôlées (les patients passant 6
semaines à domicile entre le transfert
et les études métaboliques). De plus,
des résultats positifs sur l’utilisation de
glucose n’étaient observés que chez 3
patients sur 9.
G. M. Ces expériences de transfert
sont des outils très intéressants pour
étudier les mécanismes d’interaction.
Par exemple, nous avons commencé
un projet avec Fredrick Bäckhed :
nous voulons comparer différents
types de bactéries productrices de
butyrate et/ou de propionate en
conditions axéniques ou de flores peu
diversifiées, en colonisant avec des
bactéries productrices de propionate
et/ou de butyrate pour voir les effets
différentiels.
-99-
Gilles Mithieux, Unité INSERM 855, Nutrition et cerveau, Lyon
Articles analysés
> Article 1 : présenté par Axel DESIR VIGNE, Physiologie des adaptations
nutritionnelles, Nantes
Butyrate activates the CAMP-protein kinase A-cAMP response element-binding
protein signaling pathway in Caco-2, Wang et al., The Journal of Nutrition, 2012, vol.
142, no.1, 1-6
> Article 2 : présenté par Cédric CHAVEROUX, Unité de Nutrition humaine,
Clermont-Ferrand
Is intestinal gluconeogenesis a key factor in the early changes in glucose homeostasis
following gastric bypass?, Hayes et al., Obes Surg, 2011, 21 : 759-762
> Article 3 : présenté par Cindy LE BOURGOT, Alimentation, adaptations
digestives, nerveuses et comportementales, Rennes
Transfer of intestinal microbiota from lean donors increases insulin sensitivity in
individuals with metabolic syndrome, Vrieze et al., Gastroenterology, 2012, vol. 143,
no.4, 913-+
-100-
5
Session 5
Les relations entre la nutrition et la dépression :
de l’association aux mécanismes
Lucile Capuron
Préambule
La nutrition peut avoir un rôle
important à jouer en psychiatrie mais
également dans le traitement et la
prévention de certaines altérations
subtiles de l’humeur dont nous
pouvons faire l’expérience tous les
jours.
La dépression
La dépression est un problème majeur
de santé publique qui touche, d’après
les statistiques de l’OMS, 350 millions
de personnes dans le monde et qui
constitue de nos jours la première
cause d’incapacité. Chaque année, un
quart de la population développe des
symptômes dépressifs, avec des effets
particulièrement invalidants pour le
patient.
Les troubles neuropsychiatriques,
notamment la dépression, qui est
au premier rang de ces troubles
neuropsychiatriques, et les troubles
anxieux, représentent 26 % de la
charge de morbidité dans les pays
de l’Union Européenne. Le coût des
troubles de l’humeur et de l’anxiété
dans
l’Union
Européenne
est
d’environ 170 milliards d’euros par
an. 50 % des maladies chroniques et
des congés pour maladies chroniques
sont liés à la pathologie dépressive ou
aux symptômes dépressifs. 50 % des
dépressions sévères, associées à un
risque suicidaire, ne sont pas traitées
et 30 % des dépressions sévères traitées
ne répondent pas aux traitements
antidépresseurs
conventionnels
(traitements qui agissent sur la
neurotransmission en particulier
sérotoninergique,
dopaminergique,
noradrénergique). Ce sont ces 30 % de
dépressions, qu’on appelle dépressions
résistantes, que la nutrition peut
notamment aider.
Critères diagnostiques d’un épisode
dépressif majeur (DSM)
La dépression majeure se diagnostique
en psychiatrie sur la base du DSM dont
il existe différentes versions. Le patient
présente au moins 5 symptômes
pendant 2 semaines minimum, dont
-101-
l’humeur dépressive et la perte d’intérêt
ou de plaisir. Ces symptômes sont
d’ordre thymique (humeur dépressive,
perte d’intérêt ou de plaisir), cognitif
(dévalorisation/culpabilité, difficultés
de concentration, indécision, pensées
suicidaires),
et
neurovégétatif
(modification de l’appétit, du poids,
agitation, ralentissement, troubles
du sommeil). La dépression majeure
classique est très généralement
observée en psychiatrie et celle-ci est
particulièrement invalidante.
Il existe différentes formes de
dépressions. La dépression atypique,
dont la sémiologie est un peu
différente de celle de la dépression
majeure, est fréquente chez les patients
qui présentent des comorbidités
métaboliques telles que l’obésité. Cette
forme de dépression se caractérise
par une réactivité de l’humeur, et
par au moins 2 symptômes parmi
lesquels une prise de poids ou une
augmentation de l’appétit, une
hypersomnie, une sensation de
lourdeur des membres, ainsi qu’une
sensation exacerbée de rejet dans les
relations interpersonnelles.
stress exacerbé, anxiété, névrosisme).
zdes facteurs environnementaux. Le
contexte socio-économique joue
un rôle important dans le risque
de dépression (faibles ressources
économiques ou sociales), ainsi que
les évènements de vie (stress précoces
et/ou chroniques).
C’est l’ensemble des interactions entre
ces différents facteurs de risque qui
conduit à l’établissement d’un terrain
vulnérabilité.
Néanmoins, cette vulnérabilité n’est
pas suffisante pour développer un état
dépressif clinique. On peut en effet être
vulnérable mais ne pas développer de
dépression. Il faut donc que quelque
chose se passe. Un événement de
vie par exemple. On parle de facteur
précipitant.
Des
modifications
biologiques s’installent dans le même
temps, et celles-ci vont conduire à
l’apparition d’un état dépressif.
Le modèle de vulnérabilité à la dépression
Il existe divers facteurs de risques de la
dépression :
z des facteurs héréditaires, génétiques,
zdes caractéristiques psychologiques
ou des traits de personnalité
(sensations de mal être en société,
Fig. 1 :
Le modèle de vulnérabilité à la dépression
-102-
Les associations entre la nutrition et
la dépression
Diverses données de la littérature
indiquent des associations entre
nutrition et dépression. Ces données
montrent
notamment
qu’une
alimentation déséquilibrée ou carencée
en certains micronutriments, comme les
acides gras de type oméga-3, est associée
à un risque augmenté de dépression.
Ces observations sont confortées par le
fait que certains individus dans certains
pays ou appartenant à certaines cultures,
développent moins de dépressions que
d’autres.
On s’est aperçu, par exemple, que les individus qui avaient des consommations
riches en poisson, au Japon notamment, développaient moins de dépressions. Néanmoins, il est important de
prendre en compte les aspects culturels
quand on considère ces données. Dans
certaines cultures, en effet, on ne verbalise pas ou plus difficilement ce que
l’on ressent. On peut donc facilement
sous-estimer la dépression tout simplement parce qu’il n’est pas coutume de
parler de son état psychologique ou de
ses états d’âme dans certaines cultures.
Oméga 3, Régime méditerranéen
et dépression
Différentes études montrent des corrélations entre dépression et nutrition.
Les régimes de type méditerranéen
par exemple sont associés à une prévalence plus faible de dépressions. Des
hypothèses ont été émises sur le type
de nutriments présents dans ce type
d’alimentation. On s’est notamment
intéressé à certains types d’huile et à la
consommation de poissons.
Les articles que nous étudierons dans
la deuxième partie de cette session
parleront de ces associations entre
oméga-3 et dépression. Le rôle des acides
gras de type oméga-3 dans le traitement
de la dépression reste controversé. Des
méta-analyses ont été faites, notamment
celle de Bloch et Hannestad publiée
en 2012 dans Molecular Psychiatry qui
montre que la relation entre oméga-3
et traitement de la dépression ne se
vérifie que chez les patients qui ont
des symptômes intenses de dépression
ou qui ont des antécédents dépressifs.
Les auteurs ont par ailleurs distingué
les études en fonction de leur qualité
méthodologique. Il s’avère que les
études qui retrouvent une association
entre oméga-3 et dépression sont celles
qui ont tendance à présenter la plus
faible qualité méthodologique.
Par la suite, plusieurs auteurs ont fait
d’autres méta-analyses pour essayer
de vérifier ces données. Sur la base des
mêmes études que Bloch et Hannestad,
Lin et al., toujours dans Molecular
Psychiatry, montrent que les études qui
présentent une association en faveur
des oméga-3 sont celles qui utilisent
des préparations dont la teneur en
EPA est supérieure ou égale à 60 %. Les
suppléments particulièrement enrichis
en EPA seraient donc plus en faveur
d’une amélioration des symptômes
-103-
dépressifs. Le DHA, a priori, n’a pas
d’effet spécifique ou puissant. Cela
nous montre qu’il est important de bien
considérer ces aspects méthodologiques,
comme la qualité des évaluations de la
dépression, le type de dépression et les
préparations utilisées.
L’exemple de l’obésité
Beaucoup d’études montrent que
des sujets qui présentent des troubles
métaboliques tels que l’obésité ou le
syndrome métabolique sont beaucoup
plus vulnérables à la dépression.
Prenons l’exemple de l’obésité. Depuis
1980 l’obésité a plus que doublé dans
le monde. Plus d’1 milliard d’adultes
étaient en surpoids en 2008 et 500
millions étaient obèses. En outre,
40 millions d’enfants de moins de
5 ans sont touchés par l’obésité. La
principale cause d’obésité est un
déséquilibre énergétique entre les
calories consommées (augmentation
de la consommation de graisses et
de sucre) et les calories dépensées
(diminution de l’activité physique).
L’obésité est associée à d’importantes
comorbidités cardiométaboliques et
endocrines mais également dépressives.
La prévalence de la dépression chez
les sujets obèses est particulièrement
importante puisqu’elle peut atteindre
30 % contre 5-10 % dans la population
générale. En outre, la dépression
Figure 2 :
Les complications de l’obésité
(d’après Ebbeling et al., Lancet, 2012)
-104-
chez le sujet obèse peut contribuer
à entretenir l’obésité puisqu’elle est
associée à des habitudes alimentaires
modifiées qui peuvent se traduire par
une augmentation de la consommation
alimentaire. La dépression atypique,
en particulier, est associée à une
hyperphagie qui fait qu’une obésité
préexistante peut être entretenue dans
ce type de pathologie.
Retour sur les notions de
vulnérabilité et de période critique
Certaines périodes de la vie sont
associées à une susceptibilité accrue
à la dépression. On parle de périodes
critiques. De façon intéressante, ces
périodes apparaissent également très
sensibles aux effets de la nutrition.
z
La
période
périnatale
est
fortement associée au risque
neuropsychiatrique. A ce moment-là,
le cerveau est en plein développement
et encore très malléable. Des stress
précoces pendant l’enfance ou
même in utero rendent des individus
particulièrement vulnérables à la
dépression. En outre, la nutrition
a un impact très important en
période périnatale et diverses études
montrent le rôle de la nutrition
périnatale sur le développement des
fonctions cérébrales et sur le risque
neuropsychiatrique à l’âge adulte.
zL’enfance est également une période
critique qui apparaît sensible pour
des interventions nutritionnelles.
z
A l’adolescence se produisent
d’importantes transitions, sociales,
économiques
mais
également
nutritionnelles (l’adolescent quitte
souvent le foyer familial et commence
à s’alimenter différemment). Cette
période sensible est considérée
comme étant à risque pour le
développement
de
troubles
nutritionnels mais également de
pathologies dépressives.
zA l’âge adulte, la survenue de
pathologies ou d’événements de vie
particuliers augmente le risque de
dépression.
z
Chez les personnes âgées, on
constate bien souvent des carences
nutritionnelles
et/ou
sociales
associées à une prévalence élevée
de troubles neuropsychiatriques et
neurocognitifs.
Les mécanismes impliqués
Quels sont les mécanismes qui peuvent
expliquer ce lien entre nutrition
et dépression ?
Un mécanisme important auquel
s’intéresse notre laboratoire est
l’inflammation.
L’inflammation participe à la
physiopathologie de la dépression
Des données cliniques et précliniques
confirment les effets psychotropes
de l’inflammation. Comment cela
fonctionne ? Lorsque le système
immunitaire rencontre un agent
-105-
pathogène, l’activation des cellules
immunes à la périphérie s’accompagne
de la libération de facteurs proinflammatoires, comme les cytokines
pro-inflammatoires
(interleukine
6, interleukine 1, facteur de nécrose
tumorale α (TNF)). Ces cytokines
sont libérées localement au niveau
du site infectieux mais peuvent agir
au niveau du système nerveux central
par différentes voies, notamment
nerveuses et humorales. On sait
également que le signal immunitaire
qui prend ses origines à la périphérie
s’accompagne
d’une
production
centrale de cytokines.
L’inflammation participe à la
physiopathologie de la dépression
NT
Comportement
de maladie
CRH +
-+
Dépression
ACTH
Cytokines
+
IL6, IL1, TNF
Surrénales
Cortisol
-
Cellules immunes
Stimulus
immun
Adapted from Raison, Capuron and Miller, Trends Immunol , 2006
Figure 3
(adapté de Raison, Capuron and Miller, Trends
Immunol, 2006)
Dans le cerveau, les cytokines
sont responsables de différentes
modifications biologiques.
z L’activation de l’axe corticotrope
Les cytokines activent l’axe corticotrope
(HPA), ou système de réponse au stress,
qui a un effet immuno-régulateur.
L’activation de cet axe s’accompagne de
la production d’ACTH et de cortisol par
les surrénales, ce qui permet de réguler
la réponse inflammatoire.
z Des modifications du métabolisme et
de l’activité des neurotransmetteurs.
L’ensemble de ces modifications biologiques est associé à diverses modifications comportementales regroupées sous
le terme de comportement de maladie.
Le comportement de maladie (fatigue,
troubles du sommeil, troubles cognitifs,
mnésiques, attentionnels, altérations de
l’appétit, modifications de l’humeur)
permet à l’organisme de lutter de la
manière la plus efficace possible contre
le virus. Il a une valeur adaptative et
disparaît lorsque l’organisme arrive à se
débarrasser du virus.
Néanmoins, dans certaines conditions,
l’activation de l’immunité devient
chronique ou mal régulée parce que l’axe
corticotrope par exemple ne fonctionne
pas de manière optimale ou que cette
activation se répète tellement que les
systèmes de régulation, et notamment
anti-inflammatoire,
fonctionnent
moins bien. Cela engendre l’apparition
de véritables symptômes cliniques,
notamment dépressifs.
En support de ce scénario, diverses
données pré-cliniques et cliniques
confortent l’hypothèse inflammatoire
de la dépression.
-106-
zL’administration de cytokines ou
d’agents inflammatoires induit des
symptômes de type dépressif chez
l’animal.
z Les dépressions sévères et la dysthymie
sont associées à des altérations
immunes (activation des processus
inflammatoires)..
z
L’immunothérapie par cytokines
(notamment par interféron-alpha)
chez des individus souffrant de
certains types de cancer ou d’infections
virales chroniques, comme l’hépatite
C, s’accompagne de l’apparition
d’épisodes dépressifs majeurs chez
50 % des individus traités. De
façon intéressante, l’administration
préventive
d’un
antidépresseur
permet de bloquer la survenue de la
dépression chez 40 % des patients.
z
Des traitements qui ciblent
l’inflammation
(biothérapies
anticytokinergiques par exemple)
agissent sur l’humeur.
Nous avons cherché à identifier les
mécanismes par lesquels les cytokines,
en particulier l’interféron-α, favorisent
l’émergence d’épisodes dépressifs chez
des patients qui n’ont pas d’antécédents
particuliers. Sous interféron, les
symptômes
neuropsychiatriques
se développent en deux phases.
Une
première
phase
s’installe
très précocement et se caractérise
par l’apparition de symptômes
neurovégétatifs, de type fatigue,
diminution de l’appétit et ralentissement
psychomoteur. Ces symptômes se
manifestent chez l’ensemble des
patients traités par cytokines (80 %
des patients traités développent par
exemple une fatigue intense au cours du
traitement). Ils persistent pendant toute
la durée du traitement par cytokine.
Une deuxième phase de symptômes,
en particulier thymiques et cognitifs,
s’installe chez 50 % des patients. Cette
phase apparait plus tardivement, en
général au cours du deuxième mois de
traitement. Ces symptômes répondent
bien à l’administration préventive
de traitements antidépresseurs. En
revanche, les symptômes neurovégétatifs
ne répondent pas au traitement
antidépresseur. Nous avons montré
que l’apparition de ces symptômes
neurovégétatifs était liée à des altérations
des systèmes dopaminergiques induites
par l’interféron α, alors que l’apparition
de symptômes thymiques et cognitifs
implique davantage des altérations du
système sérotoninergique.
Les cytokines ont la capacité d’induire
certaines enzymes qui vont participer au
métabolisme des neurotransmetteurs
et des monoamines en particulier.
Dans des conditions inflammatoires,
les cellules immunes activées vont
synthétiser l’enzyme IDO (indoléamine
2,3-dioxygénase)
responsable
du
catabolisme du tryptophane dans
la voie de la kynurénine et de
l’acide quinolinique. C’est une voie
neurotoxique. L’activation de cette
voie se fait au détriment de la voie
classique de la sérotonine. Lorsqu’il y
a inflammation, il y a dégradation du
-107-
Fig.4 : Inflammation et métabolisme des acides aminés (d’après Capuron et al., Biol Psychiatry, 2012)
tryptophane nécessaire à la synthèse de
sérotonine. Nous avons confirmé chez
nos patients que la dégradation du
tryptophane participait à l’apparition
de symptômes émotionnels et cognitifs
(figure 4).
Les cytokines induisent également une
autre enzyme, GTP-CH1 (Guanosinetriphosphate cyclohydrolase 1) qui
est généralement utilisée pour la
production de tétrahydrobioptérine ou
BH4. Le BH4 est un cofacteur d’autres
réactions enzymatiques, notamment
de la tryptophane hydroxylase qui
participe à la synthèse de sérotonine
et de la tyrosine hydroxylase qui
participe à la synthèse de dopamine. En
conditions inflammatoires, l’activité
de GTP-CH1 est modifiée. GTP-CH1
va être utilisé pour la production
de néoptérine, qui est un marqueur
de l’activation macrophagique, au
détriment de la production de BH4,
qui s’avère en outre très sensible au
stress oxydant. Il en découle une
diminution de la synthèse de dopamine
et de sérotonine, neurotransmetteurs
qui sont fortement impliqués dans la
régulation de l’humeur.
On connait ces bio-marqueurs
enzymatiques depuis très longtemps
mais ils sont considérés en psychiatrie
de manière très récente. On peut
les mesurer dans le plasma ou le
sérum des patients mais également
dans le liquide céphalorachidien.
La diminution des concentrations
circulantes de tryptophane, ainsi que
-108-
l’augmentation de l’acide quinolinique,
dérivé neurotoxique produit de la
dégradation du tryptophane, se sont
avérés être associés à l’intensité des
symptômes dépressifs des patients.
Au départ on pensait que la
dégradation de tryptophane donnait
lieu à d’importantes réductions en
sérotonine, ce qui conduisait à la
dépression. En fait, des données
très récentes montrent que c’est la
production d’acide quinolinique et
de métabolites neurotoxiques qui
est particulièrement critique. On
est maintenant sur la voie d’une
neurotoxicité plutôt que sur celle d’une
déplétion en sérotonine.
Il est fort probable que des habitudes
alimentaires qui apportent des
carences dans ces acides aminés vont
être associées à un risque plus élevé de
dépression. En outre, des situations
nutritionnelles favorisant l’instauration
de processus inflammatoires peuvent
également moduler ces systèmes et
participer à l’apparition de symptômes
dépressifs. C’est notamment le cas
de l’obésité, dont on sait maintenant
qu’elle est associée à une activation
du système de l’immunité innée, ou
de régimes carencés ou trop riches en
acides gras connus pour leurs effets
immuno-modulateurs. La synthèse de
la littérature montre que les acides gras
de type oméga-3 auraient des effets
plutôt anti-inflammatoires, alors que
les acides gras de type oméga-6 auraient
des effets plutôt pro-inflammatoires.
Nos régimes alimentaires actuels
caractérisés par une augmentation
déséquilibrée en faveur des oméga-6
pourraient donc avoir des effets
davantage pro-inflammatoires, et
participer par ce biais au risque de
dépression.
L’obésité est une condition inflammatoire
Revenons à la situation d’obésité.
L’obésité représente une condition
d’inflammation chronique à bas
bruit. Dans le tissu adipeux, au fur
et à mesure que l’obésité s’installe,
les adipocytes vont être capables
de
synthétiser
des
marqueurs
inflammatoires, comme le facteur de
nécrose tumorale alpha (TNF-alpha).
Le recrutement des cellules immunes,
notamment des macrophages et des
cellules T, participe à la production
de facteurs inflammatoires, tels que
l’interleukine (IL)6 et l’IL-1. On sait
également que les macrophages et
les cellules adipeuses vont libérer du
MCP1 (monocyte chemoattractant
protein-1) qui va faciliter l’infiltration
macrophagique dans le tissu adipeux,
favorisant ainsi l’instauration d’un
cercle vicieux.
Des altérations du microbiote intestinal (modifications des populations
bactériennes, avec augmentation
des firmicutes, augmentation de la
perméabilité intestinale, et processus
d’endotoxémie) peuvent également
favoriser l’instauration d’une inflammation dans l’obésité. Compte tenu
-109-
des effets centraux/cérébraux de l’inflammation, il est fort probable que
cette inflammation systémique dans
l’obésité puisse participer à l’apparition de comorbidités neuropsychiatriques.
De l’obésité à la dépression
En collaboration avec les départements de psychiatrie et de cardiologie de l’Université Emory à Atlanta,
nous avons pu montrer sur une cohorte de jumeaux souffrant ou non
d’un syndrome métabolique que les
sujets avec un syndrome métabolique
présentaient des concentrations de
marqueurs inflammatoires (CRP, IL6,
TNF) significativement supérieures
à celles des sujets contrôles/sains. La
prévalence de symptômes dépressifs
est deux fois plus importante chez les
individus présentant un syndrome
métabolique en comparaison aux individus sains. Il y a donc une vulnérabilité neuropsychiatrique augmentée
et une inflammation systémique augmentée chez les patients souffrant d’un
syndrome métabolique.
Une analyse de risque a été réalisée
pour essayer de comprendre ce qui
expliquait ces symptômes dépressifs
chez ces sujets. Sur la figure 5, en bleu on
voit l’effet du syndrome métabolique
sur la symptomatologie dépressive
et en rose l’effet de l’inflammation.
Lorsque les deux variables sont
considérées de façon indépendante,
elles ont un effet significatif. Par
contre, lorsque l’on combine ces deux
variables, on s’aperçoit que seule
l’inflammation a un effet significatif
sur la symptomatologie dépressive. Ce
qui signifie que, chez les patients qui
souffrent du syndrome métabolique,
l’inflammation, plus que le trouble
métabolique en lui-même, constitue
un déterminant important du risque
dépressif.
Fig. 5 :
Capuron et al., Biol. Psychiatry, 2008
Plus récemment, chez des sujets en
état d’obésité sévère ou morbide,
nous avons pu mettre en évidence
des concentrations de tryptophane
et de kynurénine significativement
plus élevées en comparaison en des
individus
normo-pondéraux. Le
ratio de kynurénine / tryptophane est
également beaucoup plus élevé chez
les patients obèses en comparaison
aux patients non obèses, ce qui
signifie qu’il y a une augmentation
plus importante de la dégradation
du tryptophane dans la voie de la
-110-
kynurénine chez ces patients. On
observe également une augmentation
du ratio Phénylanine/tyrosine chez les
sujets obèses, suggérant une altération
du métabolisme de la tyrosine pouvant
conduire in fine à une perturbation
de la production de dopamine. En
support de cette hypothèse, des
données obtenues chez des patients
traités par cytokines montrent que
l’augmentation du ratio phénylalanine
/ tyrosine à la périphérie est associée
à une diminution des concentrations
de dopamine dans le liquide céphalorachidien (Felger et al., 2013).
Diverses altérations des systèmes
dopaminergiques ont été décrites chez
les sujets obèses. A titre d’exemple, une
étude d’imagerie (Wang et al, 2001)
montre que chez des sujets obèses en
comparaison à des sujets contrôles il
y a une diminution de la disponibilité
des
récepteurs
dopaminergiques
(récepteurs D2) dans les ganglions de
la base, associée à une augmentation
du métabolisme du glucose dans ces
mêmes régions. On observe ce type
d’altérations chez des sujets traités par
cytokines, suggérant que l’altération
des systèmes dopaminergiques dans
l’obésité pourrait être liée à l’activation
de processus inflammatoires.
Perspectives
Dans l’ensemble, ces données suggèrent
que la nutrition peut moduler la
symptomatologie dépressive et l’état
neuropsychiatrique, notamment par
des effets inflammatoires. Il est donc
important de trouver des stratégies
nutritionnelles qui peuvent moduler
l’inflammation ou qui peuvent agir
directement sur la symptomatologie
dépressive. Ces stratégies peuvent
soit reposer sur des interventions
nutritionnelles soit viser la perte de poids.
Un rôle dans la prévention ciblée des
troubles émotionnels dans les populations à
risque (sujets obèses, sujets âgés)
Sujets obèses : Nos données chez les
patients obèses indiquent que la perte de
poids induite par la chirurgie bariatrique
s’accompagne
d’une
diminution
de l’inflammation, associée à une
amélioration de l’état psychologique des
patients (Capuron et al., 2010). En effet,
la diminution des scores d’anxiété et de
dépression est associée à la diminution
des concentrations circulantes d’IL6 et
de CRP.
Chez le sujet âgé, les stratégies nutritionnelles apparaissent efficaces pour
moduler les effets « psychotropes » de
l’inflammation. Nous avons mené une
étude chez des personnes âgées de la
cohorte des 3 cités recrutées en fonction de leurs habitudes alimentaires.
Les faibles consommateurs en omega-3
étaient caractérisés par une consommation de poisson inférieure ou égale
à 2 fois/semaine et ne consommaient
jamais d’huile riche en oméga-3 ou de
compléments alimentaires enrichis en
oméga-3. Les consommateurs réguliers
étaient caractérisés par une consomma-
-111-
tion de poisson supérieure à 2 fois/semaine et le plus souvent d’huile enrichie
en oméga-3. Les questionnaires de fréquence alimentaire étaient confirmés
par des prélèvements sanguins, pour
mesurer les teneurs en acides gras dans
le sang.
Les données préliminaires confirment
bien que les consommateurs réguliers
ont plus d’oméga-3 dans le sang
que les faibles consommateurs et
moins d’oméga-6. En revanche, il
n’y a pas de différence marquée au
niveau des symptômes dépressifs
et cognitifs entre les deux groupes
de sujets. Il y a une inflammation
chronique de bas grade chez le sujet
âgé même chez le sujet âgé sain. On
parle d’ailleurs « d’inflammaging ».
Dans
notre
population,
cette
inflammation de bas grade n’est
pas affectée par la consommation
d’oméga-3. En revanche, on observe
que l’inflammation est associée à des
symptômes cognitifs et thymiques
moindres chez les consommateurs
réguliers en comparaison aux faibles
consommateurs. Cela signifie qu’une
consommation élevée en oméga-3
protégerait des effets psychotropes de
l’inflammation.
Un rôle dans l’amélioration de l’efficacité des
traitements de la dépression
Des données très récentes montrent
qu’une supplémentations nutritionnelle
en EPA a des effets protecteurs sur
la survenue d’un état dépressif lors
de l’administration thérapeutique
d’interféron-α (Su et al., 2014).
En outre, d’autres données indiquent que
l’obésité ou des pathologies associées à
l’activation de processus inflammatoires
(diabètes, maladie cardiovasculaires,
cancers) sont associées à une plus
grande prévalence de dépressions
résistantes, c’est-à-dire ne répondant
pas aux traitements antidépresseurs
conventionnels. Un objectif des études
en cours et à venir est de déterminer si
des stratégies nutritionnelles, modulant
notamment l’inflammation, peuvent
améliorer l’efficacité des traitements
antidépresseurs actuels.
DISCUSSION
Il me semble, qu’après la chirurgie bariatrique,
il y a une libération accrue de cytokines par le
tissu adipeux inflammatoire chez les obèses.
Est-ce que cela n’engendre pas un rebond
d’inflammation à bas bruit et de dépression ?
L. C. Effectivement, après la chirurgie,
on observe une augmentation de
certains marqueurs inflammatoires,
notamment du TNF, liée à la fonte du
tissu adipeux. C’est pourquoi les études
ont commencé au minimum trois
mois après la chirurgie lorsque le poids
commence à se stabiliser.
Il y a des éléments pour penser que la
stimulation électrique du nerf vague pourrait
également avoir des mécanismes protecteurs
de la dépression.
L. C. Effectivement la stimulation
du nerf vague peut améliorer la
symptomatologie dépressive mais les
-112-
mécanismes spécifiques impliqués dans
cet effet restent à préciser.
G. M. Nous émettons l’hypothèse que
le nerf vague cible l’hypothalamus qui
est un régulateur de l’anxiété et de la
dépression.
L. C. Toutes les études de neuro-imagerie
sur les dépressions montrent l’activation
d’un réseau cérébral complexe,
impliquant de nombreuses structures.
G. M. L’imagerie atteint très difficilement
l’hypothalamus. Mon hypothèse est qu’il
y a un rôle majeur de l’hypothalamus
avant de projeter sur les fonctions
corticales et du système limbique.
Est-ce que la kynurénine est stable dans le
plasma ?
L. C. La kynurénine est relativement
stable dans le plasma ou dans le sérum.
C’est l’un des marqueurs les plus
stables pour faire le lien inflammation
/ symptômes.
80 % des tumeurs solides expriment IDO.
C’est un mécanisme d’échappement à
l’immunité. Cela entraîne une chute de
tryptophane via la production de kynurénine.
Est-il possible d’accentuer cet effet chez les
patients en psychiatrie ?
L. C. Des équipes notamment américaines essaient actuellement de comprendre si les symptômes psychologiques associés au cancer n’impliquent
pas ce type de mécanisme.
Article 1
ω-3 fatty acid intakes are inversely
related to elevated depressive symptoms
among United States women
présenté par Mara GALMARINI
Les auteurs ont pour objectif d’évaluer
la consommation d’acides gras
oméga-3 ainsi que la relation oméga-3
/ oméga-6 sur les symptômes dépressifs
auto-déclarés.
Ils ont étudié une population de 1746
participants qui habitent la ville de
Baltimore aux Etats-Unis, composée
de 57 % de femmes avec un âge moyen
de 46 ans. La proportion d’AfroAméricains est la plus importante.
(67,7 %)
Les symptômes de dépression ont été
estimés à l’aide de l’échelle CES-D.
L’apport en acide gras oméga-3 et
oméga-6 a été estimé à l’aide de deux
rappels de 24 heures.
Ils ont pris en compte différentes
covariables (âge, genre, origine
ethnique, statut marital, niveau
d’éducation, indice de pauvreté, indice
de masse corporelle, fumeurs / nonfumeurs, consommation de drogue)
ainsi que des facteurs de confusion
(nutriments ayant un rôle dans les
symptômes dépressifs, tels que les
vitamines B, C et A, apport énergétique
total).
-113-
Les auteurs ont montré une différence
significative entre les pourcentages
de femmes (25,6 %) et d’hommes
(18,1 %) présentant des symptômes
de dépression significatifs. Ils n’ont
pas établi de relation significative avec
l’âge, l’origine ethnique, l’indice de
masse corporelle, et la consommation
de drogues. Par contre la pauvreté,
l’éducation et l’état civil ont présenté
une corrélation avec les symptômes
dépressifs. Les femmes célibataires
présentaient un niveau de symptômes
dépressifs plus élevé que les femmes
mariées. Les gens moins éduqués
avaient un niveau de dépression plus
élevé.
Les auteurs ont montré une
corrélation inverse significative entre
la consommation d’acides gras et
le niveau de symptômes dépressifs
significatifs.
L’apport en acide linoléique et acide
α-linolénique n’est satisfaisant que
dans moins de 50 % de la population
sauf pour l’acide linoléique chez les
hommes qui dépasse les 59 %. L’apport
de DHA + EPA pour la prévention des
dépressions majeures n’est adéquat
que chez 5 à 17 % des femmes et 6 à
13 % des hommes
Les résultats confirment l’hypothèse
d’un effet protecteur des oméga-3
contre les symptômes dépressifs,
notamment chez les femmes. La
causalité inverse ne peut pas être
exclue, mais il est plus probable que
des concentrations réduites d’oméga-3
puissent contribuer aux symptômes de
la dépression que l’inverse. Ces résultats
conduisent à la nécessité de définir des
recommandations nutritionnelles aux
Etats-Unis, particulièrement pour le
DHA et l’ EPA, étant donné leur fort
impact sur les symptômes dépressifs.
DISCUSSION
M. GALMARINI : Est-ce-que les participants
savent qu’ils remplissent un questionnaire
pour évaluer la dépression ?
L. CAPURON En général, on indique aux
patients qu’ils doivent répondre à des
questions sur leur humeur..
Il me semble que le rappel de 24 heures est
mal adapté à la problématique des oméga-3
parce le DHA et l’EPA proviennent de la
consommation de poisson qui est souvent bi
ou tri-hebdomadaire. Il aurait fallu doser le
DHA dans les érythrocytes, mais c’est un peu
plus cher et un peu plus compliqué.
L. C. Oui, sur un sous-groupe au moins
pour valider ce type de mesure.
Est-ce-que les femmes n’ont pas tendance à
davantage formuler leur coté dépressif que
les hommes dans les auto-questionnaires ?
L. C.En général, la prévalence de la
dépression est supérieure chez les
femmes par rapport aux hommes.
L. CAPURON : Est-ce que tu n’as pas
remarqué un problème dans la sélection des
sujets ?
Les sujets sont au minimum en
surpoids. C’est un biais de sélection.
-114-
GABAa présentent 3 sous unités α, ᵦ et
ᵧ et les récepteurs GABAb présentent 2
sous-unités : GABA B1 et GABA B2.
Article 2
Ingestion of Lactobacillus strain
regulated emotional behavior and
central GABA receptor expression in a
mouse via the vagus nerve
présenté par Mathilde GUERVILLE
Cet article publié dans PNAS en 2011
traite de l’ingestion d’un probiotique
qui pourrait réguler le comportement
émotionnel et l’expression du récepteur
GABA au niveau central chez la souris.
Le microbiote est composé de plus de
1013 bactéries et il remplit de nombreux
rôles physiologiques notamment dans
l’immunité, la barrière intestinale ou
l’absorption de nutriments.
Il a été montré que ce microbiote
pouvait interagir avec le système
nerveux central puisque l’introduction
de bactéries pathogènes dans le
microbiote peut entraîner des
comportements
d’anxiété
chez
le rat. Et de la même manière un
stress chronique peut induire une
modification du microbiote via
l’axe corticotrope. On parle d’axe
microbiote-intestin-cerveau qui a une
communication bidirectionnelle, du
microbiote jusqu’au système nerveux
central, et du système nerveux central
jusqu’au microbiote.
Le
principal
neurotransmetteur
inhibiteur est le GABA, qui peut se
fixer à plusieurs récepteurs : GABAa,
GABAb et GABAc. Les récepteurs
Les récepteurs GABAa et GABAb
sont les plus représentés dans le
système nerveux central et des
traitements antidépresseurs, comme
les benzodiazépines, agissent au niveau
du récepteur GABAa pour traiter
la dépression. D’autres traitements
antidépresseurs agissent sur le
récepteur GABAb.
Les probiotiques sont des microorganismes vivants qui, lorsqu’ils sont
ingérés en quantité suffisante, exercent
des effets positifs sur la santé. Il a été
montré que ces probiotiques ont des
effets bénéfiques notamment lors
de désordres intestinaux et peuvent
diminuer des comportements liés à
l’anxiété chez l’animal.
Les objectifs des auteurs étaient de savoir,
chez l’animal sain, si le probiotique
Lactobacillus Rhamnosus JB-1 peut
affecter le système GABAergique, et
si l’administration de ce probiotique
peut affecter les comportements liés
à ce système GABAergique comme le
stress, l’anxiété ou la dépression. Les
auteurs ont voulu savoir si ces effets
sont médiés par le nerf vague.
Le groupe JB-1 a reçu pendant 28 jours
un gavage quotidien de probiotiques.
10 rats de ce groupe et 10 du groupe
contrôle ont subi une vagotomie
chirurgicale.
-115-
L’hybridation in situ a permis de
mesurer la quantité d’ARN messager
des récepteurs GABAergiques dans
plusieurs régions cérébrales impliquées
dans l’anxiété et la dépression.
Ils ont également fait une série de tests
comportementaux pour, d’une part,
estimer les conséquences fonctionnelles
d’une altération de la transmission de
GABA et pour, d’autre part, estimer
l’anxiété. (Elevated Plus Maze, mesure
de l’hyperthermie induite par le
stress, Open field, méthode de peur
conditionnée pour évaluer la mémoire
liée à l’émotion, test de nage forcée).
Les auteurs n’ont pas vu d’effet de
l’ingestion de probiotiques au niveau
de l’hyperthermie induite par le stress
mais, par contre, ils ont vu un effet
sur le labyrinthe Elevated Plus Maze
(augmentation du nombre d’entrées
dans les bras ouverts). On peut
donc conclure à une diminution de
l’anxiété chez les animaux ayant été
supplémentés par les probiotiques.
Les tests comportementaux ont
permis de conclure que l’ingestion de
probiotiques pourrait avoir un effet
anxiolytique mais qu’elle n’aurait pas
d’effet sur la mémoire.
Les auteurs ont observé une diminution
de la corticostéronémie induite par le
stress chez les animaux supplémentés
en probiotiques.
Ils ont montré une augmentation de
l’expression de récepteur GABA B1b
au niveau du cortex prélimbique. Ils
ont pu en conclure que l’ingestion
de ce probiotique était bénéfique en
situation de stress, ce qui coïncide avec
les résultats des tests comportementaux
obtenus auparavant. Dans l’amygdale,
ils ont montré une diminution
du récepteur GABA B1b et ont pu
en conclure que l’ingestion de ce
probiotique induit un effet bénéfique
sur la mémoire et sur la dépression,
ce qui ne coïncide pas forcément avec
ce qu’ils avaient obtenu sur les tests
comportementaux puisque, dans les
expériences de peur conditionnée,
ils n’avaient pas montré d’effet sur la
mémoire.
Les auteurs ont montré une diminution
de l’expression du récepteur GABA
Aα2 et ont conclu que l’ingestion de
ce lactobacillus induit un avantage en
situation de stress.
Chez les animaux ayant subi une
vagotomie, on ne retrouve pas l’effet
anxiolytique et l’effet antidépresseur.
Les auteurs en concluent que l’effet
anxiolytique et antidépresseur qu’ils
avaient observé pourrait s’effectuer via
le nerf vague.
La vagotomie supprime l’augmentation
observée de GABA Aα2 et GABA
Aα1 dans l’amygdale et les auteurs
concluent que la vagotomie supprime
l’effet anxiolytique de l’ingestion du
probiotique.
-116-
En conclusion, l’ingestion de ce
lactobacillus pourrait moduler le
système GABAergique et pourrait avoir
des effets bénéfiques pour le traitement
de désordres psychologiques. Elle
diminuerait
les
comportements
d’anxiété et de dépression chez
l’animal. Les auteurs soulignent
également que les probiotiques ont des
effets souches-dépendants puisqu’un
autre lactobacillus ne semble pas avoir
d’effet sur le système nerveux entérique.
Enfin, ils concluent que le nerf vague
semble être le lien de communication
entre le cerveau et le microbiote.
DISCUSSION
G. M. Il est très difficile de couper le
nerf vague chez la souris par chirurgie.
On peut facilement couper la branche
hépatique du nerf vague mais les autres
branches sont diffuses.
La capsaïcine ne permet pas de tout
désactiver non plus chez la souris.
Personnellement je suis convaincu
qu’on peut moduler les comportements
de l’anxiété et de dépression à partir de
signaux médiés par le nerf vague.
J. F. Chez le rat, une vagotomie entraîne
des perturbations digestives. Une
section du nerf vague se traduit par
une inflammation locale qui donne un
effet de stimulation.
Est-ce-que les auteurs expliquent pourquoi
ils ont pris L. Rhamnosus JB-1 ?
M. GUERVILLE Il me semble que c’est
parce qu’ils avaient montré des effets
sur l’inflammation.
Jean FIORAMONTI : C’est l’éternel
problème des tests sur probiotiques.
C’est facile de montrer un effet.
Commentaire
G. MITHIEUX L’auteur de l’article est
dans le «track-1 » de PNAS : c’est un
membre de l’académie des sciences
qui communique son papier devant
l’académie des sciences sans être
reviewé.
Est-ce qu’il existe des données qui montrent
les conséquences de la vagotomie sur
l’expression des récepteurs GABA B et sur le
microbiote ?
-117-
Article 3
comportements de type dépressif et sur
les voies de signalisation du circuit de la
récompense.
Diet-induced obesity promotes
depressive-like behavior that is
associated with neural adaptations in
brain reward circuitry
présenté par Frédéric TANTOT
L’article publié en 2013 dans
International Journal of Obesity traite
de l’effet de régimes obésogènes sur les
comportements de type dépressif en
association à des adaptations au niveau
du circuit de la récompense.
La motivation à consommer des
aliments palatables va solliciter
le circuit de la récompense qui
est très souvent résumé par des
projections dopaminergiques entre
l’aire tegmentale ventrale et le noyau
accumbens. Le surpoids et l’obésité
entrainent des altérations de ce circuit
de la récompense.
Wang et al. ont montré une diminution
de la disponibilité des récepteurs D2
dans le striatum chez les sujets obèses.
Les
neurones
dopaminergiques
libèrent de la dopamine qui va se
fixer sur un récepteur et entrainer
toute une cascade moléculaire qui
implique en particulier DARPP-32,
le BDNF, pCREB. La modulation de
BDNF et pCREB a des effets sur les
comportements de type dépressif.
Les auteurs de cet article se sont posé
la question de l’effet d’un régime
hypercalorique palatable sur les
Des souris ont été exposées soit à
un régime hyper-lipidique (60 % de
lipides), soit à un régime pauvre en
graisses (10 %). Les auteurs ont étudié
les comportements de type anxieux et
dépressif, la réponse au stress ainsi que
les voies de signalisation du circuit de la
récompense.
Les animaux qui avaient le choix ont
très largement consommé le régime
hyper-lipidique qui est donc nettement
plus palatable que l’autre. Cela s’est
traduit par une augmentation de
l’apport énergétique chez les souris
qui sont soumises à ce régime hyperlipidique et une augmentation du poids
significative.
Les auteurs concluent que le régime
hyper-lipidique semble augmenter les
comportements de type anxieux et les
comportements de type dépressif.
Au niveau basal les auteurs ont
observé une augmentation du taux de
corticostérone circulante. Chez les souris
soumis à un stress de contention, la
libération de corticostérone explose chez
les animaux soumis au régime hyperlipidique. Les auteurs concluent que
le régime hyper-lipidique dérégulerait
l’axe du stress et entraînerait une hyper
réactivité au stress chez ces animaux.
pCREB est un facteur de transcription
et BDNF est un facteur neurotrophique
-118-
qui intervient dans les phénomènes
de croissance et de différenciation
neuronale. Chez les animaux soumis
au régime hyper-lipidique, on observe
une augmentation de ces deux
molécules dans certaines régions du
circuit de la récompense, comme le
noyau accumbens mais également
l’aire tegmentale ventrale et le striatum
dorsal.
de type anxieux et des comportements
de type dépressif, des altérations au
niveau du circuit de la récompense,
notamment une augmentation du
BDNF et de pCREB.
La TH (tyrosine hydroxylase) est une
enzyme qui intervient dans la synthèse
de la dopamine.
L. CAPURON Tu as comparé le fait que les
auteurs montrent une augmentation du
récepteur D2 alors que l’étude de Wang
montre une diminution. Est-ce-que tu ne
penses pas que c’est lié tout simplement au
fait que l’étude ne repose pas sur un modèle
d’obésité ?
Les auteurs observent une diminution
de cette enzyme, ce qui pourrait en fait
se traduire par une diminution de la
synthèse de la dopamine, ce qui irait
dans le sens d’une baisse de l’anhédonie,
qui est une des caractéristiques de la
dépression.
Dans le noyau accumbens, les auteurs
ont trouvé une augmentation de la
concentration des récepteurs D2, ce
qui est contradictoire avec les résultats
de Wang et al. présentés ci-dessus. Les
auteurs expliquent cette différence
par le fait qu’ils ont fait un dosage de
protéines total.
Les auteurs ont trouvé une corrélation
positive entre la concentration de
BDNF, la concentration de pCREB
et l’immobilité dans le test de la nage
forcée.
En conclusion, les auteurs ont montré
que le régime hyperlipidique entraîne
une augmentation des comportements
Les auteurs n’ont pas fait d’étude
causale mais uniquement des études
corrélatives.
DISCUSSION
F. TANTOT Je ne vois pas pourquoi un
contexte d’exposition à un régime
hyperlipidique conduirait à une
augmentation qu’on ne retrouve pas
dans un contexte d’obésité.
L. C. Les études d’imagerie de Wang
concernent des sujets obèses avec une
obésité déjà bien installée. Est-ce-que
c’est la même chose lorsque l’obésité
s’installe ? On ne peut pas comparer
les deux situations. Le modèle et les
conditions sont différents.
On se demande si cette dérégulation
du système dopaminergique n’est
pas tout simplement un signe
d’installation de l’obésité, plutôt que
d’être liée aux symptômes dépressifs
ou anxieux. Une hypothèse est que
l’obésité s’installe parce qu’il y a
déjà au départ une vulnérabilité du
-119-
système dopaminergique. Le résultat
obtenu ici peut être en lien avec l’état
d’obésité qui s’installe ou refléter une
vulnérabilité à l’obésité plutôt qu’une
symptomatologie
anxio-dépressive
particulière parce qu’on ne sait pas le
lien de causalité entre les deux.
F. T. Stice dit justement qu’on a une diminution
de l’expression des D2 : les animaux vont être
moins sensibles aux aliments palatables et,
pour compenser cette perte de plaisir, ils vont
surconsommer.
L. C. Les travaux de Stice montrent
effectivement que, chez les individus
obèses, à qui l’on montre des images de
nourriture palatable il y a une activation
du striatum. En revanche, lorsque
ces individus obèses consomment
cette nourriture, Stice montre une
désactivation de ces mêmes régions par
rapport à des sujets non obèses. Donc,
finalement, le fait de consommer n’est
pas renforçant. Alors que l’anticipation
l’est beaucoup plus.
Chez la souris ou chez le rongeur, si on avait
utilisé par exemple de l’oléate au lieu de la
palmitate, est-ce qu’on aurait les mêmes
effets ?
F. T. C’est justement un des points
soulevés par les auteurs dans la
conclusion. Il faudrait regarder l’effet
d’un changement de la composition en
lipides.
Article 4
Omega-3 fatty acids in the prevention of
interferon-α-induced depression: results
from a randomized, controlled trial
présenté par Célia FOURRIER
Cet article rapporte une étude clinique
qui a cherché à étudier les effets d’une
supplémentation en oméga-3 dans la
prévention d’une dépression induite
par l’interféron α.
L’interféron α est une glycoprotéine
de la famille des cytokines qui est
produite par les cellules du système
immunitaire et qui va donc entrainer
des processus inflammatoires. Elle a
un rôle dans la défense de l’organisme
contre les pathogènes. La thérapie par
l’interféron α est utilisée lors d’une
infection par le virus de l’hépatite C.
Chez les patients qui sont traités par
l’interféron α on retrouve des effets
secondaires majeurs et notamment des
altérations neuropsychiatriques. On
retrouve également chez plus de 30 %
des patients une dépression qui est
diagnostiquée cliniquement suivant
les critères du DSM-IV. Ces effets
secondaires peuvent entrainer chez
certains patients l’arrêt de la thérapie.
Pour essayer de contrer ces effets
secondaires, certaines études ont
administré, avant l’interféron α, des
antidépresseurs tels que des inhibiteurs
sélectifs de la recapture de la sérotonine
mais les résultats sont variables. Les
antidépresseurs entraînent également
-120-
chez ces patients des effets secondaires
comme des hémorragies gastrointestinales, une toxicité hépatique ou
une diminution du taux de plaquettes.
Cela montre qu’il y a une nécessité de
développer des stratégies alternatives
pour la prévention induite par l’INFα.
Une des alternatives auxquelles
les auteurs ont pensé est une
supplémentation en oméga-3, qui sont
des composés nutritionnels essentiels
qui ne sont pas synthétisés de novo. On
trouve ces oméga-3 dans des poissons
gras ou dans des huiles végétales,
l’huile de colza par exemple ou l’huile
de noix.
Les auteurs ont voulu savoir
quels étaient les effets d’une
supplémentation de 2 semaines en
acides gras polyinsaturés de la famille
des oméga-3 (EPA et DHA) dans la
prévention d’une dépression induite
par l’interféron α.
Les
patients
ont
reçu
une
supplémentation pendant 2 semaines
avant le début de la thérapie soit d’EPA,
soit de DHA, soit un placebo, puis ils
ont reçu la thérapie par l’interféron α.
Des évaluations neuropsychiatriques
ont été faites au tout début de l’étude
avant le début de la supplémentation,
à la fin de la supplémentation, puis au
cours de la thérapie.
On observe que le traitement
prophylactique par l’EPA diminue
le risque de dépression induite par
l’interféron α comparé au traitement
placebo, mais cette différence n’est pas
observée entre le DHA et le placebo.
L’étude montre que l’EPA et le DHA
retardent l’apparition d’une dépression
induite par l’interféron α.
En ce qui concerne les scores aux
deux tests qui évaluent les symptômes
neuropsychiatriques et neurovégétatifs,
il n’y a pas de différence significative
entre la supplémentation en DHA, en
EPA comparé au placébo.
Après 2 semaines de supplémentation,
les groupes supplémentés en EPA et
DHA présentent un taux de DHA
augmenté dans les érythrocytes. Cela
peut être expliqué par le fait que
l’EPA va ensuite être métabolisé dans
l’organisme en DHA. Donc, si on
supplémente en EPA, on augmente le
taux d’EPA mais aussi celui de DHA.
Les auteurs concluent qu’une stratégie
nutritionnelle visant à augmenter le
taux d’AGPI n-3 dans l’organisme
pourrait avoir des effets préventifs sur
le développement d’une dépression,
notamment en situation inflammatoire,
comme chez les patients HCV-positifs
traités par de l’IFNα.
DISCUSSION
Commentaire
L. CAPURON La nouveauté dans cette
étude est qu’il s’agit d’une prévention
ciblée chez des sujets à risque et qui
ne sont pas déjà dépressifs. Jusqu’à
présent, les études s’attachaient à
-121-
étudier le rôle des oméga-3 sur une
dépression établie.
Les auteurs ont choisi l’interféron α mais
ils auraient pu prendre un autre modèle.
Ainsi, ce même groupe a démarré une
étude sur la dépression post-partum
pour voir si de telles supplémentations
peuvent diminuer l’occurrence de la
dépression post-partum.
Dans cette étude, le groupe contrôle
pose en effet problème car il reçoit
15 % d’acide linoléique et ce n’est peutêtre pas anodin.
Qu’est-ce que veut dire une courbe de survie ?
Ici la survie signifie « sans épisode
dépressif majeur ».
Comment mesure-t-on ces scores
neuropsychiatriques ?
L. C. L’échelle HAMD (ou échelle
d’Hamilton de dépression) est une
échelle qui permet de mesurer
l’intensité des symptômes dépressifs.
L’échelle de neurotoxicité NTRS est une
échelle qui va mesurer les symptômes
généraux : symptômes neurovégétatifs,
neuropsychologiques.
C. FOURRIER A la fin de l’étude, les scores ont
plutôt tendance à diminuer alors que c’est à
ce moment-là qu’on atteint 30 % de patients
dépressifs.
L. C. Parce qu’il s’agit là de la
neurotoxicité justement (qui apparaît
de manière très précoce), et non de
dépression.
Quelle dose d’EPA reçoivent les sujets ?
C. F. Ils reçoivent 3,5g par jour d’EPA et
1,75g par jour de DHA.
Ce sont des doses énormes donc des
doses vraiment thérapeutiques. Est-ce
que les auteurs émettent des hypothèses
de mécanisme pour cet effet de l’EPA ?
C. F. La demie vie du DHA est de 773
jours et j’ai pensé que le DHA allait
sûrement rester dans l’organisme
pendant une durée supérieure à deux
semaines et que l’effet perdurait peut
être après la fin de la supplémentation.
Intervenante : Je pense que cette énorme
dose de DHA qu’ils donnent pendant
2 semaines ne va pas forcément
s’incorporer en totalité dans le
cerveau. Je ne suis pas sure que l’effet
puisse perdurer très longtemps. L’EPA
est plutôt un anti-inflammatoire
périphérique et il n’a pas besoin d’être
incorporé dans les structures cérébrales
L. C. Cet article est très récent et les pistes
mécanistiques sont très peu soulevées.
Ce n’est pas l’interféron lui-même
qui induit la dépression. L’interféron
induit la synthèse des cytokines, active
l’axe corticotrope ce qui donne lieu à
d’autres modifications neurochimiques
Cette activation du réseau de cytokine
se fait dès la première administration
de l’interféron α. Chez des patients qui
reçoivent de fortes doses d’interféron
par voie intraveineuse, on est en mesure
de distinguer les patients qui vont
développer une dépression de ceux
-122-
qui n’en développent pas. Les patients
qui vont développer une dépression
présentent une réponse 3 ou 4 fois plus
importante de l’axe corticotrope. Il y a
des études notamment aux Etats-Unis
qui administrent des tests de stress à
ces patients dès le départ de façon à
cibler les traitements antidépresseurs.
A l’heure actuelle, il y a toujours un
certain nombre de patients qui ne
répond pas à ces traitements. On
cherche donc des stratégies beaucoup
plus acceptables et notamment
nutritionnelles et qui permettraient de
cibler l’ensemble des patients à risque.
Intervenante Du coup, le traitement de
2 semaines à 3g/jour d’EPA empêche
cette élévation précoce brutale.
Est-ce qu’il n’y a pas un effet un peu
anxiogène quand on dit à des gens qu’on va
les suivre pour des études de dépression au
début du protocole ?
L. C. Les gens qui reçoivent ce type de
traitement savent qu’il y a un risque de
dépression. Au contraire, ça les rassure
d’être suivis durant le traitement, donc
il n’y a pas de problème en général
d’adhésion à ce type d’étude sur la base
d’effets anxiogènes.
Si l’explication de la différence entre EPA
et DHA est un effet anti-inflammatoire,
pourquoi est-ce qu’on n’essaye pas de traiter
les gens avec des anti-inflammatoires ?
L. C. Il y a deux réponses. Chez les
patients qui présentent des affections
somatiques, c’est délicat d’administrer
des anti-inflammatoires étant donné
qu’on donne un traitement pour
booster la réponse immunitaire. Par
contre, dans d’autres populations, on
utilise maintenant de plus en plus de
traitements anti-TNF. L’étanercept,
par exemple, qui est utilisé pour le
traitement de l’arthrite rhumatoïde
ou du psoriasis, traite également la
dépression.
-123-
Lucile Capuron, INRA, UMR Nutrition et neurobiologie intégrée, Bordeaux
Articles analysés
> Article 1 : présenté par Mara GALMARINI, Centre des Sciences du Goût et de
l’Alimentation, Dijon
ω-3 fatty acid intakes are inversely related to elevated depressive symptoms among
United States women, Beydoun et al., The Journal of Nutrition, 143: 1743-1752, 2013
> Article 2 : présenté par Mathilde GUERVILLE, Alimentation, adaptations
digestives, nerveuses et comportementales, Rennes
Ingestion of Lactobacillus strain regulated emotional behavior and central GABA
receptor expression in a mouse via the vagus nerve, Bravo et al., PNAS, vol. 108, no.
38, 16050-16055, 2011
> Article 3 : présenté par Frédéric TANTOT, Nutrition et neurobiologie intégrée,
Bordeaux
Diet-induced obesity promotes depressive-like behavior that is associated with neural
adaptations in brain reward circuitry, Sharma and Fulton, International Journal of
Obesity, 37, 382-389, 2013
> Article 4 : présenté par Célia FOURRIER, Nutrition et neurobiologie intégrée,
Bordeaux
Omega-3 fatty acids in the prevention of interferon-α-induced depression: results from
a randomized, controlled trial, Su et al., Biol Psychiatry, vol. 76, no. 7, 559-566, 2014
-124-
6
Session 6
Isabelle est une chercheuse du département AlimH. Elle travaille
à l’INRA de Jouy-en-Josas dans un laboratoire du département
Phase (Physiologie Animale et Systèmes d’Elevage) intitulé
« neurobiologie de l’olfaction ». Monique Lavialle, qui était alors
directrice à Jouy de l’unité NuRéLiCe (nutrition et régulation
lipidique des fonctions cérébrales) dans lequel travaillait
Isabelle, était venue, lors de l’école d’été de juillet 2005, nous
parler des acides gras polyinsaturés et des performances
cérébrales ; j’avais trouvé cela extraordinaire. Aujourd’hui,
Isabelle va nous parler des oméga-3 (ω3) et de leurs actions
possibles sur le stress et le vieillissement.
Implication des ω3 dans la physiologie cérébrale : rôle
possible dans la prévention des altérations liées au stress
et au vieillissement.
Isabelle Denis
Introduction
Avant de commencer ma présentation,
je tenais à vous dire à quel point
c’est important d’apprendre, et j’ai
beaucoup appris au cours des cinq
sessions précédentes. Humainement,
j’ai pris plaisir à rencontrer tous ces
jeunes qui sont passionnés et intéressés
par notre métier. A eux de prendre le
relais. Je dois dire que cette expérience
est aussi gastronomiquement très
intéressante.
Je vais maintenant essayer de faire le
point, de la façon la plus scientifique
possible, sur les mythes et réalités des
ω3. Depuis près de deux décennies, le
marketing s’est emparé de ces acides
gras polyinsaturés qui, d’après les
médias, seraient la solution à tous
nos maux. Pourtant, en matière de
recherche, beaucoup reste à faire, car
les avancées ont été minimes. Dans un
premier temps, je vous dirai en quoi les
ω3 constituent un enjeu nutritionnel.
Puis, je vous ferai un rapide historique
-125-
sur l’histoire des ω3 et du cerveau.
Enfin, je vous présenterai les résultats
que nous avons obtenus au cours d’un
projet que nous venons de terminer et
qui a duré quatre ans.
Les ω3: un enjeu nutritionnel
Qu’est-ce qu’un ω3 ?
Les ω3 sont des acides gras polyinsaturés,
ce qui signifie qu’ils ont au moins deux
doubles liaisons (insaturations) dans
leur chaîne carbonée. On distingue
(schéma 1) deux familles qui diffèrent
par la position de la première double
liaison sur la chaîne carbonée : sur
le troisième carbone (à partir de
l’extrémité méthyle) pour les ω3 et
sur le sixième carbone pour les ω6.
L’Homme, comme la plupart des
animaux, ne possède pas les enzymes
permettant la formation de doubles
liaisons sur ces positions et doit donc
trouver les chefs de file (ou précurseurs)
des deux familles (l’acide α-linolénique
(LNA) pour la famille des ω3 et l’acide
linoléique (LA) pour la famille des ω6)
dans leur alimentation via les huiles
végétales. Or, toutes les huiles végétales
n’ont pas la même composition. Les
huiles de consommation massive,
comme l’huile de tournesol ou l’huile
d’arachide, sont riches en ω6, tandis
que les huiles de consommation plus
restreinte, comme l’huile de colza
ou l’huile de noix, sont riches en ω3.
Une fois ingérés, les précurseurs sont
métabolisés dans le foie des animaux,
qu’il s’agisse des mammifères ou des
poissons. Ils subissent alors une série
d’élongations et de désaturations, ce
Schéma 1
-126-
qui conduit à une augmentation de la
longueur de la chaîne carbonée et du
nombre d’insaturations de ces acides
gras. Les dérivés les plus importants
sont
l’acide
docosahexaénoique,
ou DHA, pour la série ω3 et l’acide
arachidonique, ou AA, pour la série
ω6. Ces composés à longue chaîne
(respectivement 22 carbones et 6
insaturations pour le DHA, 20 carbones
et 4 insaturations pour l’AA) sont
ensuite incorporés dans les membranes
de toutes les cellules de l’organisme au
niveau des phospholipides.
Les enzymes qui conduisent à la
production de ces deux constituants
membranaires (les élongases et les
désaturases) sont les mêmes pour
les deux séries. Cela signifie que les
quantités de DHA et d’AA produites
dépendent du niveau des apports en
précurseurs de chaque série.
La problématique nutritionnelle dans les
pays occidentaux.
La quantité d’AA dans l’ensemble
des tissus animaux est beaucoup plus
importante que celle du DHA. Comme
les huiles de consommation massive
sont riches en ω6, les besoins en AA des
êtres humains sont largement couverts.
En revanche, une augmentation trop
importante de la consommation d’ω6
par rapport à celle d’ω3 risque de mettre
en péril la production de DHA. De
nombreuses études menées dans les pays
européens, les États-Unis ou l’Australie
ont montré que l’alimentation humaine
est déséquilibrée en faveur des ω6.
L’évolution des apports de ces deux
acides gras au cours des dernières
décennies (schéma 2) montre une
augmentation de la concentration
du précurseur ω6 (LA) dans le lait
de femmes (teneur représentative de
Schéma 2
-127-
la consommation en LA), alors que
celle du précurseur ω3 (LNA) est
restée constante. Aujourd’hui, dans les
populations occidentales, le ratio ω6/
ω3 est compris entre 10 et 15, alors
qu’une production correcte de DHA
nécessite un ratio aux environs de
4. Le déséquilibre de ces apports est
essentiellement lié à l’industrialisation
de l’alimentation. Nous pourrons en
reparler lors de la discussion.
Ω3 et cerveau
Le ratio ω6/ω3 conditionne la
fourniture de DHA aux différents
tissus de l’organisme, et en particulier
au cerveau. Ce dernier est l’organe le
plus riche en DHA. Les membranes
des cellules cérébrales sont même les
seules à avoir un peu plus de DHA que
d’AA (schéma 3). Pour que les teneurs
en DHA soient optimales au niveau
des structures cérébrales, je vous ai dit
que le ratio ω6/ω3 doit être voisin de
Schéma 3
4. Lorsque l’apport en ω6 est en excès,
la production de DHA à partir des
précurseurs de la série ω3 diminue.
La production du DHA à partir du
LNA est naturellement faible, de 0,1 à
5 % en fonction de l’âge et du sexe. Le
rendement est plus élevé chez la femme
et plus faible chez les personnes âgées.
Le seul apport direct possible en DHA
provient des produits de la mer et, en
particulier, du poisson. Or, une partie
de la population ne consomme pas ou
peu de poisson.
Les expérimentations sur les modèles
animaux, dès les années 80, ont
montré que, chez des rats soumis à une
alimentation apportant des ω6 mais
dépourvue d’ω3 (apport en lipides =
huile d’arachide ou de tournesol), le
taux de DHA diminue de moitié dans
les structures cérébrales par rapport
à celui de rats ayant reçu un régime
équilibré (lipides = huile de colza),
lorsque la carence est induite dès la
gestation. Chez les rats carencés en
ω3, le DHA est remplacé par un autre
acide gras polyinsaturé : le DPA ou
acide docosapentaénoique. Ce dernier
possède, comme le DHA, 22 carbones,
mais c’est un ω6 et il a une double
liaison en moins. Pour faire face à la
carence en ω3 l’organisme essaie donc
de produire un acide gras à plus longue
chaîne à partir des acides gras dont il
dispose, c’est-à-dire des ω6. Cette perte
d’une double liaison n’est pas sans
conséquences sur le fonctionnement de
l’organisme et notamment du cerveau.
-128-
Chez l’homme, des mesures chez
des jeunes bébés décédés de mort
subite confirment la réduction de
la teneur cérébrale en DHA lorsque
l’alimentation est déficiente en ω3
(laits artificiels pauvres en ω3). Cette
diminution de la teneur en DHA
reste plus limitée dans le cerveau que
dans les autres tissus, ce qui indique
que le maintien de la teneur en DHA
dans le cerveau est une priorité pour
l’organisme. Chez l’adulte, les données
proviennent
essentiellement
du
laboratoire de Stanley Rapoport aux
États-Unis. Il a d’abord montré, chez le
rat adulte, un taux de renouvellement
quotidien du DHA et de l’AA de
l’ordre de 5 à 8 %. Une carence en ω3
de quatre mois chez des rats adultes
entraîne une diminution du DHA
plasmatique de 90 % et du DHA
cérébral de 37 %. Chez l’homme, il a
estimé que le turn-over cérébral est
de 4 à 5 mg de DHA par jour et de 18
mg pour l’AA. Ce renouvellement est
largement assuré au quotidien si on
suit les recommandations actuelles de
l’ANSES. Ces recommandations sont
cependant difficiles à suivre puisqu’un
apport en EPA (20:5n-3) et en DHA
de 500 mg par jour correspond à
une consommation de poisson deux
à trois fois par semaine, et qu’une
consommation de LNA (18:3n-3) de
2,2 g par jour correspond à une grosse
cuillérée à soupe d’huile de colza ou
de noix, huiles qui restent trop peu
consommées en France.
Actions cellulaires du DHA et de l’AA
Ces deux acides gras sont des constituants
des phospholipides membranaires.
Leur présence et leur taux déterminent
certaines propriétés des membranes. Le
DHA est l’acide gras le plus insaturé.
Grâce au nombre important de ses
doubles liaisons, il peut adopter une
multitude de conformations et se
trouve en perpétuel mouvement,
contrairement aux acides gras saturés.
Sa mobilité permanente facilite les
changements de conformation des
protéines présentes dans la membrane,
qu’il s’agisse des canaux ou des
récepteurs. L’autre action de ces acides
gras est due à leur aptitude à être des
molécules signal. Une fois libérés des
membranes par les phospholipases
A2 (PLA2), ils peuvent jouer euxmêmes un rôle de signal ou donner
naissance à une multitude de dérivés
sous l’action des cyclo-oxygénases
(Cox), des lipo-oxygénases (Lox) et du
cytochrome P450. Par oxydation non
enzymatique, l’AA peut aussi donner
naissance à des isoprostanes et le
DHA à des neuroprostanes. La plupart
de ces molécules sont extrêmement
réactives et certaines ont une demi-vie
extrêmement courte. On connaît très
mal l’action de tous ces dérivés dans les
différents tissus. Dans de nombreuses
revues, il est souvent écrit que les dérivés
de l’AA sont plutôt pro-inflammatoires
et que ceux du DHA sont plutôt antiinflammatoires.
Ces
affirmations
doivent être nuancées, car les effets de
-129-
ces dérivés sont encore très mal connus.
Il semble qu’effectivement les résolvines
issues des ω3 ont un rôle actif dans la
résolution des épisodes inflammatoires
et que les neuroprotectines aient des
effets bénéfiques sur les processus
cérébraux. Le DHA, l’AA et certains
de leurs dérivés impactent également
le fonctionnement cellulaire par
activation des facteurs de transcription
PPAR.
Si les actions possibles des ω3 sont
encore mal connues, on sait que ces
molécules sont au cœur des processus
cellulaires et qu’elles interviennent
dans la signalisation et sur l’activité des
récepteurs et des transporteurs.
hyperactivité (ADHD). Les premières
études cliniques d’intervention chez
l’homme datent de la fin des années
2000. Certaines suggèrent un effet
bénéfique des apports en ω3 sur le déclin
cognitif associé au vieillissement et sur
le risque d’apparition des démences et
de la dépression. Cependant, dans leur
ensemble, les études chez l’Homme
restent impuissantes à démontrer
l’implication réelle des apports en
ω3 dans ces pathologies ou dans
le vieillissement, et à expliquer leur
mode d’action.
Je vais vous présenter les conséquences
cognitives d’un défaut d’apport en ω3
chez le rongeur dans trois domaines :
La diminution des capacités d’apprentissage
et de mémorisation
Petite histoire sur les liens entre les
ω3 et le cerveau
Les premières expérimentations sur les
liens entre ω3 et cerveau ont été menées
chez le rongeur à partir des années 80.
Elles ont montré qu’une carence en ω3
réduisait la teneur cérébrale en DHA et
altérait les capacités de mémorisation et
d’apprentissage. Au début des années
90, elles ont montré que cette carence
agissait aussi sur le comportement
émotionnel et sur la sensibilité au stress.
Les études d’observation chez l’homme
se sont multipliées au début des années
2000. Elles ont mis en évidence une
relation entre les ω3 et différentes
neuro-psycho-pathologies comme la
maladie d’Alzheimer, la dépression, la
schizophrénie, la maladie de Parkinson,
les troubles déficitaires de l’attention avec
Il faut garder à l’esprit que les fortes
carences en ω3 que l’on impose
aux animaux n’ont rien à voir avec
l’insuffisance des apports en ω3 que
l’on peut estimer chez l’homme. Les
rongeurs chez qui on a provoqué une
chute de 50 à 80 % du DHA cérébral,
montrent une augmentation du temps
d’apprentissage et du nombre d’erreurs
dans la plupart des tests mesurant
leurs capacités mnésiques. On observe
également une diminution de la
plasticité cognitive : un animal carencé
s’adapte moins bien à un changement
de consignes qu’un animal équilibré en
ω3. Plusieurs tests de comportement
et d’apprentissage ont été utilisés,
comme le labyrinthe spatial de Barnes
ou la piscine de Moris. Ils reposent
-130-
sur la reconnaissance spatiale, la
discrimination olfactive ou visuelle
et le conditionnement. Si chaque test
présente des défauts, ils rejoignent la
même conclusion : une carence en ω3
entraîne une diminution des capacités
d’apprentissage et de mémorisation.
L’hyperactivité locomotrice
Les ω3 agissent aussi sur l’émotivité.
Un animal carencé présente une
activité locomotrice plus élevée. Dans
mon laboratoire, nous avons beaucoup
travaillé avec des hamsters. Chez
ces animaux, il est facile de mesurer
l’activité locomotrice en continu en
enregistrant leur activité spontanée
dans une roue. Un jeune hamster
carencé en ω3 fait deux fois plus
de tours de roue qu’un animal non
carencé au cours de sa journée. Les
animaux âgés sont moins représentatifs
car ils sont plus fatigués, moins vifs et
moins rapides. Nous avons retrouvé
cette hyperactivité en utilisant des
tests mesurant l’activité induite, sur
une plus courte durée, chez des rats
carencés en ω3.
L’altération de l’émotivité et, en particulier,
l’augmentation de la sensibilité au stress
Les animaux carencés en ω3 sont
généralement plus impulsifs, plus
nerveux. Les animaliers reconnaissent
assez systématiquement un animal
carencé à son comportement. Nous
avons, par exemple, mesuré l’intensité
du sursaut de rats, carencés ou
non, provoqué par un son de 120
dB. Le sursaut des rats carencés est
significativement plus important
que celui des animaux équilibrés.
Nous avons aussi étudié la réponse
des animaux à un stress chronique
(contention de 6 heures par jour
pendant 3 semaines). Ce protocole
induit une augmentation du temps de
toilettage des animaux, observé dans
le dispositif « openfield », traduisant
la fébrilité du rongeur « stressé ».
Chez les animaux non stressés, il n’y
a pas de différence dans le temps de
toilettage entre les animaux carencés
et les animaux équilibrés. Par contre,
l’augmentation du temps de toilettage
induite par le stress est plus élevée
chez les animaux carencés que chez les
animaux équilibrés.
Projet Neuromega-3
Premiers résultats obtenus chez le rat
Ce projet qui a mobilisé des équipes
de différents organismes (Inra,
Inserm, Cnrs, Unilever) s’est déroulé
sur quatre ans (2010-2014). Nous
avions pour objectif d’étudier le rôle
neuroprotecteur des ω3 vis-à-vis du
stress et du vieillissement. En effet,
plusieurs études suggèrent que le stress
accentue certaines caractéristiques du
vieillissement.
Protocole d’étude
Nous avons donné à des rats Wistar un de
ces trois régimes : un régime carencé en
ω3, un régime équilibré en précurseurs
ω3 et ω6 ou un régime supplémenté en
ω3 à longue chaîne (huile de poisson).
-131-
Les rats ont ensuite été soumis, vers l’âge
de six mois, à un stress de contention
de six heures par jour pendant cinq
semaines, puis d’une semaine par mois
jusqu’à la fin de leur vie.
Composition lipidique des membranes du cortex
Chez les animaux carencés, on observe
(schéma 4) une chute de la teneur cérébrale en ω3 qui correspond essentiellement à une chute du DHA. Cette
chute est compensée par la production
de DPA, un acide gras de la série ω6
qui, rappelons-le, possède le même
nombre de carbone que le DHA et une
double liaison de moins. Les animaux
équilibrés ont transformé le précurseur
LNA en DHA et les membranes de leur
cerveau ont été correctement approvisionnées. Chez les animaux supplémentés en huile de poisson, la teneur
en DHA est légèrement augmentée par
rapport aux rats équilibrés.
Impact des ω3 sur le stress
Les seuls paramètres sur lesquels nous
avons mis en évidence un effet du stress
sont le poids corporel, la corticostérone
plasmatique, le temps de toilettage et le
temps d’exploration en openfield.
Dès que l’on commence à stresser les rats,
vers l’âge de six mois, les animaux qui
ont reçu un régime carencé ou un régime
équilibré réduisent leur consommation
alimentaire, ce qui entraîne une
baisse de leur poids corporel. Chez
les animaux supplémentés, le stress
n’entraîne pas de diminution de la
consommation alimentaire ni du
poids corporel. Chez les animaux
supplémentés, l’augmentation de la
corticostérone plasmatique induite par
le stress est atténuée comparativement
aux animaux équilibrés ou carencés.
L’augmentation du temps de toilettage
(mesuré dans l’Openfield) induite par
le stress est plus importante chez les
rats carencés que chez les rats équilibrés
ou supplémentés. La diminution du
Schéma 4
-132-
temps d’exploration (dans l’Openfield)
induite par le stress chez les rats
carencés et équilibrés est abolie chez les
rats supplémentés.
Nous avons donc montré que la carence
en ω3 aggrave certaines réponses au
stress et qu’une supplémentation en ω3
à longue chaîne atténue ces réponses.
Nous savons peu de choses sur
les mécanismes impliqués. Il est
probable que l’axe HPA joue un rôle
puisqu’on observe des modulations
de la corticostérone plasmatique.
Concernant la physiologie cérébrale,
nous n’avons pas observé, au niveau
de
l’hippocampe,
d’altération
caractérisée ni sur la neurotransmission
glutamatergique, ni sur les récepteurs
GR (dont l’expression peut être
modulée par l’activation de l’axe HPA),
ni sur la plasticité synaptique, ni sur les
régulations astrocytaires.
vé aucun effet. Quelques effets positifs, mais surtout l’absence d’effet des
ω3 se retrouvent également dans les
études d’intervention. Les méta-analyses réalisées ces derniers temps ne permettent pas non plus de conclure. Elles
suggèrent un possible rôle préventif des
ω3 sur le déclin cognitif, mais ciblé sur
des caractéristiques individuelles différentes selon les méta-analyses. On peut
se demander pourquoi des études qui
ont été menées avec rigueur sur des cohortes importantes aboutissent à des résultats contradictoires ? Plusieurs biais
permettent d’expliquer les limites des
études chez l’homme.
Ω3 et vieillissement chez l’homme :
l’impasse actuelle
Le premier biais est celui des facteurs
confondants. Les ω3 proviennent
essentiellement de la consommation
des poissons. Or, celle-ci est étroitement
associée à un régime sain ; les personnes
qui mangent le plus de poisson sont
aussi celles qui ont un apport plus élevé
en vitamines et en fruits et légumes. Ces
personnes ont aussi un niveau socioculturel et des performances cognitives
plus élevés et un mode de vie plus
favorable à la santé. Il faut noter que le
principal facteur protecteur vis-à-vis du
déclin cognitif est le niveau d’études.
Chez l’homme, les études ont commencé dans les années 90. Les premières
étaient des études d’observation. Si
plusieurs d’entre elles, menées dans des
pays différents, avec des cohortes différentes, ont conclu à un impact positif
des ω3 sur la diminution du risque de
la maladie d’Alzheimer et sur le ralentissement du déclin cognitif au cours
du vieillissement, d’autres n’ont trou-
Le deuxième biais est celui des limites
des études nutritionnelles par rapport à
une démarche clinique. Dans les études
nutritionnelles, le témoin 0 n’existe
pas, puisque tout le monde consomme
des ω3. On ne peut mesurer qu’une
différence de niveau d’apports. De plus,
les apports en ω3 sont plus difficiles
à estimer que beaucoup d’autres
nutriments et, comme pour la plupart
Tout ce que l’on peut dire à partir de
ces données c’est que les ω3 atténuent
la sensibilité au stress, ce qui pourrait
contribuer à ralentir le vieillissement
cérébral.
-133-
des nutriments, les effets attendus d’une
insuffisance modérée sont de faible
amplitude.
Le troisième biais est celui des
limites des évaluations cognitives.
Les variations individuelles sont
extrêmement fortes au cours du
déclin cognitif, et plus on vieillit plus
les variations entre les personnes sont
fortes. Il existe aussi des interactions
entre performances cognitives et
émotivité, et les ω3 interviennent aussi
sur le stress et la dépression.
La quatrième limite est due à la
méconnaissance du rôle des ω3 sur les
processus physiologiques cérébraux.
Dans les études sur les ω3, il est
important de connaître aussi les apports
en ω6. En effet, le statut nutritionnel est
très différent entre, par exemple, une
personne qui ne mange pas de poisson
et utilise de l’huile de colza et une
personne qui consomme de grandes
quantités d’huile d’arachide. On ne
connaît toujours pas précisément les
cibles cognitives spécifiques des ω3, ni
leur rôle lors d’une exposition au stress.
Toutes ces remarques m’incitent à
penser qu’il est peut-être illusoire de
vouloir démontrer l’intérêt des ω3 sur
le vieillissement et le déclin cognitif
chez l’homme. Aujourd’hui, les études
expérimentales restent indispensables.
Beaucoup de pistes, de modèles,
de modes de supplémentation, de
paramètres ont été évalués. Nous
avons maintenant besoin d’études
mécanistiques intégrées dans une
même approche. C’est ce que nous
avons essayé de faire au cours de ces
quatre dernières années au laboratoire.
Je vais maintenant vous présenter les
principaux résultats que nous avons
obtenus.
Ω3 et vieillissement chez le rat
Dès la gestation, nous avons soumis
nos rats Wistar à l’un des trois
régimes : carencés en ω3, équilibrés
en précurseurs ω3 (LNA)/ ω6 (LA)
ou supplémentés en huile de poisson.
Nous avons étudié l’effet de ces régimes
sur des rats âgés de six mois (adultes
jeunes) et de 23-24 mois (rats âgés,
car les rats Wistar survivent rarement
au-delà de 24-25 mois). Sur ce même
modèle, nos collègues du CNRS à
Orsay (P.Gisquet, UMR 8620) se sont
intéressés aux capacités cognitives via
un test d’apprentissage. Nos collègues
de l’INSERM de Paris (B.Potier
& JM Billard, U894) ont étudié
l’activité synaptique par des mesures
d’électrophysiologie. Au laboratoire,
nous nous sommes attachés aux
fonctions cellulaires synaptiques.
Compositions en AGPI des phospholipides
cérébraux
Le schéma 5 montre que :
z
chez les animaux équilibrés en
précurseurs, on observe une légère
diminution significative du DHA
d’environ 15 % chez les rats âgés
par rapport aux sujets jeunes.
L’acide arachidonique (AA) ne subit
pas de baisse significative avec le
vieillissement.
-134-
Schéma 5
zchez les animaux carencés, on a,
comme prévu, une chute importante
du DHA cérébral, qui est plus
marquée chez les jeunes que chez les
vieux. Cette chute est compensée par
une augmentation du DPA.
zchez les animaux supplémentés en
huile de thon, on observe une légère
élévation du taux de DHA (vs rats
équilibrés). La supplémentation
en DHA permet de plus d’éviter la
diminution du DHA associée au
vieillissement, observée chez les rats
équilibrés. En résumé, on peut dire :
1) qu’une carence en ω3 réduit le
DHA cérébral de 60 % ; 2) qu’une
supplémentation en huile de poisson
prévient la diminution de 15 % du
DHA cérébral lié au vieillissement.
Apprentissage spatial : labyrinthe de Barnes
Le labyrinthe de Barnes est plus adapté
aux animaux âgés que la piscine de
Morris, car il est plus facile pour eux de
se déplacer en marchant qu’en nageant
(les rats Wistar âgés peuvent devenir
très gros et peser jusqu’à un kilo). Les
rats n’aimant pas la lumière, ils doivent
trouver pour s’y réfugier une petite
cachette située sur une plate-forme très
éclairée. Nous avons montré que les
performances d’apprentissage des rats
âgés sont inférieures à celles des rats
jeunes, que la différence jeunes/vieux
est plus marquée chez les rats carencés
et qu’elle n’est plus significative chez
les rats supplémentés. Les capacités
d’apprentissage des rats âgés carencés
-135-
Efficacité et plasticité de la synapse
glutamatergique
synaptique libère du glutamate auquel
le neurone post-synaptique réagit en
émettant des potentiels excitateurs.
Dans la zone CA1 de l’hippocampe, la
plasticité de cette synapse, qui peut être
potentialisée (LTP) ou au contraire
déprimée (LTD) à long terme, est
identifiée comme un des supports de la
mémorisation spatiale.
La synapse glutamatergique dans
l’hippocampe est impliquée dans
la mémorisation spatiale et est
profondément altérée au cours du
vieillissement. L’hippocampe est l’une
des premières structures à s’altérer au
cours du vieillissement. Une synapse
implique la rencontre entre deux
neurones (schéma 6) : le neurone pré-
Une partie de l’activité synaptique est
contrôlée par des régulations astrocytaires qui interviennent, notamment,
dans la capture du glutamate libéré.
L’accumulation de glutamate est neurotoxique. C’est d’ailleurs l’un des processus qui favorisent le vieillissement et
la mort neuronale dans cette région du
cerveau au cours du vieillissement.
est significativement plus faible que
celle des rats âgés supplémentés.
En résumé, la carence en ω3 aggrave
l’altération de la mémoire spatiale au
cours du vieillissement et la supplémentation en huile de thon la prévient.
Schéma 6
-136-
L’astrocyte est une cellule qui possède
des prolongements extrêmement
mobiles. Ces derniers peuvent entourer
la synapse et exercer des régulations
très précises ou, au contraire, se
rétracter de la synapse libérant un peu
d’espace autour de celle-ci. Nous nous
sommes intéressés aux astrocytes car
le dialogue astrocytes/neurones joue
un rôle extrêmement important dans
la plasticité synaptique. La présence
astrocytaire joue en particulier un rôle
dans la consolidation des synapses.
Cette plasticité morphologique de
l’astrocyte, qui participe à la plasticité
synaptique, est altérée au cours du
vieillissement.
L’efficacité synaptique
Par des mesures d’électrophysiologie,
nos collègues de l’Inserm ont
montré que la carence en ω3 aggrave
l’altération de l’efficacité synaptique
associée au vieillissement et que la
supplémentation en huile de poisson
prévient cette altération et améliore
l’efficacité
synaptique
chez
le
jeune. La PPF est une autre mesure
électrophysiologique qui renseigne
sur la partie pré-synaptique de la
neurotransmission : plus la PPF est
élevée, plus la libération pré-synaptique
de glutamate est faible. En d’autres
termes, plus d’une synapse est efficace,
Schéma 7
-137-
plus la PPF est faible. Le schéma 7
montre une légère augmentation de
la PPF chez les rats âgés par rapport
aux rats jeunes. L’augmentation n’est
pas significative chez les animaux
équilibrés, mais elle l’est chez les
animaux carencés. Cela signifie que la
carence en ω3 aggrave l’altération de la
libération pré-synaptique du glutamate
au cours du vieillissement. On observe
aussi que la supplémentation en huile
de poisson augmente cette libération
pré-synaptique, aussi bien chez les
jeunes que chez les rats âgés.
Plasticité synaptique : potentialisation à
long terme (LTP)
Nous avons montré que chez le rat âgé
supplémenté, l’amplitude de la LTP
est augmentée de façon significative
par rapport à celle des animaux
âgés équilibrés. La supplémentation
en huile de poisson semble donc
favoriser la plasticité synaptique qui
est en lien direct avec le processus de
mémorisation.
L’astrogliose
Avec le vieillissement, les astrocytes
perdent leur phénotype régulateur
et s’hypertrophient. Les photos cidessous illustrent la zone C1 de
l’hippocampe. Chez les rats âgés, les
prolongements des astrocytes sont
plus épais, plus nombreux et plus
tortueux que ceux des rats jeunes.
L’astrogliose peut être mesurée
par des western-blot du marqueur
principal de ces prolongements : la
GFAP (glial fibrillary acidic protein).
L’augmentation caractéristique de
l’astrogliose chez les animaux âgés est
encore renforcée chez les animaux
âgés déficients. Cet accroissement
de l’astrogliose s’accompagne d’une
légère augmentation du nombre
des astrocytes. Le schéma 8 montre
clairement que la carence en ω3 aggrave
l’astrogliose liée au vieillissement et
que la supplémentation en huile de
poisson prévient son apparition.
Régulations astrocytaires
Grâce à des expériences menées ex vivo,
nous avons montré une diminution
de la capacité de capture astrocytaire
du glutamate d’environ 30 % chez
les rats âgés comparativement aux
rats jeunes. Cette diminution est plus
marquée chez les rats carencés. Ces
résultats confirment que la carence en
ω3 aggrave le vieillissement y compris
au niveau des régulations astrocytaires.
Photos
Résumé
Le schéma 9 résume les principaux
résultats obtenus dans le cadre du
projet Neuromega-3. Le vieillissement
altère les capacités d’apprentissage
-138-
Schéma 8
Schéma 9
-139-
spatial, agit sur les synapses, en
particulier sur la libération présynaptique du glutamate, mais aussi
sur l’efficacité synaptique globale. Il
n’y a pas d’effet sur la potentialisation
à long terme (LTP) chez le rat âgé. La
déficience en ω3 aggrave l’ensemble
de ces paramètres. A contrario, la
supplémentation en huile de poisson
préserve les capacités cognitives au
niveau de l’apprentissage spatial,
améliore la libération pré-synaptique
du glutamate, potentialise l’efficacité
synaptique, améliore la LTP chez les
animaux âgés et abolit les altérations
astrocytaires qui accompagnent le
vieillissement.
Faute de temps, je ne vous présenterai
pas les résultats que nous avons obtenus
sur les astrocytes en culture in vitro.
Sachez cependant que l’on retrouve
les effets du DHA sur les astrocytes :
il augmente le couplage jonctionnel et
favorise la plasticité morphologique, ce
qui va dans le sens d’une plus grande
efficacité du réseau astrocytaire.
Conclusion
Chez le rat, les altérations de la
neurotransmission glutamatergique
dans l’hippocampe et de sa plasticité
sont modulées par le statut en ω3.
Les deux cibles des ω3 sont, d’une
part, la libération pré-synaptique du
neurotransmetteur et, d’autre part, les
astrocytes.
Schéma 10
-140-
D’après nos études chez le rat,
une extrapolation pour des études
chez l’homme devrait concerner la
mémorisation hippocampique, c’està-dire la mémoire de travail (à court
terme), et les événements qui favorisent
l’astrogliose, une des cibles premières
des ω3 (neuro-inflammation, stress...).
Le schéma 10 propose des pistes
complémentaires et des perspectives
de recherche.
Discussion
Il me semble que le caractère essentiel des
gras polyinsaturés a été démontré au début
des années 60. L’augmentation importante
de la consommation des ω6 aux ÉtatsUnis s’explique en grande partie par les
recommandations qui étaient faites pour
prévenir les risques cardio-vasculaires et
la cholestérolémie. Elles préconisaient de
diminuer les apports en acides gras saturés
et d’augmenter ceux en acides gras insaturés.
Or, dans ce pays, on consomme surtout de
l’huile de tournesol et de l’huile de soja, deux
huiles riches en ω6. On ne s’intéressait pas
encore aux ω3.
I.D. Je suis d’accord, mais il y a aussi
d’autres facteurs liés à l’agriculture
productiviste. Par exemple, lorsqu’une
vache est nourrie à l’herbe, sa viande
contient naturellement des ω3. Si elle
est nourrie avec des tourteaux de soja,
sa viande et son lait ne contiennent
quasiment plus d’ω3. De même, si
on nourrit une poule non plus avec
du blé mais avec du maïs, les œufs
qu’elle produit sont riches en ω6 et ne
contiennent plus que très peu d’ω3.
De plus, les industriels ont surtout
sélectionné les huiles riches en ω6,
qui étaient les premiers acides gras
polyinsaturés à avoir été découverts.
Mais ils l’ont aussi fait pour des raisons
technologiques. En effet, une huile
riche en ω6 se conserve beaucoup
mieux et s’oxyde beaucoup moins que
les huiles riches en ω3, qui possèdent
une double liaison supplémentaire.
C’est à cause de leur fragilité à
l’oxydation que les huiles riches en
ω3 sont réservées à l’assaisonnement.
Lorsqu’on les chauffe, elles dégagent
une odeur désagréable de poisson.
Je suis surpris quand tu dis que la contention
ne stresse pas les animaux. Si je me souviens
bien, la contention durait plusieurs heures
et pendant plusieurs semaines. Peut-être les
animaux ont-ils fini par s’habituer ?
I.D. C’est une question que l’on peut
se poser et, comme toi, je pense que
les animaux se sont probablement
habitués au stress. Nous avons réalisé
un stress chronique classique sur
cinq semaines car nous voulions que
cette série de stress ait un impact sur
le vieillissement. Contrairement à ce
que d’autres équipes ont observé, nous
n’avons pas vu d’effets cognitifs de ce
stress à long terme.
-141-
Article 1
Exposure to a maternal n-3 fatty acid
deficient diet during brain development
provokes excessive hypothalamicpituitary-adrenal axis responses to stress
and behavioral indices of depression and
anxiety in male rat offspring later in life
présenté par Yoottana anthakhin
Introduction
Le cerveau est l’organe qui contient
le plus de DHA. Chez le rat, le DHA
s’accumule entre le sixième jour de la
période prénatale et le seizième jour
postnatal. Chez l’homme, il s’accumule
surtout pendant la période qui va du
troisième trimestre de la gestation à
deux ans. Certaines études ont montré
qu’une carence nutritionnelle en DHA
d’une rate en gestation était associée à un
risque plus élevé, pour sa descendance,
de développer des maladies chroniques,
comme l’hypertension, le diabète de
type II, certains cancers et des troubles
neuropsychiatriques. On sait aussi
que le stress maternel a un impact
important sur l’activité de l’axe HPA
des descendants. Or, cette activité est
régulée soit par le circuit GABAergique,
soit par un système de rétro-contrôle
négatif du glucocorticoïde.
Dans cette étude, les auteurs voulaient
savoir si une déficience en DHA pendant
la phase de développement du cerveau
des fœtus (gestation et lactation)
pouvait provoquer une dérégulation de
l’axe HPA des animaux arrivés à l’âge
adulte. Ils ont émis l’hypothèse que la
déficience en DHA hypothalamique
pendant le développement du cerveau
modulait l’expression d’une enzyme
qui intervient dans la production de
GABA : GAD 67. En altérant l’activité
de l’axe HPA, qui est régulé par le circuit
GABAergique, la déficience conduirait
ultérieurement à un comportement de
type anxieux et dépressif. Leur modèle
d’étude est décrit dans le schéma cidessous.
-142-
Résultats
Il n’y a pas de différence d’activité chez
les animaux en post-sevrage.
Taux de DHA hypothalamique
La déficience en DHA maternel
entraîne une diminution du taux de
DHA hypothalamique chez les petits
au moment du sevrage.
Poids de la descendance mâle
À l’âge de trois semaines, c’est-à-dire
au moment du sevrage, le poids des
petits est significativement diminué
dans le groupe prew-Def par rapport
au groupe prew-Adq. Il n’y a pas de
différence significative de poids chez
les animaux en post-sevrage, c’est-àdire à 10 semaines.
Comportement de type anxieux (évaluation
dans l’Elevated Plus Maze ou EPM)
Le temps passé dans les bras ouverts est
plus faible chez les animaux du groupe
prew-Def que chez ceux du groupe
prew-Adq. Il n’y a pas de différence
concernant le temps passé et le nombre
d’entrées dans les bras ouverts pour
les animaux en post-sevrage (groupes
postw-Def et postw-Adq).
Comportement de type dépressif
(évaluation par le test de nage forcée ou
FST)
Le temps passé à escalader est plus faible
chez les animaux du groupe prew-Def
par rapport à celui du groupe prewAdq. Par contre, le temps d’immobilité
est augmenté dans le premier groupe.
Le temps passé à nager est le même
dans les deux groupes en pré-sevrage.
Changements du taux de corticostérone
sérique après le stress de contention
Il n’y a pas de différence dans le taux
de cortisone sérique chez les animaux
en pré-sevrage au repos. Par contre,
après le stress de contention, le taux
augmente de manière significativement
plus élevée chez les animaux du groupe
prew-Def. Trente minutes après
le stress, le taux de corticostérone
revient à son niveau basal chez les
animaux prew-Adq, mais reste plus
élevé chez les animaux prew-Def. Les
changements du taux de corticostérone
sont sensiblement les mêmes chez les
animaux en post-sevrage.
Changements de l’expression de la protéine
hypothalamique GAD 67
Après le stress de contention,
l’expression de la protéine est plus
faible chez les animaux du groupe
prew-Def, alors qu’elle augmente chez
les animaux non déficients.
Effets de l’injection de bicuculline. La
bicuculline est un antagoniste du récepteur
GABA
Elle entraîne une augmentation de la
fréquence cardiaque, de la pression
sanguine et de la température
corporelle, plus importante chez les
animaux prew-Def par rapport aux
animaux prew-Adq et chez les animaux
postw-Def par rapport aux animaux
postw-Adq.
-143-
Conclusion
zLa déficience en DHA pendant la
période de pré-sevrage pourrait
induire des réponses excessives de
l’axe HPA au stress et augmenter des
comportements de type anxieux et
dépressif chez la descendance mâle à
l’âge adulte.
zL’effet d’une déficience en DHA
cérébral pendant le développement
du cerveau sur l’activité de l’axe HPA
pourrait impliquer un mécanisme
médié par le récepteur GABAa.
Discussion
I.D. Les auteurs ont montré qu’à 10 semaines
post-natal les rats carencés durant la
gestation/lactation avaient récupéré un
taux de DHA cérébral « normal ». Cette
récupération est très rapide puisqu’elle se
fait en 7 semaines. Cela peut s’expliquer
par le fait que les animaux reçoivent à
partir de l’âge de 3 semaines un régime
standard qui contient probablement des
quantités correctes en précurseurs oméga
3. Toutes les différences que les auteurs ont
montrées (stressabilité, axe corticotrope
vraisemblablement modifié…) ont donc été
obtenues avec des animaux qui possèdent la
même composition cérébrale en oméga 3 et
en oméga 6. Qu’en déduisez-vous ?
Y.J. Cela montre que la période
périnatale est une période critique.
C’est une période où les animaux sont
plus sensibles au stress.
l’axe corticotrope, peut être en relation
avec le GABA dans l’hypothalamus. Par
contre, quand les rats en post-sevrage
sont soumis au régime carencé, on
observe des différences à 10 semaines :
leur taux de DHA est significativement
diminué mais les effets sur l’axe HPA
ne sont pas observés.
Quels sont les points importants que l’on
doit retenir de cet article ?
I.D. Il montre que pour certains
paramètres, et en particulier pour le
stress, il existe des fenêtres très précises
où les oméga 3 ont un impact sur l’axe
HPA, peut-être via le GABA.
Y.J. On voit aussi que la maturation de
HPA est complète à l’adolescence.
Je travaille sur la programmation fœtale,
c’est pourquoi je suis étonnée que les auteurs
n’aient pas différencié le régime pendant
la gestation de celui durant la lactation. Il
peut se produire des effets de rattrapage de
certains paramètres pendant la lactation ; je
pense au poids par exemple. Or, les auteurs
n’ont mesuré le poids qu’à la naissance et à
la fin du sevrage.
I.D. C’est exact, mais l’article était déjà
assez compliqué. Cela aurait nécessité
de transférer des nouveaux-nés chez
des mères ayant reçu un autre régime
pour pouvoir différencier gestation
et lactation, ce qui est plus lourd
expérimentalement.
I.D. Oui. Cela signifie que c’est au cours
de la période périnatale que « quelque
chose » se met en place au niveau de
-144-
Article 2
Improved spatial learning performance
of fat-1 mice is associated with enhanced
neurogenesis and neuritogenesis by
docosahexaenoic acid
présenté par Julie Mazzocco
Introduction
Cet article a été publié en 2009 dans
PNAS par l’équipe de Kang. Il concerne
l’amélioration de l’apprentissage spatial
par des souris fat-1 qui est associé à
l’augmentation de la neurogenèse et de
la neuritogenèse par le DHA.
Je rappelle que le DHA est un acide
gras polyinsaturé à longue chaîne
de la famille des ω3 (22 : 6n-3). Il est
présent à de fortes concentrations
dans le système nerveux central, en
particulier au niveau des membranes
synaptosomales,
des
vésicules
synaptiques et de la rétine. Du fait du
grand nombre de doubles liaisons, il
a une mobilité moléculaire qui facilite
les changements de conformation des
protéines membranaires. Il intervient
donc dans la structure des membranes,
mais aussi dans la modulation
neurochimique et la régulation de
certains gènes.
Dans cet article, les auteurs s’intéressent
au gyrus dentelé, une zone de
l’hippocampe où a lieu la neurogenèse
et où se construit la mémoire. Leur
but est d’étudier l’effet du DHA sur la
neurogenèse et la neuritogenèse, in vivo
et in vitro, ainsi que sur l’apprentissage
spatial. Afin de s’affranchir des biais
qui accompagnent les régimes enrichis
en DHA ou les injections de DHA
chez la souris, ils utilisent des souris
transgéniques Fat-1 dont le gène, issu
du nématode Caenorhabditis elegans,
est capable de convertir les ω6 en ω3.
Résultats
La neurogenèse est plus importante dans
l’hippocampe des souris Fat-1 que dans celui
des souris témoins
Pour obtenir ce résultat, les auteurs
ont injecté à des souris âgées de 10 à
12 semaines, tous les jours et pendant
cinq jours, un nucléoside synthétique
analogue de la thymine, le BRDU. Ils
ont ensuite compté les cellules qui se
sont multipliées, c’est-à-dire celles qui
ont intégré le BRDU.
La neuritogenèse est plus importante dans
l’hippocampe des souris transgéniques que
dans celui des souris sauvages
Pour cela, les auteurs ont étudié la
densité des épines dendritiques des
neurones pyramidaux présents dans la
partie CA1 de l’hippocampe.
In vitro, le DHA promeut la croissance des
neurites, ainsi que la différenciation et la
prolifération des cellules neurales
Pour obtenir ces résultats, les
auteurs ont induit la différenciation
en neurones de cellules souches
embryonnaires, avec ou sans DHA, puis
ils ont regardé le nombre, la longueur
-145-
et la densité des neurites au niveau des
cellules et des corps embryonnaires.
Ils ont obtenu des résultats similaires
après immunomarquage des cellules
souches embryonnaires différenciées
en neurones. Ils ont aussi retrouvé
une prolifération neuronale plus
importante en présence de DHA en
utilisant le BRDU.
Les capacités d’apprentissage spatial sont
meilleures chez les souris Fat-1
Les tests comportementaux ont été
faits en piscine de Morris. Il s’agit d’un
bassin rond rempli d’eau trouble dans
laquelle on a placé une plate-forme
légèrement immergée et donc invisible.
L’expérience consiste à voir combien
de temps les souris mettent à trouver la
plate-forme pour pouvoir se reposer.
Grâce aux objets qui entourent la
piscine, les souris apprennent à se
repérer dans l’espace. Après cinq tests,
les auteurs observent que les souris
Fat-1qui ont été supplémentées en ω3
trouvent plus rapidement la plateforme
que les souris sauvages.
Conclusion
z Le DHA augmente la neurogenèse et
la neuritogenèse in vivo et in vitro.
z
le DHA pourrait améliorer les
capacités d’apprentissage spatial.
zUne supplémentation en DHA
pourrait avoir un rôle préventif et
curatif sur les lésions nerveuses et les
maladies neurodégénératives.
Discussion
Merci pour cette présentation très claire et
énergique. Qu’as-tu pensé de cet article ?
J.M. Je me suis posée plusieurs
questions. 1) Aurait-on obtenu les
mêmes résultats avec un régime
standard ? Le régime des deux groupes
de souris était très enrichi en ω6
(6,88 % d’ω6 contre 0,06 % d’ω3). Les
souris témoins étaient donc carencées
en ω3. Personnellement, j’aurais fait un
troisième groupe de souris à qui j’aurais
donné un régime équilibré en ω3. Je
trouve que malgré un enrichissement
cérébral en ω3 très différent, les effets
observés ne sont pas énormes. 2) Les
auteurs ne précisent pas dans l’article
quel âge avaient les souris lorsqu’ils
ont fait le profil lipidique. 3) De même,
ils ont fait des tests de RT-qPCR, mais
ils ne disent rien des contrôles qu’ils
ont dû faire, ni des résultats qu’ils ont
obtenus. Par contre, j’ai apprécié qu’ils
fassent tous leurs comptages et leurs
mesures en double aveugle. 4) Pour
moi, le test de la piscine de Morris n’est
pas pertinent. Certes, ils observent une
différence entre les deux groupes de
souris durant les cinq premiers essais,
mais que se passerait-il aux sixième et
septième essais ? Les souris sauvages
mettraient-elles moins de temps à
trouver la plate-forme ? Finiraient-elles
par égaler les souris Fat-1 ? 5) Après le
cinquième essai, les auteurs utilisent ce
qu’ils appellent le « probe test », c’està-dire qu’ils enlèvent la plate-forme.
Ils n’observent alors pas de différence
-146-
entre les souris sauvages et les souris
Fat-1 : elles passent le même temps
au même endroit. Je pense que, pour
être sûr du résultat, il aurait fallu faire
d’autres tests d’apprentissage comme
le labyrinthe à huit branches ou celui
de Barnes, la boîte de Skinner, ou des
tests de reconnaissance d’objets.
Je vais commencer par répondre à tes
questions.
I.D. Les tests comportementaux
d’apprentissage spatial sont toujours
basés sur un certain nombre d’essais.
Ces tests sont laborieux à faire et très
coûteux en temps. C’est la raison
pour laquelle, dès que l’on constate
que l’apprentissage est acquis, on
ne va pas au-delà. On considère que
cinq essais c’est correct. Je regrette
également que les auteurs n’aient pas
discuté les résultats qu’ils ont obtenus
avec le probe test, car il apporte une
donnée très intéressante. Avec le test
de la piscine, ils ont mesuré la capacité
à apprendre en cinq jours. Le probe
test réalisé 48 heures après la fin de
l’apprentissage permet de mesurer la
mémoire à plus long terme. Puisqu’ils
observent un effet sur l’apprentissage,
mais pas d’effet avec le probe test, cela
signifie que les souris Fat-1 apprennent
plus vite, mais qu’elles n’ont pas de
meilleures performances de mémoire à
long terme.
Concernant ta remarque sur le
profil lipidique, je pense que si tu
avais présenté les différences de
composition lipidique, tu aurais vu
que les différences entre les Fat-1 et les
témoins ne sont pas énormes : 14 %
de DHA pour les premières et 10 %
pour les souris carencées, ce qui est
raisonnable.
J.M. Il me semblait que 6 % d’ω6 par
rapport à 0,06 % d’ω3 constituait un
gros déséquilibre.
I.D. C’est ce que l’on fait quand on
carence nos animaux. On peut, peutêtre, critiquer leur façon de présenter,
mais n’oublions pas que c’était une des
premières manips qui utilisaient des
souris transgéniques pour comparer
des variations de la teneur cérébrale
en DHA en s’affranchissant des biais
associés aux régimes (la comparaison
porte sur deux groupes de souris ayant
reçu strictement le même régime).
Ce modèle transgénique comporte
également des biais et est maintenant
très critiqué.
J.M. Surtout quand on sait que les Fat-1
ne convertissent pas tous les ω6 en ω3.
Je trouve, cependant, que ce modèle
très intéressant ne permet pas de
conclure aussi directement qu’ils l’ont
fait. Je pense qu’il aurait été intéressant
de voir si on obtenait les mêmes
résultats avec des souris recevant un
régime enrichi en ω3.
I.D. Dans chacune de leurs conclusions,
les auteurs mentionnent « comme
d’autres l’ont déjà montré », ce qui
signifie que le niveau d’originalité
de l’article n’est pas très élevé. S’ils
-147-
n’avaient pas utilisé ce modèle original
de souris transgéniques, leur article
n’aurait sans doute jamais été publié
dans PNAS.
Pourquoi les auteurs ont-ils mesuré la
neuritogenèse au niveau de la zone CA1
de l’hippocampe, alors qu’ils ont regardé la
neurogenèse dans les gyrus denté ?
I.D. Le gyrus denté est le site de
la neurogenèse et les neurones
nouvellement formés deviennent des
inter-neurones. La zone CA1 est celle
où se réalisent les processus mnésiques.
Il est donc logique d’étudier la
neuritogenèse au niveau de cette zone.
Quelle critique majeure peut-on faire sur les
expériences qu’ils ont menées in vitro ?
I.D. Lorsqu’on observe un effet du
DHA sur des cellules cultivées in vitro,
on obtient de toute façon un effet
« acide gras ». C’est pourquoi, il faut
absolument faire un contrôle avec un
autre acide gras. Dans notre laboratoire,
nous avons trouvé rigoureusement
les mêmes effets trophiques et
métaboliques sur la formation des
neurites avec l’acide arachidonique
qu’avec le DHA. Une publication qui
ne traite que des effets du DHA in vitro
n’est pas un bon article.
Le modèle Fat-1 est-il bon, dans la mesure
où les souris transforment les ω6 en ω3 ?
G.M. Elles ne transforment pas tous les
ω6 en ω3, mais elles en transforment
beaucoup. Personnellement, je suis
assez dubitatif quant aux effets soidisant différents entre les ω6 et les ω3.
Je n’ai jamais vu de différences que ce
soit sur des mécanismes biochimiques,
cellulaires ou autres. En créant des
déséquilibres extrêmement drastiques,
on observe des différences qui me
semblent mineures.
I.D. Je reconnais que les ω6 et les
ω3 ont un grand nombre d’effets
communs, comme par exemple sur la
différenciation des cellules souches.
Cependant, nous avons obtenu des
différences très nettes entre le DHA et
l’acide arachidonique, en particulier sur
les astrocytes, la régulation synaptique
par l’astrocyte, le couplage par les
jonctions GAP, y compris en terme
d’activation de la signalisation calcique.
L’AA et le DHA ont en commun
notamment des effets métaboliques
et c’est la raison pour laquelle il faut
toujours pouvoir comparer les deux
dans un modèle pour distinguer un
éventuel effet propre des ω3.
Quand on utilise du DHA sur des cellules in
vitro, faut-il utiliser un vecteur ?
I.D. C’est une excellente question. Les
études des acides gras in vitro sont
toujours très compliquées. On met
généralement une dose excessive
d’acides gras et il faut les mettre sur
un support. Au laboratoire, on les
mélange à du sérum pour qu’ils se
fixent sur des protéines sériques et on
ajoute systématiquement de la vitamine
E afin de limiter les phénomènes de
peroxydation toxiques pour les cellules.
Dans un milieu de culture, le DHA est
une « bombe oxydative ». Quel que soit
-148-
le vecteur utilisé, l’addition d’acides gras
dans le milieu de culture place les cellules
dans une situation très artificielle.
Nous avons mis au point une méthode
alternative pour comparer les effets d’un
enrichissement en DHA ou en AA en
culture. Il s’agit de cultiver les cellules en
présence de sérum de rats carencés ou
supplémentés en ω3, en remplacement
du sérum de veau fœtal. Avec notre
modèle, nous obtenons des différences
de composition membranaire aussi
importantes que si l’on avait ajouté
du DHA dans le milieu, mais de façon
beaucoup plus physiologique pour
les cellules. Le plus compliqué c’est
d’obtenir du sérum de rat présentant de
façon stable une composition similaire
hormis les différences lipidiques, et ce
n’est pas simple.
Article 3
Docosahexaenoic acid signaling
modulates cell survival in experimental
ischemic stroke penumbra and initiates
long-term repair in young and aged rats
présenté par Fanny Lemarie
Introduction
L’article que je vais vous présenter a
été publié en 2012 dans Plos one par
l’équipe américaine de Bazan. Dans cet
article, les auteurs s’intéressent à l’effet
d’une injection de DHA consécutive
à un accident vasculaire cérébral
provoqué expérimentalement chez le
rat jeune et le rat âgé. Rappelons que les
AVC constituent la quatrième cause de
décès et la première cause de handicap
aux États-Unis. Le risque principal
de survenue d’un AVC est l’âge. Il
résulte soit de l’obstruction, soit de la
rupture d’un vaisseau sanguin, privant
le cerveau d’oxygène. Deux zones sont
particulièrement endommagées. La
première zone, dite de « dommages
irréversibles », subit une sévère
ischémie et ses cellules finissent par se
nécroser. La deuxième zone est appelée
« zone de pénombre ». Elle entoure
la zone de nécrose et peut survivre
à l’AVC si l’ischémie est supprimée
rapidement. Les auteurs s’intéressent
ici à la survie des cellules consécutive
à l’injection de DHA dans la zone de
pénombre.
La gravité d’un AVC dépend de
plusieurs facteurs et notamment
de la peroxydation des lipides qui
crée un stress oxydant. La sévérité
des dommages cérébraux peut
aussi être augmentée par la réponse
inflammatoire ou l’apparition d’un
œdème. Par contre, l’activation de
certaines voies métaboliques (AKTphosphorylation) permet aux cellules
de survivre. Les auteurs se basent
sur le fait que le DHA diminue
les séquelles physiques et réduit la
taille de l’infarctus, donc de la zone
endommagée et de l’œdème, après une
ischémie induite expérimentalement.
Ils avaient précédemment démontré,
-149-
mais uniquement chez le rat jeune,
que le DHA a un effet neuroprotecteur
car il agit sur la phosphorylation des
protéines AKT.
Dans cet article, les auteurs se sont
donnés pour objectifs : 1) d’explorer
les effets bénéfiques du DHA chez le
sujet jeune, mais surtout chez le sujet
âgé, après une ischémie ; 2) de définir
les mécanismes qui permettent au
DHA de rétablir les signaux en cascade
qui conduisent à la survie cellulaire ;
3) de comprendre l’influence de l’âge
sur les mécanismes de neuroprotection
liée au DHA.
Rappels succincts
Lors d’une ischémie cérébrale, on
observe la formation de radicaux
libres qui endommagent les cellules,
ainsi qu’un relargage de calcium qui
active l’enzyme PLA2. Celle-ci clive le
DHA et l’acide arachidonique, ce qui
entraîne une réaction inflammatoire
et augmente les dommages cellulaires.
Le DHA permet aussi l’internalisation
de la protéine AKT qui peut alors
être phosphorylée et conduire à la
phosphorylation de la protéine GSK
puis à celle de la protéine S6. Cette
voie permet la survie cellulaire et
l’activation du métabolisme.
Le DHA agit aussi sur la
neuroprotectine D1, ou NPD1. Celle-ci
a été précédemment mise en évidence
par l’équipe de Bazan. Il semble que
NPD1 soit un métabolite du DHA et
qu’elle intervienne, notamment, dans
la neuroprotection durant les stress
oxydants. Elle interviendrait aussi
dans la synthèse de BCL2 qui est un
facteur anti-apoptotique. L’inhibition
de l’apoptose se produit également
au niveau de la rétine. Enfin, on
observe un rétrocontrôle de NFκb,
qui est un facteur pro-inflammatoire,
et une inhibition de facteurs proapoptotiques.
Matériels et méthodes
Une ischémie expérimentale réalisée
sous anesthésie est pratiquée chez des
rats jeunes (3-4 mois) et des rats âgés
(15-17 mois). La circulation sanguine
est rétablie au bout de deux heures et les
fonctions neurologiques sont évaluées.
Seuls les animaux qui présentent un
déficit neurologique sont conservés
pour la suite des expériences. Une
heure après le rétablissement de la
circulation sanguine, on injecte du
DHA ou du NPD1 ou une solution
saline (contrôle négatif). Les fonctions
neurologiques sont évaluées au bout de
1, 2, 3 et 7 jours. Une partie des rats est
sacrifiée après 4 heures et 24 heures afin
d’analyser les 3 protéines qui ont été
phosphorylées (AKT, GSK, pS6). Des
coupes de cerveau sont ensuite utilisées
pour les études d’histopathologie.
Trois bio-marqueurs spécifiques sont
utilisés : GFAP pour l’observation
des astrocytes, Cd68/ED-1 pour celle
des macrophages et des microglies, et
NeuN pour les neurones. Les auteurs
dosent aussi la neuroprotectine D1.
-150-
Résultats
Effets bénéfiques du DHA chez les rats jeunes
et âgés après une ischémie
L’injection de DHA ou celle de
NPD1améliore la récupération des
capacités neurologiques chez le rat
jeune mais aussi, ce qui est assez
surprenant, chez le rat âgé. De même,
l’injection de DHA diminue de 73 %
le volume de l’infarctus (c’est-à-dire
la taille de la zone lésée) dans la zone
corticale du rat jeune et de 39 % celui
de la zone subcorticale. Chez le rat
âgé, l’amélioration est encore plus
impressionnante, puisqu’on observe la
disparition des dommages dans la zone
corticale après l’injection de DHA ou
de NPD1. Dans la zone subcorticale,
les lésions ont également beaucoup
diminué.
L’injection de DHA entraîne le
maintien du nombre d’astrocytes
et une diminution de l’infiltration
des microglies chez le sujet jeune.
Elle conduit à une augmentation
des mécanismes de réparation et de
survie neuronale et à une diminution
inflammation.
Chez le rat jeune, ils observent, une
augmentation de la phosphorylation
en position 473 et 308 4 heures après
l’injection de DHA, mais pas 24 heures
après l’ischémie. Ils notent, sans le
discuter, que la phosphorylation d’AKT
est également augmentée chez les rats
contrôles. Par ailleurs, ils trouvent
que la phosphorylation de GSK est
augmentée 24 heures après l’injection
de DHA ; pourtant la phosphorylation
de la protéine S6, située en aval de
GSK, est déjà phosphorylée quatre
heures après l’injection. Ce résultat
surprenant n’est pas non plus discuté
dans l’article ; peut-être l’a-t-il été dans
une précédente publication.
Chez le rat âgé, il n’y a pas d’augmentation de la phosphorylation d’AKT 4
heures après l’injection de DHA ou de
NPD1 en position 308. Par contre, la
phosphorylation de la protéine S6 est
augmentée assez nettement. On peut se
demander pourquoi cette protéine est
phosphorylée dans la mesure où celles
qui sont censées l’activer ne le sont pas.
Il existe peut-être une autre voie métabolique, mais les auteurs n’en parlent
pas. Par ailleurs, ils ont observé que la
quantité de NPD1 produite augmente
fortement chez les rats âgés 4 heures
après l’injection de DHA.
Mécanismes permettant au DHA de rétablir
les signaux en cascade qui conduisent à la
survie cellulaire chez le rat jeune ou âgé
Conclusion
Grâce à des western Blot réalisés sur
différentes parties du cerveau, les
auteurs mettent en évidence deux sites
de phosphorylation sur la protéine
AKT.
zAprès une ischémie expérimentale,
l’administration de DHA induit le
rétablissement des cellules de la zone
de pénombre et active les processus
de réparation des neurones et des
-151-
astrocytes chez le rat jeune comme
chez le rat âgé.
zChez de sujets jeunes, le DHA
agit en activant la voie AKT dès 4
heures après le début de l’ischémie.
Après 24 heures, il n’a plus d’effet
sur la phosphorylation d’AKT. On
observe aussi une augmentation de
la phosphorylation de GSK et de la
protéine S6.
z
Chez le rat contrôle, seule la
phosphorylation
d’AKT
est
augmentée, mais la protéine n’a pas
une activité prolongée.
zChez le sujet âgé, le DHA agit sur la
phosphorylation de la protéine S6.
La voie AKT pourrait être perturbée
chez les rats âgés puisque, chez eux,
on n’observe pas d’augmentation de
la phosphorylation des protéines AKT
et GSK.
zLe rat âgé a toujours la capacité de
synthétiser NPD1, protéine qui joue
un rôle dans la neuroprotection et la
survie cellulaire. L’administration de
DHA augmente cette synthèse.
zAvec l’âge, les risques de séquelles en
cas d’ischémie sont plus élevés. Cette
augmentation pourrait être davantage
liée à un déficit en DHA-NPD1 qu’à
l’âge lui-même.
Discussion
Qu’as-tu pensé de cet article ?
F.L. C’est une étude intéressante et
assez complète. Les auteurs présentent
beaucoup
d’analyses
protéiques,
histologiques et comportementales qui
leur ont permis d’obtenir de nombreux
résultats. Le fait qu’ils utilisent des rats
âgés était novateur, puisque toutes
les études qui s’intéressaient à l’effet
du DHA suite à un AVC avaient été
réalisées chez le rat jeune. Pourtant,
on sait que l’âge est le principal
facteur de l’AVC. Par contre, j’ai noté
un certain nombre d’imprécisions, et
même parfois un manque de clarté,
d’hypothèses et d’explications pour
cette publication qui était censée
expliquer les voies mécanistiques du
DHA. Par exemple, ils ne précisent pas
l’endroit où ils provoquent l’ischémie.
Lorsqu’ils étudient la phosphorylation
de la protéine AKT, ils font leurs
analyses sur l’ensemble du cerveau, et
pas seulement sur la zone de pénombre
qu’ils voulaient étudier. J’ai trouvé
que les western blot étaient parfois
difficiles à interpréter. J’ai eu du mal à
voir ce qui, dans cette publication, était
inédit, car ils font souvent référence à
des résultats qu’ils ont préalablement
démontrés.
Commentaires
I.D. Je te félicite, car cet article est très
compliqué et difficile à lire. Je l’ai choisi
car il était impensable de ne pas parler
des travaux de Bazan et de son équipe.
Ce n’est pas le plus facile, mais c’est
l’un des plus récents. C’est sans doute
la meilleure équipe qui s’intéresse aux
effets du DHA sur la neuroprotection,
en particulier en utilisant ce modèle
d’ischémie. Leurs travaux sont
impressionnants en termes d’efficacité.
-152-
Je suis d’accord avec toi quant au
manque d’explications, mais tu as très
bien compris l’article et tu l’as très bien
restitué. Comme tu l’as dit, ils se sont
intéressés ici à ce qui se passe chez le
rat âgé. Autre nouveauté : ils ont injecté
directement la neuroprotectine D1. Il
faut savoir que Bazan est « l’inventeur »
de NPD1. Il est peut-être même le seul
à l’avoir isolée et à l’avoir synthétisée
(NPD1 dérive du DHA suite à l’action
d’une lipoxygénase), c’est pourquoi
certains chercheurs doutent de son
existence. Concernant ta question sur
la localisation des prélèvements, j’ai
lu dans des publications précédentes
qu’ils pratiquaient une ischémie
massive qui impactait une grande
partie du cerveau, et en particulier le
striatum et les aires corticales.
G.M. Pour moi, cette littérature n’est
pas convaincante, mais peut-être aije tort, et cela pour plusieurs raisons.
L’injection d’acides gras dans du
tampon salin est questionnable, il
aurait été préférable d’utiliser de la
BSA comme vecteur. Un bon contrôle
aurait été un acide gras de la série
n-6 possédant le même nombre de
doubles liaisons, perfusé, lié à de la
BSA délipidée au maximum pour être
sûr que la liaison se fasse de la même
façon. Par ailleurs, les anti-oxydants
sont susceptibles dans ce modèle
d’annuler tous les effets des acides gras
polyinsaturés.
Existe-t-il des études bien menées qui
démontrent l’existence de différences entre
DHA et DPA, par exemple ? Les auteurs
disent observer des effets sur AKT, mais ils
ne disent rien des mécanismes impliqués.
Quand je m’intéressais à ce sujet, nous
n’avions pas vu de différence entre les effets
des acides gras de la série n-6 et ceux de la
série n-3.
I.D. Je suis tout à fait d’accord avec toi
et c’est l’éternel problème. Le DHA
sert de tampon de peroxydation
plus efficacement que ne le font les
dérivés de la série n-6 qui ont moins
de doubles liaisons. La DHA et la
neuroprotectine ne s’incorporant pas
dans les membranes, a priori dans ce
modèle de perfusion rapide, on peut
se poser la question du mécanisme
par lequel ils interviennent. Or,
les auteurs n’en parlent pas. Lors
d’une ischémie, l’oxydation est très
importante. Les injections massives
de DHA ou de NPD1 constituent une
source métabolique potentielle, mais
ces molécules servent aussi de capteurs
de dérivés réactifs de l’oxygène (ROS).
Dans ce modèle, la neuroprotectine
D1a des effets plus marqués que ceux
du DHA ; il serait intéressant de savoir
si elle peut aussi capter davantage de
molécules pro-oxydantes.
Je travaille sur la mort cellulaire et,
habituellement, après une ischémie, les
cellules meurent par nécrose. Dans cette étude,
les auteurs se sont intéressés aux protéines qui
sont impliquées dans l’autophagie (comme
AKT) ou dans l’apoptose (comme NPD1),
mais pas à celles qui interviennent dans la
nécrose, comme la pepsine ou la calpaïne.
Savez-vous pourquoi ?
-153-
I.D. La voie AKT est bien activée au
moment de l’ischémie, c’est pourquoi
je trouve qu’il est pertinent de l’étudier
dans ce cas. On peut regretter qu’ils
n’aient montré aucune relation de
causalité, mais c’est souvent le cas dans
ce type d’étude, avant tout descriptive.
Ils ont observé, et c’est un peu
paradoxal, un effet plutôt désactivateur
du DHA sur la microglie, dont l’une
des fonctions est de digérer tous les
débris cellulaires.
Quand on regarde la zone du cerveau
endommagée chez les jeunes et les vieux, on
a l’impression que l’âge est plus protecteur
que le DHA. De plus, dans les tests
comportementaux, il n’y a pas vraiment de
différences entre les rats jeunes et les rats
vieux. Pour moi, leur étude manque de
contrôles.
I.S. Je pense qu’ils ne maîtrisent pas
complètement le volume de l’infarctus
qu’ils provoquent. Celui-ci dépend des
animaux et n’a pas toujours la même
taille. Il est possible aussi que, chez le
rat âgé, la microglie et les astrocytes
soient davantage présents et que le
système se tamponne plus rapidement.
Article 4
The polyunsaturated fatty acids, EPA
and DPA exert a protective effect in the
hippocampus of the aged rat
présenté par Sarah Valentino
Introduction
Cet article a été publié en 2011 par
l’équipe de Lynch dans Neurobiology
of aging. Il traite d’un possible effet
protecteur d’une supplémentation en
EPA et DPA sur l’hippocampe chez
le rat âgé. Le schéma 1 situe ces deux
acides gras dans la série n-3. Il montre
que le DPA est un métabolite direct
de l’EPA. Les auteurs s’intéressent aux
altérations de la fonction neuronale
liées à l’âge. Celles-ci se traduisent par :
1) une diminution des performances
dans les tâches cognitives, 2) une
réduction de la plasticité synaptique
caractérisée par une altération de
la LTP (Long Term Potentiation),
considérée comme un support de
la mémorisation, mais aussi d’une
Schéma 1
-154-
Schéma 2
diminution de la densité neuronale et
du volume de l’hippocampe, 3) une
activation du stress cellulaire via la
voie caspase 3, 4) une augmentation de
l’activité de la caspase 3 liée à celle du
cytochrome C cytosolique. Ce dernier
est considéré comme un indicateur
de changement de perméabilité de la
membrane mitochondriale.
En d’autres termes, l’âge entraîne
une augmentation de la neuroinflammation qui est elle-même
associée à une augmentation de
l’activation microgliale. Cela conduit à
une réduction du maintien de la LTP
et donc à une réduction de la fonction
neuronale. L’âge entraîne également
une augmentation du stress oxydant,
qui conduit lui aussi à une diminution
de la fonction neuronale.
Le schéma 2 illustre les effets connus
des acides gras EPA et DHA sur
les neurones corticaux. Dans les
altérations neuronales liées à l’âge et
dans certaines pathologies comme
la maladie d’Alzheimer, le peptide
amyloïd-β augmente l’activité de la
sphingomyélinase, ce qui conduit à une
hausse de la production de céramide,
puis des ROS et à une plus forte activation
de la caspase 3. Ce peptide a donc une
action pro-apoptotique. En inhibant
l’activité de la sphingomyélinase,
EPA et DHA s’opposent aux effets
délétères du peptide et conduisent
à une restauration des neurones des
rats âgés. Dans cette étude, les auteurs
voulaient savoir si le DPA pouvait lui
aussi restaurer la fonction neuronale
chez les rats âgés.
-155-
Résultats
de l’âge lorsque les animaux sont traités
avec de l’EPA ou du DPA.
Activités enzymatiques corticales
Chez les rats âgés (20-22 mois), les
activités de la caspase 3 (C3) et de
la sphingomyélinase (SGM) sont
augmentées par rapport aux rats
jeunes (3-4 mois). Par contre, lorsque
les rats âgés sont traités au DPA ou à
l’EPA, l’activité des deux enzymes est
atténuée.
Analyses lipidiques
Les résultats des dosages sont présentés
sous la forme de rapports entre la
sphingosine-1-phosphate (S1P) et
trois céramides (C16, C18, et C20).
Le traitement au DPA conduit à une
augmentation significative des trois
rapports (S1P/C16, S1P/C18 et S1P/
C20) et donc à une résistance à la mort
cellulaire. Avec l’EPA, seul le rapport
S1P/C18 est augmenté de façon
significative.
Stress oxydant et activation microgliale
Les dégâts oxydatifs de l’ADN
sont mesurés à l’aide du marqueur
8-OHdG. Ils sont plus importants chez
les rats âgés que chez les rats jeunes.
Chez les animaux ayant reçu de l’EPA
ou du DPA, on n’observe plus d’effet
de l’âge. Le marqueur de l’activation
microgliale est le MHCII. Les auteurs
ont fait des mesures dans le cortex et
l’hippocampe. Comme pour le stress
oxydant, l’activation microgliale est
plus importante chez les rats âgés que
chez les rats jeunes et il n’y a pas d’effet
Mesures électrophysiologiques de la LTP
Au bout de quelques minutes, les
rats âgés n’arrivent plus à maintenir
leur LTP au même niveau que les rats
jeunes et l’écart se creuse avec le temps.
Les rats âgés présentent en parallèle
des problèmes de mémorisation. Un
traitement au DPA ou à l’EPA gomme
ces effets de l’âge.
Analyses comportementales
Elles sont faites en utilisant la piscine
de Morris. L’expérience est menée
pendant cinq jours avec quatre essais
par jour chez des rats jeunes et vieux,
répartis en trois groupes (contrôle,
DPA et EPA). Chez les rats jeunes,
quel que soit le groupe, le phénomène
de mémorisation apparaît dès le
deuxième jour et le temps de latence
pour atteindre la plate-forme est
rapide, contrairement aux rats âgés.
La mémorisation est meilleure chez
les rats âgés qui ont reçu du DPA, mais
elle reste plus faible que chez les jeunes.
L’amélioration est encore plus marquée
avec l’EPA. C’est la seule analyse pour
laquelle les auteurs ont montré que le
traitement à l’EPA était plus efficace
que celui au DPA.
Conclusion
zLe DPA a un effet neuroprotecteur
assez similaire à celui de l’EPA. Il
l’exerce en modulant la voie SGM
(vérification faite par les auteurs sur
-156-
des cultures in vitro). Son effet antioxydant est aussi robuste que celui de
l’EPA.
zLe DPA réduit l’activation microgliale et les dégâts oxydatifs sur
l’ADN liés à l’âge. Il restaure la fonction cognitive et la plasticité synaptique chez le rat âgé.
Discussion
Question traditionnelle : qu’as-tu pensé de
l’article ?
S.V. Je l’ai trouvé très intéressant car
il propose un panel très large de
techniques et aborde différents aspects
de physiologie et de mécanistique. Par
contre, il me semble que les analyses
statistiques ne sont pas adaptées,
puisque les auteurs ont fait des ANOVA
sur des lots de quatre à six individus.
De même, concernant l’analyse
comportementale, j’aurais choisi
d’autres tests que celui de la piscine
de Morris qui me semble mal adaptée
à des rats âgés. Le temps de latence
plus important des rats âgés pour
atteindre la plate-forme pourrait aussi
être dû à un problème de motricité
et pas seulement à une baisse de la
mémorisation. Concernant les cultures
in vitro de neurones d’hippocampe, je
trouve qu’il manque des analyses de
mort neuronale (TUNNEL). Enfin, je
pense qu’il aurait été bon de vérifier
la production des céramides qu’ils
utilisent dans les ratios S1P/céramides.
Commentaires
I.D. Je te félicite car pour quelqu’un
qui ne connaissait pas du tout le
domaine tu as fait de cet article une
présentation très claire. Je trouve aussi
que tes critiques sont justifiées. La
piscine de Morris n’est pas adaptée
pour mener des expériences avec des
rats Wistar âgés. Les études de cette
équipe irlandaise dirigée par Marina
Lynch sont souvent intéressantes,
élégantes et assez convaincantes, même
si je les trouve parfois répétitives et
systématiquement en accord avec les
hypothèses de départ.
Te souviens-tu de ce qu’ils ont donné aux rats
du groupe contrôle ? Était-ce seulement une
solution saline ou la solution contenait-elle
un autre acide gras ?
I.D. Ils avaient pris soin d’ajouter un
acide gras mono-insaturé, ce qui était
déjà mieux qu’une simple solution
saline.
-157-
Isabelle Denis, Neurobiologie de l’olfaction, INRA, Jouy-en-Josas
Articles analysés
> Article 1 : présenté par Yoottana Janthakhin, Nutrition et neurobiologie
intégrée, Bordeaux
Exposure to a maternal n-3 fatty acid-deficient diet during brain development
provokes excessive hypothalamic-pituitary-adrenal axis responses to stress and
behavioral indices of depression and anxiety in male rate offspring later in life, Chen
et al., Journal of Nutritional Biochemistry 24 (2013) 70-80
> Article 2 : présenté par Julie Mazzocco, Centre des Sciences du Goût et de
l’Alimentation, Dijon
Improved spatial learning performance of fat-1 mice is associated with enhanced
neurogenesis and neuritogenesis by docosahexaenoic acid, He et al., PNAS, 7 July
2009, vol. 106, no. 27, 11370-11375
> Article 3 : présenté par Fanny Lemarie, USC Biochimie, Rennes
Docosahexaenoic acid signaling modulates cell survival in experimental ischemic
stroke penumbra and initiates long-term repair in young and aged rats, Eady et al.,
Plos One, October 2012, vol. 7, no. 10, e46151
> Article 4 : présenté par Sarah Valentino, Biologie du Développement et
Reproduction, Jouy-en-Josas
The polyunsaturated fatty acids, EPA and DPA exert a protective effect in the
hippocampus of the aged rat, Kelly et al., Neurobiology of Aging, 32 (2011) 2318.e1 –
2318.e15
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Zoom sur les écoles d’été précédentes
Du 15 au 17 juillet 2003
Radicaux libres, stress oxydant, anti-oxydants
Du 15 au 18 juillet 2004
Système nerveux, fonctions cognitives et comportement alimentaire
Du 14 au 17 juillet 2005
Croissance et vieillissement*
Du 10 au 13 juillet 2006
Tube digestif : interface avec l’environnement*
Du 9 au 12 juillet 2007
Evaluation du risque toxicologique des aliments*
Du 7 au 10 juillet 2008
Comportement du consommateur*
Du 6 au 9 juillet 2009
Homéostasie et nutrition*
Du 5 au 8 juillet 2010
Phyto-micro-constituants alimentaires : du végétal au consommateur*
Du 11 au 13 juillet 2011
La bactérie et son hôte*
Du 9 au 12 juillet 2012
Les lipides : de la calorie au neuromédiateur*
Du 8 au 11 juillet 2013
La nutrition périnatale et ses conséquences chez l’adulte*
*Ces éditions font également l’objet d’un document de synthèse disponible
sur le site internet du Département :
www.alimh.inra.fr
147, rue de l’Université
75338 Paris Cedex 07
France
Tél. : + 33 1 42 75 94 19
Fax : + 33 1 42 75 91 72
www.inra.fr
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