Système nerveux et nutrition ECOLE D’ÉTÉ Département Alimentation humaine 7 au 10 juillet 2014 Membre fondateur de E n 2014 s’est tenue la douzième édition de l’école d’été du département Alimentation humaine. Initiées en 2003 par Xavier Leverve, les écoles d’été ont, depuis lors, reçu le soutien des chefs de département qui lui ont succédé, Patrick Etiévant puis Jean Dallongeville. L’objectif est de sensibiliser les jeunes chercheurs du département à l’analyse d’articles scientifiques en développant leur esprit critique et en élargissant leur connaissance dans des champs de la recherche qui ne sont, la plupart du temps, pas le leur. Les écoles se déroulent dans un cadre agréable et détendu favorisant les échanges entre jeune et moins jeune générations sans soucis de protocole et de hiérarchie. En 2014, l’école d’été s’est intéressée aux relations entre système nerveux et nutrition. Cette synthèse vous fera revivre les présentations et les discussions de ces trois journées et intéressera non seulement les participants mais aussi plus largement les chercheurs impliqués dans les questions de nutrition. Je tiens à remercier tout particulièrement les intervenants pour la qualité de leurs présentations et la richesse des débats qu’ils ont suscités, Véronique Roustain et l’équipe administrative du département pour la coordination logistique de ces journées ainsi que Jeannine Goacolou et Claire Gaudout qui ont réalisé ce recueil à partir de leurs notes et des heures d’enregistrements effectués au cours de cette école d’été. Jean Fioramonti, conseiller scientifique du département Alimentation humaine -1- Comment se déroule l’école d’été ? L’école d’été réunit doctorants, post-doctorants et jeunes chercheurs dans un lieu convivial pendant 6 demi-journées, autour d’une thématique qui va leur permettre d’approfondir leurs connaissances, dans un domaine plus ou moins proche de leur sujet de thèse ou de leur activité quotidienne. Le principe veut que, tour à tour, au cours de ces journées, les participants soient dans la position d’enseigné et d’enseignant. Chaque thématique, déclinant le thème choisi, s’articule autour d’une demi-journée de travail. Tout d’abord, le chercheur senior sollicité par le département présente une synthèse de l’état de l’art. Puis cinq articles scientifiques sélectionnés par celui-ci sont ensuite présentés de façon critique par les doctorants sous forme de présentations orales de 10 minutes. L’article en question, choisi et préparé au préalable par l’étudiant, donne ensuite lieu à un débat animé par le chercheur, qui peut également aider l’étudiant dans sa présentation si nécessaire. L’objectif est donc au moins triple : • développer l’esprit critique et de la discussion contradictoire des jeunes vis-à-vis et autour des travaux publiés dans la littérature qu’ils considèrent souvent comme « paroles d’évangile ». • permettre aux jeunes de passer plusieurs journées consécutives avec des chercheurs renommés dans les domaines traités et de leur offrir des perspectives de contacts futurs. • offrir un cadre convivial, permettant d’instaurer des connexions fortes entre des étudiants et jeunes chercheurs qui n’auraient jamais eu l’occasion de se rencontrer, ainsi qu’un climat relationnel de chercheur à chercheur avec les organisateurs et les intervenants. Directeur de la publication : Jean Dallongeville Réalisation : Jeannine Goacolou, Claire Gaudout Impression - Mise en page : Imprimerie Decombat Photo en page de couverture : INRA -2- Sommaire Neurones hypothalamiques à AgRP : un contrôle de la balance énergétique à plusieurs niveaux Session animée par Serge LUQUET page 5 Signaux intéroceptifs impliqués dans le contrôle du comportement alimentaire : apports de l’imagerie cérébrale Session animée par Charles-Henri Malbert page 23 Le rôle des interactions individus-environnements dans les comportements alimentaires Session animée par Jocelyn Raude page 51 L’intestin : carrefour des interrelations entre le métabolisme glucidique et l’homéostasie énergétique Session animée par Gilles Mithieux page 81 Les relations entre la nutrition et la dépression : de l’association aux mécanismes Session animée par Lucile Capuron page 101 Implication des oméga-3 dans la physiologie cérébrale : rôle possible dans la prévention des altérations liées au stress et au vieillissement Session animée par Isabelle Denis page 125 -3- -4- 1 Session 1 Neurones hypothalamiques à AgRP : un contrôle de la balance énergétique à plusieurs niveaux Serge LUQUET Nous allons nous pencher aujourd’hui sur certains circuits de la régulation de la prise alimentaire. Les dépenses énergétiques couvrent le métabolisme de base, la thermogénèse, et l’exercice. Il est plus facile d’agir sur la composante exercice que la thermogénèse Régulation de la balance énergétique L’énergie fournie par l’alimentation est dépensée par différents pôles de dépenses énergétiques, ce qui conditionne la prise ou la perte de poids. Un différentiel assez faible d’énergie va être compensé par les capacités de régulation du poids corporel de manière très subtile. Pour réguler les dépenses énergétiques le corps doit être capable d’évaluer les stocks énergétiques. Le corps analyse ensuite les signaux perçus et développe une réponse adaptée : augmentation ou diminution du métabolisme de base, augmentation de la prise alimentaire. Un système retour permet d’arrêter la prise alimentaire lorsqu’un nouvel état d’équilibre est atteint. Je prends toujours l’exemple d’un biscuit (50 kcalories) consommé chaque soir : si l’on considère que les autres repas ont compensé les dépenses énergétiques, la consommation journalière de ce biscuit entraîne une augmentation de la masse grasse de 10 kg en 4 ans. Un petit différentiel sur des périodes de temps relativement courtes peut finalement s’accumuler de manière dramatique, et bien entendu augmenter la masse. Généralement un tout petit différentiel, 50 kcalories cumulés, est ajusté soit en augmentant la dépense énergétique soit en diminuant la prise alimentaire. La leptine La leptine, qui vient de leptos en grec qui signifie mince, est une hormone qui a été découverte par le laboratoire de J. Friedman dans les années 90, à partir du gène responsable du modèle génétique d’obésité spontanée ob/ob. L’animal dépourvu de cette hormone est hyperphagique, hypométabolique et développe une obésité massive. La leptine est secrétée par le tissu adipeux en proportion de sa masse : plus il y a de masse grasse, plus il y a de leptine. -5- Les différents types de régulation La leptine a des sites de liaison dans l’hypothalamus, ce qui entraîne une diminution de la prise alimentaire et une augmentation du métabolisme. Les régulations à court terme permettent de terminer un repas. Lors de la distension gastrique par exemple, les mécano-récepteurs de la poche gastrique envoient un signal nerveux dans les structures du noyau du tractus solitaire et permettent d’arrêter le repas. La chirurgie de l’obésité, notamment l’anneau gastrique, repose sur ce type de régulation. Un enfant leptino-déficient traité avec de la leptine retrouve un poids normal. Il s’agit ici d’un cas monogénique d’obésité qui reste rare. L’obésité a le plus souvent un terrain multifactoriel. Si la leptine joue bien son rôle chez l’homme sain, la leptino-résistance chez l’obèse représente une limitation importante pour l’utilisation de la leptine comme traitement (étude de J. Friedman). Les régulations à long terme permettent de lisser le poids corporel sur une période d’une semaine, quelques mois, quelques années. La Fig. 1 illustre ces Fig.1 : Les régulations à court et long termes -6- homologue, l’Agouti Related Protein (AGRP), contrôle directement la prise alimentaire. α – MSH est le liguant endogène des récepteurs à la mélanocortine de type 3 et 4 (MC3-R et MC4-R). Lorsque ce liguant se fixe sur son récepteur, la cascade dite mélano-cortine aboutit à une diminution de la prise alimentaire et une augmentation du métabolisme. AGRP est tout simplement l’agoniste inverse d’α – MSH. Plus il y a d’AGRP, moins α – MSH va être capable de lier à son récepteur. régulations. Il existe des relations très importantes entre la sphère intestinale et la sphère nerveuse qui échangent de manière réciproque des informations nerveuses mais aussi hormonales pour établir une forme de dialogue. La plupart des signaux diminuent la prise alimentaire, sauf l’octanoylghreline qui est, à ce jour, à ma connaissance, la seule hormone circulante qui ait été décrite comme étant un promoteur de la prise alimentaire. A cours des cinq dernières années de recherche dans le domaine, de nouvelles structures synaptiques dans certains groupes neuronaux qui permettent de réguler la prise alimentaire ont été identifiées. Le cortex préfrontal est notamment extrêmement important dans le choix, dans la décision. Dans l’aire tegmentale ventrale vivent des neurones dits dopaminergiques qui vont être capables de coder toute la partie hédonique et motivationnelle associée à la nourriture mais pas uniquement. Les hormones (leptine, insuline, ghréline) qui circulent sont probablement capables de moduler une multitude de structures directement sur ces neurones. Neurotransmetteurs impliqués dans la régulation de la prise alimentaire Nous allons nous concentrer sur trois neuropeptides impliqués dans la régulation de la prise alimentaire ou de la balance énergétique. Pour savoir si une hormone est orexigène ou anorexigène, on l’injecte chez un animal, soit dans le cerveau, soit en périphérie et on observe la prise alimentaire. Le neuropeptide Y (NPY) et l’Agouti Related Protein (AGRP) sont des hormones orexigènes. A l’inverse, l’injection en central ou en périphérie de l’Alpha Melanocyte Stimulated Hormone (α – MSH) qui est le produit de coupure d’un pro-peptide plus gros pro opiomelanocortine (POMC), diminue la prise alimentaire et augmente le catabolisme énergétique. Le système à la mélanocortine La mélanocortine (MSH) est une hormone qui stimule la synthèse de mélanine dans les cellules de la peau. Dans le cerveau, son -7- Fig. 2 : Les principaux signaux impliqués dans la régulation de la balance énergétique Le noyau arqué de l’hypothalamus liant aux récepteurs à la mélanocortine (4 et 5) diminue la prise alimentaire. Inversement, la ghréline est orexigène : elle stimule les neurones à NPY et à AGRP qui vont en retour libérer leurs neuropeptides et donc promouvoir la prise alimentaire, notamment en s’opposant à la liaison d’α-MSH sur son récepteur Les neurones à AGRP et NPY sont situés dans le noyau arqué. Ce sont des neurones de premier ordre car ils sont les premiers à être renseignés sur le statut énergétique. Les neurones à AGRP et NPY sont coexprimés. En revanche, les neurones à POMC font exactement l’opposé : ce sont des neurones qui, lorsqu’ils sont stimulés, vont libérer l’ α – MSH, qui diminue le prise alimentaire et augmente le catabolisme. L’étude de M. Cowley a montré que la leptine agit de manière synergique à la fois sur les neurones à POMC qu’elle active et sur les neurones à NPY et à AGRP qu’elle inhibe. La leptine est anorexigène : elle vient stimuler le neurone à POMC, POMC libère le peptide α – MSH, qui en se Un neurone peut avoir un axone qui projette très loin. Par exemple, des neurones qui vivent dans l’aire -8- été observé. De même, l’inactivation du gène à AGRP n’a montré aucun effet. La destruction des neurones NPY/AgRP en revanche chez un animal adulte conduit à l’arrêt de la prise alimentaire. (Luquet, S., Perez, F. A., Hnasko, T. S., and Palmiter, R. D. (2005) NPY/AgRP neurons are essential for feeding in adult mice but can be ablated in neonates. Science 310, 683-685.) tegmentale ventrale projettent de l’autre côté du cerveau dans le striatum. Donc, pour connaître les cibles potentiels neuro-anatomiques d’un groupe neuronal, vous pouvez suivre le neuro peptide qui est libéré. Les neurones fabriquant le NPY et l’AgRP sont connus principalement pour leur rôle sur la prise alimentaire, mais aussi pour des fonctions qui pouvaient être dépendantes ou indépendantes du système à la mélanocortine. Est-ce, pour autant, la démonstration que ces neurones sont des inducteurs de la prise alimentaire ? Ce sont peutêtre tout simplement des neurones qui préviennent l’anorexie. D’autres groupes neuronaux pourraient induire la prise alimentaire. Les neurones à NPY et à AGRP libèrent un neurotransmetteur, l’acide γ-aminobutyrique (GABA), qui a une action inhibitrice, alors que les neurones à POMC sont majoritairement glutamatergiques, c’est-à-dire qu’ils libérent le glutamate qui est neurotransmetteur excitateur. Les techniques d’optogénétique L’optogénétique a été élue technique de l’année par Nature Methods en 2010. Le principe repose sur l’expression forcée à la surface d’un neurone (ou tout autre type cellulaire) d’un gène codant pour une protéine « photoactivable » appelée opsine. L’opsine est alors activée à l’aide d’une fibre optique implantée dans le cerveau, provoquant la dépolarisation ou l’hyperpolarisation du neurone. Imaginons que vous n’ayez pas mangé pendant un certain temps : lorsque la leptine diminue, la masse adipeuse diminue, puis la leptine diminue en conséquence, il y a moins de signaux excitateurs sur les neurones à POMC et moins de signaux inhibiteurs sur les neurones NPY/AGRP ce qui se traduit in fine par l’augmentation de la prise alimentaire et la diminution de la dépense énergétique. L’excitation in vivo à l’aide de cette méthode des neurones NPY/AgRP conduit à une augmentation de la prise alimentaire (Aponte et al., 2011). De la même manière, l’excitation des neurones à POMC induit une diminution de la prise alimentaire. Le knock out, ou invalidation génique, est l’inactivation totale d’un gène. Le groupe de Richard Palmiter a réalisé un knock out du gène codant pour le neuropeptide Y (NPY). Aucun effet n’a -9- Fig.3 : L’optogénétique n’aura aucune conséquence. C’est l’inverse qui se produit. L’animal se laisse mourir de faim. Cela signifie qu’un autre médiateur produit par les neurones NPY/AgRP intervient. Il s’agit du GABA. Les neurones à AGRP inhibent en permanence les neurones à POMC par l’intermédiaire du GABA. En cas de destruction des neurones à AGRP, les neurones à POMC se trouvent très excités puisqu’ils n’ont plus de tonus inhibiteur. Comment expliquer, alors, que l’ablation chez l’adulte des neurones à AGRP se traduise par une anorexie massive ? Pour répondre à cette question, on a étudié un modèle d’obésité, l’Agouti Yellow, chez qui le système α – MSH ne fonctionne pas car le modèle produit de manière endogène un antagoniste. Si on détruit les neurones à AGRP chez ce modèle, on pourrait penser que cela Le laboratoire de Richard Palmiter a pu démontrer que l’injection de GABA dans le noyau parabrachial (PBN) permet d’éviter l’anorexie qui suit la perte des neurones NPY/AgRP. Les animaux ne se sont pas laissé mourir de faim (Qi Wu et al.). Ce papier a montré, pour la première fois, que si ces neurones à NPY et à AGRP avaient une fonction dans la voie mélanocortine, -10- Dialogue cerveau / tissus ils avaient aussi une fonction dans une voie non mélanocortine, qui impliquait la libération de GABA dans beaucoup de structures, notamment le PBN. Nous allons voir maintenant que le cerveau a un rôle important dans la manière dont les tissus, tels que le foie et les muscles vont dialoguer (figure 4). Qui n’a pas connu une aversion pour un aliment qui l’a rendu malade ? Le conditionnement aversif passe par un dialogue très fort entre l’intestin et une intégration via le PBN. Le PBN est capable de projeter dans des structures plus évoluées dans le cerveau, et c’est notamment la force de conditionnement négative qui fera que plus jamais vous ne mangerez un aliment qui vous a rendu malade. Les neurones connectent directement à des structures qui vont contrôler ce qu’on appelle la composante autonome, c’est-à-dire la quantité de noradrénaline/acétylcholine qui va être libérée par le système sympathique/parasympathique sur les différents tissus. Par exemple, dans le tissu adipeux, la libération de noradrénaline par le système autonome promeut directement la libération d’acides gras : la lipolyse. A l’aide de techniques optogéniques, Scott M. Sternson a montré que la stimulation du PBN n’induisait pas la prise alimentaire contrairement à ce qu’avait démontré R. Palmiter, mais que c’est la stimulation du noyau paraventriculaire (PVN) qui - à l’aval des neurones à AGRP - se traduit par une réponse oréxigène. Joly-Amado et al. (2012) ont montré qu’un animal privé de neurones NPY/ AgRP présentait un défaut de dialogue avec les neurones du PVN, ceux-là même qui contrôlent une partie du système autonome. La calorimétrie indirecte permet de mesurer les échanges d’O2 ou de CO2 chez un animal. Chez un animal à jeun, le quotient respiratoire (QR) qui est le rapport entre CO2/O2 est un indicateur du substrat métabolique qu’un organisme utilise. Lorsque le QR est voisin de 0.7 il brûle du gras, voisin de 1, il brûle des sucres. Les animaux dépourvus de neurones NPY/ AgRP utilisent préférentiellement du gras comme source métabolique puisque leur QR est souvent voisin de 0,7. Joly-Amado et al. ont montré que Quelques années plus tard, R. Palmiter a émis l’hypothèse que la clé n’était pas d’activer ces neurones mais de les inhiber comme le faisaient naturellement les neurones à AGRP. A l’aide de techniques d’optogénétique et de pharmacogénétique (stimulation avec une molécule synthétique), il a montré que l’inhibition des neurones du PBN les protégeait de la perte soudaine des neurones NPY/AgRP et était aussi capable d’induire la prise alimentaire. -11- Fig. 4 des animaux ayant perdu 600 à 800 neurones à NPY/AgRP présentaient un tonus adrénergique (c’est-à-dire une libération d’adrénaline) plus important dans les muscles de type rouge (essentiellement consommateurs de gras) et un tonus adrénergique diminué dans les muscles de type blanc (essentiellement consommateurs de sucre). La perte de ces neurones entraîne une altération du dialogue cerveau/ périphérie qui promeut l’utilisation préférentielle du gras. Ces animaux soumis à un régime hyperlipidique ne développent pas de diabètes, bien au contraire leur tolérance au glucose s’améliore démontrant que ces animaux sont mieux disposés à utiliser métaboliquement le gras. Les neurones NPY/AgRP sont impliqués dans la partition des flux énergétiques en périphérie ou « nutrient partitioning », c’est-à-dire qu’ils peuvent communiquer directement via le système autonome vers les tissus périphériques et coordonner l’utilisation préférentielle d’un substrat plutôt qu’un autre. -12- Fig. 5 Article 1 antagoniste sur l’appétit. Les neurones à AGRP augmentent l’appétit, ce sont des neurones orexigènes, et les neurones à POMC sont des neurones anorexigènes. Deconstruction of a neural circuit for hunger présenté par Polina PANCHENKO AGRP (Agouti Related Peptide) agit comme antagoniste du récepteur de la mélanocortine, il empêche l’action anorexigène de POMC. Le but de cette étude était de cartographier des réseaux neuronaux impliqués dans la régulation de l’appétit chez la souris, et surtout de décrypter le rôle fonctionnel de ces réseaux de neurones dans le comportement alimentaire. Il est connu que les neurones AGRP peuvent secréter trois types de substances : AGRP lui-même, NPY et GABA. GABA est un Les neurones à AGRP et POMC dans l’hypothalamus ont une action -13- DISCUSSION neurotransmetteur inhibiteur présent un peu partout dans le cerveau. S. LUQUET Scott Sternson utilise tous les inhibiteurs pharmacologiques sauf un. Les auteurs ont étudié l’effet des neurones à AGRP sur les neurones à POMC dans le noyau arqué, sur l’hypothalamus paraventriculaire (PVH) et aussi sur le noyau parabrachial (PBN). P. PANCHENKO Sauf l’inhibiteur de M3, le récepteur à la mélano cortine de 3ème et 4ème type. Du coup il ne regarde pas l’effet d’AGRP lui-même. S. L. Non seulement il ne regarde pas les effets d’ AGRP lui-même mais il ne regarde pas non plus l’effet d’α-MSH. Les auteurs ont utilisé l’optogénétique et des méthodes d’électrophysiologie ; ils ont étudié le comportement alimentaire et ils ont utilisé les bloqueurs pharmacologiques des différents récepteurs, par exemple le récepteur GABA et le silencing des neurones (système hM4D). Lorsque ces neurones à AGRP sont stimulés par la ghréline sur une longue période, quelle cascade d’événements pouvez-vous imaginer ? P. P. Je pense que cela induit des changements de l’expression d’ARN messager dans les cibles des neurones de 2ème et 3ème ordre. Cette étude montre que les axones des neurones à AGRP régulent différentes composantes du comportement alimentaire : S. L. Scott Sternson étudie justement des stimulations longues des neurones à NPY/AGRP/GABA. AGRP et GABA n’ont probablement pas les mêmes effets dans le temps. Il y a probablement une adaptation des cibles postsynaptiques par internalisation des récepteurs MC4. C’est une des hypothèses. zles neurones à AGRP permettent une inhibition des neurones POMC dans le noyau arqué (réponse à long terme). zles neurones à AGRP inhibent les neurones de PVH et cette réponse est immédiate. P. P. Les auteurs étudient la relation entre AGRP et POMC dans le noyau arqué. J’imagine qu’il y a aussi d’autres populations de neurones dans le noyau arqué qui pourraient être intéressantes. Les neurones à AGRP intègrent les signaux de la leptine, de la ghréline, de l’insuline, mais aussi il y a des récepteurs de glutamate. zles neurones à ocytocine sont une cible principale des neurones à AGRP du noyau arqué z GABA et NPY sont impliqués dans la réponse orexigène dans le PVH z les projections des neurones à AGRP dans le le noyau parabrachial n’ont pas d’effet direct sur l’appétit. -14- Article 2 S. L. Un élément de littérature décrit un circuit qui vient du système ventromédian directement sur les neurones à POMC. Il existe un système de retour sur ces neurones à AGRP qui, dès qu’ils intègrent un signal dans le noyau paraventriculaire, renvoient un signal simulateur. Genetic identification of a neural circuit that suppresses appetite présenté par Florent MESCLON Cet article de Matthew E. Carter se penche sur l’identification génétique des circuits neuronaux qui suppriment l’appétit. Cet article a été publié dans Nature en 2013. Lors de la stimulation optogénétique, est-on certain, surtout dans des structures qui sont extrêmement petites comme l’hypothalamus, qu’il n’y a pas de stimulation aspécifique ? Parmi les régions du cerveau qui régulent l’appétit, le noyau parabrachial (PBN) regroupe une population hétérogène de neurones qui régulent notamment le goût, la respiration ou encore la sensibilité thermique. Il interviendrait dans la suppression de la prise alimentaire lors de sécrétion d’hormones anorexigènes, ou encore d’intoxication alimentaire, ou d’une infection bactérienne. S. L. A la différence de la stimulation électrique, la génétique permet d’exprimer de manière spécifique dans un groupe neuronal. Néanmoins, la stimulation de certaines populations neuronales exige beaucoup de lumière. En général, les chercheurs utilisent également la pharmacogénétique, en complément de l’optogénétique, qui permet de de contrôler, dans le temps, la fréquence de la stimulation. L’objectif de cet article est d’identifier les neurones spécifiques du PBN qui participent à la suppression de la prise alimentaire. Tout d’abord les auteurs ont dû identifier dans le PBN quels neurones étaient impliqués dans la suppression de l’appétit. Pour supprimer l’appétit, ils ont réalisé une ablation des neurones à AGRP et une injection de LiCl qui simule une intoxication alimentaire. Ils ont analysé l’expression de FOS qui est un marqueur de l’activité neuronale : FOS en fait serait au niveau d’une région du PBN appelée PBelo. -15- trouvé une coexpression des protéines au niveau d’une des divisions de l’amygdale, appelée le CeAlc. Les auteurs utilisent un modèle de souris transgénique dite CalcaCre, c’est-à-dire qui exprime la recombinase Cre au niveau du locus Calca. Le gène Calca, qui exprime la protéine CGRP, est notamment exprimé dans le PBelo. Pour confirmer la connexion entre CeAlc et PBelo, ils ont injecté des rétrobilles fluorescentes dans le CeAlc. Ces rétrobilles sont capables de remonter les projections afférentes. Les auteurs ont retrouvé ces rétrobilles au niveau du PBN confirmant ainsi la connexion entre ces deux régions neuronales. Le contrôle de l’activité des neurones PBelo se fait à l’aide d’adénovirus. Lorsqu’il y a action de la recombinase Cre, cela retourne la cassette d’expression de l’adénovirus et permet son expression. Comme la Cre n’est exprimée qu’au niveau du PBelo, cela va permettre une expression spécifique de leur protéine dans cette région. Les auteurs ont montré qu’une stimulation des neurones du CeAlc conduit à une inhibition réversible de la prise alimentaire. Dans des conditions qui suppriment l’appétit, FOS et mCherry sont comarqués. Les auteurs ont observé un lien entre le nombre de cellules coexprimés mCherry et FOS et la réduction de la prise alimentaire. Les auteurs ont décrit un circuit neuronal passant par les neurones PBelo exprimant CGRP et allant jusqu’aux neurones du CeAlc qui inhibent la prise alimentaire. En l’absence de stress, l’inhibition de ces neurones n’influe pas sur la prise alimentaire. Les auteurs émettent l’hypothèse que les neurones PBelo CGRP seraient impliqués dans la suppression de la prise alimentaire dans des conditions plus sévères de satiété, comme une distension gastrique ou en cas de maladie, c’est-àdire des conditions inconfortables ou désagréables. Les auteurs ont étudié l’impact de l’activation des neurones PBelo CGRP sur la prise alimentaire. Ils ont constaté une diminution rapide et réversible de la prise alimentaire. L’inhibition des neurones PBelo CGRP augmente la prise alimentaire dans des conditions qui suppriment l’appétit. Pour voir quelles étaient les projections efférentes des neurones PBelo CGRP impliquées dans le contrôle de la prise alimentaire, les auteurs ont fait exprimer des protéines fluorescentes dans le PBelo et la synaptophysine-GFP, une protéine capable de se déplacer dans les projections. Ils ont notamment DISCUSSION S. LUQUET Quel est le rôle de ces neurones ? Est-ce que c’est promouvoir la prise alimentaire vers le noyau paraventriculaire, ou faire en sorte qu’on s’arrête de manger quand un aliment va être ressenti comme nocif ? C’est vraiment une question ouverte. -16- F. MESCLON En lisant cet article je me dis que ces neurones sont importants pour supprimer l’appétit dans des conditions où il ne faut pas manger, par exemple dans les maladies gastriques. F. M. Peut-être que c’est un relais de la suppression de l’appétit. Intervenant Lors d’une aversion alimentaire chez l’homme, on observe des projections somato-sensitives : des structures du cortex auditif sont allumées. Un très bon article montre qu’une centaine de réseaux interpénétrent dans le cerveau. En prenant au hasard et en utilisant l’option maximale d’erreur de type 2 en stat, vous allez toujours trouver un bon réseau. Il y a très certainement un biais statistique à l’interprétation. S. L. Ce besoin de venir temporiser l’action du noyau parabrachial est un peu compliqué. Chez le rongeur, les noyaux du parabrachial ne sont pas loin des neurones du NTS. Quel pourrait être le rôle des neurones à AGRP si vous avez faim mais que vous vous trouvez face à un aliment peu palatable ? F. M. Catherine MORIN, une collègue, a montré que des souris, à qui l’on donnait un régime carencé en leucine, préféraient moins manger plutôt que manger plus du régime carencé. Donc il y a peut-être un phénomène d’aversion qui se développe. S. L. L’optogénétique est effectivement une méthodologie très puissante mais qui peut fabriquer de l’erreur. S. L. Pour ce qui est du goût, on peut imaginer que lorsque vous augmentez le tonus électrique des neurones à AGRP parce que vous avez faim, il n’y a pas de leptine mais il y a beaucoup de ghréline, ce qui va venir neuromoduler les structures du noyau parabrachial et inciter à consommer sans « drive » hédonique. Avec les approches d’optogénétique, on allume une population de neurones indépendamment de toutes les autres, ce qui n’est jamais le cas dans le cerveau. Je me demande s’il y a besoin d’avoir une population très spécifique de neurones dans un endroit très particulier du cerveau pour communiquer un sentiment de distension gastrique ? -17- Article 3 Ils ont ensuite injecté la toxine à l’âge adulte chez des souris adultes de 10 – 11 semaines. Ils ont constaté un arrêt de la prise alimentaire 7 jours après l’injection et une perte de 20 % de leur poids corporel 5 jours après l’injection. Ils ont observé également une augmentation de la consommation d’eau. Le gavage alimentaire a permis de restaurer le poids des souris transgéniques, ce qui montre que la perte de poids est bien due à l’arrêt alimentaire. NPY/AGRP neurons are essential for feeding in adult mice but can be ablated in neonates présenté par Virginie DAUMAS-MEYER Cet article de Serge LUQUET a été publié en 2005. Il s’intéresse aux neurones à NPY / AGRP qui sont essentiels pour la prise alimentaire chez des souris adultes mais qui peuvent être supprimés chez les souris nouveaux nés. Plusieurs études ont permis de montrer que des mutations de la voie anorexigène conduisent à l’obésité. En revanche, les mutations qui concernent la voie orexigène, donc les neurones à NPY et AGRP, ont peu d’impact sur le comportement alimentaire puisque la prise alimentaire reste peu modifiée. Cet article a pour objectif de savoir si la signalisation des neurones orexigènes (NPY et AGRP) est essentielle à la régulation du poids corporel. Pour vérifier l’efficacité de l’ablation néonatale, ils ont marqué NPY chez des souris contrôles et chez des souris transgéniques qui possèdent le récepteur à la toxine. Ils ont observé une réduction de 85 % des cellules positives NPY, une réduction des fibres NPY dans le noyau paraventriculaire, une réduction de l’ADN de l’AGRP dans le noyau arqué et dans le noyau paraventriculaire. Ils ont également vérifié que les neurones POMC n’étaient pas touchés par l’ablation. Pour répondre à cette question, les auteurs de cet article ont choisi de pratiquer l’ablation des neurones à NPY et AGRP chez des souris transgéniques par une technique de knock out cellulaire médié par une toxine. Les souris AGRP traitées par la toxine à la naissance survivent à une injection de toxine à l’âge adulte contrairement aux souris «naïves». Elles mettent en place un réseau neuronal compensatoire qui reste inconnu. Les auteurs ont d’abord étudié l’effet de l’ablation des neurones à NPY et AGRP dès la naissance. Ils n’ont pas constaté de modification de la prise alimentaire et seulement une légère diminution de 11 % du poids corporel. DISCUSSION V. DAUMAS : Je m’interroge sur les modes d’administration utilisés, en particulier la voie intrapéritonéale, qui cause de nombreux décès chez les témoins également et sur le -18- Article 4 nombre d’injections puisque, dans la plupart des expériences, les auteurs ont fait deux injections de toxine mais seulement une chez les nouveaux nés. Melanocortin signaling in the CNS directly regulates circulating cholesterol S. LUQUET : Depuis, nous avons compris que la manipulation des petits est à l’origine des décès. Je vous conseille de répandre l’urine des femelles sur vos gants, ce qui permet de manipuler les petits sans laisser de trace et évite ainsi que leur mère ne les mange. Désormais, on injecte une solution saline aux contrôles pour éviter les biais liés au stress dû à la manipulation. présenté par Matieny Aicha MAIGA Au cours des injections sous-cutanées de ghréline à des souris pendant une semaine, les auteurs ont observé à la fois une augmentation de la graisse corporelle, une augmentation du taux plasmatique de cholestérol et de triglycérides tandis que le taux de glucose plasmatique restait normal. Puisque la plupart des effets de la ghréline passent par le système mélanocortine, les auteurs se sont demandé si l’inhibition de ce système mélanocortine pouvait avoir un effet sur le taux circulant de cholestérol. Commentaire S. L. La conclusion du papier à l’époque était de dire que la plasticité du système nerveux en période périnatale permettait la mise en place d’un nouveau circuit à la place des neurones NPY. A titre personnel, je crois maintenant que la conclusion est fausse. Si vous injectez du GABA dans le noyau parabrachial, vous évitez la mort de l’animal. Finalement la perte subite des neurones à AGRP produit un dérèglement du noyau parabrachial. En revanche, quand vous enlevez ces neurones avant la maturité alimentaire, ils n’ont pas encore connecté leur cible, et on ne peut donc pas créer « d’imbalance ». Les auteurs ont utilisé un antagoniste du système mélanocortine, le SHU9119, et un agoniste du même système, le MTII. Ces substances ont été administrées par des injections chroniques intracérébroventriculaires. Lors d’un blocage du système mélanocortine, soit directement par l’agoniste, soit indirectement par la ghréline, les auteurs ont observé une augmentation du taux de cholestérol indépendamment de la prise alimentaire et du poids corporel. Ils en ont conclu qu’un circuit neuroendocrine impliquant l’axe intestin-cerveau contrôle le HDL cholestérol indépendamment de l’évolution de la prise alimentaire et du poids. -19- diminution de la clairance (vitesse de disparition des particules au niveau plasmatique). Ils ont émis l’hypothèse suivante : l’antagoniste pourrait avoir un effet sur la réabsorption hépatique du cholestérol via le récepteur HDL au niveau hépatique. Ils ont regardé le niveau d’expression de ce gène récepteur hépatique de HDL cholestérol, Scarb1, et de ses facteurs de transcription et ont vu qu’au cours d’un blocage avec la ghréline ou l’antagoniste du système mélanocortine, l’expression au niveau des ARN messagers était diminuée pour Scarb1 et ses facteurs de transcription NR14 et NR5A2. Ils ont observé l’effet inverse avec un traitement GLP-1. Ils en ont donc conclu que les interactions intestin-cerveau peuvent réguler la réabsorption hépatique du cholestérol par le contrôle de la transcription de ce récepteur hépatique et de ses facteurs de transcription. Par ailleurs, au cours d’une injection de l’agoniste du système mélanocortine, ils ont observé une forte diminution du taux de cholestérol sans influence sur le poids corporel. Ils ont par la suite voulu déterminer le rôle physiologique de la ghréline et du système mélanocortine endogène sur la régulation du taux de cholestérol. Pour cela, ils ont utilisé des souris KO de ghréline ou de récepteur de ghréline ou les deux récepteurs MC3R et MC4R du système mélanocortine. Ils se sont aperçu que seules les souris double KO ghréline et son récepteur avaient un taux de cholestérol diminué par rapport au simple KO et WT. Sous un régime standard, les auteurs n’ont pas observé de différences entre les souris KO récepteur mélanocortine et WT tandis que, sous un régime hyper lipidique, les souris KO MC4R avaient une forte augmentation du taux de cholestérol. Ils en ont conclu que ce récepteur de type 4 de mélanocortine est un sous type de récepteur qui est crucial dans le contrôle neuroendocrine du taux de cholestérol, notamment le HDL. En conclusion cet article montre zque le taux de HDL cholestérol circulant peut être modulé au niveau du système nerveux central particulièrement au niveau du système mélanocortine hypothalamique. Quelque soit le traitement, la taille des particules HDL était la même, mais les auteurs ont constaté une augmentation du taux plasmatique de l’apolipoprotéine A-I au cours d’un blocage par l’antagoniste ou la ghréline. zque la ghréline, qui est le seul inhibiteur endogène connu du système mélanocortine, régule le taux plasmatique de HDL cholestérol par la modulation de sa réabsorption hépatique. Au cours de traitements avec le SHU9119, les auteurs ont constaté une -20- z que le GLP-1, un activateur endogène du système mélanocortine, va s’opposer à l’effet de la ghréline. Pourquoi faut-il absolument un double knock-out ghréline et ghréline récepteur pour avoir un effet knock-out ? La modulation pharmacologique directe ou indirecte de l’hypothalamus par la mélanocortine peut offrir un moyen de traiter l’hypercholestérolémie ainsi que les troubles du syndrome métabolique. S. L. Le récepteur à la ghréline aurait une activité auto catalytique dans certaines structures, certaines complètement indépendantes de la ghréline, d’autres pas. Est-ce qu’on peut utiliser les techniques d’optogénétique ou de pharmacogénétique pour obtenir ce même type de résultats ? DISCUSSION Commentaire S. L. Un animal qu’on soumet à des manipulations optogénétiques ou pharmacogénétiques présente une désensibilisation assez rapide et c’est très difficile de stimuler sur le long terme. C’est une limite technique. S. LUQUET : Les auteurs ont regardé les conséquences de l’apport alimentaire sur le cholestérol et son transport hépatique. La perte de poids ne semble pas due à un effet anorexigène mais à la fonte du tissu adipeux, vraisemblablement via une augmentation du tonus sympathique sur le tissu adipeux. Ce qui veut dire que ce n’est pas le fait de diminuer la prise alimentaire de manière aiguë qui entraîne le changement du taux de cholestérol. Quelle est la nature du dialogue direct entre le foie et le cerveau ? S. L. Il s’agit du système autonome. Souvent, pour bloquer le dialogue, on coupe le nerf vague. Cela permet de mettre en évidence comment les relations nerveuses, en plus des relations endocrines, peuvent être importantes dans la nature de ce dialogue. M. A. MAIGA : Je me demande si, d’un point de vue éthique, on peut envisager une pompe qui diffuserait la substance chez l’homme pour traiter l’hypercholestérolémie ? S. L. Un agoniste de la mélanocortine a été utilisé chez l’homme pour traiter les troubles de l’érection. Il faut arrêter d’utiliser le rongeur comme modèle car le transport du cholestérol est totalement différent de celui de l’homme, et une pharmacologie dont on sait que, chez l’homme, elle n’a pas d’effet anorexigène ni métabolique. Commentaire J. FIORAMONTI Il ne faut pas oublier que le duodénum est plein de chémorécepteurs et notamment de récepteurs spécifiques à certains lipides, à certains acides gras même, et spécifiques sur la longueur de chaine. Il y a des afférences qui remontent via le nerf vague. -21- Serge Luquet, Unité de Biologie Fonctionnelle et Adaptative, CNRS-UMR8251, Université Paris Diderot-Paris 7 Articles analysés > Article 1 : présenté par Polina PANCHENKO, Biologie du développement et de la reproduction, Jouy-en-Josas Deconstruction of a neural circuit for hunger, Atazoy et al., Nature, vol. 488, 9 August 2012 > Article 2 : présenté par Florent MESCLON, Unité de nutrition humaine, ClermontFerrand Genetic identification of a neural circuit that suppresses appetite, Carter et al., Nature, 2013, vol. 503, no.7474, 111-+ > Article 3 : présenté par Virginie DAUMAS-MEYER, Neurobiologie de l’olfaction, Jouy-en-Josas NPY/AGRP neurons are essential for feeding in adult mice but can ablated in neonates, Luquet et al., Science, vol. 310, 28 October 2005 > Article 4 : présenté par Matieny Aicha MAIGA, Immuno-allergie alimentaire, Jouy-en-Josas Melanocortin signaling in the CNS directly regulates circulating cholesterol, PerezTilve et al., Nature Neuroscience, vol. 13, no. 7, July 2010 -22- 2 Session 2 Charles Henri est directeur de recherche à l’INRA de Rennes. Il travaille depuis plusieurs années sur le comportement alimentaire et les signaux intéroceptifs qui viennent principalement du tube digestif et constituent le socle de la régulation du comportement alimentaire. Charles Henri a développé une plate-forme d’imagerie cérébrale chez le porc. Il va nous dire comment l’imagerie nous aide à comprendre ces signaux. Signaux intéroceptifs impliqués dans le contrôle du comportement alimentaire : apport de l’imagerie cérébrale Charles Henri Malbert Introduction Les signaux intéroceptifs impliqués dans le contrôle du comportement alimentaire J’ai divisé ma présentation en deux parties. Dans la première, je vous présenterai les signaux intéroceptifs impliqués dans le contrôle du comportement alimentaire. Dans une seconde partie, je vous décrirai brièvement les stratégies utilisées pour obtenir des images d’activation fonctionnelle cérébrale chez l’homme et l’animal. Je vous montrerai comment ces images sont obtenues, quelles sont leurs limites et comment on peut les circonvenir. Cela introduira les présentations des deux publications qui seront faites par les doctorantes. On peut définir un comportement comme une information transformée en action. Le cerveau joue un rôle clé, puisqu’il récupère une information pour la transformer en action, comme par exemple : « j’ai faim donc je mange ». L’information peut venir des organes des sens, dont fait partie le tube digestif, puis l’action bloquera le signal qui est à la source de ce comportement de façon à déclencher la fin du comportement. -23- Nature des signaux intéroceptifs a donc une certaine redondance des informations. Le tube digestif peut être considéré comme un organe des sens, car il émet des signaux qui complètent ceux qui sont associés à la présence de masses grasses, abdominales et extraabdominales, ou à celles de métabolites dans le sang, ou d’aliments dans l’estomac. Tous ces signaux convergent vers le cerveau donnant, d’une part, une boucle qui contrôlera l’homéostasie des métabolites et, d’autre part, un deuxième réseau cérébral qui modulera la balance hédonique de ces informations. Les signaux qui convergent vers le cerveau utilisent deux portes d’entrée principales : z l’hypothalamus. C’est la porte d’entrée privilégiée des hormones du fait de la présence de capillaires fenêtrés qui facilitent leurs passages au travers de la barrière hémato-méningée ; zle complexe vagal dorsal. Il comprend notamment le noyau du tractus solitaire. Il reçoit les voies d’entrées vagale et spinale, mais aussi une partie des informations humorales. La remontée des signaux du tube digestif vers le cerveau se fait principalement par trois voies complémentaires : z la voie vagale. C’est une sorte d’autoroute de l’information située de part et d’autre de l’oesophage. 80 % des neurones vagaux sont afférents, c’est-à-dire qu’ils vont de la périphérie vers le cerveau ; seuls 20 % redescendent vers le tube digestif ; z la voie spinale. On pensait, il y a quelques décennies, que cette voie ne faisait remonter que des signaux de nature nociceptive. On sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai ; z des voies humorales s’ajoutent aux deux voies neuronales précédentes. Elles sont essentiellement associées à la leptine, la ghréline, l’insuline, la CCK et au peptide YY. Ces voies ne sont que partiellement humorales, puisque la CCK, par exemple, utilise à la fois la voie vagale et la voie humorale. Il y D’autres voies, moins connues, apportent des compléments d’informations au cerveau. C’est le cas de la voie métagénomique qui a été explorée plus récemment, notamment par Patrice Cani, ou de la voie cytokinergique dont on ignore toujours la porte d’entrée. Anatomie fonctionnelle Les éléments nerveux sont insensibles stricto sensu à la présence des nutriments dans le tube digestif. Pour devenir sensibles, ils ont besoin d’un intermédiaire cellulaire dont le rôle est de traduire les informations chimiques en quelque chose susceptible de mettre en œuvre ces éléments nerveux. Les informations sont perçues au niveau des villosités intestinales et plus particulièrement au niveau des cellules enterochromaffines qui servent -24- de capteurs primitifs aux éléments chimiques associés à l’aliment. Les molécules qui sont intégrées dans les cellules épithéliales constituent des relais pour les éléments nerveux. Si ces derniers étaient directement sensibles aux nutriments, toute une série de modulations n’existeraient pas. z les mécanorécepteurs. Ils interviennent dans les messages de nature mécanosensorielle. Ils traduisent la capacité des neurones ou des structures support à détecter les distensions du tube digestif consécutives, par exemple, à un repas ; z les chémorécepteurs. Ils commencent à être activés une minute après le début du repas et restent activés plusieurs minutes après le repas. Ils ne sont habituellement sensibles qu’à l’état physico-chimique des produits ingérés mais, dans certaines Nature du message Si l’on fait abstraction des états pathologiques et des états inflammatoires à bas bruit, le message passe par trois types de récepteurs : Schéma 1 -25- Spécificité de la détection conditions, ils sont capables de détecter l’état chimique endogène du tractus digestif ou la présence d’une bactérie non désirable ; Il existe aussi une spécificité spatiale et structurale de la détection. Les extrémités des neurones vagaux sont libres. Elles peuvent soit enserrer des structures neuronales propres au tube digestif, appelées plexus myentériques, soit se répartir aléatoirement le long du muscle externe du tube digestif et détecter les distensions longitudinales ou celles de la paroi circulaire du tube digestif. z les récepteurs multimodaux. Ils sont à la fois mécanorécepteurs et chémorécepteurs. Intégration chimique Les nutriments sont captés par le pôle apical d’une cellule entéroendocrine de la bordure en brosse appelée entérochromaffine, car elle présente la particularité d’être marquée histologiquement par des substances contenant des métaux lourds. La cellule transforme les nutriments et libère, à son pôle basolatéral, des substances actives sur les neurones. Il s’agit essentiellement de la CCK, de la substance P et de la sérotonine. Ces substances libérées par voie paracrine dans le milieu interstitiel parviennent jusqu’aux récepteurs présents sur les extrémités terminales des neurones vagaux afférents. La transduction de la présence de triglycérides dans le tube digestif est plus complexe car elle nécessite deux intermédiaires cellulaires (schéma 1). Il faut un entérocyte et une cellule endocrine. L’entérocyte fournit de l’Apo A IV à la cellule entérochromaffine pour qu’elle puisse capter les acides gras, les transformer en CCK et les libérer à son pôle basolatéral. L’Apo A IV est régulé négativement par la quantité d’acides gras présents dans la lumière intestinale. Le schéma 2 illustre la fréquence de décharge de neurones situés dans la couche longitudinale du muscle externe du tube digestif. Chaque impulsion correspond à un potentiel d’action ; les neurones augmentent ainsi leur fréquence de décharge au cours de la distension du tube digestif assurant de ce fait l’encodage de l’information de distension. L’adaptation de ces structures à une distension continue est faible : elles déchargent très vite et très fort au début, puis la fréquence de décharge diminue alors que la distension est maintenue. A contrario, les structures situées autour des ganglions mésentériques ont un potentiel d’adaptation fort et relativement rapide. Les récepteurs des neurones vagaux afférents diffèrent selon leur localisation sur le tube digestif (schéma 3). Au niveau de l’estomac, les neurones portent essentiellement des récepteurs à la ghréline et à la leptine. Au niveau du -26- Schéma 2 Schéma 3 -27- Schéma 4 Cortex Cingulaire antérieur Cortex prefrontal Cortex Orbitofrontal Hippocampe Amygdale Accumbens Ventral striatum Insula Thalamus Parabrachial nucleus Cortex insulaire Noyau tractus solitaire Hypothalamus Noyau Arqué duodénum et du jéjunum, ils portent des récepteurs à la CCK et au 5HT du fait de leur sensibilité au glucose et aux triglycérides. La transduction du signal mécanique vers chimique puis spatialement vers le cerveau se fait via des récepteurs différents. Il est possible de « tromper » ces récepteurs en appliquant directement l’agoniste structural du récepteur présent sur le nerf vague, ce qui court-circuite la cellule entérochromaffine. entrées par le tractus solitaire ou le noyau arqué de l’hypothalamus, les informations envahissent les cortex situés vers l’avant du cerveau : le cortex orbitofrontal, le cortex cingulaire antérieur et le cortex préfrontal. Des structures qui n’ont, a priori, rien à voir avec le traitement de l’information viscérale sont également impliquées. C’est le cas de l’hippocampe et des structures amygdaliennes qui interviennent surtout dans les fonctions mémorielles, de l’insula qui est connue pour ses fonctions affectives, ou encore des structures thalamiques qui participent à l’autorégulation des grandes fonctions dont l’homéostasie calorique. Le traitement individualisé des informations viscérales implique de très nombreuses zones du cerveau, comme le montre, d’une manière très simplifiée, le schéma 4. Après être -28- Distension gastrique de ce cortex, qui est associée à la matrice nociceptive, se produit chaque fois que le cerveau perçoit une douleur provenant du tube digestif. Lorsque l’on injecte un analogue structural de la ghréline à un patient, on observe que les zones de son cerveau qui sont activées sont presque les mêmes que lors d’une distension gastrique non douloureuse. On peut donc penser que le signal qui remonte au cerveau lors d’une distension non douloureuse est avant tout un signal ghréline dépendant. Cependant, l’activation du cortex préfrontal n’est observée que lors de la distension gastrique non douloureuse et non après l’injection de ghréline. Cette activation serait donc associée à une remontée ghrélinergique conjointe à une remontée vagale de l’information. Photo 1 Le cerveau est capable, via un mécanisme encore mal connu, de différencier une distension de l’estomac importante volumétriquement mais non désagréable, d’une distension importante mais douloureuse, ou d’une distension faible et durable. Lorsque la distension est perçue comme non désagréable, on observe (photo 1) une activation de plusieurs zones du cerveau : l’insula, les structures thalamoréticulées descendantes et une petite partie du cortex préfrontal. Lorsque la distension gastrique est perçue comme douloureuse, c’est principalement le cortex cingulaire antérieur qui est activé, comme le montrent les coupes sagittale, transverse et coronale de la photo 2. L’activation En fait, la réalité est plus complexe, car nos habitudes alimentaires impactent directement la façon dont les récepteurs capturent l’information instantanée. Photo 2 -29- Modulation périphérique des signaux intéroceptifs par l’alimentation L’existence d’une neuroplasticité périphérique est connue depuis 2011. Dockay et son équipe ont montré que cette plasticité se faisait notamment au niveau du ganglion noueux qui contient tous les corps cellulaires vagaux afférents. Ils ont observé qu’aucun récepteur cannabinoïde de type 1 n’était activé chez le rat immédiatement après le repas, alors qu’ils l’étaient tous après 24 heures de jeûne. Ce qui est vrai au niveau du corps cellulaire l’est aussi au niveau périphérique. Ainsi, une équipe australienne qui mesurait, chez le rat, la fréquence des potentiels d’action des mécanorécepteurs en fonction d’une charge stomacale croissante a montré que des récepteurs sensibles uniquement à la distension de l’estomac étaient moins sensibles chez un animal qui avait été nourri avec un régime high fat par rapport à un animal qui avait reçu un régime standard. Ces récepteurs sont en outre sensibles à la 5HT. Une perfusion de 5HT entraîne une augmentation de la fréquence de décharge. Une injection de leptine potentialise l’effet de la 5HT, tandis qu’une injection de ghréline produit l’effet inverse puisqu’elle inhibe le récepteur (schéma 5). Schéma 5 Conséquences fonctionnelles On sait que la présence de lipides dans le duodénum inhibe la vidange de l’estomac et déclenche des contractions du tube digestif que l’on appelle contractions isolées du pylore. Par contre, lorsqu’on perfuse des lipides dans le duodénum d’un homme qui vient de suivre un régime de 14 jours riche en lipides, on supprime l’inhibition de la vidange ainsi que la présence de contractions isolées du pylore. Cette suppression est uniquement associée à ce régime riche en lipides. Le phénomène existe chez d’autres espèces, notamment le porc chez lequel la perfusion dans le duodénum de lipides n’est quasiment plus détectée après un régime de plusieurs semaines riche en glucides ou en graisses. Ces expériences montrent une sensibilité dégradée visà-vis du frein duodénal à l’évacuation de l’estomac. -30- Conséquences comportementales apporter des récepteurs susceptibles de capturer le signal produit par la cellule entérochromaffine. Au-delà des conséquences sur le fonctionnement du tube digestif, il existe des conséquences comportementales importantes. Des expériences menées avec des animaux conditionnés pour appuyer sur un bouton afin d’obtenir une récompense alimentaire ont montré qu’un régime normal avec administration de lipides dans le duodénum entraînait l’arrêt du comportement au bout de 30 minutes, alors que ce comportement persiste 120 minutes chez l’animal qui a reçu au préalable plusieurs semaines d’un régime riche en graisses ou riche en glucides (schéma 6). Détection des nutriments intestinaux Le cerveau doit généralement intégrer des informations qui proviennent de plusieurs zones du tube digestif et de plusieurs zones cérébrales. Jusqu’à présent, on ne sait pas comment le cerveau réalise cet exploit. Grâce à l’imagerie et à la chirurgie expérimentale, nous avons équipé nos animaux de capteurs et de cathéters de façon à pouvoir injecter des nutriments, simultanément ou séparément, soit au niveau du duodénum, soit au niveau de la veine porte, soit au niveau des deux. Schéma 6 Ces expériences montrent que, lorsqu’on donne un régime riche en graisses ou riche en glucides, on a, d’une part, une modulation de la capacité de la cellule entérochromaffine à transformer le signal qui existe à son pôle apical en signal produit au niveau de son pôle basal et, d’autre part, une modification de la capacité de l’afférent vagal à Photo 3 -31- La photo 3 (page précédente) illustre les résultats que nous avons obtenus après avoir perfusé soit du sérum physiologique soit du glucose dans la veine porte ou dans le duodénum. Les pseudo-couleurs traduisent un contraste statistique entre une stimulation duodénale versus une stimulation contrôle. On observe ici une activation du cortex préfrontal, du putamen (qui fait partie d’une des zones de la récompense), de l’aire piriforme antérieure et de l’hippocampe. La photo 4 montre les résultats d’une perfusion de nutriments dans la veine porte versus une perfusion de nutriments dans le tube digestif. Les zones activées sont différentes, puisqu’il s’agit du cortex dorsal antérieur, de l’insula et de l’hippocampe. L’hippocampe, surtout connu pour être une structure mémorielle, a donc bien d’autres fonctions. Photo 4 important de patients en surpoids, Volkow et son équipe ont montré, en 2009, qu’il existe une association négative entre le poids corporel et l’activation du cortex orbitofrontal. Ils ont également observé une activation moindre du cortex préfrontal chez les personnes obèses. Une question demeure : l’inhibition de certaines zones cérébrales est elle due à une neuromodulation liée à l’alimentation ou, au contraire, les personnes susceptibles de devenir obèses ontelles, au préalable, cette modulation/ altération des réseaux centraux ? Modulation centrale des signaux intéroceptifs La modulation au niveau central a été mise en évidence, au début des années 2000, par une équipe américaine dirigée par J.G Wang. Ils ont montré, en 2002, grâce à la technique de tomographie d’émission positronique (TEP), que les patients obèses ont un métabolisme accru dans les aires qui correspondent à la bouche, aux lèvres et à la langue. Encore fallait-il comprendre cette modulation centrale de l’information intéroceptive. Chez un nombre Notre modèle animal de prédilection nous permet de répondre à cette -32- plus, elles portent moins de récepteurs dopaminergiques. Cela est uniquement associé au régime alimentaire. Comme il y a une inhibition du striatum et que celui-ci est associé à tous les effets d’addiction, certains chercheurs se sont demandé si l’obésité pouvait être considérée comme une addiction ! Pour autant, comme le montre la photo 5, l’absorption d’amphétamines ou d’alcool entraîne une activation du striatum postérieur, tandis que le régime alimentaire entraîne une activation du striatum antérieur. L’obésité ne peut donc être considérée comme une addiction, au même titre que les amphétamines ou d’alcool. question. Nous avons étudié le métabolisme cérébral de mini-porcs de poids normaux, puis nous les avons rendus obèses. Grâce à l’imagerie cérébrale réalisée avant et après qu’ils soient devenus obèses, nous pouvons maintenant affirmer que les désactivations au niveau du cortex préfrontal et l’activation au niveau du thalamus résultent du régime alimentaire et ne sont pas préalables à l’obésité. En 2001, la même équipe a pu montrer toujours par TEP que, chez les patients obèses, la capture d’un agoniste dopamine de type 2 marqué au 11C était fortement diminuée et qu’il y avait une baisse de la densité des récepteurs dopaminergiques au niveau du striatum. Donc, non seulement les zones striatales chez les personnes obèses sont moins activées, mais, en Conséquences physiopathologiques et thérapeutiques Pour essayer de faire maigrir les patients, plusieurs stratégies sont proposées. On peut les répartir selon deux axes (schéma 7) : faible ou haut risque et faible ou forte efficacité pour le patient. Dans l’espace compris entre faible risque et faible efficacité, on trouve les régimes alimentaires (la plupart sont inefficaces et 80 % entraînent même, au bout d’un an, un surpoids par rapport au poids initial), les régimes « très basse énergie » (very low energy diet), des produits « pour maigrir » achetés en pharmacie et les endo-barrières (tubes très souples installés par endoscopie qui doivent freiner l’absorption des nutriments par la paroi de l’intestin grêle) qui Photo 5 -33- Schéma 7 tentent de faire une Roux en Y. La pose d’un ballon dans l’estomac s’avère également peu efficace. La Roux en Y modifie non seulement l’information chimique, mais aussi la réponse des cellules du complexe vagal dorsal à certaines hormones, comme la CCK. Browning et son équipe ont fait, chez le rat, des enregistrements des cellules du complexe vagal dorsal. Ils ont montré que les rats porteurs d’une Roux en Y présentaient une sensibilité accrue à la CCK, alors que cette sensibilité avait disparu lorsque le rat était préalablement soumis à un régime riche en graisse. La Roux en Y entraînait donc une modulation centrale de certaines hormones. Celleci est également capable de modifier la désactivation que l’on détecte chez les patients obèses, comme vous le verrez dans une des publications qui Les stratégies efficaces sont malheureusement à haut risque pour le patient. C’est le cas, notamment, de la chirurgie bariatrique. L’objectif est bien sûr de développer des stratégies de haute efficacité et de faible risque. La Roux en Y La stratégie dite de Roux en Y est la seule qui fonctionne sur le long terme. Elle doit son nom à un chirurgien vaudois, César Roux. Cette technique, décrite par le schéma 8, se compose d’une chirurgie dite restrictive et d’une chirurgie dite malabsorptive. -34- Schéma 8 La stimulation vagale chronique vous sera présentée. Une autre équipe a montré que, lorsqu’on présente à des patients obèses porteurs d’une Roux en Y, des photos de repas très riches en calories, on réactive les structures striatales, donc des structures de la récompense, qui étaient désactivées chez ces patients obèses. De même, sept semaines après la chirurgie, on observe une augmentation de la quantité de récepteurs dopaminergiques au niveau du striatum et une réactivation de ces neurones. Une des alternatives, qui est aujourd’hui probablement la plus avancée en termes de translationnalité à l’homme, est la stimulation vagale chronique. Cette méthode consiste à placer des électrodes de neurostimulation sur les troncs vagaux et à connecter ces dernières à une neuroprothèse placée sous la peau. L’ensemble permet de moduler, voire de retrouver, les informations provenant du tube digestif manquantes chez les personnes obèses. Le schéma 9 (page suivante) montre les résultats que nous avons obtenus chez le porc. Chez l’animal jeune et de poids normal comme chez l’animal adulte obèse, on observe une modification du comportement alimentaire, avec une réduction de la quantité d’aliments ingérés en comparaison des animaux contrôles. Si les effets sont à peu près identiques chez les deux types d’animaux, on observe Cette technique présente plusieurs inconvénients. Elle est assez lourde et totalement irréversible, mais surtout elle présente un risque élevé pour le patient. En effet, environ 7 % d’entre eux meurent des suites de la chirurgie à un mois ; d’où l’importance de trouver des solutions alternatives dans le cadre de ces modulations périphérique et centrale des informations digestives. -35- Schéma 9 un remodelage partiel des structures cérébrales centrales. Les photos de la série 6 illustrent la technique opératoire par cœlioscopie. Les électrodes sont placées sur les troncs vagaux et le neurostimulateur est placé en position sous-cutané. Nous nous sommes immédiatement rendu compte que la neurostimulation vagale active le réseau de la récompense, c’est-à-dire la substance grise, le putamen, le cortex cingular antérieur et le noyau caudé ; le cortex orbitofrontal n’est lui pas activé. La photo 7 montre une concordance entre les activations associées à la stimulation vagale et la présence de récepteurs dopaminergiques dans le cerveau (identifiés ici par la quantité de transporteurs - imagerie Datscan). Les mêmes structures sont activées dans les deux cas. Chez ces animaux qu’il existe un délai de quatre semaines entre le moment où on débute la neurostimulation et le moment où on commence à avoir des effets significatifs, délai qui est probablement associé à Photos 6 -36- on pouvait agir était le surpoids. Aujourd’hui, nous disposons de cibles thérapeutiques centrales beaucoup plus précises qui ouvrent la porte à des traitements sur le long terme. Méthodes d’obtention des images Mon objectif est de vous présenter les méthodes pour obtenir des images fonctionnelles du cerveau, afin que vous connaissiez les biais expérimentaux de ces méthodes. Malheureusement, même des chercheurs confirmés les ignorent et n’hésitent pas à tirer des conclusions erronées. Quand on fait de l’imagerie fonctionnelle chez l’homme, on utilise soit l’imagerie nucléaire, soit l’imagerie par résonnance magnétique nucléaire. Ces deux approches sont complémentaires, mais la première est de moins en moins utilisée pour des raisons d’irradiation. Chez l’animal, seule la médecine nucléaire est utilisée, car c’est la seule à ne pas être impactée par l’anesthésie obligatoire lorsque l’on cherche à réaliser une imagerie chez l’animal. Photo 7 obèses, il se produit une réactivation dopaminergique. C’est l’inverse de ce que l’on observe chez l’homme lorsqu’il devient obèse. Conclusions Le tube digestif est une structure sensorielle au même titre que les autres organes des sens. Il a cependant la particularité de pouvoir être modulé par le régime alimentaire. Il est régi par deux types de modulation, adaptable et plastique. À la modulation associée à la présence ou à l’absence de nutriments se surajoute une modulation associée aux régimes. Cette neuromodulation, périphérique et centrale, est perturbée par les éléments de la vie de relation, c’est-à-dire par la valence hédonique. Inversement, les structures hédoniques perturbent le comportement alimentaire. Jusqu’à présent, la seule cible thérapeutique sur laquelle Genèse de l’imagerie cérébrale Lorsque l’on fait de l’imagerie par résonance magnétique nucléaire, on s’intéresse au signal de l’IRM fonctionnelle, ou IRMf. On étudie l’effet bold (Blood Oxygénation Level Dependant), qui correspond à un apport plus important d’hématies oxygénées. Pour être activé, un neurone a besoin de sang et de glucose. -37- Comme les images n’ont pas la même couleur, le cerveau risque de détecter les couleurs, vert vs marron, au lieu des aliments, salade vs viande. Afin d’éviter cet artefact, il faut adapter les nuances de couleurs entre les images. Plus il travaille, plus ses besoins sont importants et plus cet apport sanguin est détectable. En fait, on détecte l’oxygène transporté par les hématies, ce qui ne représente que 2 % de tout le signal IRM. On ne joue donc que sur des variations de quelques % de 2 % du signal. C’est pourquoi, il faut impérativement optimiser le rapport signal sur bruit. Pour augmenter le signal et diminuer le bruit de fond, on produit un signal périodique et récurrent, puis on additionne chaque point de la période du signal. Avec l’IRM, on est obligé de faire des tests répétitifs de façon périodique. Beaucoup d’études utilisent la technique dite de block design. C’està-dire que l’on fait une tâche A (effet d’un son aigü par exemple), puis une tâche B (effet d’un son grave) et cela de façon répétée. La différence est faite entre la somme des tâches A et la somme des tâches B. Afin d’éviter une pollution de A par B, on intercale entre A et B des visions d’images de couleurs différentes (rouge versus verte) qui n’ont rien à voir avec le son. La médecine nucléaire convient mieux aux études sur la nutrition dans la mesure où le pas de temps des stimuli que l’on peut utiliser est beaucoup plus proche du pas de temps de la nutrition. Par exemple, on peut comparer deux régimes qui ont été donnés successivement à un patient pendant une semaine. Avant 2013, l’IRMf permettait d’étudier les effets de l’activation et de la désactivation des structures cérébrales avec la récurrence des signaux. Néanmoins, depuis cette date, on peut utiliser une stratégie d’IRM fonctionnelle dite de steady state qui permet de créer un réseau d’activation potentielle de structures cérébrales à partir d’une zone origine (dite de seed), que l’on a définie a priori. Cette méthode rend possible l’étude de la présence ou de l’absence d’un réseau cérébral au cours de phénomènes très lents bien adaptés à notre pas de temps en nutrition. Elle est très importante car elle cherche à approcher ce que l’on peut faire en médecine nucléaire en utilisant la puissance de l’IRM. Le signal bold a un autre inconvénient : il disparaît très vite, au bout de deux à trois secondes maximum. Tous les stimuli que l’on veut fournir au cerveau ne sont pas adaptés à cette récurrence rapide. Par exemple, on peut présenter une image d’un aliment riche en graisses versus un aliment pauvre en graisses (salade vs steak par exemple), mais pas l’aliment lui-même. Pour obtenir une imagerie fonctionnelle, on fait en réalité deux imageries : l’une est dite fonctionnelle et l’autre anatomique. En effet, pour pouvoir -38- C-H.M. Contrairement à d’autres nerfs, comme les nerfs spinaux, le nerf vague est incapable de réflexe d’axone, car les fibres C et Aδ, qui sont les seules présentes au niveau abdominal, en sont incapables. Ce réflexe n’est possible qu’avec les fibres Aα et B. A priori, il n’y a pas de risque au niveau cardiaque. De plus, nous ne faisons pas une stimulation du nerf vague, mais une neuromodulation vagale, c’est-àdire un remodelage vagal au niveau du complexe vagal dorsal. La stimulation, au sens strict du terme, des fibres C et Aδ, qui sont de petit diamètre, nécessiterait des quantités plus importantes de densité électronique et pendant un temps plus long, alors que pour leur neuromodulation, nous n’utilisons que 5 mA pendant 1 milliseconde. comparer des images cérébrales, il faut mettre les images fonctionnelles dans le même référentiel spatial (on parle de référentiel stéréotaxique). Par exemple, les structures du cortex antérieur d’un front relativement vertical par rapport à un front incliné vers l’arrière ne sont pas positionnées dans le même référentiel. Le cerveau d’un patient ayant vécu à Montréal sert aujourd’hui de référence au monde entier. Sur les photos que je vous ai présentées, l’image anatomique du cerveau de référence est en gris. Les spots de couleurs symbolisent la différence statistique entre deux groupes d’individus ayant subi deux protocles de stimulation differents. Du fait de l’importance du bruit de fond, on ne peut qu’établir des différences populationnelles. Discussion Commentaire La dérégulation associée à l’obésité est-elle réversible ? Avec un régime ad hoc, avezvous réussi à réverser le poids des porcs et à obtenir des signaux normaux ? Si oui, au bout de combien de temps ? J.F. Merci d’avoir un peu levé le voile sur cette « boite noire » qu’est le cerveau : on voit ce qui entre et ce qui sort, mais le milieu reste un mystère. Tu nous as montré à quel point la densité nerveuse du tube digestif est grande. Chaque villosité est extrêmement riche en neurones. Le cerveau est au courant de tout ce qui se passe dans le tube digestif, même des contractions intestinales. C-H.M. Au niveau périphérique, il faut compter, chez l’homme comme chez l’animal, une quinzaine de jours pour obtenir une inhibition de l’information, tandis que la réversion de la dérégulation nécessite près de trois mois. Au niveau central, nous n’avons pas encore eu le temps de faire les manips chez l’animal. Chez l’homme, les seules données dont on dispose concernent des patients ayant subi des La stimulation artificielle du nerf vague, que vous avez qualifié d’autoroute de l’information, ne risque-t-elle pas d’avoir aussi des effets au niveau cardiaque ? -39- roux en Y. Il faut compter deux mois post-opératoires pour avoir un début de réversion de la désactivation du cortex orbitofrontal et du préfrontal. Il n’y a pas de données associées aux régimes. Quels sont les effets d’un régime high fat ? C-H.M. La régulation négative est beaucoup plus importante avec les régimes riches en graisse qu’avec des régimes riches en glucose ou en fructose. Quand on régule à la baisse l’absorption et la détection des lipides, la détection des glucides est également perturbée ; pourtant les transporteurs sont différents. Je pense que l’extrémité afférente vagale porte des récepteurs qui sont identiques pour les substances qui sont libérées au niveau basal après l’absorption de lipides ou de glucides. Il est probable que c’est à ce niveau qu’une régulation négative croisée se produit. Dans les années 90, on parlait beaucoup d’une molécule qui empêchait l’absorption des acides gras et qui avait sans doute un effet sur la libération de CCK. On l’appelait orlistat. L’utilise-t-on encore aujourd’hui ? C-H.M. L’Orlistat, ou d’autres, avaient des effets secondaires néfastes dus à la présence de lipides non digérés dans le colon : vous imaginez aisément les conséquences sur le transit ! De plus, orlistat n’a guère d’effet sur l’amaigrissement des patients. Par contre, c’est un superbe outil pour les chercheurs car il bloque l’absorption des lipides au niveau des cellules entérochromaffines. Lorsque l’on met des lipides dans le duodénum, on peut étudier l’effet de la distension sans l’effet chimique qui est associé à la présence de lipides émulsifiés. J’ai beaucoup utilisé cette molécule comme outil expérimental. Dans les études cliniques, son efficacité était limitée, notamment parce que les patients en prenaient pendant quelques mois puis s’arrêtaient (les lipides n’étant pas les seuls nutriments qui font grossir). Pour qu’une oie fasse du foie gras, on ne la gave pas avec des lipides mais avec du maïs. Pour toutes ces raisons, l’orlistat n’est plus en vogue aujourd’hui. G.M. Il est très difficile de distinguer l’effet signal de l’effet métabolique qui est pourtant très différent pour le glucose ou le fructose, et qui est également tissu dépendant. Si j’ai bien compris tes premiers schémas, il n’y a pas de détection des nutriments en tant que tels si ce n’est à travers leur effet hormonal ou humoral détecté au niveau de la barrière intestinale. Je réaffirme que le neurone vagal est insensible aux nutriments, y compris glucidiques. Il nécessite l’existence d’un intermédiaire cellulaire qui libère une substance qui elle même agit sur le neurone sensoriel vagal. On ne sait toujours pas exactement ce qui permet au nerf vague de détecter les nutriments. C’est vraiment extrêmement complexe, car si on prend deux nutriments -40- Article 1 aussi différents que les lipides et les protéines, les deux ont les mêmes effets sur la libération des hormones gastro-intestinales, que ce soit le GLP1 ou la CCK. " Obese patients after gastric bypass surgery have lower brain-hedonic responses to food than after gastric banding " Oui pour la libération circulante, mais non au niveau paracrine. Par exemple, on est incapable de détecter l’augmentation de sérotonine postprandiale qui existe pourtant au niveau paracrine. présenté par Stéphanie da Silva Introduction L’obésité qualifie l’état d’un individu qui présente un excès de poids du fait d’une augmentation de sa masse adipeuse avec un indice de masse corporelle supérieur ou égal à 30. Depuis 1997, elle est reconnue par l’OMS comme étant une maladie. Cette organisation définit le surpoids et d’obésité comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle pouvant nuire à la santé. La chirurgie bariatrique est actuellement la méthode la plus efficace, à long terme, pour traiter l’obésité et les problèmes de comorbidités qui lui sont associées. Deux techniques sont utilisées : l’anneau gastrique et le bypass (ou roux en Y). Je suis tout à fait d’accord quant à la présence d’un intermédiaire, mais je pense qu’il existe aussi une sensibilité spécifique du duodénum aux nutriments. Actuellement, la plupart des données laisse à penser qu’un même neurone est capable, selon l’environnement (nutritionnel et autres) dans lequel il se trouve, de détecter un peu de glucose, un peu d’acide gras à courte ou à longue chaîne. Cette détection et cette spécificité du neurone par rapport à un nutriment donné est modulable par le régime alimentaire. Pourquoi l’appelle-t-on « nerf vague » ? Le nerf vague est aussi appelé nerf pneumogastrique. Il correspond à la 10e paire de nerf crânien. C’est un nerf très long situé de part et d’autre de l’organisme. On sait d’où il part, mais on ne sait pas exactement où il s’arrête, d’où son nom. Certains pensent qu’il va jusqu’au colon proximal, d’autres jusqu’à l’anus. L’anneau gastrique L’objectif est de limiter la quantité d’aliments arrivant à l’estomac. L’anneau est placé au niveau de la jonction avec l’œsophage. À partir de 1986, des anneaux ajustables ont permis de réaliser les gastroplasties sans agrafe. La perte de poids est en moyenne de 14 %. -41- Le by-pass a permis d’identifier plusieurs zones cérébrales : noyau accumbens strié et noyau caudé (conditionnement de la réponse, de l’attente ; comportements d’habitudes et de motivations), amygdale (réponse émotionnelle aux stimuli de récompense), insula antérieure (intégration des informations sensitives et notamment gustatives), cortex orbitofrontal (code la valeur de la récompense et la prise de décision associée). Cette technique associe la réduction de la taille de l’estomac et la malabsorption des aliments. Elle consiste à faire une transsection verticale de l’estomac de façon à isoler une poche proximale de capacité restreinte (10 à 30 ml). Séparée du reste de l’estomac, cette poche est ensuite reliée directement au jéjunum. La perte de poids est en moyenne de 25 %. Activation cérébrale avec des images d’aliments Cette étude associe les deux types de chirurgie. L’objectif de ce travail repose sur l’hypothèse selon laquelle la perte de poids plus importante obtenue avec le by-pass qu’avec l’anneau gastrique pourrait être due à des différences de perception des aliments et du plaisir via des changements physiologiques. Pour cela, les auteurs utilisent l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique chez trois types de patients de caractéristiques comparables (âge, sexe, IMC, caractéristiques psychologiques…) : 20 patients obèses non opérés (BMI-M), 21 patients obèses avec un anneau gastrique (BAND), 20 patients obèses avec un by-pass (RYGB). Chez les patients opérés, les analyses ont été faites deux mois après l’intervention. L’activation est plus faible chez les patients by-pass vs anneau gastrique avec les images d’aliments riches en calories et au niveau du cortex orbitofrontal et de l’amygdale. Comportements alimentaires On observe une baisse de l’attrait alimentaire envers les aliments à forte densité calorique et les aliments sucrés chez les patient by-pass par rapport aux patients des deux autres cohortes. Il n’y a pas de diminution de la consommation de crème glacée sucrée, mais une baisse de la perception de plaisir et de la consommation de lipides chez les patients by-pass par rapport aux patients anneau gastrique. On note aussi une diminution de la sensation de faim, du plaisir à manger et du volume de nourriture ingérée chez les patients opérés par rapport aux patients non opérés. Les troubles alimentaires psychologiques sont Résultats Zones cérébrales d’intérêt L’étude de l’activation neuronale, en réponse à des stimuli alimentaires, en mesurant le niveau d’oxygène sanguin -42- Les résultats de cette étude mettent en évidence : moins importants chez les patients bypass par rapport aux patients des deux autres cohortes (résultats obtenus à partir de questionnaires). z que la chirurgie de type bypass permet aux patients obèses d’améliorer leur perte de poids à plus long terme ; Phénotypes hormonaux et métaboliques. Après un repas, on observe chez les patients by-pass, par rapport aux patients anneau gastrique, une plus forte de sécrétions 1) de glucagon-like peptide-1 (GLP-1 fait partie des hormones de satiété), 2) du peptide YY (PYY réduit l’appétit), 3) d’acides biliaires (ils facilitent l’absorption des graisses alimentaires). Par contre, il n’y a pas de modification du taux de ghréline (hormone induisant la satiété). z l’implication de l’axe cerveau dans l’obésité ; intestin- zqu’il conviendrait d’explorer davantage l’axe intestin-cerveau en liaison avec le circuit de la récompense et l’aspect hédonique de l’alimentation, afin de développer des traitements non chirurgicaux de l’obésité. Discussion Conclusions Quelles sont d’après vous les limites de cette étude ? Les patients qui ont subi une chirurgie bariatrique de type by-pass présentent une réponse à l’alimentation différente de ceux ayant un anneau gastrique ajustable. En effet, on observe chez les premiers : 1) une baisse de l’activation cérébrale des zones relatives à la récompense alimentaire ; il en découle une baisse de l’attrait pour les aliments sucrés et gras ; 2) une augmentation de la sécrétion des hormones et des peptides liés à la satiété, d’où une diminution du volume alimentaire consommé ; 3) un syndrome de dumping plus important car, même si d’après les questionnaires, les patients ayant subi un by-pass disent se sentir mieux, on observe, chez eux, un sentiment général de malaise et une accélération du pouls après qu’ils aient consommé des aliments sucrés. S.DS. Je pense que les panels des trois groupes de patients étaient trop restreints pour permettre de corréler les taux d’hormones et de peptides sanguins avec l’activation neuronale liée à la récompense et au plaisir. Il me semble aussi que la répartition des patients a été faite en fonction de la comorbidité ou de leurs besoins et non de manière randomisée. Les auteurs n’ont pas tenu compte de la notion de plaisir alimentaire avant la chirurgie, et je pense qu’il aurait peut-être été intéressant de connaître cet aspect psychologique des patients avant leur opération. Les patients du groupe bypass avaient plus de comorbidités préopératoires et plus d’effets secondaires post-opératoires, comme la nausée -43- post-prandiale qui doit aussi être associée au syndrome de dumping. Enfin, j’aurais tendance à relativiser le test de consommation de la crème glacée, car les patients du groupe by-pass sont moins attirés par les aliments sucrés. Un panel alimentaire aurait peut-être été plus intéressant pour évaluer le volume ingéré et la consommation alimentaire. Pour quelles raisons les auteurs ont-ils choisi la stratégie de l’anneau gastrique et celle de la roux en Y ? Pouvez-vous nous expliquer les avantages et les inconvénients des deux chirurgies. S.DS et C-H.M. Ce sont actuellement les deux stratégies les plus utilisées dans le traitement de l’obésité. L’anneau gastrique est ajustable. Il est placé au niveau de la jonction de l’estomac avec l’œsophage, ce qui permet de comprimer l’estomac. Il présente l’énorme avantage de pouvoir être retiré. Par contre, il présente aussi un risque majeur de remontée intrathoracique de l’anneau du fait de la destruction partielle des moyens de fixation de l’estomac. Cette remontée est une urgence médicale et chirurgicale absolue car il y a un risque de mort imminente. La roux en Y permet une perte de poids plus importante et diminue certaines comorbidités, comme le diabète de type II. Par contre, c’est une chirurgie irréversible. De plus, le fait qu’il ne subsiste qu’une toute petite poche pose des problèmes de malabsorption des nutriments, des minéraux et des oligo-éléments. Par exemple, la non absorption de certaines vitamines liposolubles nécessite une supplémentation médicamenteuse à vie. Merci pour votre très bonne analyse de cet article qui soulève pas mal de questions. Je vais commencer par répondre à votre dernière critique : crème glacée versus panel alimentaire. C-H.M. Quand un patient est dans l’IRM, bien qu’il soit sanglé, si son cerveau bouge de plus de 2 mm, on a ce qu’on appelle un artefact de susceptibilité magnétique qui ne permet plus de faire l’analyse d’IRM fonctionnelle. C’est ce qui se produit avec le simple fait de mâcher. C’est la raison pour laquelle les auteurs ont choisi de donner de la crème glacée préalablement passée au four à micro-ondes, le patient devant l’aspirer à l’aide d’une paille. Avec l’imagerie fonctionnelle, l’image est enregistrée durant le paradigme, ce qui pose un gros problème qui n’existe pas en médecine nucléaire. En effet, celleci permet de dissocier paradigme et imagerie, car le patient reçoit le radiotraceur hors de la machine. Par contre, avec la médecine nucléaire, on perd la notion temporelle et dynamique que l’on a avec l’IRM, grâce à laquelle on obtient des images successives. Comment expliquez-vous le faible nombre de patients ayant subi une roux en Y ? C-H.M. Contrairement à la pose d’un anneau gastrique, une chirurgie de type by-pass est assez peu reproductible. La -44- Avec les mêmes données, ils auraient pu aller beaucoup plus loin. C’est vraiment l’archétype d’une expérience que l’on pourrait ré-analyser, grâce notamment aux archives ouvertes. taille de la poche qui subsiste varie selon les chirurgiens et leurs patients. Pour limiter les artefacts liés au chirurgien, on ne prend que les patients d’un même chirurgien sur une période la plus restreinte possible. Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le resting fMRI et nous dire pourquoi les auteurs ont d’abord utilisé le resting fMRI et ensuite la stratégie d’IRM dite classique, alors qu’habituellement on fait le contraire ? Les auteurs de l’article auraient-ils pu tirer d’autres conclusions ? C-H.M. Je ne comprends pas pourquoi ils ont fait de l’imagerie d’un côté, du comportement, du dosage d’hormones et de peptides de l’autre. Pourquoi n’ont-ils pas analysé tout en même temps ? Aujourd’hui, les outils informatiques permettent d’intégrer des données non images aux images. En d’autres termes, quand on fait des statistiques d’images, voxel à voxel (un voxel est un pixel en 3D), on peut intégrer des variables dites explicatives et des variables dites de nuisances. Dans ce type de modèle, ils auraient dû tenir compte de la perte de poids du sujet entre l’avant et l’après chirurgie. Cette variable de nuisance aurait permis d’évacuer les facteurs ayant pollué l’information finale. On peut aussi augmenter la puissance de l’analyse d’images en utilisant des variables explicatives. Intégrer des données de nutrition, des données images aux données statistiques permet de donner un sens physiologique beaucoup plus important. Je ne comprends pas pourquoi les auteurs ont choisi le seul outil informatique d’analyse de l’imagerie fonctionnelle qui ne permettait pas de faire cette intégration. C-H.M. Le resting fMRI (ou encore resting state) permet de faire une analyse dite sans a priori. Les auteurs ont d’abord comparé, sans a priori, tous les voxels des patients des deux groupes (roux en Y et anneau gastrique), afin de trouver ceux qui étaient différents. Sur les zones identifiées comme étant pertinentes (cortex orbitofrontal, amygdale, insula antérieure, noyau accumbens), ils ont ensuite fait une analyse avec un a priori. S’ils avaient fait, dans un premier temps, une analyse avec a priori, elle aurait été très critiquable. C’est une très belle étude, publiée dans Gut, qui répond parfaitement à la question posée mais, à mon avis, elle aurait pu livrer d’autres informations. -45- Article 2 raison pour laquelle les auteurs de cette étude ont utilisé un édulcorant non calorique présentant le même pouvoir sucrant, c’est-à-dire la même valeur hédonique, qu’une boisson sucrée. Ils ont voulu tester deux hypothèses : 1) les régions cérébrales stimulées chez les sujets obèses et les sujets minces lors de l’ingestion d’une boisson édulcorée ou sucrée sont similaires ; 2) après qu’ils aient consommé ces boissons, la stimulation visuelle par des images liées à l’alimentation entraîne des réponses cérébrales supérieures chez les sujets obèses par rapport aux sujets minces. En l’occurence, il s’agit de 20 femmes, 10 obèses et 10 minces, pour lesquelles les critères d’exclusion au moment de la sélection ont été : les chirurgies gastro-intestinales, les problèmes psychologiques, les traitements médicaux, les maladies chroniques, la grossesse, le tabagisme... " Differences in brain responses between lean and obese women to a sweetened drink " présenté par Sarah Ployon Introduction Aux États-Unis, on compte aujourd’hui près de 34 % de personnes obèses et 34 % de personnes en surpoids, ce qui, en 2013, représentait déjà un coût de 75 milliards de dollars. Les effets des régimes sont décevants sur le long terme et seule la chirurgie a aujourd’hui une certaine efficacité. On sait que l’ingestion d’un aliment sucré active le circuit de la récompense, qui est régulé par les signaux endocriniens et neuroendocriniens de la satiété. On pense qu’un déséquilibre entre les mécanismes vagaux et endocriniens de la satiété et le circuit de la récompense pourrait être à l’origine d’une prise alimentaire excessive. Des études précédentes ont montré que, lors de stimulations visuelles par des aliments riches ou pauvres en calories, les réponses cérébrales étaient différentes entre les personnes obèses et les personnes minces. On retrouvait cette différence d’activité cérébrale lorsque les personnes regardaient ces mêmes images après avoir consommé de l’eau ou de l’eau sucrée. L’eau étant non palatable, les sujets savent qu’ils consomment une boisson non calorique pour laquelle il n’y a pas de composante hédonique. C’est la Résultats Variables cliniques et appétit Les deux groupes de femmes ont un profil psychologique (état dépressif ou d’anxiété) similaire. Les réponses physiologiques sont semblables, car il n’y a aucune différence de perception entre la boisson sucrée et la boisson édulcorée. Toutes deux entraînent une diminution de la sensation de faim et de l’envie de sucré, ainsi qu’une augmentation de la satisfaction. Cependant, la perception est plus faible chez les sujets obèses. -46- Réponses cérébrales associées à la consommation de boissons édulcorée ou sucrée suivie d’une stimulation visuelle Pour les deux groupes, on observe une activation de l’insula gauche, de l’amygdale bilatérale, de l’hippocampe gauche et du cortex cingulaire antérieur bilatéral, avec toutefois une intensité plus élevée chez les personnes obèses. Par contre, chez les personnes obèses qui ont consommé une boisson sucrée, on note l’activation de l’insula antérieure bilatérale, du cortex cingulaire antérieur droit, de l’amygdale bilatérale, de l’hippocampe gauche et du cortex visuel ne se produit que. Cette expérience montre, d’une part, qu’une stimulation visuelle après l’ingestion d’une boisson sucrée (sucre ou édulcorant) entraîne une réponse excessive chez les personnes obèses et, d’autre part, que d’autres mécanismes liés au taux de glucose circulant pourraient être impliqués. Réponses cérébrales associées à la consommation des boissons Après la consommation d’une boisson édulcorée ou sucrée et la visualisation d’une image neutre (c’est-à-dire non liée à l’alimentation), les images de l’IRMf montrent, chez les deux groupes de sujets, une activation des mêmes zones cérébrales : thalamus, amygdale, hippocampe, insula antérieure droite. La perception des deux boissons par tous les sujets découle donc de l’activation des mêmes récepteurs linguaux et intestinaux. Elle ne nécessite pas l’intervention d’autres mécanismes requérant l’absorption de glucose. Réponses cérébrales et sensation subjective de faim lors d’une stimulation visuelle par l’image d’un aliment La sensation subjective de faim est évaluée avec le questionnaire de satiété. Un score élevé correspond à une sensation de faim élevée. L’IRM montre, tant pour les personnes obèses que pour celles du groupe contrôle qui ont consommé les deux boissons et regardé des images d’aliments, une activation de l’insula postérieur gauche. Par contre, l’activation de l’insula antérieure bilatérale n’existe que chez les personnes obèses. Cette expérience montre que la sensation de faim est plus importante chez les personnes obèses. Elle est corrélée à une augmentation de l’activation des circuits hédoniques engagés durant la stimulation visuelle. Conclusion Chez les personnes obèses, les signaux intestinaux post-ingestion génèrent moins d’effets hédoniques que la mémoire stimulée par des images d’aliments. Discussion Qu’avez-vous pensé de cet article ? S.P. Je n’ai pas trouvé que l’objectif était bien défini et que les hypothèses étaient clairement exposées. Les auteurs ne parlent de stimulation visuelle que -47- de l’imagerie. Cette étude a été menée par une très bonne équipe dirigée par E.A. Mayer qui travaille chez l’homme et non chez l’animal. Chez l’homme, on fait des tests de latéralisation avant de commencer les expériences afin d’expliquer les latéralisations si tant est que l’on en trouve. Les personnes qui font de l’imagerie travaillent avec des physiciens et, comme eux, ils savent ce que c’est que de partager d’énormes quantités de données brutes. Les données d’imagerie doivent toujours être présentées de la même façon, ce qui donne le tableau que vous avez trouvé immonde. De plus, les coordonnées sont définies par rapport à un set de coordonnées, dont l’un est appelé MNI, car les données ont été élaborées par le Montreal Neurological Institut. L’autre set de référence est décalé de près de 1 cm dans toutes les directions de l’espace par rapport au set MNI. Pour être acceptée, une publication relatant une expérience d’imagerie doit impérativement comporter certaines informations dans le but, d’une part, de pouvoir refaire l’expérience et, d’autre part, d’abonder les archives ouvertes. Comme la place est limitée dans les revues, les tableaux sont souvent mis en annexes supplémentaires, non publiées mais accessibles. Je pense qu’à terme, tous les secteurs de la biologie seront contraints de faire la même chose. Cela aura, et a déjà, des conséquences importantes en termes de financements et de structures, car celles-ci nécessitent désormais des moyens dans la partie « matériels et méthodes ». J’ai impression qu’ils n’ont fait que valider une hypothèse qu’ils avaient déjà proposée dans un article antérieur. J’ai parfois été noyée par la quantité d’informations, en particulier par les différentes régions cérébrales, droites, gauches, antérieures, bilatérales. Le fait qu’ils aient choisi de prendre une boisson sucrée et une boisson édulcorée a permis d’éviter le biais des études précédentes, car il n’y avait pas de différence hédonique entre les deux boissons. Je ne sais pas si c’est une bonne idée d’avoir fait les deux tests à 25 minutes d’intervalle (on considère que c’est le temps qu’il faut pour que l’organisme ressente la satiété après l’ingestion d’un aliment). Concernant la sélection des sujets, je trouve qu’ils ont fait une bonne standardisation, mais que le nombre de personnes par groupe était faible. Pour les stimulations visuelles, ils ont pris le temps de connaître les goûts de chacun, afin que des préférences ou des aversions ne viennent pas biaiser les résultats. Quant aux résultats, ils les ont présentés dans de grands tableaux de coordonnées d’IRM, assez indigestes pour les non-initiés. Je pense aussi qu’il manquait un contrôle, à savoir une stimulation visuelle mais sans consommation de boisson. Commentaires C-H. M. Je vous remercie pour tous les points que vous avez soulevés, et je me rends compte qu’ils ne vont pas de soi pour les gens qui ne font pas -48- considérables pour fonctionner. Une seule expérience pourra faire l’objet de plusieurs publications par des équipes différentes qui n’auront plus que les données à analyser. femmes au même moment du cycle hormonal. Par contre, on sait, mais on n’en connaît pas la raison, que la désactivation du cortex orbitofrontal que l’on observe chez les personnes obèses est beaucoup plus marquée chez la femme, quel que soit le moment du cycle, que chez l’homme. Wang avait relaté cette observation dans ses premières publications. Les auteurs de cet article ont donc introduit un biais expérimental en ne prenant que des femmes, mais tout le monde préfère avoir des sujets répondants plutôt que des sujets peu répondants. Concernant le nombre de patients que vous avez trouvé faible (4X10), il est quand même à l’origine de 40 sets d’images. Or, un set d’images d’IRMf représente entre 3 et 4 Go de données. L’ordinateur va donc devoir gérer entre 150 et 200 Go de données, ce qui nécessite déjà une mémoire vive importante. Une expérience en imagerie générant plusieurs To de données, nous sommes déjà plus que limités par la puissance de nos machines. Pour vous donner un ordre d’idée, l’INRA essaye aujourd’hui de constituer une archive ouverte de données, mais l’institut dispose de moins de 5 To. Pourquoi les auteurs ont-ils différencié l’insula postérieure gauche de l’Insula postérieure droite et de l’insula bilatérale, sans en expliquer l’intérêt ? C-H.M. Le laboratoire de Mayer est un laboratoire assez riche puisqu’il dispose d’une IRM qui fait 7000 fois le champ magnétique terrestre. Plus le champ magnétique produit par la machine est important, plus le rapport signal / bruit augmente, ce qui permet de détecter des sous structures dans l’insula. Les auteurs de l’article précédent ne disposaient que d’une IRM de 3 tesla qui ne leur permettait pas d’identifier des sous-structures. Grâce à neurospin, la France est en train de se doter de la machine la plus puissante au monde, une IRM de 12 tesla. Ce projet est porté par le CEA et l’INSERM à Saclay. On espère pouvoir y mettre un patient en 2015 ou 2016. Cette machine permettra d’isoler des Vous avez, à juste titre, soulevé un point très important : la qualité des hypothèses. L’imagerie fonctionnelle cérébrale repose sur les hypothèses : on pose une hypothèse, on monte son expérience et on valide, ou non, l’hypothèse. Le paradigme ne peut être construit sur une idée vague. L’imagerie est l’antithèse de toute la biologie en « omique ». Pourquoi les auteurs n’ont-ils choisi que des femmes ? C-H.M. Ce n’est pas pour des raisons hormonales, puisqu’ils ont supprimé le problème en choisissant des -49- structures d’une centaine de neurones, et donc d’identifier, par exemple, une trentaine de sous-zones de l’insula. longtemps travaillé sur les troubles digestifs et en particulier sur le côlon irritable, qui est une pathologie essentiellement féminine. Peut-être as-tu une autre explication ? Le cerveau d’une femme et celui d’un homme ne se développent pas de la même façon. Ce n’est pas qu’une question d’hormones. Il y a aussi des différences au niveau des transcriptions et des phénomènes d’épigénétique. A-t-on, grâce à l’imagerie fonctionnelle, une idée plus claire de ces différences entre les sexes ? C-H.M. Je ne sais pas quelle était leur raison, mais moi j’ai choisi cette revue car c’est la toute première qui, dans le domaine de la nutrition, utilise les dernières avancées algorithmiques du resting state pour mélanger des données non images. Mayer et son équipe ont réussi à faire le lien entre satiété et imagerie. En intégrant dans leur modèle des données non images, ils ont réussi à n’avoir qu’une seule zone réellement activée : l’insula. Ils n’ont pas utilisé le même logiciel d’analyse que celui de l’expérience précédente. Ils ont utilisé le logiciel SPM, qui a une capacité d’inférence bayésienne et dont l’algorithme intégré permet d’introduire des données non images. C-H.M. Je sais qu’une équipe du Royal College a récemment publié dans la revue « Nature » un article sur la perception géospatiale chez l’homme et chez la femme. Il me semble qu’ils n’ont pas trouvé une seule zone du cerveau identique dans les deux cas. À la lecture du titre et après avoir lu l’article, je me suis demandée pourquoi les auteurs avaient choisi de publier dans la revue Neurogastroenterol Motil. Mayer a Charles-Henri Malbert, US ANI-SCAN, INRA, Rennes Articles analysés > Article 1 : présenté par Stéphanie da Silva, Toxicologie alimentaire, Toulouse Obese patients after gastric bypass surgery have lower brain-hedonic responses to food than after gastric banding, Scholtz S. et al., Gut Online First, 20 August 2013, doi: 10.1136/gutjnl-2013-305008 > Article 2 : présenté par Sarah Ployon, Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, Dijon Differences in brain responses between lean and obese women to a sweetened drink, Connolly et al., Neurogastroenterol Motil (2013) 25, 579-e460 -50- 3 Session 3 Jocelyn est Maître de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique de Rennes. Il est aussi professeur invité à l’université de Montréal. Il a été, malheureusement de façon très éphémère, chargé de recherche à l’INRA. Sans doute a-t-il préféré le cidre breton au vin de Bourgogne ? Il s’intéresse depuis plusieurs années aux aspects sociologiques de l’alimentation. Rôle des interactions individus environnements dans les comportements alimentaires : éléments de réflexion théorique et pratique Jocelyn Raude Citons, par exemple, les ω 3 qui étaient inconnus du grand public il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, je vais surtout vous parler des interactions environnements-individus dans les comportements alimentaires. L’université de Los Angeles (UCLA) et l’université de Montréal ont été les premières à proposer des modèles sur la manière dont les environnements sociaux et culturels influencent nos pratiques et nos comportements. Les premiers travaux datent de la fin des années 80. Je vais vous présenter les apports de cette réflexion écosystémique qui fait appel aux différentes sciences humaines : la sociologie, la psychologie, l’économie et l’anthropologie. Introduction Comme l’a dit Jean, je m’intéresse depuis quelques années aux phénomènes cognitifs sous-jacents aux modifications du comportement alimentaire autour des thèmes de la santé, de l’alimentation et de la maladie. En effet, on s’est aperçu que des termes, des notions, des idées, des croyances ou des représentations, qui émanent du monde scientifique, émergent dans l’espace public et ont des trajectoires qui peuvent, dans certains cas, donner lieu à des modifications du comportement alimentaire. Nous avons ainsi pu observer des changements assez importants ces dernières années sur des pratiques alimentaires dans tous les grands pays développés. -51- Qu’est-ce qu’un comportement ? illégal, mais constitue une infraction dans un code culturel qui veut que, dans un microcosme, on se dise au moins bonjour, au revoir ou merci. Les approches normatives sont étudiées par l’anthropologie, la sociologie et, dans certaines mesures, la psychologie. Ces disciplines cherchent à savoir quelles sont les normes sous-jacentes à tout système culturel. Les approches descriptives sont celles qui essaient de comprendre les motivations des acteurs. Nous avons tous une marge de liberté dans ce qui nous est donné de faire ou de ne pas faire. Une grande partie du travail des sociologues et des psychologues est d’essayer de trouver les raisons et les motivations qui expliquent les comportements. Par exemple, on peut se demander pourquoi la consommation des fruits et des légumes augmente aujourd’hui en France, alors qu’il y a cinq ou six ans elle était plutôt en baisse. La notion de « comportement » a, dans les sciences humaines, une définition différente de celles qui dominent dans les sciences de la vie. Elle est souvent utilisée de manière interchangeable avec les concepts d’action, d’habitude, de pratique et de choix ou de décision. D’une manière générale, le concept de « comportement » fait référence à quelque chose que les individus font, ou s’abstiennent de faire, de manière plus ou moins intentionnelle ou involontaire. En général, on distingue les actions des habitudes. L’action est le plus souvent unique, mais si elle devient répétitive et n’exige plus de processus conscients de délibération devant aboutir à une décision ou à une action, elle devient une habitude. Les économistes utilisent plutôt les concepts de choix ou de décision là où les sociologues et les anthropologues utilisent la notion d’action. Les approches infra-personnelles versus les approches supra-personnelles Les différentes manières d’appréhender les comportements Ces approches ne concernent pas seulement la psychanalyse, car elles s’appuient sur toutes les théories de l’inconscient et du cognitif. Elle s’intéresse à tous les réflexes et toutes les fonctions qui ont été sélectionnés au cours de l’histoire et qui, par exemple, ont permis à l’homme mais aussi aux autres animaux de capter les signaux de danger, de reconnaître les intentions… Les approches normatives, ou prescriptives, versus les approches descriptives, ou compréhensives La plupart des comportements sont encadrés par des normes qui s’inscrivent dans un système culturel donné. Par exemple, ne pas saluer une personne que l’on rencontre dans un contexte social n’est, en soi, pas -52- Les approches synchroniques, ou statiques, versus les approches diachroniques, ou dynamiques Les premières cherchent à comprendre quels sont les facteurs qui expliquent, à un moment donné, tel ou tel comportement. Les secondes s’intéressent aux séquences, à la progressivité des actions qui conduisent à un comportement. Par exemple, comment devient-on fumeur ? ou pourquoi a-t-on choisi tel régime alimentaire ? Les approches individualistes, ou théorie de l’agent, versus les approches écosystémiques, ou théorie structuraliste Schéma 1 schéma 1 est un des premiers modèles, et il date du début des années 90, qui synthétise la manière dont on pouvait penser les interactions entre des environnements naturels, sociaux, des expériences personnelles et leurs influences sur des comportements. Les travaux que je mène à l’université de Montréal s’appuient sur ce type de représentation. Les premières mettent l’accent sur la liberté de l’acteur qui dispose d’une autonomie par rapport à un système de normes ou de valeurs ; mais cette liberté de choix est aussi contrainte. Les écosystèmes qui nous gouvernent et pèsent sur nos comportements, nos choix et nos habitudes sont pris en compte dans la théorie structuraliste. L’approche écologique Modèles individualistes versus structuralistes L’écologie est définie comme étant la science qui s’intéresse aux interactions complexes et multiples entre des organismes et leur environnement. C’est vrai pour la biologie, mais c’est également vrai pour les sciences sociales. La psychologie sociale est née dans les années 40. Son fondateur, Kurt Lewin, écrivait déjà que les comportements résultaient d’interactions entre les individus et les environnements. Le Au sein des sciences sociales et humaines, on distingue les approches théoriques qui mettent l’accent, soit sur les facteurs endogènes, intrasubjectifs ou individuels (la source de nos comportements est en nous, dans notre histoire, nos valeurs et nos préférences), soit sur les facteurs exogènes, extra-subjectifs ou -53- Les motivations des choix alimentaires structurels qui sont à l’origine de nos comportements. Cette distinction procède de la division historique entre les approches individualistes/ cognitivistes et les approches sociales/ constructivistes qui tend à dichotomiser les sciences humaines et sociales. Jusqu’à une époque récente, ces deux univers communiquaient assez peu et s’opposaient. Depuis une dizaine d’années, des psychologues et des économistes commencent à s’intéresser aux facteurs structuraux, tandis que des anthropologues et des sociologues prennent en compte des facteurs intraindividualistes, y compris issus des sciences cognitives et des neurosciences. Les travaux que je vais vous présenter sont issus de cette mouvance qui essaie de comprendre comment ces deux univers peuvent cohabiter, s’entendre et créer de nouvelles approches pour essayer de comprendre les phénomènes que l’on observe. Parmi les travaux sur les déterminants des comportements alimentaires, le schéma 2 illustre les travaux de K. Glanz et son équipe. Il fait le lien entre consommation alimentaire, physiologie et métabolisme, et il essaie de comprendre les grands facteurs qui expliquent les choix : le coût, le goût, la variété, la santé, l’aspect pratique. De quelle façon les contraintes budgétaires et économiques interviennent-elles ? Les aliments industriels se sont progressivement imposés dans nos assiettes depuis ces trois ou quatre dernières décennies, modifiant en profondeur la structure sociale. Quelle est la part de la subjectivité sur la santé liée aux aliments ? Par exemple, j’avais été étonné de voir qu’en France le vin rouge avait été classé parmi les aliments bienfaisants et protecteurs ; aux ÉtatsUnis, en Angleterre ou au Canada, c’était plutôt la bière ! N’oublions pas que l’alcoolisme est la deuxième cause de mortalité évitable en France aujourd’hui. Concernant la variété, il faut trouver un équilibre entre la protection de l’identité culturelle et la découverte de nouveaux univers alimentaires. Le principal problème de ce modèle est qu’il ne tient pas compte de l’environnement. Pour simplifier, je dirais, qu’en sciences sociales comme en santé publique, on distingue deux grands types de facteurs d’explication ou de relation causale des modèles observables : des facteurs endogènes et des facteurs exogènes. Les facteurs endogènes mettent l’accent sur les motivations individuelles qui caractérisent les individus, dont chacun est situé dans un espace socioculturel et biophysique. Les facteurs exogènes correspondent à des effets de contexte qui sont de trois ordres : géographiques, temporels et culturels. La perspective individualiste Les approches individualistes mettent avant tout l’accent sur l’autonomie -54- efficacité : les consommateurs ont, en général, l’impression d’avoir la maîtrise d’eux-mêmes et de leur environnement ; ils se sentent capables de changer leurs pratiques alimentaires ; des agents (individualisme méthodologique) et les variables subjectives. Dans cette perspective, les variables explicatives privilégiées sont de quatre ordres : zles intentions, désirs, motivations, aspirations, projets et anticipations ; z les compétences, aptitudes et savoirfaire. Par exemple, plusieurs études ont montré que l’un des premiers freins à la consommation des légumes en France n’est pas le coût, mais le manque de compétences culinaires. Cette perte de transmission des savoir culinaires est également observée chez les migrants. zles attitudes, préférences, croyances, idées, jugements, perceptions, représentations... ; z la maîtrise de soi et l’autocontrôle. La capacité à changer son comportement alimentaire est en général lié à ce que l’on appelle le sentiment d’autoSchéma 2 -55- La théorie des comportements planifiés de l’individu à tous les objets ou situations auxquels il est confronté » ; z les normes subjectives. Ajzen les définit, en 1991, comme la perception de l’approbation ou de la désapprobation que d’autres personnes pourraient avoir de notre comportement, notre action ou notre choix ; C’est la théorie dominante en sciences humaines. Elle a été créée par deux psychologues, Ajzen et Fishbein, qui s’intéressent essentiellement aux questions de marketing, et notamment aux comportements d’achat dans le domaine alimentaire. Leur théorie repose sur trois concepts fondamentaux : zla contrôlabilité comportementale perçue. Il s’agit de la croyance qu’a un individu de sa capacité à maîtriser son activité et son environnement. z les attitudes. Elles ont été définies par Allport, en 1935, comme étant « un état mental et neural de préparation, organisé à partir de l’expérience, exerçant une influence directive ou dynamique sur les réponses Entre ces trois types de variables et le comportement, Ajzen situe l’intention des acteurs (schéma 3). Par exemple, l’intention de consommer Schéma 3 -56- Schéma 4 des aliments frais peut se heurter à des problèmes d’accès. Le concept de déserts nutritionnels est apparu aux États-Unis où les habitants des zones paupérisées des villes très étendues ne peuvent plus consommer de fruits et de légumes frais à moins de faire des dizaines de kilomètres en voiture, et n’ont souvent accès qu’à des fast-food. mieux donner plus d’importance à ce qu’on appelle aujourd’hui « les chemins non intentionnels de l’action ». Au début du XXe siècle, on donnait aux facteurs inconscients, dont fait partie le conditionnement, un rôle prépondérant (cf Freud et la psychanalyse) puis, avec la théorie des comportements planifiés, les facteurs conscients, délibératifs ont pris de l’importance. Depuis les années 2000, on réfléchit aux interactions entre les facteurs conscients et inconscients (schéma 4). Les humains sont dotés de deux systèmes : Les déterminants des comportements Des méta-analyses réalisées dans les années 2000 ont montré que les modèles surestimaient le contrôle intentionnel des comportements et qu’il valait -57- j’ai besoin de perdre du poids car c’est bon pour ma santé et je vais mettre en place un comportement adéquat ». Ici, le raisonnement donne lieu à une intention ; on est sur un mode décisionnel ; on se projette dans le futur car on escompte certains effets. Cela nécessite des capacités cognitives supérieures, puisqu’on doit mettre en œuvre une réflexion importante pour essayer de modifier les pratiques (par exemple, en apprenant à cuisiner des légumes). Le second système, le système impulsif ou intuitif, est immédiatement activé par des stimuli environnementaux. Le futur n’est pas représenté et les capacités cognitives ne sont pas nécessaires. zun système intuitif qu’ils partagent avec les autres animaux et qui est probablement issu de la sélection naturelle. Il est automatique, spontané, rapide et ne demande pas d’apprentissage ; zun système de raisonnement qui leur est fourni via l’éducation, la culture… Intuition et raisonnement cohabitent et donnent parfois lieu à des contradictions. On retrouve cette dualité avec le schéma 5, proposé par Strack et Deutsch en 2004, qui schématisent les interactions entre les systèmes réflexif et impulsif. Ils partent d’une bonne intention : « je veux perdre du poids ; Schéma 5 -58- Un échec de la prévention active ? L’influence des normes culturelles sur les comportements alimentaires Force est de constater que les recommandations individuelles concernant la lutte contre l’obésité (manger mieux, faire plus d’exercices) n’ont pas beaucoup d’effets et qu’il vaudrait mieux prendre en compte les aspects environnementaux et notamment les environnements toxiques. Par exemple, j’ai pu voir dans un fast-food de New York que l’on pouvait avoir un deuxième hamburger gratuit dès que l’on avait fini le premier. Cela témoigne de l’importance de l’approche quantitative et de l’abondance alimentaire dans la culture américaine. Prenons l’exemple de quelques aliments : z les insectes sont mangés en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique, mais dégoûtent les européens et les nord-américains. Des études sont aujourd’hui financées, notamment par la FAO et l’ANR, sur la valorisation des protéines issues des insectes qui seraient, selon certains, notre futur. Pour l’instant, on assiste surtout au développement de filières qui concernent l’alimentation animale et pose moins de problèmes d’acceptabilité ; z le chien est apprécié notamment en Asie et en Océanie, mais sa consommation révolte les européens et les nord-américains ; z le cheval et le lapin sont consommés dans les pays d’Europe du Sud, mais ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne et aux États-Unis ; z la grenouille ravit les papilles des consommateurs français et asiatiques, mais répugne celles de plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord. La frontière entre le mangeable et l’immangeable n’est pas immuable et dépend de la proximité que l’homme entretient avec l’animal. Le cheval a été domestiqué ; le chien et maintenant le lapin sont considérés comme des animaux de compagnie. Dès lors, ces animaux sont, pour beaucoup d’européens, devenus immangeables. La perspective écosystémique Les approches écosystémiques privilégient les influences contextuelles, sociales et culturelles sur les variables individuelles (holisme méthodologique). Dans cette perspective, les variables étudiées sont le plus souvent : zles normes, les conventions et les systèmes de valeurs ; zl’influence des pairs, parents, amis, proches... ; zles ressources, les opportunités et les contraintes, notamment matérielles et sociales ; zl’influence des environnements et des contextes. -59- L’influence du contexte et de l’environnement Premier exemple. En 2011, une équipe américaine a étudié l’effet de la densité et de la proximité des bureaux de tabac sur l’arrêt du tabagisme. Elle a montré que le fait de vivre à moins de 250 m d’un bureau de tabac réduisait de moitié les chances de succès des programmes de sevrage tabagique. Photo 1 Troisième exemple Deuxième exemple La perception de la taille des portions varie en fonction de la taille des assiettes. C’est la raison pour laquelle on se sert plus dans une grande assiette. Les perceptions de taille et de volume sont également différentes selon la couleur du contenant : un consommateur a une conscience plus aiguë de la taille d’une plâtrée de spaghettis si ceux-ci sont présentés dans une assiette rouge, par rapport à une assiette blanche. Une autre étude, publiée dans « Psychological sciences » en 2003, s’était intéressée à la taille des portions servies dans des restaurants comparables à Philadelphie et à Paris (McDonald’s, Hard Rock Cafe, Pizza Hut, Häagen Dazs, Quick, des pizzeria, crêperies, bistros français et italiens, restaurants chinois, des établissements qui vendent des glaces). Résultats : aux États-Unis, les portions étaient en moyenne 30 % plus grandes qu’en France. Seule exception, le Hard Rock Cafe. En fait, cet établissement est surtout fréquenté par les touristes américains venus visiter Paris et compte une clientèle française réduite. New York a été le premier État américain à interdire les sodas de plus de 1 litre. Ceux qui sont allés aux États-Unis ont pu se rendre compte que les plus petits formats américains correspondent, en moyenne, aux plus grands formats français. Les normes sont un enjeu pour les industries agroalimentaires, comme le montre la photo 1. Quatrième exemple Pour les besoins d’une étude, un restaurateur a modifié des éléments d’ambiance de son restaurant et utilisé des décorations se référant à la mer : figurines de vieux loup de mer à l’entrée, bateaux sur les tables, serviettes avec une ancre bleu. Si la présence de ces éléments n’a aucune incidence sur le dessert, elle entraîne une forte augmentation du choix de plats de poisson par rapport aux plats de viande. -60- Cinquième exemple une faible ou à l’absence de récompense nécessitent un engagement fort, car la personne doit croire ou attribuer une valeur à ce qu’elle fait. D’autres études portent sur l’impact de la publicité, notamment indirecte. Jusqu’à présent, on était habitué aux coupures des émissions audiovisuelles par des annonces publicitaires. La stratégie des annonceurs est aujourd’hui de placer des produits (bières, montres, voitures...) dans les films et de mettre les marques bien en évidence. Des expériences ont montré que le choix de la boisson qui avait été vue dans un film avait été multiplié par deux lors du buffet qui suivait la projection. Plusieurs effets d’engagement et techniques de manipulation permettent d’accroître la probabilité d’occurrence d’un comportement. Ce sont : Les effets de type « amorçage » Les psychologues se sont intéressés à la prise de décision, notamment dans les organisations, pour construire une théorie de l’engagement. Ils essaient de comprendre comment certains individus en viennent parfois à prendre des décisions manifestement contraires à leurs intentions. Ils cherchent à savoir pourquoi les individus maintiennent durablement certains comportements et pas d’autres. Ils veulent identifier les contextes qui favorisent l’engagement. Des expériences de psychologie sociale montrent qu’un premier geste peu coûteux favorise ou prépare l’individu à un deuxième geste plus coûteux. Par exemple, dans l’expérience du quêteur, des étudiants expérimentateurs ont demandé à des gens dans la rue : « vous n’auriez pas un euro pour me dépanner, car je dois absolument téléphoner à mes parents et j’ai oublié mon portefeuille ? ». La réponse était négative à 80 ou 90 %. Par contre, si l’étudiant avait d’abord demandé l’heure ou son chemin, une personne sur deux lui aurait donné un euro. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les quêteurs connaissent ces études de psychologie sociale, car nombreux sont ceux qui utilisent ce subterfuge. Ils ont notamment pu montrer par des expériences que certaines situations sont plus engageantes que d’autres. Ainsi, les actions ou les comportements qui sont liés à une forte récompense (ou rémunération) ou à une forte contrainte (ou sanction) n’entraînent qu’un engagement faible. A contrario, les actions ou les comportements liés à Une autre expérience montre que, contrairement à ce que l’on croit, on n’est pas honnête ou malhonnête en soi. L’honnêteté ou la malhonnêteté peuvent aussi être favorisées par le contexte : c’est ce que montre l’expérience du portefeuille. Première situation : « l’enquêteur » s’adresse à une personne dans la rue, le cobaye, L’influence du contexte social -61- Les effets de type « porte-au-nez » pour lui demander son chemin. Il le remercie, laisse tomber son portefeuille, faisant mine de ne pas s’en apercevoir, puis s’en va. Je crois me souvenir que seule la moitié des cobayes ont rapporté spontanément le portefeuille ou signalé à l’enquêteur qu’il était tombé. Deuxième situation : après avoir demandé son chemin, l’enquêteur remercie le cobaye et lui dit qu’il est vraiment quelqu’un de bien. Comme précédemment, il laisse tomber son portefeuille et s’éloigne. Dans ce cas, le taux de récupération du portefeuille était quasiment de 100 %. L’enquêteur a créé une réalité qu’il avait annoncée ; c’est ce que l’on appelle une anticipation auto-réalisatrice. On sait bien, que si l’on veut obtenir quelque chose de quelqu’un, on a plus de chances après l’avoir flatté. Pour illustrer les effets de type amorçage, on pourrait citer d’autres exemples, comme les superpromotions limitées ou les « fausses » enquêtes du télémarketing. Ils peuvent être illustrés par l’expérience du recrutement de bénévoles. Un enseignant dit à ses étudiants qui commencent leur cursus qu’il serait bien qu’ils aient des expériences avec des personnes handicapées. Il leur demande s’ils accepteraient de venir dans des Centres pour handicapés chaque samedi pour s’occuper pendant trois heures de ces personnes. Le taux de volontaires est très faible : de l’ordre de 3 à 4 % selon les cohortes. La semaine suivante, il leur dit : « je n’ai pas eu beaucoup de volontaires ; je peux aussi vous proposer d’accompagner les personnes handicapées au cinéma tous les trois mois. Est-ce qu’il y aurait d’autres volontaires ? ». L’enseignant obtient alors 70 % de réponses favorables. S’il avait, dès le début, proposé l’accompagnement au cinéma, il aurait eu beaucoup moins de volontaires. En proposant d’abord quelque chose d’assez coûteux, l’enseignant a préparé le deuxième comportement. L’idée sous-jacente est que, après un premier refus, une personne se sent d’une certaine manière redevable et accepte plus facilement une deuxième demande. On retrouve ce type d’effets lors des demandes de dons. Ces techniques de marketing sont bien connues, en particulier des télé-enquêteurs. Ces derniers se présentent souvent pour ce qu’ils ne sont pas, sinon on leur raccrocherait au nez, et ils arrivent à nous soutirer des Les effets de type « pied-dans-la-porte » Ce phénomène bien documenté en psychologie sociale consiste à demander à des sujets de réaliser un acte peu coûteux (comme porter un badge contre la violence routière ou signer une pétition pour la défense de l’environnement) de manière à préparer et à faciliter leur acceptation d’une demande plus conséquente (comme le versement d’une somme d’argent ou la participation en tant que bénévole à une action de mobilisation sociale). -62- informations très importantes, comme la valeur du logement, les salaires, le nombre de personnes, certaines habitudes … et tout ce qui pourrait présenter de l’intérêt pour une revente de fichiers, voire un cambrioleur. Un conseil, ne répondez jamais à des démarchages par téléphone, même si votre interlocuteur vous dit faire une enquête pour le compte d’EDF, de votre banque, de votre compagnie d’assurances ou même du Ministère de la santé. Photo 2 neurosciences pour la prévention en santé publique. La photo 2 montre quelques livres édités sur le sujet. Je vais maintenant vous présenter quelques utilisations de ces nudges, notamment en milieu scolaire. Le retour de la prévention passive ? Depuis 2010, une nouvelle approche est apparue : le nudging (« nudge » peut se traduire par « coup de pouce » en français). Elle s’est beaucoup développée dans le champ de la santé publique et notamment en nutrition. Cette approche a pour but d’améliorer les états de santé des populations, sans que les politiques proposées soient contraignantes. Plusieurs travaux ont montré que des situations pouvaient être globalement améliorées grâce à des petits changements structuraux de l’environnement. Plusieurs articles sont parus dans le British medical journal dont l’un disait, par exemple, qu’il était possible d’utiliser les nudges pour lutter contre l’obésité. En France, le Centre d’analyse stratégique, qui est directement rattaché au premier ministre, a édité, en 2010, un rapport sur l’apport des sciences comportementales, cognitives et des Photo 3 La première fois que j’ai vu la photo 3, j’étais dans l’aéroport d’Amsterdam. Depuis, je l’ai vu dans des cinémas à Rennes. Il s’agit de la photo d’un urinoir sur laquelle une mouche a été dessinée. Le dessin de la mouche joue le rôle d’attracteur cognitif : il attire l’attention des hommes qui -63- vont spontanément uriner en visant la mouche. Expérimentalement, on a montré que sa présence réduit de 70 % les éclaboussures hors toilettes. devient rouge au bout de 100 litres. Les nudges alimentaires ont été particulièrement bien étudiés par Brian Wansink. Aux États-Unis, la liberté de choix est un droit fondamental qui est même inscrit dans la constitution. C’est la raison pour laquelle il est très difficile d’interdire les armes à feu. Wansink et son équipe ont essayé de comprendre comment fonctionnaient les usages sociaux d’infrastructures, comme une cafétéria (schéma 6). Ils ont montré : La plupart des stratégies qui utilisent des attracteurs cognitifs ont été mises en place à l’université de Chicago. Voici l’exemple d’un nudge qui est utilisé pour la sécurité routière : on retrouvait régulièrement dans le lac Chicago des automobilistes qui, roulant trop vite, rataient leur virage et terminaient leur trajectoire dans le lac. Les avertisseurs lumineux et les ralentisseurs n’avaient guère d’effets. Pour inciter les conducteurs à réduire leur vitesse, certains ont proposé de peindre des lignes sur le sol, car lorsqu’un automobiliste roule à vitesse constante sur ces lignes, il a un sentiment d’accélération qui l’incite à ralentir. 1) que les aliments placés en première position étaient davantage consommés que les aliments qui étaient moins accessibles. Ils ont donc recommandé de mettre systématiquement les légumes et les aliments sains en première position dans les selfs ; 2) que la manière dont on nommait les aliments influait et sur leur consommation. Par exemple, l’intitulé « brocoli cuisiné à l’huile d’olive » est plus attractif que le seul « brocoli », même si les produits sont les mêmes ; En France, depuis quelques temps, on est guidé dans certains lieux publics par un marquage au sol qui fait généralement passer les visiteurs par les escaliers et non par les ascenseurs, afin de les inciter à faire de l’exercice physique. D’autres signaux ont pour but de favoriser les attitudes proenvironnementales. Par exemple, certains signaux de consommation peuvent nous inciter à éteindre nos appareils électriques pendant la nuit ou à ne pas rester trop longtemps sous la douche. Dans ce dernier cas, le repère visuel est une simple pastille qui change de couleur tous les 10 litres et 3) qu’en l’absence de signaux visuels, les sodas ou les glaces, notamment, sont beaucoup moins consommés. Dissimuler les produits gras ou sucrés sous des couvercles, permettrait donc de diminuer leur consommation ; 4) que l’implantation de bars indépendants (qu’ils appellent « bars à salades »), dont l’accès est simplifié, augmente la consommation des -64- produits chez les jeunes américains. Ils conseillent donc d’installer des bars de fruits ou de légumes indépendants ; Ce type d’étude appartient à ce que l’on appelle l’architecture des choix. Les interventions fondées sur cette architecture consistent à modifier les propriétés, l’emplacement, ou les deux à la fois, des objets ou des stimuli au sein de micro-environnements, avec l’intention de favoriser des comportements sains qui exigent des personnes un faible engagement cognitif. Depuis quelques années énormément de travaux ont été menés sur ces questions de santé publique : plus de 300 concernent les régimes, 80 l’activité physique, une trentaine l’alcool et une quinzaine le tabac. 5) que les enfants et les adolescents ont tendance à se servir des produits en libre service en grande quantité. C’est pourquoi, ils préconisent de laisser les jeunes remplir leur coupelle lorsqu’il s’agit, par exemple, de compotes ou de fruits coupés, mais de préparer à l’avance dans des portions plus restreintes les produits plus sucrés, comme les crèmes dessert. Schéma 6 -65- Conclusion femmes sont en fait des personnes malades. L’Espagne a été le premier pays à légiférer en interdisant les mannequins trop maigres. Elle a été suivie par l’Angleterre. En France, la réflexion n’a guère avancé. Pour modifier les comportements alimentaires on peut : zse référer à des méthodes de prévention active (système réflexif). Pour cela, il faut diffuser de l’information, faire de l’éducation à la santé et des informations personnalisées pour que les consommateurs aient un retour sur leur état physiologique. Il faut aussi renforcer l’autorégulation en faisant éventuellement appel à des conseillers, qui vont nous aider à définir et à atteindre des objectifs (sevrage tabagique par exemple), ou à développer des compétences (responsabilisation par exemple) ; Discussion Vous nous avez parlé du côté positif du neuromarketing dont le but serait de diminuer l’obésité mais, dans les faits, le marketing recherche plutôt la rentabilité et pousse à la consommation de produits qui ont l’effet inverse. Je pense, par exemple, à la diffusion d’arômes, qu’il s‘agisse de rôtir des poulets sur les trottoirs ou de diffuser un produit chimique comme le di-acétyle à proximité des établissements qui vendent des viennoiseries. z s’appuyer sur des méthodes de prévention passive (système automatique). Depuis quelques années, on cherche de plus en plus à modifier l’environnement, qu’il s’agisse de l’environnement physique (urbanisme, logements, magasins, offre alimentaire, accès à l’alcool et au tabac...), de l’environnement social (valeurs et normes sociales) ou de l’environnement économique (prix, taxes, subventions). J.R. Je suis d’accord avec vous. Nous sommes dans un système économique de libres entreprises dans lequel il n’est pas facile de faire accepter des mesures qui vont à l’encontre de la rentabilité immédiate. Les distributeurs de canettes, gâteaux et autres sucreries ont été interdits dans les établissements scolaires, mais ces machines très lucratives pour leur propriétaire se sont multipliées à la sortie des collèges et des lycées. Les jeunes n’ont souvent que la rue à traverser pour aller acheter ce qu’ils savent ne pas être bon pour leur santé. Je voudrais terminer ma présentation par un dernier exemple : celui des mannequins. Plusieurs études médicales ont montré que la plupart des mannequins que l’on voit dans les magazines et les journaux sont dans un état de maigreur pathologique. Ces modèles que l’on présente aux jeunes J.R. « ça ne sert à rien de les interdire » : c’est la critique que l’on entend le plus souvent. Pourtant, les études d’évaluation montrent que l’effet global de cette mesure est positif. Quand vous diminuez la pression environnementale, -66- minoritaire. Ce phénomène d’autoentretien d’une demande de régimes est problématique pour la santé publique. Il y a 3 ans, des expertises collectives auxquelles l’Inra a participé ont montré que la plupart des régimes à la mode produisaient des effets contraires sur le long terme et qu’ils étaient responsables de carences nutritionnelles importantes. quand vous éloignez la source du désir, vous diminuez aussi la consommation. Aujourd’hui, l’environnement urbain est saturé de ces machines à snack ; il y en a sur tous les quais du métro. Cela pose un vrai problème de santé publique. Cependant, je ne suis pas de ceux qui cherchent à diaboliser l’industrie alimentaire. Certes, les industriels cherchent à faire des bénéfices, mais la logique des acteurs économiques est avant tout de s’adapter à la demande. C’est aussi aux consommateurs de réclamer des produits plus sains et plus équilibrés. Les choses sont peut-être en train de changer, car j’ai vu récemment, dans la gare Montparnasse, un distributeur d’aliments diététiques. J’ai eu aussi l’agréable surprise de voir qu’un grand groupe alimentaire, qui m’avait contacté avant de mettre en place une cantine professionnelle, était prêt à adopter plusieurs mesures bénéfiques pour la santé de ses employés, même si le retour sur investissements est loin d’être immédiat. J.F. Les régimes sont tous plus ou moins éloignés des apports nutritionnels conseillés, et je qualifierais ceux qui en sont très éloignés de criminels. Je suis rassuré de voir que la consommation qui s’approche le plus de la référence est la consommation moyenne française. J.R. La France a l’un des taux d’obésité les plus bas des pays développés après le Japon, la Corée du Sud. Elle est au même rang que l’Italie. Cela signifie que notre régime alimentaire est relativement protecteur. Je trouve qu’il y a un décalage énorme entre notre physiologie qui a été modelée pendant des millénaires et le contexte actuel qui est apparu il y a quelques décennies. Par exemple, le tube digestif a une particularité : plus on lui procure des aliments, plus il est efficace. Il peut donc favoriser l’obésité. Nos ancêtres ne vivaient pas à côté de supermarchés, mais sans doute géraientils mieux leurs besoins alimentaires. Je suis étonné de voir le nombre de personnes qui sont traitées par des inhibiteurs de la pompe à protons, afin de diminuer l’acidité de leur estomac. Il semblerait que nous n’ayons maintenant plus besoin d’un pH acide pour digérer certains aliments. Plus que de suivre des régimes stricts, il me semble que la mode, portée par les médias, est aujourd’hui de « manger équilibré ». Savezvous si ce message est bien perçu ? J.R. Les régimes sont encore largement plébiscités, en particulier par la gente féminine. Il suffit d’ouvrir les journaux féminins pour y trouver les derniers régimes à la mode, surtout avant l’été. Chez les hommes, ce moyen de communication, qui répond à une logique économique, reste encore très -67- J.R. D’après certains anthropologues, il y aurait eu deux étapes dans l’évolution humaine. La première étape correspond à la période où nos ancêtres vivaient dans des forêts tropicales et disposaient d’une abondante nourriture. La seconde débute, il y a plus de 10 000 ans, avec le développement de l’agriculture et l’apparition des disettes. Dès lors, l’organisme humain va être sélectionné sur sa capacité à résister, assimiler, stocker les graisses et l’énergie…Je te rejoins quand tu dis que notre organisme n’est pas adapté à l’univers d’abondance dans lequel on vit aujourd’hui. s’adaptera assurément, mais dans combien de temps, dans combien de siècles ? Personne ne le sait. C-H.M. Mon commentaire porte sur les modèles animaux et le lien que les anthropologues font entre pléthore et obésité. Lorsque l’on place l’homme, mais aussi le chat ou le chien en situation d’abondance alimentaire, ils deviennent obèses, ce qui n’est pas le cas pour les primates non humains. Ces derniers régulent leur consommation alimentaire, à tel point que les modèles d’obésité chez les primates sont rarissimes. Je n’en connais qu’un seul : il s’agissait d’un singe à qui on avait donné, jour et nuit, des smarties ! Le lien entre pléthore et obésité me semble donc beaucoup plus complexe. Je voulais aussi faire une remarque entre l’adaptation alimentaire et l’adaptation au long cours à l’obésité. Aux Etats-Unis, les chirurgiens ont baissé l’IMC nécessaire et suffisant pour faire de la chirurgie bariatrique. En France, il est de 35 sans comorbidité et de 30 avec comorbidité. Aux USA, il est respectivement de 30 et de 28 : çà c’est de l’adaptation ! J.F. Je ne sais pas si c’est un drame, mais il est possible que notre organisme s’adapte aux régimes actuels. L’exemple de la lactase illustre bien la rupture entre les deux grandes étapes dont tu nous as parlé. Pendant la période des chasseurs-cueilleurs, la lactase ne perdurait pas chez l’adulte. Avec le développement de l’agriculture et de l’élevage, elle a persisté. Aujourd’hui, certains adultes la produisent et d’autres non. Sa présence s’explique chez les adultes qui ont continué à boire du lait pendant des périodes où normalement on n’en consomme plus. A long terme, un type d’alimentation donné risque donc d’induire des modifications enzymatiques qui pourraient durer des millénaires. J.R. Je n’ai pas identifié à ce jour de travaux scientifiques qui permettraient d’expliquer, de manière satisfaisante, la meilleure régulation chez les primates et chez les chasseurs-cueilleurs en situation d’abondance alimentaire. L’une des hypothèses sociologiques est que les normes sociales qui organisent les prises alimentaires sont plus rigides dans les sociétés primitives que dans les sociétés développées au sein desquelles les consommations alimentaires relèvent plus largement du libre arbitre et de la volonté individuelle. J.R. L’adaptation à notre environnement étant un des mécanismes biologiques fondamentaux, notre organisme -68- Article 1 La prévalence de l’obésité est très liée aux niveaux socio-culturels. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Shape of glass and amount of alcohol poured: comparative study of effect of practice and concentration Dans tous les pays occidentaux, on observe un gradient social de l’obésité, qui commence aussi à apparaître dans les pays en développement. Dans ces pays, jusqu’à une période récente, on observait une relation inverse : l’opulence devait être visible « physiquement » : plus une personne était riche, plus elle devait être grosse. En Inde, par exemple, la corpulence est encore pour beaucoup synonyme de richesse et de réussite. C’est un excellent marqueur social. Nicole Darmon et Adam Drewnowski ont montré que le gradient, presque parfait, entre pauvreté et obésité dans les pays riches pouvait s’expliquer par ce qu’ils ont appelé « la calorie vide ». Les aliments les plus denses en calories sont aussi les moins chers. Les personnes les moins riches consomment donc plus de calories. Par exemple, les boissons les plus chères sont les jus de fruits frais et les moins chères sont les sodas sucrés. La densité énergétique serait donc un principe explicatif du gradient social. présenté par Arnaud Thomas Introduction Brian Wansink est professeur en science des aliments et en comportements alimentaires. Cet article paru en 2005 dans le British medical journal prolonge une publication du même auteur, parue en 2003, dans laquelle il montrait que l’on versait 28 % de jus d’orange en plus dans un verre court par rapport à un verre long de même contenance. Ce biais de perception concerne le verre long qui donne l’impression de pouvoir contenir un plus grand volume. Pour compenser cette différence, on sert une plus grande quantité de jus dans le verre court. Dans cette étude, B. Wansink voulait savoir si le biais de perception pouvait être réduit par un entraînement ou une attention accrue. Face aux problèmes de santé publique que représente l’alcoolisme, la réponse à cette question intéresse non seulement les professionnels de santé, mais aussi les professionnels de la restauration et les consommateurs eux-mêmes. Résultats Concernant l’entraînement des étudiants zLe biais de perception sur le volume des verres est confirmé : 346 ml pour -69- le verre long versus 329 ml pour le verre court. z Pour compenser la différence perçue, les étudiants versent un volume d’alcool supérieur dans le verre court (59 ml) par rapport au verre long (45 ml). zLe volume versé perçu par les étudiants est inférieur dans le verre court par rapport au verre long (44,6 ml versus 46,1 ml), la quantité standard pour les cocktails étant de 44,3 ml. z Les séances d’entraînement permettent de réduire le surdosage dans les deux types de verre, mais cette diminution est plus faible pour le verre court (de 60 à 57 ml pour le verre court et de 48 à 42 ml pour le verre long). zPour savoir si ce biais de perception a un impact sur la consommation, l’auteur nous renvoie à son article paru dans Journal marketing en 1996 : « Can package size accelerate usage volume ? ». z Les biais de perception devraient être mieux pris en compte dans les études épidémiologiques. Dans les études qui s’intéressent à la consommation d’alcool, rares sont celles qui prennent en compte la forme des verres, les quantités versées… zDeux mesures simples pourraient facilement être mises en place : préférer les verres longs aux verres courts et utiliser des verres marqués indiquant la quantité d’alcool à ne pas dépasser. Discussion Concernant la concentration des barmans Je vous remercie pour cette très bonne présentation. Qu’avez-vous pensé de cet article ? z Malgré plus de six années d’expérience, les barmans servent 20,5 % d’alcool de plus dans le verre court par rapport au verre long. A.T. J’avais choisi cet article pour son titre qui avait un côté un peu ludique et je m’étonnais qu’il ait été publié dans un journal dont le facteur d’impact est assez élevé. Ceci dit, il me semble que trois points peuvent être discutés : zUne attention accrue lors du service permet de diminuer le surdosage dans le verre court par rapport au verre long. Conclusions - 1) le design expérimental. Si j’avais eu à réaliser cette expérimentation, j’aurais demandé à chaque sujet de réaliser la tâche, d’abord sans puis avec entraînement, à une semaine d’intervalle, en randomisant l’ordre de présentation ; zUn entraînement ou une concentration accrue ne permet pas d’éliminer complètement le biais de perception. Le volume versé dans un verre court sera toujours plus important que dans un verre long. -70- - 2) la partie « analyse des données » est presque inexistante et m’a semblé parfois incohérente. Par exemple, certains graphiques ne présentent aucune barre d’erreur. L’auteur écrit que l’entraînement permet de réduire le surdosage dans les grands verres (avec une probabilité inférieure à 0,05) mais pas dans les verres courts (p > 0,10), alors que l’interaction forme du verre/ entraînement n’est pas significative ; Ce genre d’erreur a t-il un impact sur les enquêtes alimentaires ? J.R. J’élargirais ta question en demandant : « qu’elle est la marge d’erreur des enquêtes nutritionnelles ? ». Des études ont montré qu’elle est de l’ordre de 30 %. En d’autres termes, même si on fait des enquêtes, on ne sait pas très bien ce que les gens mangent, surtout si elles sont basées sur du déclaratif a posteriori. - 3) j’aurais aimé y trouver d’autres types d’analyses, comme l’effet sexe et surtout la comparaison entre le panel des étudiants et le panel des barmans. B.D-V. Pour beaucoup de sujets, l’aspect visuel est plus évocateur qu’une mesure de poids ou de taille. C’est une raison pour laquelle, dans les études Suvimax puis Nutrinet, les sujets devaient indiquer la taille des portions qu’ils consommaient en se référant à une photo. Pour minimiser les incertitudes des enquêtes alimentaires et obtenir des données plus objectives et plus fiables, le Département « Alimentation humaine » de l’INRA développe, comme d’autres organismes, des approches basées sur des biomarqueurs d’exposition qui s’appuient sur des analyses métabolomiques. J.R. Je vous ai proposé ce papier pour deux raisons. Je voulais, d’une part, illustrer le principe selon lequel la perception humaine, dont celle des volumes, pouvait être biaisée ou modifiée par des formes environnementales et, d’autre part, montrer l’influence que cela peut avoir sur les quantités consommées. Le fait que ce soit de l’alcool avait peu importance ; il aurait pu s’agir de calories ou d’autres choses. L’article montre que la perception des volumes reste altérée même chez les personnes qui sont a priori habituées, formées ou entraînées à évaluer des quantités, des proportions… L’entraînement ne peut que diminuer le biais, mais ne l’élimine pas complètement. Je pense que la portée, en matière de santé publique, d’une telle publication est très limitée et je partage votre point de vue sur les aspects statistiques. -71- Article 2 Résultats The office candy dish: proximity’s influence on estimated and actual consumption z A proximité identique, la consommation de bonbons dépend de leur visibilité, puisqu’elle diminue lorsque les bonbons ne sont pas visibles. z A visibilité identique, la consommation de bonbons dépend de la proximité, puisqu’elle diminue lorsque les bonbons sont plus éloignés. zLorsque les bonbons sont placés à proximité, qu’ils soient visibles ou non visibles, leur consommation est sous-estimée. Dans les deux cas, la consommation réelle est supérieure à la consommation estimée. z Quand les bonbons sont plus éloignés, qu’ils soient visibles ou non visibles, leur consommation est sur-estimée. Dans les deux cas, la consommation réelle est inférieure à la consommation estimée. présenté par Reggie Surya Introduction Cet article paru dans International journal of obesity, en 2006, s’intéresse à l’influence de la proximité sur la consommation de bonbons. L’hyperconsommation est devenue très inquiétante dans la mesure où elle conduit souvent à l’obésité, elle-même liée à de nombreuses pathologies. L’hyperconsommation dépend de plusieurs facteurs, parmi lesquels : le goût, l’humeur, le stress, le contexte social... Dans cet article, Brian Wansink et ses collègues différencient la consommation actuelle, qui correspond à la vraie quantité de nourriture ingérée, de la consommation estimée, qui est celle que l’on pense avoir mangée. Elles sont souvent différentes ! Leur objectif est de savoir si la visibilité et la proximité de bonbons influencent la consommation tant actuelle qu’estimée. Quarante secrétaires réparties en quatre groupes ont participé à cette étude qui a duré quatre semaines. Des bonbons étaient placés soit dans un bol transparent, soit dans un bol opaque (visibilité) et soit sur le bureau, soit à une distance de deux mètres (proximité). Explications complémentaires des auteurs Concernant la proximité et la visibilité : Les secrétaires ont remarqué que les bonbons proches attiraient leur attention et qu’elles avaient beaucoup de mal à résister. 65 % d’entre elles ont dit que, quand les bonbons étaient éloignés, elles avaient le temps de se demander si elles avaient vraiment besoin d’en manger un. Une autre étude a montré que les aliments sont plus visibles chez les familles obèses. -72- Concernant la sous-estimation : Les secrétaires ont dit qu’elles ne se rendaient pas compte de leur consommation lorsque les bonbons étaient situés à portée de main. faciles à manger, comme par exemple des oranges qu’il aurait fallu éplucher. Commentaire J.R. Je voulais préciser que les nombres de bonbons que vous avez indiqués sur votre graphe représentent des consommations par personne et par jour. Ces nombres varient de trois, lorsque les bonbons sont éloignés et peu visibles, à huit, lorsqu’ils sont bien visibles sur le bureau. Avec ce protocole extrêmement simple, on voit qu’il existe un écart non négligeable entre la consommation perçue et déclarée et la consommation réelle. On imagine aisément ce que peuvent donner des enquêtes nutritionnelles beaucoup plus complexes avec, par exemple, des aliments comme de la purée, des saucisses et différentes boissons. Ce type d’expérience montre que l’on ne mémorise pas tout ce que l’on consomme, en particulier lorsque les aliments sont proches et visibles, et cela même si l’on fait l’effort d’essayer de se rappeler ce que l’on a mangé. Concernant la sur-estimation : Lorsque les bonbons étaient loin, les secrétaires ont expliqué qu’elles en prenaient plusieurs à chaque fois pour ne pas avoir à se déranger trop souvent, ce qui leur donnait l’impression d’en avoir mangé beaucoup. Conclusion Les auteurs conseillent de placer les aliments sains de façon visible et facilement accessible et de mettre les aliments moins « recommandables » hors de portée de main. Discussion Je vous remercie de votre présentation très enthousiaste et synthétique des résultats. Qu’avez-vous pensé de cet article ? R.S. J’ai trouvé que répéter l’expérience sur quatre semaines, c’était trop long. Les secrétaires s’attendaient à ce qu’on leur pose toujours la même question à la fin de chaque semaine : « combien de bonbons avez-vous mangés durant la semaine ? ». De plus, comme elles travaillaient dans la même université, elles pouvaient en parler entre elles. Les résultats étaient-ils différents d’une semaine sur l’autre ? Dix sujets par groupe, est-ce un nombre suffisant pour la robustesse des statistiques ? Je me demande aussi si les résultats auraient été les mêmes avec des aliments moins Comment les résultats que vous nous avez présentés pourraient être exploités dans des politiques de santé publique, qu’elles soient locales ou nationales, afin d’améliorer les pratiques alimentaires ? R.S. Je partage la conclusion des auteurs qui disent d’éviter de laisser à la portée des regards et des mains les aliments dont la surconsommation pose des problèmes de santé publique. Les parents ont également un rôle à jouer en « cachant » les bonbons -73- dans les placards et en les donnant à leurs enfants, plutôt que ceux-ci se servent eux-mêmes. Les pouvoirs publics finlandais ont décidé de rendre invisibles tous les distributeurs de cigarettes. Cette mesure a provoqué une baisse très importante de la consommation. On pourrait imaginer que cela soit appliqué aux distributeurs de nourriture, ce qui irait à l’encontre des gros profits que se font les vendeurs. participent à ce type d’étude. Elles ont un problème avec leur image corporelle et se pensent plus grosses qu’elles ne le sont réellement. Il serait bon que l’environnement fasse qu’elles se ressentent moins grosses. D’autres études ont montré qu’en plus du biais de mémorisation, il existe aussi un biais de désirabilité qui conduit les personnes obèses à sous-estimer leur consommation. Dans l’étude qui vient de nous être présentée, les secrétaires travaillaient dans la même université, mais pas dans le même service. Peut-être ne disposaient-t-elles pas du même degré de liberté par rapport à leur hiérarchie. J.R. En terme de politique publique, on pourrait essayer de jouer à la fois sur la disponibilité des produits (points d’accès par exemple) et sur leur visibilité dans l’espace public. L’exemple du tabac que vous avez cité est de mon point de vue excellent. En France, on fait l’inverse puisque les distributeurs sont de plus en plus nombreux dans les espaces publics. Il faudrait que nos politiques pensent à jouer sur les variables environnementales pour modifier les mauvaises pratiques alimentaires. Vous avez évoqué l’espace familial sur lequel il est sans doute plus simple de travailler. Plutôt que de longues séances d’éducation à la nutrition, qui ne semblent pas être toujours efficaces, ou des régimes qui demandent de tout mesurer ou de tout peser, jouer sur la taille des assiettes ou la taille des verres, par exemple, me semble être une meilleure stratégie. De nombreux fast-foods se sont implantés à proximité des lycées, qui ont pourtant des cantines scolaires. Quand ils ouvrent, ils font souvent des promotions du type : le deuxième hamburger est gratuit ou à moitié prix. Les pouvoirs publics s’en préoccupent-ils ? Pourquoi ne pas envisager l’existence d’un « périmètre de sécurité » autour des lycées et des collèges : par exemple, les fast-foods ne pourraient pas être implantés à moins de 300 ou 400 mètres, ce qui réduirait leur fréquentation, un peu comme dans l’exemple des bureaux de tabac dont tu nous as parlé. Commentaires J.R. La seule régulation qui a été mise en place concerne les sex-shops, qui doivent respecter une certaine distance par rapport aux établissements scolaires ! De nombreuses études, notamment celles de Nutrinet, montrent que ce sont majoritairement les femmes qui Depuis quelques années, on remarque aussi l’apparition des kebabs à proximité des lycées. -74- Article 3 annuelle par américain, qui est de 0,4 à 1,1 kilo par personne et par an. Pour arriver à cette perte de poids, il suffirait de diminuer la prise alimentaire de 10 à 100 kcal par jour, ce qui ne semble pas insurmontable. Nudge to nobesity I: minor changes in accessibility decrease food intake présenté par Julia Keller Introduction Dans cet article, les auteurs se sont intéressés à l’influence de l’accessibilité des aliments présentés dans un bar à salades sur les choix et la prise alimentaire. Ces petits changements environnementaux passent généralement inaperçus, d’où le terme de « coup de pouce ». Cet article intitulé « coup de pouce à la non obésité : des changements mineurs dans l’accessibilité de la nourriture diminuent la prise alimentaire », a été publié, en 2011, par Paul Rozin et ses collègues dans Judgment and decision making. Ces chercheurs travaillent au Département de psychologie de l’université de Pennsylvanie. Cette publication est suivie par un deuxième article, publié dans le même journal, et qui concerne l’influence de la position des plats d’un menu de restaurant sur les choix des clients (d’où le chiffre « 1 » mentionné dans le titre). Résultats Le bar à salades présente à son extrémité gauche la salade et à son extrémité droite les assaisonnements. Les différents ingrédients (tomates cerise, dés de fromage...) qui permettent d’agrémenter la salade sont disposés au milieu, sur trois rangées. Pour se servir, les clients peuvent tourner autour du bar. Je rappelle que l’obésité est un problème de santé publique, qu’elle est au deuxième rang des causes de décès évitables et qu’elle entraîne de nombreuses complications. Il est donc important de se pencher sur son traitement et sa prévention. Pour les auteurs de cet article, les interventions environnementales constituent des approches prometteuses. Il s’agit, par exemple, de réduire la taille des portions ou de rendre la nourriture plus ou moins accessible. Les résultats de ces approches sont certes modestes, mais ils sont cumulatifs et pourraient contrer la prise de poids moyenne Schéma 1 z Effet de la proximité/accessibilité d’un ingrédient sur la quantité choisie (schéma 1 vs schéma 2). La consommation moyenne des aliments positionnés au milieu est moins importante que -75- z Effet de l’ustensile, cuillère ou pince, sur la quantité d’ingrédient choisi. L’utilisation d’une pince entraîne une réduction moyenne de la consommation de 16,5 %. Schéma 2 Conclusion-discussion lorsqu’ils sont placés sur les bords. Pour les quatre ou cinq ingrédients testés, la réduction moyenne de consommation est de 13,4 %. Il existe bien une relation entre l’accessibilité et l’augmentation ou la diminution de la prise alimentaire. Il s’agit de mesures de la prise alimentaire, mais non de la consommation réelle. Les auteurs ont observé une réduction de la prise alimentaire d’environ 9 à 16 % quand les aliments étaient moins accessibles ou quand c’était plus difficile de se servir. z Effet du nombre de bacs sur la quantité d’ingrédient choisi (schéma 1 vs schéma 3). La différence de consommation n’est pas significative entre les deux présentations, si les ingrédients sont placés sur la même rangée. D’après les auteurs, si toutes les interventions environnementales qu’ils proposent étaient mises en place pendant un an et que les personnes viennent déjeuner dans ce bar, elles perdraient, en moyenne, 140 à 460 g sur l’année. Ces mesures, faciles à mettre en place et peu onéreuses, pourraient avoir un impact sur la santé publique. C’est pourquoi, ils proposent de réaliser une étude à plus long terme afin de voir si, effectivement, ces mesures ont un effet sur le poids. Schéma 3 z Effet de la proximité/accessibilité sur la quantité d’ingrédient choisi, mais sans le biais du nombre de bacs (schémas 1, 4 et 5). Lorsque l’ingrédient est placé au milieu, on observe une réduction moyenne de sa consommation de 8,9 %. Schéma 4 Schéma 5 -76- Discussion biais, me semble-t-il. Les données ne sont pas individuelles. Les effets peuvent être plus ou moins importants selon les individus, mais on ne sait pas s’il y a des effets d’adaptation puisque les données sont globales. L’article ne mentionne que des moyennes par individu pondérées sur des durées. C’est sans doute la limite de l’expérience. À votre avis, quel protocole, un peu différent, permettrait de répondre à ces questions ? Je vous remercie pour cette très bonne présentation. Et comme toujours, je vous demande ce que vous avez pensé de cet article. J.K. J’ai trouvé que l’article était très intéressant et qu’il concernait une expérience de la vie quotidienne. Il est bien construit et facile à lire. La durée des études et le nombre des consommateurs qui ont participé à ces expériences sont suffisants. La partie « discussion » des auteurs est fournie et compréhensible. Ils ont été honnêtes et transparents quant aux raisons pour lesquelles ils ont exclu des données qui ne leur semblaient pas correctes. Ils soulèvent eux-mêmes le fait qu’il n’y ait pas de mesure de la prise alimentaire. Je me suis posé des questions, comme par exemple : les restes des repas ont-ils été pris en compte ? Comment ont-ils considéré les apports caloriques, parfois conséquents, des assaisonnements ? Pourquoi n’ont-ils pas présenté directement la troisième étude qui concernait l’effet de la proximité sans le biais du nombre de bacs ? Les sujets de l’étude étaient-ils au courant ? On peut aussi se demander s’il vaut mieux informer le consommateur ou modifier son environnement « en cachette » pour avoir des effets plus efficaces sur la prévention de l’obésité ? J.K. Pour avoir une idée précise de ce que les personnes mangent, et pas seulement de ce dont ils se servent, il faudrait récupérer les assiettes en fin de repas pour voir ce qui a effectivement été mangé. Certains sujets emmènent peut-être des aliments pour les manger ultérieurement. J.R. Ce serait faisable, mais ce type d’étude est très difficile à mener avec des enfants. En effet, un ethnologue qui suivait le comportement des enfants dans les cantines scolaires a fait des observations que l’on n’avait absolument pas anticipées et que personnellement j’étais loin d’imaginer : les enfants fauchent beaucoup et s’échangent les aliments, ce qui complexifie grandement les mesures de prises alimentaires. Les chercheurs font des manipulations en pensant pouvoir améliorer les choses. Ici, les manipulateurs sont les « marketeurs ». Ils payent parfois très cher les distributeurs pour que leurs produits soient placés en tête de gondole. On imagine aisément que ces commerçants, quand ils sauront quel est l’emplacement qui permet de mieux vendre un produit dans les cantines scolaires, iront Comme vous l’avez mentionné, cette expérience a été menée en conditions réelles. Effectivement, les sujets n’étaient pas informés. Les auteurs évoquent un autre -77- voir le directeur pour lui demander de mettre leurs produits à cet endroit, en échange d’un meilleur prix. Ne risque-t-on pas d’en arriver à de telles dérives ? positifs sur les comportements alimentaires et l’éducation des jeunes ? J.R. Les études longues, comme celleci, sont malheureusement trop peu nombreuses. De plus, elle n’a pas été faite en milieu scolaire. Je dis souvent à mes collègues américains que les meilleurs nudges sont les aliments les plus savoureux. Cependant, il faudrait tester des protocoles en les menant à coûts constants et acceptables pour les familles. On devrait pouvoir améliorer la réalité que l’on observe dans les cantines scolaires en France, car la moitié des légumes qui sont proposés finissent à la poubelle. Le gaspillage est énorme. Mais, pour arriver à faire manger des légumes aux enfants, il faut qu’ils soient bons. J.K. Espérons que dans les cantines scolaires les choses sont mises en place avec un objectif différent et pour le bien des enfants. J.R. En principe, les cantines scolaires appartiennent à l’espace public et ne sont pas soumises à ce type de marché. Les sociétés de restauration d’entreprises et de collectivités ont un cahier des charges très précis ; aussi je ne crois pas qu’elles pourraient se permettre ce genre de pratiques. Je reconnais que ce type de travaux est déjà connu des marketeurs du privé. C’est la raison pour laquelle vous trouvez pléthore de sucreries devant les caisses des supermarchés. Le principe du « coup de pouce » est, avant tout, de faciliter les choix qui sont à la fois bons pour la santé, l’éducation ou l’environnement. Bien sûr, il peut être détourné et c’est ce que l’on voit déjà. Pour faire grossir mes rats, je change de nourriture tous les jours, sans quoi ils s’habituent et maîtrisent leur prise alimentaire, même si je leur donne une nourriture riche en graisse et en sucre. C’est le cas lorsqu’on se trouve devant un buffet à volonté : le premier jour, on a envie de goûter à tout et on mange beaucoup trop ; le deuxième jour, on mange un peu moins mais c’est encore trop ; le troisième jour, on va directement vers les aliments que l’on aime et on mange beaucoup moins. L’augmentation de la diversité et de la nouveauté pourraitelle être envisagée dans les cantines scolaires, ou cela poserait trop de problèmes logistiques et financièrement inacceptables ? Même si vous avez les meilleures intentions du monde de manger des nourritures saines, et que vous y êtes fortement incités, une grande part du succès réside dans la qualité des produits et de leurs préparations. Dans les cantines scolaires et universitaires, la pression financière est telle que certains aliments sont immangeables. J’ai lu il y a quelques années, mais aussi récemment, des articles disant que les efforts menés aux États-Unis dans des salles de classe et des cantines scolaires étaient restés sans effet. Y a-t-il des études qui montrent des effets Pour avoir travaillée en restauration collective, je peux vous dire que peu de cantines font de la restauration directe. Elles dépendent souvent de grandes -78- attracteurs environnementaux car les programmes d’éducation nutritionnelle ne fonctionnent pas bien. Au cours de ces quatre dernières années, près de 300 études ont été menées sur les nudges. Malheureusement, ce sont des études ponctuelles qui ne comparent pas grand-chose. Je pense qu’il faudrait développer des stratégies différentes et avoir des projets beaucoup plus ambitieux. cuisines centrales qui desservent plusieurs écoles. Ils ne peuvent pas se permettre de faire plusieurs petits plats. J’ai connu plusieurs cuisiniers dans la restauration directe qui essayaient vraiment de faire des efforts et de proposer aux enfants des plats de qualité. Mais sans un travail, en amont, des parents, les enfants ont tendance à délaisser un aliment qu’ils n’ont pas l’habitude de manger. L’influence des autres enfants est également essentielle : il suffit que l’un dise « ce n’est pas bon, je ne mange pas » pour que toute la tablée n’en veuille pas. G.M. La bonne nouvelle est que l’éducation nutritionnelle des adultes est meilleure lorsqu’elle se fait par le biais des enfants. Si on diffuse des informations nutritionnelles claires et pédagogiques dans les écoles, les jeunes pourront ensuite rééduquer leurs parents. Aujourd’hui, les parents ont tendance à acheter à leurs enfants ce qui leur fait plaisir. Mais cette éducation, à l’envers, ne relève-t-elle pas aussi de la manipulation ? Est-ce aux enfants d’éduquer leurs parents ? Pourquoi devrait-on répondre à la manipulation par la manipulation ? Doiton contrer les effets délétères du marketing par le nudge ? Est-ce qu’il existe des études qui ont comparé l’impact d’une information claire, honnête et transparente par rapport à l’impact du nudge et de la manipulation ? J.R. Il y a aujourd’hui un assez fort consensus international sur les -79- Jocelyn Raude, Professeur invité à l’Université de Montréal, Maître de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique Articles analysés > Article 1 : présenté par Arnaud Thomas, Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, Dijon Shape of glass and amount of alcohol poured: comparative study of effect of practice and concentration, Wansink et al., 2005, British Medical Journal, 331(7531), 15121514 > Article 2 : présenté par Reggie Surya, Toxicologie alimentaire, Toulouse The office candy dish: proximity’s influence on estimated and actual consumption, Wansik et al., 2006, International Journal of Obesity, 30, 871-875 > Article 3 : présenté par Julia Keller, Toxicologie alimentaire, Toulouse Nudge to nobesity I: minor changes in accessibility decrease food intake, P. Rozin et al., Judgement and Decision Making, Vol. 6, No. 4, June 2011, pp. 323-332 -80- 4 Session 4 L’intestin : carrefour des interrelations entre le métabolisme glucidique et l’homéostasie énergétique Gilles MITHIEUX glycémie. Par sa production de glucose endogène, le foie est le principal organe responsable du maintien de la glycémie à l’état post absorptif « nourri » et à l’état de jeûne. Je dirige l’unité INSERM Nutrition et Cerveau. Nous nous préoccupons de la régulation de la glycémie. Il est généralement acquis que ce sont les mêmes neurones qui contrôlent, au niveau de l’hypothalamus, l’apport de glucose dans le sang, que ce soit le glucose qui provienne de la prise alimentaire, ou le glucose généré par l’organisme. La glucose-6-phosphatase : une enzyme clé de la néoglucogénèse L’insuline est censée inhiber la production de glucose par le foie, qui, lorsqu’il se met à produire trop de glucose, est un facteur d’insulinorésistance et de diabète. On a découvert, il y a une dizaine d’années, que l’intestin lui-même était capable de produire du glucose. Régulation de la glycémie La régulation de la glycémie est cruciale. Un apport insuffisant de glucose au cerveau pendant quelques minutes peut entraîner des effets délétères irréversibles. D’autres organes, le rein et l’intestin, ont également besoin de beaucoup de glucose. Les organes qui sont capables de produire du glucose expriment une enzyme, la glucose-6 phosphatase. C’est la seule phosphatase intracellulaire qui peut hydrolyser le glucose-6 phosphate. Le glucose-6-phosphate est l’intermédiaire obligatoire de la glycolyse : le glucose est phosphorylé en glucose-6-phosphate, sinon il ne peut pas être utilisé par le métabolisme. Réguler la glycémie consiste à maintenir le niveau de glucose autour de 1g/L dans la situation physiologique la plus commune. On estime que 30 % du glucose est consommé par le cerveau à l’état de repos. L’insuline sert à activer l’utilisation de glucose, et donc, par exemple, après le repas, à faire baisser la -81- Figure 1 La néoglucogenèse est la synthèse de glucose à partir de composés non glucidiques, des composés à trois carbones tels que le pyruvate, le lactate, certains acides aminés glucoformateurs. Production de glucose Le gène de la glucose-6-phosphatase, enzyme membranaire, a été cloné dans les années 93 – 94. Au bout de 20 heures de jeûne chez l’Homme, il n’y a plus de glycogène dans le foie. Le glycogène ne peut pas être stocké dans le rein et dans l’intestin. C’est alors la néoglucogenèse qui va fonctionner. Le rein va produire le glucose pour 50 %, l’intestin 2 0 % et le foie 30 % Après 5 ou 6 heures de jeûne, le principal organe producteur de glucose est le foie (80 %), puis le rein (15 %) et l’intestin (5 %). Le transporteur du glucose-6 phosphate est exprimé dans tous les tissus. Ce n’est donc pas lui qui conditionne la capacité à produire du glucose. C’est bien la glucose-6 phosphatase qui est exprimée dans le duodénum et le jéjunum chez le rat. Elle est très peu exprimée dans l’intestin distal, sauf dans certaines situations que je vais vous décrire. Elle est exprimée également chez l’homme et son expression est augmentée dans des situations d’insulino-résistance. La majorité de la littérature est basée sur des estimations de production endogène de glucose qu’on continue d’assimiler à la production hépatique de glucose. Le rôle principal du foie est d’équilibrer rapidement la glycémie dans les -82- situations de transition. Le rein a sans doute un rôle quantitatif au cours du jeûne, qui peut être soutenu pour beaucoup de raisons physiologiques telles que l’acidose métabolique, si vous jeunez pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines (ce qui était le cas lorsque l’homme suivait des troupeaux par exemple pour arriver à manger). portal, nous avons émis l’hypothèse que l’intestin a la capacité de pouvoir diminuer la prise alimentaire et également de contrôler la production de glucose par le foie. La preuve de concept a été obtenue grâce aux régimes riches en protéines. Je ne suis pas favorable aux régimes qui font perdre du poids rapidement mais c’est un outil extrêmement intéressant car il induit des phénomènes de satiété (diminution de la sensation de faim pour les repas suivants). Nous avons montré qu’il y avait une induction des gènes de la néoglucogenèse dans l’intestin si on donnait à manger aux rats des régimes riches en protéines, donc, qu’il y avait un signal dans les protéines qui permettait d’induire la néoglucogenèse. Claude Bernard a notamment découvert que le foie produit du glucose à partir du glycogène (à l’époque il n’avait pas compris que c’était le glycogène). Et il a aussi découvert que le cerveau contrôlait la glycémie. Sa définition de la physiologie était la suivante : « c’est la science des phénomènes de la vie comprenant la nutrition, l’innervation et la génération » (génération, au sens de reproduction). C’est à l’interface des fonctions de nutrition et d’innervation que nous avons trouvé un sens à la production intestinale de glucose. Le détecteur portal de glucose a été identifié en 2012 comme étant SGLT3 c’est-à-dire le récepteur de glucose des cellules L intestinales qui peuvent aussi contrôler la sécrétion des hormones au niveau de l’intestin. Ces capteurs activent les régions de l’hypothalamus qui contrôlent la prise alimentaire : cela entraîne une diminution de 20 % de la faim. Le signal glucose-portal Si on perfuse du glucose directement dans la veine porte d’un rat à jeun, cela active les neurones de l’hypothalamus et diminue sa sensation de faim. Par le biais de l’innervation vagale et sympathique, le cerveau a la capacité de contrôler la production de glucose par le foie, notamment en contrôlant le stock de glycogène. Le système sympathique active la production de glucose tandis que le système parasympathique induit le re-stockage du glycogène. Comme la néoglucogenèse de l’intestin se situe en amont du signal glucose- Figure 2 -83- En 2008, Troy et al. ont montré que l’inactivation du système nerveux portal après un by-pass gastrique entraînait l’inefficacité de la chirurgie bariatrique (réapparition de la sensation de faim). Cela nous a permis de proposer un nouveau concept des relations entre production endogène de glucose et diabète. semaines : chez un animal recevant de la capsaïcine autour de la veine porte, on peut empêcher les informations de remonter au cerveau et donc accréditer l’idée que le signal de départ vient de l’intestin. Délétion spécifique d’organes par la methode cre-lox Quand le foie produit trop de glucose, c’est un facteur d’hyperglycémie et de résistance à l’insuline qui fait dériver vers le diabète, mais paradoxalement, grâce à ce système glucose-portal, il y a un glucose qui est bénéfique à la régulation de la glycémie car il induit la satiété, il diminue la production hépatique de glucose- c’est-à-dire justement celle qui est délétère pour la régulation de la glycémie- et il améliore sa sensibilité à l’insuline. On pourrait dire qu’il s’agit d’une « production de glucose anti-diabétique ». On « loxe » un des exons de la glucose-6 phosphatase chez un animal que l’on croise avec un animal qui exprime une recombinase qui est activable par le tamoxifène et qui est exprimé sous le promoteur de la viline. C’est un promoteur qui permet d’exprimer la CRE uniquement dans l’intestin. Chez l’animal traité avec le tamoxifène, après une semaine, on a enlevé l’exon3 de l’ADNc. Sur cette base, notre équipe a poursuivi deux objectifs : accréditer cette nouvelle conception et comprendre les mécanismes de régulation de la néoglucogénèse intestinale. En 2012 nous avons montré la nécessité d’une détection nerveuse des protéines pour que le système puisse se mettre en place. Nous avons traité des animaux avec la capsaïcine autour de la veine porte. Chez les animaux pseudoopérés, le sérum salin autour de la veine porte entraîne une induction. Chez l’animal où le système nerveux est vraiment inactivé par la capsaïcine, il n’y a plus d’induction. C’est également le cas pour la PEPCK, qui est l’autre enzyme régulatrice majeure de la néoglucogenèse. Comment est-ce-que les protéines font pour induire la néoglucogenèse ? Pour cela nous avons utilisé deux outils. La capsaïcine La capsaïcine est une drogue qu’on peut trouver dans le poivre, dans les piments. Utilisée à des concentrations élevées, elle crée une inflammation très puissante du système nerveux et elle peut l’inactiver pendant plusieurs -84- En 1979, Zioudrou et al. ont montré que les fractions oligopeptidiques libérées des protéines alimentaires avaient des activités mu-opioïdes. Les récepteurs mu-opioïdes sont les récepteurs de la morphine. Ils sont exprimés dans le cerveau et le système nerveux gastro intestinal. qui n’avaient pas le récepteur muopioid, chez les souris qui n’ont pas la glucose-6 phosphatase dans l’intestin (donc qui n’ont pas la capacité de produire du glucose avec leur intestin), et chez la souris dénervée autour de la veine porte. Autour de la veine porte, il y a deux types de nerfs : les branches du nerf vague, et les nerfs sympathiques jusqu’à la chaine de ganglions. Le relais principal de la voie spinale est le noyau parabrachial et le relais principal du nerf vague est le complexe vagal dorsal. Ces deux systèmes sont connectés à l’hypothalamus. Les informations peuvent donc remonter par les deux voies. Une chirurgie du nerf vague entraîne une inactivation du complexe vagal dorsal tandis que l’activation noyau parabrachial est maintenue. Les effets d’induction de la néoglucogenèse sur la satiété sont maintenus. Chez des animaux porteurs d’un cathéter dans la veine porte, nous avons infusé des agonistes et des antagonistes mu-opioïdes classiques. Nous avons étudié leur rôle dans l’activation du système nerveux au niveau de la réception des nerfs périphériques. Lorsqu’on mange des protéines, elles sont digérées dans l’intestin jusqu’au stade dipeptides. Une partie de ces peptides passe dans la veine porte pour aller dans le foie. Nous avons montré (Duraffourd et al., 2012) que la fraction de peptide libérée dans la veine porte pouvait aller se lier au récepteur mu-opioïde et exercer un effet antagoniste. C’est suffisant pour activer les régions du cerveau impliquées dans la réception de ces signaux. C’est donc un arc réflexe qui induit la néoglucogenèse intestinale. Pour la première fois, un système de satiété (c’est-à-dire qui ne coupe pas la faim rapidement pendant le repas mais qui coupe la faim plus tard) est expliqué sur le plan moléculaire en tenant compte de l’aspect temps. Est-ce-que la néoglucogenèse intestinale peut expliquer les bénéfices métaboliques induits pas les fibres alimentaires ? Les fibres alimentaires peuvent être solubles (fermentées par le microbiote) ou insolubles (excellentes pour le transit intestinal, ce sont des polysaccharides, des béta-glucanes par exemple, ou des fruto-oligosaccharides, des galactooligosaccharides). A partir de fibres solubles, le microbiote produit du propionate, du butyrate et de l’acétate. Ils présentent des bénéfices Nous avons montré que le système ne fonctionnait plus chez les souris -85- Nous avons fait circuler du propionate 14C dans le sang pour étudier l’enrichissement du glucose au niveau de l’intestin. Nous avons observé un enrichissement de 6 % en carbone du propionate dans le glucose de la veine par rapport à l’artère. pour l’homéostasie énergétique et pour la régulation de la glycémie. Ils induisent une augmentation de la dépense énergétique et donc une perte de poids. Ils ont également des effets sur la tolérance glucidique. Le butyrate est très étudié. On sait qu’il régule l’expression génique dans l’intestin, et induit la production d’ATP. C’est un substrat essentiel en tant qu’énergie pour le colonocyte mais aussi pour l’entérocyte, même si c’est plutôt dans le colon qu’il est produit. Par ailleurs, nous avons vu que la glucose-6-phosphatase et la PEPCK (autre enzyme régulatrice de la néoglucogénèse) étaient augmentées lorsqu’on nourrissait les animaux avec une diète soit riche en propionate, soit riche en butyrate, soit riche en fibres. Il y a donc production d’un substrat lors de la néoglucogenèse et expression des gènes. Une induction a également été constatée dans le colon. Le propionate a longtemps été décrit comme un substrat de la néoglucogenèse mais on a pu récemment trouver que c’est aussi un ligand des récepteurs FFAR2 et FFAR3. Il s’agirait donc de GPR41 – GPR43, qui permettent notamment de réguler la sécrétion de leptine et d’incrétines. Quels sont les mécanismes d’induction d’expression des gènes ? In vitro sur cellules CaCo2, le propionate n’induit aucun effet tandis que le butyrate induit bien un effet. Paradoxe : comment peut-on concilier une fourniture d’énergie, qui n’aurait pas été récupérée sans les bactéries, et une fourniture d’un substrat hépatique pour la néoglucogenèse ? Pour le propionate nous avons montré il y avait des régulations GPR41dépendantes avec des analogues et des antagonistes. Lorsqu’on perfuse du propionate dans la veine porte des animaux, deux à trois fois plus de neurones centraux sont activés par rapport à la perfusion de sérum salin. Si on étudie ce propionate chez un animal dont la veine porte est dénervée, plus rien ne se passe. C’est donc bien une détection périphérique nerveuse qui permet d’activer ces cibles centrales. Nous avons émis l’hypothèse que le propionate pouvait aller produire dans l’intestin du « bon » glucose capable d’informer le cerveau et de médier les effets bénéfiques de la néoglucogenèse intestinale au lieu d’aller jusque dans le foie pour constituer une source de « mauvais » glucose générateur de résistance à l’insuline et du diabète. -86- Quel est le phénotype induit par les fibres ? Si on administre du FOS à des souris soumises à un régime HF HS (high fat high sucrose) résistantes à l’insuline, on observe un effet protecteur vis-àvis de l’obésité. Chez l’animal intestinKO, soumis au régime HF-HS et supplémenté en fibres, on observe une dégradation de la situation : les animaux grossissent plus. Ces animaux n’ont pas le signal bénéfique d’induction de la dépense énergétique (figure 3). Figure 4 (De Vadder et al., Cell 2014) Figure 5 (De Vadder et al., Cell 2014) En collaboration avec le groupe de Fredrik Bäckhed, spécialiste du microbiote intestinal, nous avons démontré qu’une augmentation du propionate dans la veine porte constitue un substrat pour le foie, ce qui permet d’expliquer la moins bonne tolérance au glucose chez la souris intestin-KO. Figure 3 (De Vadder et al., Cell 2014) Les animaux supplémentés en fibres stockent moins de tissus adipeux, mais pas les animaux intestin-KO (figure 4). Lors d’un test de tolérance au glucose, l’animal HF-HS ne régule pas bien sa glycémie par rapport à un animal sauvage, mais l’administration de FOS améliore la situation (le glucose augmente moins et diminue plus vite). Chez l’animal intestin-KO, la régulation est moins bonne et l’ajout de fibres entraîne une petite dégradation(figure 5). La composition du microbiote joue-t-elle un rôle ? Sans microbiote il n’y a pas de production d’acides gras à courte chaine, donc il n’y a pas d’effet des fibres alimentaires. Les animaux axéniques, par exemple, ne peuvent rien faire des fibres. -87- une diminution de l’adiposité grâce à des effets sur la dépense énergétique (figure 6). Le séquençage à haut débit des bactéries a permis de montrer que manger des fibres entraîne la diversification du microbiote. Les firmicutes sont en général associés à l’obésité et à la mauvaise santé métabolique. Les bacteroidetes sont associés à la minceur et à la santé métabolique. Ils augmentent dans les deux types de génotypes (sauvage et KO). Chez l’animal KO, les actinobactéries sont augmentées de façon significative lorsqu’on introduit les fibres. Nous étudions donc maintenant la capacité du métabolisme intestinal à rejaillir sur la composition du microbiote. Figure 6 (De Vadder et al., Cell 2014) Les firmicutes sont des bactéries qui produisent du propionate. Dès votre premier repas riche en fibres, quelle que soit la composition de votre microbiote, vous avez la capacité d’acquérir les effets bénéfiques liés à la production de propionate et de butyrate. Est-ce que les souris intestin-KO développent plus facilement un diabète ? Nous avons montré que les souris intestin-KO n’ont pas de problèmes de régulation de la glycémie bien qu’elles aient un organe gluconéogénique en moins : elles ont une légère hyperglycémie et une légère hyperinsulinémie. Même à jeun, elles ont toujours une glycémie un peu élevée (1,1g/l au lieu de 0,9 chez la souris sauvage). Elles ont une intolérance au glucose et à l’insuline et elles ont une résistance à l’insuline de la production endogène de glucose. Elles ont une perte de la première phase de la sécrétion insulinique in vivo. Les souris intestin - KO présentent une En résumé L’absorption de fibres entraîne une fermentation par le microbiote. Le propionate et le butyrate peuvent activer la néoglucogenèse par des mécanismes complémentaires : le butyrate via un mécanisme dépendant de l’AMPc, le propionate par un circuit neuronal intestin-cerveau. Les informations remontent jusqu’au cerveau pour induire les effets métaboliques qui sont : une meilleure régulation de la glycémie, une meilleure sensibilité à l’insuline, une diminution du poids, -88- DISCUSSION augmentation de la sécrétion basale de l’insuline. Les ilots sécrètent de l’insuline en permanence, si bien qu’ils ne peuvent pas ré-augmenter leur sécrétion lorsqu’on élève la glycémie de 5,5 à 16,7. Vous ne parlez pas du glycogène musculaire. G. M. Tout simplement parce qu’il n’y a pas de glucose-6-phosphatase dans le muscle. Le glycogène musculaire est uniquement pour le muscle, il ne peut pas réguler la glycémie. Par contre, il peut permettre de stocker le glucose. La cible du glucose portal est l’hypothalamus qui contrôle à la fois la faim et la régulation de la glycémie. Lors d’un challenge à la leptine, la souris sauvage diminue sa prise alimentaire, la souris KO la diminue beaucoup moins. La phosphorylation de stade 3 est un intermédiaire moléculaire obligatoire du signal de leptine dans l’hypothalamus. Les animaux témoins on une bonne phosphorylation tandis que les KO présentent près de deux fois moins de phosphorylation. Il y a donc une résistance à la leptine. La souris KO nourrie en régime HF-HS devient diabétique au bout de 2 mois contre 6 mois pour une souris sauvage (Soty et al., en préparation). La souris KO est donc prédisposée à développer le diabète. Vous travaillez sur les modèles souris et rat. Est-ce que les microbiotes rongeurs et humains sont comparables ? G. M. Ils sont très semblables, de même que les régulations par les nutriments. Mais il y a 100 milliards de bactéries présentes dans notre corps. La diversité est donc énorme. Il ne nous reste plus qu’à essayer le régime riche en fibres pour vérifier ! G. M. Si vous mangez des fruits et des légumes, vous allez certainement réguler votre glycémie et votre obésité mais il y a tellement de raisons pour lesquelles c’est difficile à faire. Les fruits et légumes contiennent beaucoup d’eau. Il faut donc en manger beaucoup pour atteindre la quantité de fibres nécessaire. Les produits céréaliers aussi contiennent des fibres dites insolubles qui ne sont pas fermentées mais qui régulent le transit, telles que les béta-glucanes de l’orge. Il faut donc diversifier pour avoir différentes catégories de fibres avec des propriétés différentes. Principaux messages 1 – La production endogène de glucose ne se réduit à la production hépatique de glucose. 2 – Le glucose de l’intestin est bénéfique pour la régulation de la glycémie. Comprendre son fonctionnement représente un levier pour possiblement lutter contre le diabète et l’obésité. G. M. Beaucoup de féculents sont extrêmement intéressants : les pois, les pois chiches contiennent des fibres solubles. Mais l’eau permet de remplir l’estomac à moindre coût ! -89- Article 1 Quand on donne des FOS, les animaux maigrissent mais, quand ils sont phosphataseKO, au contraire ils grossissent. Les études sont réalisées à partir d’animaux axéniques. Est-ce-que ces animaux axéniques n’auraient pas certaines déficiences en phosphatase ou des problèmes d’enzymes un peu similaires pour expliquer ces variations de poids ? Butyrate activates the CAMP-protein kinase A-cAMP response elementbinding protein signaling pathway in Caco-2 présenté par Axel DESIR VIGNE G. M. Je pense, comme toi, qu’il peut y avoir des situations où il n’y a pas de production intestinale de glucose pour des raisons autres que l’absence de gènes. La production de glucose à partir de la glutamine requiert l’utilisation de glucose pour des raisons biochimiques. Il faut un pool de pyruvate suffisant dans l’intestin. Il a été montré que ce pool de pyruvate s’effondre en cas d’alimentation lipidique élevée. Une hypothèse est que, si ce régime lipidique n’est pas associé à des fibres, l’intestin produit très peu de glucose. L’organisme est ainsi privé d’un signal bénéfique pour la santé. L’étude réalisée par Wang et ses collaborateurs et publiée dans Journal of Nutrition en 2012 tend à prouver que le butyrate active la voie AMPc, PKa, Creb dans des cellules Caco2. Le butyrate, au même titre que l’acétate ou le propionate, est un acide gras à courte chaine produit par la fermentation des fibres solubles par les bactéries anaérobies contenues essentiellement au niveau du colon. Le butyrate a un effet prépondérant dans le métabolisme de la barrière épithéliale colique, et la régulation des fonctions intestinales. Le butyrate a donc une action sur la motricité colique, sur la perméabilité et la capacité sécrétrice et absorptive de la barrière épithéliale colique. A-t-on une idée du mécanisme moléculaire qui permet la régulation de la glucose-6phosphatase, en particulier lors des régimes enrichis en protéines ? Le butyrate constitue la première source énergétique des colonocytes. On estime que 70 à 80 % de l’énergie nécessaire au bon fonctionnement des colonocytes provient du butyrate. Des études tendent à prouver aussi que le butyrate joue un rôle prépondérant dans l’homéostasie de la barrière épithéliale et réduirait l’inflammation. Le butyrate, dans des conditions physiologiques normales, va en fait G. M. Nous avons soumis un article à ce sujet. Nous montrons que le VIP, le Vasoactive Intestinal Peptide, est le facteur qui augmente l’expression de propionate. C’est un neuro médiateur libéré par le tissu nerveux intestinal. -90- réguler la prolifération et la maturation des cellules au niveau intestinal tandis que, dans le cadre des cellules cancéreuses, le butyrate va induire une apoptose et une inhibition de la différenciation de ces cellules. Les auteurs ont montré que le butyrate stimule le facteur de transcription Creb pour des concentrations physiologiques de l’ordre de 1mmol/L à 10mmol/L de butyrate. Le butyrate induit aussi une augmentation de la phosphorylation de CREB à toutes les concentrations testées. L’un des effets les plus connus du butyrate est son effet régulateur de l’expression des gènes, tout d’abord par son action inhibitrice des histones des acétylases et aussi dans une moindre mesure, son effet stimulant des histones acétyl transférases. Deux récepteurs membranaires GPR41 et GPR43 ont été reconnus comme étant des récepteurs des acides gras à courte chaine. Les auteurs indiquent que l’activation de la voie ne passe pas par ces récepteurs GPR41 et GPR43. L’objectif de l’étude était de préciser les mécanismes impliqués dans la signalisation du butyrate. On sait que le butyrate a une action régulatrice sur les gènes grâce à son activité acétyl transférase et inhibitrice des histones acétylase, mais on suppose qu’il y a d’autres mécanismes qui rentrent en compte. Les auteurs ont observé, à toutes les concentrations testées en butyrate, une augmentation de l’activité de la protéine Kinase A qui est impliquée dans la phosphorylation du facteur CREB. Le butyrate augmente la concentration d’AMPc produite par une production accrue d’ATP et non par une stimulation de l’adélynate cyclase. Les auteurs ont utilisé des lignées cellulaires d’adénocarcinome colique, les Caco-2, et ont essayé d’étudier les différents acteurs de la signalisation AMPc, PKA, Creb. Ils ont mesuré l’activité de la protéine Kinase A (PKA) dans les lignées cellulaires Caco-2 qui ont été mises en présence de différentes concentrations de butyrate. Ils ont aussi mesuré l’activité de l’Adénylate cyclase (AC) et de la Phosphodiesterase AMPc-spécifique (DPE). Ils ont analysé l’activation du facteur CREB et réalisé des dosages de la production d’ATP et de l’AMPcyclique intracellulaire. En résumé, il apparait que le butyrate va stimuler la voie AMPc- PKA Creb non pas par une action extracellulaire via les récepteurs GPR41 et GPR42 mais plutôt par un mode d’action intracellulaire qui nécessite en fait l’internalisation du butyrate, sa métabolisation au cours de la bétaoxydation des lipides. Ce butyrate va permettre une grande production d’ATP, et cet ATP sera autant de substrat disponible pour l’adénylate cyclase pour la production d’AMPc. -91- récepteurs, parce que l’adénylate cyclase est couplée aux récepteurs par des molécules G activatrices. Ils ont démontré qu’on augmente le substrat de l’enzyme. Le butyrate rentre dans la cellule, il est converti en ATP parce qu’il est très efficacement oxydé par les mitochondries. Le substrat de l’adénylate cyclase augmente, ainsi que la production d’AMP cyclique. Cet AMPc sera pris en charge par la protéine Kinase A et va induire une plus forte phosphorylation du facteur Creb. Ce facteur Creb va être internalisé dans le noyau des cellules et va se fixer sur la séquence CRE de gènes porteurs de cette séquence et va permettre l’expression de gènes cibles impliqués notamment dans la prolifération, la différenciation ou dans des phénomènes de suppression de tumeurs. Caco-2 est une lignée cellulaire d’adénocarcinome colique. Est-ce que ces cellules sont représentatives des cellules coliques normales ? DISCUSSION Un article de Borthakur et al. sur des lignées cellulaires C2BBe1 et IEC6 va à l’encontre des données qui ont été présentées dans cette étude et montre que le butyrate va agir par le biais d’un récepteur membranaire et qu’il induit une diminution de la concentration en AMP intracellulaire. G. M. La cellule Caco-2 est un modèle d’entérocyte lorsqu’elle est cultivée à confluence. Un modèle in vitro ne reconstitue pas l’ensemble du phénomène. Par exemple, je vous ai montré que le propionate n’a aucun effet sur cette cellule in vitro. Le propionate a besoin du contexte in vivo pour jouer son effet parce que son effet passe par le système nerveux. G. M. Les IEC6 sont cellules intestinales endocrines. Les Caco-2 sont un modèle de muqueuse générale (entérocytes et colonocytes). Dans les cellules endocrines, il y a rôle très clair de GPR 41 et 42 pour détecter et transformer le signal butyrate en signal d’expression des gènes. Les cellules endocrines sont donc un modèle différent des entérocytes. A part Caco-2, est-ce qu’il y a d’autres lignées cellulaires modèles des cellules coliques humaines qui ne sont pas dérivées d’une lignée cellulaire cancéreuse ? G. M. Si vous essayez d’isoler des entérocytes in vitro, elles se mettent très rapidement en situation d’hypoxie ce qui change leur métabolisme. Elles deviennent glycolytiques et sont très difficiles à manipuler in vitro. Commentaire G. M. Cet article est très intéressant, à mon avis, car les auteurs ont montré qu’il n’y avait pas d’activation de ces récepteurs par le butyrate. Ils ont montré que ça n’active pas l’adénylate cyclase, ce qui est le propre des Commentaire G. M. Vous avez indiqué que le butyrate est le principal substrat énergétique -92- Le traitement par le butyrate est de 16 heures. Le butyrate à ces faibles concentrations a sans doute été consommé depuis longtemps, ce qui n’est plus vrai à 1mmol/L. Une partie des effets est probablement perdue parce qu’il n’y a plus de butyrate dans la cellule. du colon. Ces données sont obsolètes. Windmueller a mis au point un modèle d’intestin perfusé isolé, dans les années 80. Il a démontré que le métabolisme intestinal couplait la glutamine et le glucose par l’alanine transaminase. Il a pu mesurer quels étaient les substrats qui produisaient le plus de CO2 dans l’intestin. Il a montré que l’intestin faisait de la glycolyse mais qu’il économisait le glucose de façon très forte. Le principal substrat énergétique de l’intestin ce sont les corps cétoniques (50 % de l’énergie). Le deuxième substrat est la glutamine avec 30 % environ, suivi par les acides gras et le glucose. Je me demande si on voit vraiment un effet spécifique et plus important du butyrate par rapport à d’autres acides gras saturés à chaine moyenne, C6 ou C8 ? Ou est-ce juste spécifique du C4 ? G. M. Tous les acides gras à nombre pair de chaines de carbone sont susceptibles de donner de l’énergie. Le butyrate n’est qu’un exemple particulier. L’intérêt du butyrate est que son accessibilité à la mitochondrie est immédiate. Dans des situations de jeûne, l’oxydation du glucose diminue beaucoup, et donc l’organisme tire son énergie d’autres sources : le tissu adipeux et le muscle. Un des produits des acides gras à nombre impair de carbone est le propionate parce qu’ils arrêtent à C3 dans l’oxydation des acides gras. C’est sans doute pour ça qu’il a été rapporté dans la littérature que les acides gras à nombre impair de carbone avaient des effets paradoxalement bénéfiques. Les acides aminés sont très bien convertis en propionate par les bactéries. Le butyrate est un inhibiteur des HDAC (histone deacetylase). Quel est le mécanisme ? In vitro, une partie du butyrate rentre dans le noyau et affecte en effet l’acétylation des histones Le butyrate peut-il être utilisé dans le traitement des cancers ? G. M. Il y a effectivement beaucoup de littérature à ce sujet. Cette approche s’attaque à un mécanisme général qui porte sur la structure de l’ADN, ce qui ne permet pas une approche ciblée. A 0.01 et 0.1 mmol/L, il n’y a pas d’effet sur le gène rapporteur alors qu’il y a des effets sur la phosphorylation de Creb. -93- Article 2 qui permet une hausse de la captation du glucose au niveau hépatique et donc une hausse du glucose périphérique et permet alors une amélioration de la sensibilité à l’insuline chez les sujets opérés, indépendamment du poids. Les auteurs ont voulu valider chez les personnes opérées d’un bypass gastrique ce travail réalisé chez la souris. Is intestinal gluconeogenesis a key factor in the early changes in glucose homeostasis following gastric bypass? présenté par Cédric CHAVEROUX L’article a été publié dans Obesity Surgery en 2011 et porte sur la question : Est-ce que la néoglucogenèse intestinale a un rôle clé dans les changements précoces de l’homéostasie du glucose suite à un bypass gastrique ? Chez 28 patients opérés d’un bypass gastrique selon la technique de roux en Y, les auteurs ont prélevé du sang à jeun avant opération et 6 jours après opération au niveau de la veine atriale qui permet d’avoir une vision du glucose au niveau périphérique, et au niveau de la veine porte. La chirurgie bariatrique est considérée comme un traitement efficace contre l’obésité, en particulier morbide. L’une des techniques les plus utilisées est la technique de bypass gastrique Roux en Y. Cette technique est notamment utilisée pour traiter le diabète de type 2. On observe une amélioration de la sensibilité à l’insuline et de la fonction des cellules béta du pancréas dans les 7 jours post opération, avant même le changement visible de poids des patients. Il n’y a pas de modification de sécrétion de GLP1, une hormone intestinale liée à la satiété. Les cliniciens voient une amélioration de l’indice HOMA (indice de prédiction de l’insulinorésistance). Ils ont deux cohortes : une de patients diabétiques et une de non diabétiques d’âge similaire et d’indice de masse corporelle quasiment identique. Suite à l’opération, il y a une nette amélioration de l’indice HOMA chez les diabétiques, et une amélioration plus faible chez les non diabétiques. Les concentrations de glucose et d’insuline à jeun après la chirurgie sont améliorées de façon drastique. Un papier de Troy et al. publié dans Cell Metabolism en 2008 montre que la partie isolée de l’intestin qui n’a pas de contact avec la nourriture en post absorptif va stimuler la néoglucogenèse intestinale. Le glucose synthétisé va être relargué au niveau de la veine porte, ce Les auteurs n’observent pas de différences chez les personnes diabétiques, que ce soit au niveau périphérique et au niveau porte, avant et après chirurgie, malgré l’amélioration liée à la chirurgie. -94- souris. Les auteurs ne mesurent pas une production de glucose, ils mesurent une glycémie. Chez l’homme, c’est très compliqué de faire les deux. La seule différence observée chez les personnes non diabétiques après chirurgie est une différence de concentration entre la veine porte et le niveau périphérique. Il y a une plus grande concentration de glucose au niveau de la veine porte qu’au niveau périphérique ce qui pourrait accréditer l’hypothèse de la néoglucogenèse intestinale mais la différence est relativement faible. Chez les obèses non diabétiques il y a une élévation de 0,2mmol dans la veine porte. Est-ce que c’est faible ? G. M. Le glucose a un effet signal et ce n’est pas anodin. Il faut tenir compte du flux sanguin intestinal qui est de 1 litre / minute. 0,2 mmol de glucose doit donc sortir de l’intestin toutes les minutes. Chez l’homme, la production de glucose est 10 micromol kg/minute. Pour un individu de 100 kg, 0,2 mmol représente 20 % du glucose total produit. Les diabétiques ont exactement la même glycémie dans le sang portal que dans le sang périphérique, ce qui veut dire qu’ils ont produit la même quantité de glucose qu’ils en ont consommé par leur intestin. Et cette quantité de glucose est à peu près 20 % chez l’homme. Ce papier montre en fait à mon avis que la situation se produit chez l’homme telle que mesurée chez l’animal. Les auteurs concluent qu’il y a une invalidation de l’hypothèse pour un rôle de la néoglucogenèse intestinale et donc d’un senseur potentiel de ce glucose au niveau du système porte dans l’amélioration de la glycémie chez les patients obèses. DISCUSSION Les deux papiers utilisent deux techniques de détection différentes. Les auteurs utilisent la technique classique de dosage enzymatique du glucose tandis que Troy et al. ont utilisé du glucose tritié. J’ai l’impression qu’il y a quand même une mauvaise interprétation des auteurs par rapport au papier original puisqu’ils considèrent que c’est la partie de l’intestin dépourvue de nutriments qui va générer le glucose intestinal. Or, le papier de Troy montre que c’est tout l’intestin qui peut être à l’origine de la forte production de glucose. Est-il possible au moyen de biopsies chez l’homme de regarder les expressions des enzymes PEPCK et la G6P phosphatase ? G. M. Ce n’est pas facile. Les chirurgiens n’adhèrent pas à ce type de protocole. Lors de résections pour tumeur par exemple ou pour maladie de Crohn, cela peut être possible. C’est en fait très compliqué d’aller étudier l’expression des gènes dans l’intestin humain. G. M. Effectivement, il y a une induction de la néoglucogenèse un peu partout. Sur le fond, la question est de savoir si la production de glucose qu’on mesure chez l’homme est significative et peut représenter ce qu’on a mesuré chez la -95- à courte chaine a lieu en post-absorptif, elle n’a pas lieu en postprandial parce qu’il faut le temps que les aliments qui n’ont pas été assimilés aient le temps d’aller jusqu’aux bactéries. Est-il possible d’avoir des contrôles des gens obèses, opérés pour autre chose, pour juste avoir une valeur de base de quelqu’un qui n’est ni obèse ni diabétique ? Pour avoir accès au sang portal, les auteurs font remonter une sonde par la veine ombilicale accessible par le nombril. Chez à peu près la moitié des individus elle reste assez facilement accessible. Ils ont laissé un cathéter à demeure pendant plusieurs jours. En Europe, ça ne serait pas permis par le comité de protection des personnes. Chez les cirrhotiques au dernier degré, le sang n’arrive presque plus à traverser le foie, ce qui entraîne des hyperpressions portales gigantesques et peut conduire à une rupture de la veine porte. On peut insérer chez ces patients un stent à travers le foie pour libérer la pression portale. Un article publié en 1978 suggère que, lorsque le foie n’arrive plus à produire de glucose, l’intestin constitue effectivement une source de glucose importante. Un article récent paru dans Nature Communication indique que l’acétate diminue la faim. Il faut monter à des concentrations d’acétate plasmatique assez importantes et donc je ne suis pas très convaincu par le résultat de l’article. Je crois plus aux effets physiologiques sur l’intestin même si ce sont de vieilles données. Commentaire J. F. L’intestin est un organe très fortement irrigué. Il subit des fluctuations de débit sanguin gigantesques entre une situation à jeun et une situation post prandiale. La régulation de la vasomotricité se fait essentiellement via les nutriments. Commentaire G. M. Des vieux papiers montrent que l’acétate augmente le flux sanguin intestinal. La production des acides gras -96- Article 3 et notamment chez l’homme atteint d’obésité, et l’impact sur son métabolisme. L’objectif de ce papier est d’étudier les effets du transfert d’un microbiote intestinal issu de donneurs minces sur la composition du microbiote mais également sur le métabolisme glucidique des patients receveurs obèses qui sont atteints de dysfonctionnements métaboliques. Transfer of intestinal microbiota from lean donors increases insulin sensitivity in individuals with metabolic syndrome présenté par Cindy LE BOURGOT Les auteurs de cet article publié en 2012 dans Gastroenterology ont montré qu’un transfert de microbiote intestinal issu de donneurs minces permettait d’augmenter la sensibilité à l’insuline chez des individus atteints du syndrome métabolique. Des études ont montré que le microbiote intestinal de modèles animaux atteints d’obésité et d’individus obèses présentait une diversité diminuée, et avait une proportion de bactéroidetes diminuée et de firmicutes augmentée. Une étude a montré que lorsqu’on colonise des souris axéniques avec un microbiote, celui-ci participe au contrôle de l’adiposité, à la sensibilité à l’insuline et a également un rôle dans le métabolisme glucidique et le métabolisme lipidique. Une autre étude de 2008 a montré que, lorsqu’on transfère le microbiote de souris obèses à des souris minces, on pouvait induire l’obésité chez les souris minces receveuses. Enfin, une étude de 2013 a montré que transplanter un microbiote humain chez la souris axénique permet de moduler le métabolisme de la souris receveuse. Deux groupes de 9 patients obèses ont été sélectionnés selon leur IMC supérieur à 30 et selon leur concentration en glucose plasmatique à jeun supérieure à 5,6mmol/L. Le premier groupe allogénique a reçu une infusion de microbiote intestinal issu de donneurs sains, alors que les patients du second groupe, le groupe autologue, ont reçu une infusion d’un microbiote intestinal issu de donneurs obèses. Des mesures on été effectuées à J0 avant infusion de microbiote intestinal puis 6 semaines après l’infusion du microbiote. La technique de clamp euglycémique et hyperinsulinémique (infusion d’insuline et de glucose) a été utilisée pour déterminer la sensibilité à l’insuline des individus. Les auteurs ont également réalisé des biopsies au niveau de l’intestin grêle pour déterminer la composition du microbiote au niveau fécal. Les auteurs ont observé une amélioration de la sensibilité à l’insuline périphérique 6 semaines après infusion allogénique et une tendance à l’amélioration de la Peu d’études se sont intéressées au transfert de microbiote chez l’homme, -97- une amélioration de la sensibilité à l’insuline. Les auteurs ont montré une augmentation du nombre de bactéries liée à la production de butyrate à la fois au niveau du microbiote fécal mais également au niveau du microbiote de l’intestin grêle. Ils ont montré que le butyrate a un rôle sur le métabolisme du glucose. sensibilité à l’insuline hépatique. Aucune modification n’a été observée dans le groupe autologue. Une augmentation de la diversité microbienne fécale a été observée après infusion allogénique : augmentation de 16 groupes bactériens 6 semaines après infusion du microbiote, notamment de R. intestinalis qui est une bactérie productrice de butyrate. Les auteurs ont observé une altération de 6 groupes bactériens entre les deux groupes allogénique et autologue. Il reste maintenant à étudier l’administration orale d’un microbiote identifié sur le métabolisme glucidique. Cela pourrait être une nouvelle piste d’intervention thérapeutique sur le microbiote intestinal qui permettrait de prévenir ou traiter des désordres métaboliques. Au niveau des biopsies de l’intestin grêle, ils ont montré une modulation de 7 groupes bactériens dans le groupe allogénique après infusion du microbiote, avec encore une fois une modulation dans un groupe de bactéries producteur de butyrate, Eubacterium hallii. Lorsqu’ils ont comparé les deux groupes allogénique et autologue, ils ont vu une modulation de 3 groupes bactériens. DISCUSSION Je voudrais savoir comment le transfert de microbiote se fait entre les patients. Sachant que les patients qui reçoivent le microbiote ont déjà du microbiote dans leur colon, est-ce qu’il n’y a pas de mélange possible ? Après une série de lavages pendant 5 heures pour éliminer le microbiote adhérent, le microbiote est injecté par voie nasoduodénale. C’est une technique qui est utilisée pour traiter par exemple les infections à Clostridium, qui est une bactérie qui résiste aux traitements antibiotiques. Ils se sont ensuite intéressés à l’activité fermentaire du microbiote au niveau fécal en dosant les acides gras volatiles dans les feces. Dans le groupe allogénique, ils ont montré une diminution de la production d’acétate et une diminution du butyrate. Aucune différence n’a été observée dans le groupe autologue. Est-ce que la flore, une fois transférée, reste à vie, ou est-ce qu’il peut y avoir des rejets de flore d’autrui ? Une infusion allogénique de microbiote intestinal de donneur sain module la composition du microbiote des patients receveurs obèses et induit G. M. La flore va se remodifier très rapidement selon ce que vous allez manger. -98- Commentaire On peut inoculer des animaux axéniques avec une flore simplifiée, une ou deux souches bien caractérisées. Il y une contradiction dans l’article. Les auteurs ont observé une augmentation des bactéries productrices de butyrate et une diminution de la production de butyrate dans les fèces. Il faut également mentionner que l’étude était faite dans des conditions peu contrôlées (les patients passant 6 semaines à domicile entre le transfert et les études métaboliques). De plus, des résultats positifs sur l’utilisation de glucose n’étaient observés que chez 3 patients sur 9. G. M. Ces expériences de transfert sont des outils très intéressants pour étudier les mécanismes d’interaction. Par exemple, nous avons commencé un projet avec Fredrick Bäckhed : nous voulons comparer différents types de bactéries productrices de butyrate et/ou de propionate en conditions axéniques ou de flores peu diversifiées, en colonisant avec des bactéries productrices de propionate et/ou de butyrate pour voir les effets différentiels. -99- Gilles Mithieux, Unité INSERM 855, Nutrition et cerveau, Lyon Articles analysés > Article 1 : présenté par Axel DESIR VIGNE, Physiologie des adaptations nutritionnelles, Nantes Butyrate activates the CAMP-protein kinase A-cAMP response element-binding protein signaling pathway in Caco-2, Wang et al., The Journal of Nutrition, 2012, vol. 142, no.1, 1-6 > Article 2 : présenté par Cédric CHAVEROUX, Unité de Nutrition humaine, Clermont-Ferrand Is intestinal gluconeogenesis a key factor in the early changes in glucose homeostasis following gastric bypass?, Hayes et al., Obes Surg, 2011, 21 : 759-762 > Article 3 : présenté par Cindy LE BOURGOT, Alimentation, adaptations digestives, nerveuses et comportementales, Rennes Transfer of intestinal microbiota from lean donors increases insulin sensitivity in individuals with metabolic syndrome, Vrieze et al., Gastroenterology, 2012, vol. 143, no.4, 913-+ -100- 5 Session 5 Les relations entre la nutrition et la dépression : de l’association aux mécanismes Lucile Capuron Préambule La nutrition peut avoir un rôle important à jouer en psychiatrie mais également dans le traitement et la prévention de certaines altérations subtiles de l’humeur dont nous pouvons faire l’expérience tous les jours. La dépression La dépression est un problème majeur de santé publique qui touche, d’après les statistiques de l’OMS, 350 millions de personnes dans le monde et qui constitue de nos jours la première cause d’incapacité. Chaque année, un quart de la population développe des symptômes dépressifs, avec des effets particulièrement invalidants pour le patient. Les troubles neuropsychiatriques, notamment la dépression, qui est au premier rang de ces troubles neuropsychiatriques, et les troubles anxieux, représentent 26 % de la charge de morbidité dans les pays de l’Union Européenne. Le coût des troubles de l’humeur et de l’anxiété dans l’Union Européenne est d’environ 170 milliards d’euros par an. 50 % des maladies chroniques et des congés pour maladies chroniques sont liés à la pathologie dépressive ou aux symptômes dépressifs. 50 % des dépressions sévères, associées à un risque suicidaire, ne sont pas traitées et 30 % des dépressions sévères traitées ne répondent pas aux traitements antidépresseurs conventionnels (traitements qui agissent sur la neurotransmission en particulier sérotoninergique, dopaminergique, noradrénergique). Ce sont ces 30 % de dépressions, qu’on appelle dépressions résistantes, que la nutrition peut notamment aider. Critères diagnostiques d’un épisode dépressif majeur (DSM) La dépression majeure se diagnostique en psychiatrie sur la base du DSM dont il existe différentes versions. Le patient présente au moins 5 symptômes pendant 2 semaines minimum, dont -101- l’humeur dépressive et la perte d’intérêt ou de plaisir. Ces symptômes sont d’ordre thymique (humeur dépressive, perte d’intérêt ou de plaisir), cognitif (dévalorisation/culpabilité, difficultés de concentration, indécision, pensées suicidaires), et neurovégétatif (modification de l’appétit, du poids, agitation, ralentissement, troubles du sommeil). La dépression majeure classique est très généralement observée en psychiatrie et celle-ci est particulièrement invalidante. Il existe différentes formes de dépressions. La dépression atypique, dont la sémiologie est un peu différente de celle de la dépression majeure, est fréquente chez les patients qui présentent des comorbidités métaboliques telles que l’obésité. Cette forme de dépression se caractérise par une réactivité de l’humeur, et par au moins 2 symptômes parmi lesquels une prise de poids ou une augmentation de l’appétit, une hypersomnie, une sensation de lourdeur des membres, ainsi qu’une sensation exacerbée de rejet dans les relations interpersonnelles. stress exacerbé, anxiété, névrosisme). zdes facteurs environnementaux. Le contexte socio-économique joue un rôle important dans le risque de dépression (faibles ressources économiques ou sociales), ainsi que les évènements de vie (stress précoces et/ou chroniques). C’est l’ensemble des interactions entre ces différents facteurs de risque qui conduit à l’établissement d’un terrain vulnérabilité. Néanmoins, cette vulnérabilité n’est pas suffisante pour développer un état dépressif clinique. On peut en effet être vulnérable mais ne pas développer de dépression. Il faut donc que quelque chose se passe. Un événement de vie par exemple. On parle de facteur précipitant. Des modifications biologiques s’installent dans le même temps, et celles-ci vont conduire à l’apparition d’un état dépressif. Le modèle de vulnérabilité à la dépression Il existe divers facteurs de risques de la dépression : z des facteurs héréditaires, génétiques, zdes caractéristiques psychologiques ou des traits de personnalité (sensations de mal être en société, Fig. 1 : Le modèle de vulnérabilité à la dépression -102- Les associations entre la nutrition et la dépression Diverses données de la littérature indiquent des associations entre nutrition et dépression. Ces données montrent notamment qu’une alimentation déséquilibrée ou carencée en certains micronutriments, comme les acides gras de type oméga-3, est associée à un risque augmenté de dépression. Ces observations sont confortées par le fait que certains individus dans certains pays ou appartenant à certaines cultures, développent moins de dépressions que d’autres. On s’est aperçu, par exemple, que les individus qui avaient des consommations riches en poisson, au Japon notamment, développaient moins de dépressions. Néanmoins, il est important de prendre en compte les aspects culturels quand on considère ces données. Dans certaines cultures, en effet, on ne verbalise pas ou plus difficilement ce que l’on ressent. On peut donc facilement sous-estimer la dépression tout simplement parce qu’il n’est pas coutume de parler de son état psychologique ou de ses états d’âme dans certaines cultures. Oméga 3, Régime méditerranéen et dépression Différentes études montrent des corrélations entre dépression et nutrition. Les régimes de type méditerranéen par exemple sont associés à une prévalence plus faible de dépressions. Des hypothèses ont été émises sur le type de nutriments présents dans ce type d’alimentation. On s’est notamment intéressé à certains types d’huile et à la consommation de poissons. Les articles que nous étudierons dans la deuxième partie de cette session parleront de ces associations entre oméga-3 et dépression. Le rôle des acides gras de type oméga-3 dans le traitement de la dépression reste controversé. Des méta-analyses ont été faites, notamment celle de Bloch et Hannestad publiée en 2012 dans Molecular Psychiatry qui montre que la relation entre oméga-3 et traitement de la dépression ne se vérifie que chez les patients qui ont des symptômes intenses de dépression ou qui ont des antécédents dépressifs. Les auteurs ont par ailleurs distingué les études en fonction de leur qualité méthodologique. Il s’avère que les études qui retrouvent une association entre oméga-3 et dépression sont celles qui ont tendance à présenter la plus faible qualité méthodologique. Par la suite, plusieurs auteurs ont fait d’autres méta-analyses pour essayer de vérifier ces données. Sur la base des mêmes études que Bloch et Hannestad, Lin et al., toujours dans Molecular Psychiatry, montrent que les études qui présentent une association en faveur des oméga-3 sont celles qui utilisent des préparations dont la teneur en EPA est supérieure ou égale à 60 %. Les suppléments particulièrement enrichis en EPA seraient donc plus en faveur d’une amélioration des symptômes -103- dépressifs. Le DHA, a priori, n’a pas d’effet spécifique ou puissant. Cela nous montre qu’il est important de bien considérer ces aspects méthodologiques, comme la qualité des évaluations de la dépression, le type de dépression et les préparations utilisées. L’exemple de l’obésité Beaucoup d’études montrent que des sujets qui présentent des troubles métaboliques tels que l’obésité ou le syndrome métabolique sont beaucoup plus vulnérables à la dépression. Prenons l’exemple de l’obésité. Depuis 1980 l’obésité a plus que doublé dans le monde. Plus d’1 milliard d’adultes étaient en surpoids en 2008 et 500 millions étaient obèses. En outre, 40 millions d’enfants de moins de 5 ans sont touchés par l’obésité. La principale cause d’obésité est un déséquilibre énergétique entre les calories consommées (augmentation de la consommation de graisses et de sucre) et les calories dépensées (diminution de l’activité physique). L’obésité est associée à d’importantes comorbidités cardiométaboliques et endocrines mais également dépressives. La prévalence de la dépression chez les sujets obèses est particulièrement importante puisqu’elle peut atteindre 30 % contre 5-10 % dans la population générale. En outre, la dépression Figure 2 : Les complications de l’obésité (d’après Ebbeling et al., Lancet, 2012) -104- chez le sujet obèse peut contribuer à entretenir l’obésité puisqu’elle est associée à des habitudes alimentaires modifiées qui peuvent se traduire par une augmentation de la consommation alimentaire. La dépression atypique, en particulier, est associée à une hyperphagie qui fait qu’une obésité préexistante peut être entretenue dans ce type de pathologie. Retour sur les notions de vulnérabilité et de période critique Certaines périodes de la vie sont associées à une susceptibilité accrue à la dépression. On parle de périodes critiques. De façon intéressante, ces périodes apparaissent également très sensibles aux effets de la nutrition. z La période périnatale est fortement associée au risque neuropsychiatrique. A ce moment-là, le cerveau est en plein développement et encore très malléable. Des stress précoces pendant l’enfance ou même in utero rendent des individus particulièrement vulnérables à la dépression. En outre, la nutrition a un impact très important en période périnatale et diverses études montrent le rôle de la nutrition périnatale sur le développement des fonctions cérébrales et sur le risque neuropsychiatrique à l’âge adulte. zL’enfance est également une période critique qui apparaît sensible pour des interventions nutritionnelles. z A l’adolescence se produisent d’importantes transitions, sociales, économiques mais également nutritionnelles (l’adolescent quitte souvent le foyer familial et commence à s’alimenter différemment). Cette période sensible est considérée comme étant à risque pour le développement de troubles nutritionnels mais également de pathologies dépressives. zA l’âge adulte, la survenue de pathologies ou d’événements de vie particuliers augmente le risque de dépression. z Chez les personnes âgées, on constate bien souvent des carences nutritionnelles et/ou sociales associées à une prévalence élevée de troubles neuropsychiatriques et neurocognitifs. Les mécanismes impliqués Quels sont les mécanismes qui peuvent expliquer ce lien entre nutrition et dépression ? Un mécanisme important auquel s’intéresse notre laboratoire est l’inflammation. L’inflammation participe à la physiopathologie de la dépression Des données cliniques et précliniques confirment les effets psychotropes de l’inflammation. Comment cela fonctionne ? Lorsque le système immunitaire rencontre un agent -105- pathogène, l’activation des cellules immunes à la périphérie s’accompagne de la libération de facteurs proinflammatoires, comme les cytokines pro-inflammatoires (interleukine 6, interleukine 1, facteur de nécrose tumorale α (TNF)). Ces cytokines sont libérées localement au niveau du site infectieux mais peuvent agir au niveau du système nerveux central par différentes voies, notamment nerveuses et humorales. On sait également que le signal immunitaire qui prend ses origines à la périphérie s’accompagne d’une production centrale de cytokines. L’inflammation participe à la physiopathologie de la dépression NT Comportement de maladie CRH + -+ Dépression ACTH Cytokines + IL6, IL1, TNF Surrénales Cortisol - Cellules immunes Stimulus immun Adapted from Raison, Capuron and Miller, Trends Immunol , 2006 Figure 3 (adapté de Raison, Capuron and Miller, Trends Immunol, 2006) Dans le cerveau, les cytokines sont responsables de différentes modifications biologiques. z L’activation de l’axe corticotrope Les cytokines activent l’axe corticotrope (HPA), ou système de réponse au stress, qui a un effet immuno-régulateur. L’activation de cet axe s’accompagne de la production d’ACTH et de cortisol par les surrénales, ce qui permet de réguler la réponse inflammatoire. z Des modifications du métabolisme et de l’activité des neurotransmetteurs. L’ensemble de ces modifications biologiques est associé à diverses modifications comportementales regroupées sous le terme de comportement de maladie. Le comportement de maladie (fatigue, troubles du sommeil, troubles cognitifs, mnésiques, attentionnels, altérations de l’appétit, modifications de l’humeur) permet à l’organisme de lutter de la manière la plus efficace possible contre le virus. Il a une valeur adaptative et disparaît lorsque l’organisme arrive à se débarrasser du virus. Néanmoins, dans certaines conditions, l’activation de l’immunité devient chronique ou mal régulée parce que l’axe corticotrope par exemple ne fonctionne pas de manière optimale ou que cette activation se répète tellement que les systèmes de régulation, et notamment anti-inflammatoire, fonctionnent moins bien. Cela engendre l’apparition de véritables symptômes cliniques, notamment dépressifs. En support de ce scénario, diverses données pré-cliniques et cliniques confortent l’hypothèse inflammatoire de la dépression. -106- zL’administration de cytokines ou d’agents inflammatoires induit des symptômes de type dépressif chez l’animal. z Les dépressions sévères et la dysthymie sont associées à des altérations immunes (activation des processus inflammatoires).. z L’immunothérapie par cytokines (notamment par interféron-alpha) chez des individus souffrant de certains types de cancer ou d’infections virales chroniques, comme l’hépatite C, s’accompagne de l’apparition d’épisodes dépressifs majeurs chez 50 % des individus traités. De façon intéressante, l’administration préventive d’un antidépresseur permet de bloquer la survenue de la dépression chez 40 % des patients. z Des traitements qui ciblent l’inflammation (biothérapies anticytokinergiques par exemple) agissent sur l’humeur. Nous avons cherché à identifier les mécanismes par lesquels les cytokines, en particulier l’interféron-α, favorisent l’émergence d’épisodes dépressifs chez des patients qui n’ont pas d’antécédents particuliers. Sous interféron, les symptômes neuropsychiatriques se développent en deux phases. Une première phase s’installe très précocement et se caractérise par l’apparition de symptômes neurovégétatifs, de type fatigue, diminution de l’appétit et ralentissement psychomoteur. Ces symptômes se manifestent chez l’ensemble des patients traités par cytokines (80 % des patients traités développent par exemple une fatigue intense au cours du traitement). Ils persistent pendant toute la durée du traitement par cytokine. Une deuxième phase de symptômes, en particulier thymiques et cognitifs, s’installe chez 50 % des patients. Cette phase apparait plus tardivement, en général au cours du deuxième mois de traitement. Ces symptômes répondent bien à l’administration préventive de traitements antidépresseurs. En revanche, les symptômes neurovégétatifs ne répondent pas au traitement antidépresseur. Nous avons montré que l’apparition de ces symptômes neurovégétatifs était liée à des altérations des systèmes dopaminergiques induites par l’interféron α, alors que l’apparition de symptômes thymiques et cognitifs implique davantage des altérations du système sérotoninergique. Les cytokines ont la capacité d’induire certaines enzymes qui vont participer au métabolisme des neurotransmetteurs et des monoamines en particulier. Dans des conditions inflammatoires, les cellules immunes activées vont synthétiser l’enzyme IDO (indoléamine 2,3-dioxygénase) responsable du catabolisme du tryptophane dans la voie de la kynurénine et de l’acide quinolinique. C’est une voie neurotoxique. L’activation de cette voie se fait au détriment de la voie classique de la sérotonine. Lorsqu’il y a inflammation, il y a dégradation du -107- Fig.4 : Inflammation et métabolisme des acides aminés (d’après Capuron et al., Biol Psychiatry, 2012) tryptophane nécessaire à la synthèse de sérotonine. Nous avons confirmé chez nos patients que la dégradation du tryptophane participait à l’apparition de symptômes émotionnels et cognitifs (figure 4). Les cytokines induisent également une autre enzyme, GTP-CH1 (Guanosinetriphosphate cyclohydrolase 1) qui est généralement utilisée pour la production de tétrahydrobioptérine ou BH4. Le BH4 est un cofacteur d’autres réactions enzymatiques, notamment de la tryptophane hydroxylase qui participe à la synthèse de sérotonine et de la tyrosine hydroxylase qui participe à la synthèse de dopamine. En conditions inflammatoires, l’activité de GTP-CH1 est modifiée. GTP-CH1 va être utilisé pour la production de néoptérine, qui est un marqueur de l’activation macrophagique, au détriment de la production de BH4, qui s’avère en outre très sensible au stress oxydant. Il en découle une diminution de la synthèse de dopamine et de sérotonine, neurotransmetteurs qui sont fortement impliqués dans la régulation de l’humeur. On connait ces bio-marqueurs enzymatiques depuis très longtemps mais ils sont considérés en psychiatrie de manière très récente. On peut les mesurer dans le plasma ou le sérum des patients mais également dans le liquide céphalorachidien. La diminution des concentrations circulantes de tryptophane, ainsi que -108- l’augmentation de l’acide quinolinique, dérivé neurotoxique produit de la dégradation du tryptophane, se sont avérés être associés à l’intensité des symptômes dépressifs des patients. Au départ on pensait que la dégradation de tryptophane donnait lieu à d’importantes réductions en sérotonine, ce qui conduisait à la dépression. En fait, des données très récentes montrent que c’est la production d’acide quinolinique et de métabolites neurotoxiques qui est particulièrement critique. On est maintenant sur la voie d’une neurotoxicité plutôt que sur celle d’une déplétion en sérotonine. Il est fort probable que des habitudes alimentaires qui apportent des carences dans ces acides aminés vont être associées à un risque plus élevé de dépression. En outre, des situations nutritionnelles favorisant l’instauration de processus inflammatoires peuvent également moduler ces systèmes et participer à l’apparition de symptômes dépressifs. C’est notamment le cas de l’obésité, dont on sait maintenant qu’elle est associée à une activation du système de l’immunité innée, ou de régimes carencés ou trop riches en acides gras connus pour leurs effets immuno-modulateurs. La synthèse de la littérature montre que les acides gras de type oméga-3 auraient des effets plutôt anti-inflammatoires, alors que les acides gras de type oméga-6 auraient des effets plutôt pro-inflammatoires. Nos régimes alimentaires actuels caractérisés par une augmentation déséquilibrée en faveur des oméga-6 pourraient donc avoir des effets davantage pro-inflammatoires, et participer par ce biais au risque de dépression. L’obésité est une condition inflammatoire Revenons à la situation d’obésité. L’obésité représente une condition d’inflammation chronique à bas bruit. Dans le tissu adipeux, au fur et à mesure que l’obésité s’installe, les adipocytes vont être capables de synthétiser des marqueurs inflammatoires, comme le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha). Le recrutement des cellules immunes, notamment des macrophages et des cellules T, participe à la production de facteurs inflammatoires, tels que l’interleukine (IL)6 et l’IL-1. On sait également que les macrophages et les cellules adipeuses vont libérer du MCP1 (monocyte chemoattractant protein-1) qui va faciliter l’infiltration macrophagique dans le tissu adipeux, favorisant ainsi l’instauration d’un cercle vicieux. Des altérations du microbiote intestinal (modifications des populations bactériennes, avec augmentation des firmicutes, augmentation de la perméabilité intestinale, et processus d’endotoxémie) peuvent également favoriser l’instauration d’une inflammation dans l’obésité. Compte tenu -109- des effets centraux/cérébraux de l’inflammation, il est fort probable que cette inflammation systémique dans l’obésité puisse participer à l’apparition de comorbidités neuropsychiatriques. De l’obésité à la dépression En collaboration avec les départements de psychiatrie et de cardiologie de l’Université Emory à Atlanta, nous avons pu montrer sur une cohorte de jumeaux souffrant ou non d’un syndrome métabolique que les sujets avec un syndrome métabolique présentaient des concentrations de marqueurs inflammatoires (CRP, IL6, TNF) significativement supérieures à celles des sujets contrôles/sains. La prévalence de symptômes dépressifs est deux fois plus importante chez les individus présentant un syndrome métabolique en comparaison aux individus sains. Il y a donc une vulnérabilité neuropsychiatrique augmentée et une inflammation systémique augmentée chez les patients souffrant d’un syndrome métabolique. Une analyse de risque a été réalisée pour essayer de comprendre ce qui expliquait ces symptômes dépressifs chez ces sujets. Sur la figure 5, en bleu on voit l’effet du syndrome métabolique sur la symptomatologie dépressive et en rose l’effet de l’inflammation. Lorsque les deux variables sont considérées de façon indépendante, elles ont un effet significatif. Par contre, lorsque l’on combine ces deux variables, on s’aperçoit que seule l’inflammation a un effet significatif sur la symptomatologie dépressive. Ce qui signifie que, chez les patients qui souffrent du syndrome métabolique, l’inflammation, plus que le trouble métabolique en lui-même, constitue un déterminant important du risque dépressif. Fig. 5 : Capuron et al., Biol. Psychiatry, 2008 Plus récemment, chez des sujets en état d’obésité sévère ou morbide, nous avons pu mettre en évidence des concentrations de tryptophane et de kynurénine significativement plus élevées en comparaison en des individus normo-pondéraux. Le ratio de kynurénine / tryptophane est également beaucoup plus élevé chez les patients obèses en comparaison aux patients non obèses, ce qui signifie qu’il y a une augmentation plus importante de la dégradation du tryptophane dans la voie de la -110- kynurénine chez ces patients. On observe également une augmentation du ratio Phénylanine/tyrosine chez les sujets obèses, suggérant une altération du métabolisme de la tyrosine pouvant conduire in fine à une perturbation de la production de dopamine. En support de cette hypothèse, des données obtenues chez des patients traités par cytokines montrent que l’augmentation du ratio phénylalanine / tyrosine à la périphérie est associée à une diminution des concentrations de dopamine dans le liquide céphalorachidien (Felger et al., 2013). Diverses altérations des systèmes dopaminergiques ont été décrites chez les sujets obèses. A titre d’exemple, une étude d’imagerie (Wang et al, 2001) montre que chez des sujets obèses en comparaison à des sujets contrôles il y a une diminution de la disponibilité des récepteurs dopaminergiques (récepteurs D2) dans les ganglions de la base, associée à une augmentation du métabolisme du glucose dans ces mêmes régions. On observe ce type d’altérations chez des sujets traités par cytokines, suggérant que l’altération des systèmes dopaminergiques dans l’obésité pourrait être liée à l’activation de processus inflammatoires. Perspectives Dans l’ensemble, ces données suggèrent que la nutrition peut moduler la symptomatologie dépressive et l’état neuropsychiatrique, notamment par des effets inflammatoires. Il est donc important de trouver des stratégies nutritionnelles qui peuvent moduler l’inflammation ou qui peuvent agir directement sur la symptomatologie dépressive. Ces stratégies peuvent soit reposer sur des interventions nutritionnelles soit viser la perte de poids. Un rôle dans la prévention ciblée des troubles émotionnels dans les populations à risque (sujets obèses, sujets âgés) Sujets obèses : Nos données chez les patients obèses indiquent que la perte de poids induite par la chirurgie bariatrique s’accompagne d’une diminution de l’inflammation, associée à une amélioration de l’état psychologique des patients (Capuron et al., 2010). En effet, la diminution des scores d’anxiété et de dépression est associée à la diminution des concentrations circulantes d’IL6 et de CRP. Chez le sujet âgé, les stratégies nutritionnelles apparaissent efficaces pour moduler les effets « psychotropes » de l’inflammation. Nous avons mené une étude chez des personnes âgées de la cohorte des 3 cités recrutées en fonction de leurs habitudes alimentaires. Les faibles consommateurs en omega-3 étaient caractérisés par une consommation de poisson inférieure ou égale à 2 fois/semaine et ne consommaient jamais d’huile riche en oméga-3 ou de compléments alimentaires enrichis en oméga-3. Les consommateurs réguliers étaient caractérisés par une consomma- -111- tion de poisson supérieure à 2 fois/semaine et le plus souvent d’huile enrichie en oméga-3. Les questionnaires de fréquence alimentaire étaient confirmés par des prélèvements sanguins, pour mesurer les teneurs en acides gras dans le sang. Les données préliminaires confirment bien que les consommateurs réguliers ont plus d’oméga-3 dans le sang que les faibles consommateurs et moins d’oméga-6. En revanche, il n’y a pas de différence marquée au niveau des symptômes dépressifs et cognitifs entre les deux groupes de sujets. Il y a une inflammation chronique de bas grade chez le sujet âgé même chez le sujet âgé sain. On parle d’ailleurs « d’inflammaging ». Dans notre population, cette inflammation de bas grade n’est pas affectée par la consommation d’oméga-3. En revanche, on observe que l’inflammation est associée à des symptômes cognitifs et thymiques moindres chez les consommateurs réguliers en comparaison aux faibles consommateurs. Cela signifie qu’une consommation élevée en oméga-3 protégerait des effets psychotropes de l’inflammation. Un rôle dans l’amélioration de l’efficacité des traitements de la dépression Des données très récentes montrent qu’une supplémentations nutritionnelle en EPA a des effets protecteurs sur la survenue d’un état dépressif lors de l’administration thérapeutique d’interféron-α (Su et al., 2014). En outre, d’autres données indiquent que l’obésité ou des pathologies associées à l’activation de processus inflammatoires (diabètes, maladie cardiovasculaires, cancers) sont associées à une plus grande prévalence de dépressions résistantes, c’est-à-dire ne répondant pas aux traitements antidépresseurs conventionnels. Un objectif des études en cours et à venir est de déterminer si des stratégies nutritionnelles, modulant notamment l’inflammation, peuvent améliorer l’efficacité des traitements antidépresseurs actuels. DISCUSSION Il me semble, qu’après la chirurgie bariatrique, il y a une libération accrue de cytokines par le tissu adipeux inflammatoire chez les obèses. Est-ce que cela n’engendre pas un rebond d’inflammation à bas bruit et de dépression ? L. C. Effectivement, après la chirurgie, on observe une augmentation de certains marqueurs inflammatoires, notamment du TNF, liée à la fonte du tissu adipeux. C’est pourquoi les études ont commencé au minimum trois mois après la chirurgie lorsque le poids commence à se stabiliser. Il y a des éléments pour penser que la stimulation électrique du nerf vague pourrait également avoir des mécanismes protecteurs de la dépression. L. C. Effectivement la stimulation du nerf vague peut améliorer la symptomatologie dépressive mais les -112- mécanismes spécifiques impliqués dans cet effet restent à préciser. G. M. Nous émettons l’hypothèse que le nerf vague cible l’hypothalamus qui est un régulateur de l’anxiété et de la dépression. L. C. Toutes les études de neuro-imagerie sur les dépressions montrent l’activation d’un réseau cérébral complexe, impliquant de nombreuses structures. G. M. L’imagerie atteint très difficilement l’hypothalamus. Mon hypothèse est qu’il y a un rôle majeur de l’hypothalamus avant de projeter sur les fonctions corticales et du système limbique. Est-ce que la kynurénine est stable dans le plasma ? L. C. La kynurénine est relativement stable dans le plasma ou dans le sérum. C’est l’un des marqueurs les plus stables pour faire le lien inflammation / symptômes. 80 % des tumeurs solides expriment IDO. C’est un mécanisme d’échappement à l’immunité. Cela entraîne une chute de tryptophane via la production de kynurénine. Est-il possible d’accentuer cet effet chez les patients en psychiatrie ? L. C. Des équipes notamment américaines essaient actuellement de comprendre si les symptômes psychologiques associés au cancer n’impliquent pas ce type de mécanisme. Article 1 ω-3 fatty acid intakes are inversely related to elevated depressive symptoms among United States women présenté par Mara GALMARINI Les auteurs ont pour objectif d’évaluer la consommation d’acides gras oméga-3 ainsi que la relation oméga-3 / oméga-6 sur les symptômes dépressifs auto-déclarés. Ils ont étudié une population de 1746 participants qui habitent la ville de Baltimore aux Etats-Unis, composée de 57 % de femmes avec un âge moyen de 46 ans. La proportion d’AfroAméricains est la plus importante. (67,7 %) Les symptômes de dépression ont été estimés à l’aide de l’échelle CES-D. L’apport en acide gras oméga-3 et oméga-6 a été estimé à l’aide de deux rappels de 24 heures. Ils ont pris en compte différentes covariables (âge, genre, origine ethnique, statut marital, niveau d’éducation, indice de pauvreté, indice de masse corporelle, fumeurs / nonfumeurs, consommation de drogue) ainsi que des facteurs de confusion (nutriments ayant un rôle dans les symptômes dépressifs, tels que les vitamines B, C et A, apport énergétique total). -113- Les auteurs ont montré une différence significative entre les pourcentages de femmes (25,6 %) et d’hommes (18,1 %) présentant des symptômes de dépression significatifs. Ils n’ont pas établi de relation significative avec l’âge, l’origine ethnique, l’indice de masse corporelle, et la consommation de drogues. Par contre la pauvreté, l’éducation et l’état civil ont présenté une corrélation avec les symptômes dépressifs. Les femmes célibataires présentaient un niveau de symptômes dépressifs plus élevé que les femmes mariées. Les gens moins éduqués avaient un niveau de dépression plus élevé. Les auteurs ont montré une corrélation inverse significative entre la consommation d’acides gras et le niveau de symptômes dépressifs significatifs. L’apport en acide linoléique et acide α-linolénique n’est satisfaisant que dans moins de 50 % de la population sauf pour l’acide linoléique chez les hommes qui dépasse les 59 %. L’apport de DHA + EPA pour la prévention des dépressions majeures n’est adéquat que chez 5 à 17 % des femmes et 6 à 13 % des hommes Les résultats confirment l’hypothèse d’un effet protecteur des oméga-3 contre les symptômes dépressifs, notamment chez les femmes. La causalité inverse ne peut pas être exclue, mais il est plus probable que des concentrations réduites d’oméga-3 puissent contribuer aux symptômes de la dépression que l’inverse. Ces résultats conduisent à la nécessité de définir des recommandations nutritionnelles aux Etats-Unis, particulièrement pour le DHA et l’ EPA, étant donné leur fort impact sur les symptômes dépressifs. DISCUSSION M. GALMARINI : Est-ce-que les participants savent qu’ils remplissent un questionnaire pour évaluer la dépression ? L. CAPURON En général, on indique aux patients qu’ils doivent répondre à des questions sur leur humeur.. Il me semble que le rappel de 24 heures est mal adapté à la problématique des oméga-3 parce le DHA et l’EPA proviennent de la consommation de poisson qui est souvent bi ou tri-hebdomadaire. Il aurait fallu doser le DHA dans les érythrocytes, mais c’est un peu plus cher et un peu plus compliqué. L. C. Oui, sur un sous-groupe au moins pour valider ce type de mesure. Est-ce-que les femmes n’ont pas tendance à davantage formuler leur coté dépressif que les hommes dans les auto-questionnaires ? L. C.En général, la prévalence de la dépression est supérieure chez les femmes par rapport aux hommes. L. CAPURON : Est-ce que tu n’as pas remarqué un problème dans la sélection des sujets ? Les sujets sont au minimum en surpoids. C’est un biais de sélection. -114- GABAa présentent 3 sous unités α, ᵦ et ᵧ et les récepteurs GABAb présentent 2 sous-unités : GABA B1 et GABA B2. Article 2 Ingestion of Lactobacillus strain regulated emotional behavior and central GABA receptor expression in a mouse via the vagus nerve présenté par Mathilde GUERVILLE Cet article publié dans PNAS en 2011 traite de l’ingestion d’un probiotique qui pourrait réguler le comportement émotionnel et l’expression du récepteur GABA au niveau central chez la souris. Le microbiote est composé de plus de 1013 bactéries et il remplit de nombreux rôles physiologiques notamment dans l’immunité, la barrière intestinale ou l’absorption de nutriments. Il a été montré que ce microbiote pouvait interagir avec le système nerveux central puisque l’introduction de bactéries pathogènes dans le microbiote peut entraîner des comportements d’anxiété chez le rat. Et de la même manière un stress chronique peut induire une modification du microbiote via l’axe corticotrope. On parle d’axe microbiote-intestin-cerveau qui a une communication bidirectionnelle, du microbiote jusqu’au système nerveux central, et du système nerveux central jusqu’au microbiote. Le principal neurotransmetteur inhibiteur est le GABA, qui peut se fixer à plusieurs récepteurs : GABAa, GABAb et GABAc. Les récepteurs Les récepteurs GABAa et GABAb sont les plus représentés dans le système nerveux central et des traitements antidépresseurs, comme les benzodiazépines, agissent au niveau du récepteur GABAa pour traiter la dépression. D’autres traitements antidépresseurs agissent sur le récepteur GABAb. Les probiotiques sont des microorganismes vivants qui, lorsqu’ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent des effets positifs sur la santé. Il a été montré que ces probiotiques ont des effets bénéfiques notamment lors de désordres intestinaux et peuvent diminuer des comportements liés à l’anxiété chez l’animal. Les objectifs des auteurs étaient de savoir, chez l’animal sain, si le probiotique Lactobacillus Rhamnosus JB-1 peut affecter le système GABAergique, et si l’administration de ce probiotique peut affecter les comportements liés à ce système GABAergique comme le stress, l’anxiété ou la dépression. Les auteurs ont voulu savoir si ces effets sont médiés par le nerf vague. Le groupe JB-1 a reçu pendant 28 jours un gavage quotidien de probiotiques. 10 rats de ce groupe et 10 du groupe contrôle ont subi une vagotomie chirurgicale. -115- L’hybridation in situ a permis de mesurer la quantité d’ARN messager des récepteurs GABAergiques dans plusieurs régions cérébrales impliquées dans l’anxiété et la dépression. Ils ont également fait une série de tests comportementaux pour, d’une part, estimer les conséquences fonctionnelles d’une altération de la transmission de GABA et pour, d’autre part, estimer l’anxiété. (Elevated Plus Maze, mesure de l’hyperthermie induite par le stress, Open field, méthode de peur conditionnée pour évaluer la mémoire liée à l’émotion, test de nage forcée). Les auteurs n’ont pas vu d’effet de l’ingestion de probiotiques au niveau de l’hyperthermie induite par le stress mais, par contre, ils ont vu un effet sur le labyrinthe Elevated Plus Maze (augmentation du nombre d’entrées dans les bras ouverts). On peut donc conclure à une diminution de l’anxiété chez les animaux ayant été supplémentés par les probiotiques. Les tests comportementaux ont permis de conclure que l’ingestion de probiotiques pourrait avoir un effet anxiolytique mais qu’elle n’aurait pas d’effet sur la mémoire. Les auteurs ont observé une diminution de la corticostéronémie induite par le stress chez les animaux supplémentés en probiotiques. Ils ont montré une augmentation de l’expression de récepteur GABA B1b au niveau du cortex prélimbique. Ils ont pu en conclure que l’ingestion de ce probiotique était bénéfique en situation de stress, ce qui coïncide avec les résultats des tests comportementaux obtenus auparavant. Dans l’amygdale, ils ont montré une diminution du récepteur GABA B1b et ont pu en conclure que l’ingestion de ce probiotique induit un effet bénéfique sur la mémoire et sur la dépression, ce qui ne coïncide pas forcément avec ce qu’ils avaient obtenu sur les tests comportementaux puisque, dans les expériences de peur conditionnée, ils n’avaient pas montré d’effet sur la mémoire. Les auteurs ont montré une diminution de l’expression du récepteur GABA Aα2 et ont conclu que l’ingestion de ce lactobacillus induit un avantage en situation de stress. Chez les animaux ayant subi une vagotomie, on ne retrouve pas l’effet anxiolytique et l’effet antidépresseur. Les auteurs en concluent que l’effet anxiolytique et antidépresseur qu’ils avaient observé pourrait s’effectuer via le nerf vague. La vagotomie supprime l’augmentation observée de GABA Aα2 et GABA Aα1 dans l’amygdale et les auteurs concluent que la vagotomie supprime l’effet anxiolytique de l’ingestion du probiotique. -116- En conclusion, l’ingestion de ce lactobacillus pourrait moduler le système GABAergique et pourrait avoir des effets bénéfiques pour le traitement de désordres psychologiques. Elle diminuerait les comportements d’anxiété et de dépression chez l’animal. Les auteurs soulignent également que les probiotiques ont des effets souches-dépendants puisqu’un autre lactobacillus ne semble pas avoir d’effet sur le système nerveux entérique. Enfin, ils concluent que le nerf vague semble être le lien de communication entre le cerveau et le microbiote. DISCUSSION G. M. Il est très difficile de couper le nerf vague chez la souris par chirurgie. On peut facilement couper la branche hépatique du nerf vague mais les autres branches sont diffuses. La capsaïcine ne permet pas de tout désactiver non plus chez la souris. Personnellement je suis convaincu qu’on peut moduler les comportements de l’anxiété et de dépression à partir de signaux médiés par le nerf vague. J. F. Chez le rat, une vagotomie entraîne des perturbations digestives. Une section du nerf vague se traduit par une inflammation locale qui donne un effet de stimulation. Est-ce-que les auteurs expliquent pourquoi ils ont pris L. Rhamnosus JB-1 ? M. GUERVILLE Il me semble que c’est parce qu’ils avaient montré des effets sur l’inflammation. Jean FIORAMONTI : C’est l’éternel problème des tests sur probiotiques. C’est facile de montrer un effet. Commentaire G. MITHIEUX L’auteur de l’article est dans le «track-1 » de PNAS : c’est un membre de l’académie des sciences qui communique son papier devant l’académie des sciences sans être reviewé. Est-ce qu’il existe des données qui montrent les conséquences de la vagotomie sur l’expression des récepteurs GABA B et sur le microbiote ? -117- Article 3 comportements de type dépressif et sur les voies de signalisation du circuit de la récompense. Diet-induced obesity promotes depressive-like behavior that is associated with neural adaptations in brain reward circuitry présenté par Frédéric TANTOT L’article publié en 2013 dans International Journal of Obesity traite de l’effet de régimes obésogènes sur les comportements de type dépressif en association à des adaptations au niveau du circuit de la récompense. La motivation à consommer des aliments palatables va solliciter le circuit de la récompense qui est très souvent résumé par des projections dopaminergiques entre l’aire tegmentale ventrale et le noyau accumbens. Le surpoids et l’obésité entrainent des altérations de ce circuit de la récompense. Wang et al. ont montré une diminution de la disponibilité des récepteurs D2 dans le striatum chez les sujets obèses. Les neurones dopaminergiques libèrent de la dopamine qui va se fixer sur un récepteur et entrainer toute une cascade moléculaire qui implique en particulier DARPP-32, le BDNF, pCREB. La modulation de BDNF et pCREB a des effets sur les comportements de type dépressif. Les auteurs de cet article se sont posé la question de l’effet d’un régime hypercalorique palatable sur les Des souris ont été exposées soit à un régime hyper-lipidique (60 % de lipides), soit à un régime pauvre en graisses (10 %). Les auteurs ont étudié les comportements de type anxieux et dépressif, la réponse au stress ainsi que les voies de signalisation du circuit de la récompense. Les animaux qui avaient le choix ont très largement consommé le régime hyper-lipidique qui est donc nettement plus palatable que l’autre. Cela s’est traduit par une augmentation de l’apport énergétique chez les souris qui sont soumises à ce régime hyperlipidique et une augmentation du poids significative. Les auteurs concluent que le régime hyper-lipidique semble augmenter les comportements de type anxieux et les comportements de type dépressif. Au niveau basal les auteurs ont observé une augmentation du taux de corticostérone circulante. Chez les souris soumis à un stress de contention, la libération de corticostérone explose chez les animaux soumis au régime hyperlipidique. Les auteurs concluent que le régime hyper-lipidique dérégulerait l’axe du stress et entraînerait une hyper réactivité au stress chez ces animaux. pCREB est un facteur de transcription et BDNF est un facteur neurotrophique -118- qui intervient dans les phénomènes de croissance et de différenciation neuronale. Chez les animaux soumis au régime hyper-lipidique, on observe une augmentation de ces deux molécules dans certaines régions du circuit de la récompense, comme le noyau accumbens mais également l’aire tegmentale ventrale et le striatum dorsal. de type anxieux et des comportements de type dépressif, des altérations au niveau du circuit de la récompense, notamment une augmentation du BDNF et de pCREB. La TH (tyrosine hydroxylase) est une enzyme qui intervient dans la synthèse de la dopamine. L. CAPURON Tu as comparé le fait que les auteurs montrent une augmentation du récepteur D2 alors que l’étude de Wang montre une diminution. Est-ce-que tu ne penses pas que c’est lié tout simplement au fait que l’étude ne repose pas sur un modèle d’obésité ? Les auteurs observent une diminution de cette enzyme, ce qui pourrait en fait se traduire par une diminution de la synthèse de la dopamine, ce qui irait dans le sens d’une baisse de l’anhédonie, qui est une des caractéristiques de la dépression. Dans le noyau accumbens, les auteurs ont trouvé une augmentation de la concentration des récepteurs D2, ce qui est contradictoire avec les résultats de Wang et al. présentés ci-dessus. Les auteurs expliquent cette différence par le fait qu’ils ont fait un dosage de protéines total. Les auteurs ont trouvé une corrélation positive entre la concentration de BDNF, la concentration de pCREB et l’immobilité dans le test de la nage forcée. En conclusion, les auteurs ont montré que le régime hyperlipidique entraîne une augmentation des comportements Les auteurs n’ont pas fait d’étude causale mais uniquement des études corrélatives. DISCUSSION F. TANTOT Je ne vois pas pourquoi un contexte d’exposition à un régime hyperlipidique conduirait à une augmentation qu’on ne retrouve pas dans un contexte d’obésité. L. C. Les études d’imagerie de Wang concernent des sujets obèses avec une obésité déjà bien installée. Est-ce-que c’est la même chose lorsque l’obésité s’installe ? On ne peut pas comparer les deux situations. Le modèle et les conditions sont différents. On se demande si cette dérégulation du système dopaminergique n’est pas tout simplement un signe d’installation de l’obésité, plutôt que d’être liée aux symptômes dépressifs ou anxieux. Une hypothèse est que l’obésité s’installe parce qu’il y a déjà au départ une vulnérabilité du -119- système dopaminergique. Le résultat obtenu ici peut être en lien avec l’état d’obésité qui s’installe ou refléter une vulnérabilité à l’obésité plutôt qu’une symptomatologie anxio-dépressive particulière parce qu’on ne sait pas le lien de causalité entre les deux. F. T. Stice dit justement qu’on a une diminution de l’expression des D2 : les animaux vont être moins sensibles aux aliments palatables et, pour compenser cette perte de plaisir, ils vont surconsommer. L. C. Les travaux de Stice montrent effectivement que, chez les individus obèses, à qui l’on montre des images de nourriture palatable il y a une activation du striatum. En revanche, lorsque ces individus obèses consomment cette nourriture, Stice montre une désactivation de ces mêmes régions par rapport à des sujets non obèses. Donc, finalement, le fait de consommer n’est pas renforçant. Alors que l’anticipation l’est beaucoup plus. Chez la souris ou chez le rongeur, si on avait utilisé par exemple de l’oléate au lieu de la palmitate, est-ce qu’on aurait les mêmes effets ? F. T. C’est justement un des points soulevés par les auteurs dans la conclusion. Il faudrait regarder l’effet d’un changement de la composition en lipides. Article 4 Omega-3 fatty acids in the prevention of interferon-α-induced depression: results from a randomized, controlled trial présenté par Célia FOURRIER Cet article rapporte une étude clinique qui a cherché à étudier les effets d’une supplémentation en oméga-3 dans la prévention d’une dépression induite par l’interféron α. L’interféron α est une glycoprotéine de la famille des cytokines qui est produite par les cellules du système immunitaire et qui va donc entrainer des processus inflammatoires. Elle a un rôle dans la défense de l’organisme contre les pathogènes. La thérapie par l’interféron α est utilisée lors d’une infection par le virus de l’hépatite C. Chez les patients qui sont traités par l’interféron α on retrouve des effets secondaires majeurs et notamment des altérations neuropsychiatriques. On retrouve également chez plus de 30 % des patients une dépression qui est diagnostiquée cliniquement suivant les critères du DSM-IV. Ces effets secondaires peuvent entrainer chez certains patients l’arrêt de la thérapie. Pour essayer de contrer ces effets secondaires, certaines études ont administré, avant l’interféron α, des antidépresseurs tels que des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine mais les résultats sont variables. Les antidépresseurs entraînent également -120- chez ces patients des effets secondaires comme des hémorragies gastrointestinales, une toxicité hépatique ou une diminution du taux de plaquettes. Cela montre qu’il y a une nécessité de développer des stratégies alternatives pour la prévention induite par l’INFα. Une des alternatives auxquelles les auteurs ont pensé est une supplémentation en oméga-3, qui sont des composés nutritionnels essentiels qui ne sont pas synthétisés de novo. On trouve ces oméga-3 dans des poissons gras ou dans des huiles végétales, l’huile de colza par exemple ou l’huile de noix. Les auteurs ont voulu savoir quels étaient les effets d’une supplémentation de 2 semaines en acides gras polyinsaturés de la famille des oméga-3 (EPA et DHA) dans la prévention d’une dépression induite par l’interféron α. Les patients ont reçu une supplémentation pendant 2 semaines avant le début de la thérapie soit d’EPA, soit de DHA, soit un placebo, puis ils ont reçu la thérapie par l’interféron α. Des évaluations neuropsychiatriques ont été faites au tout début de l’étude avant le début de la supplémentation, à la fin de la supplémentation, puis au cours de la thérapie. On observe que le traitement prophylactique par l’EPA diminue le risque de dépression induite par l’interféron α comparé au traitement placebo, mais cette différence n’est pas observée entre le DHA et le placebo. L’étude montre que l’EPA et le DHA retardent l’apparition d’une dépression induite par l’interféron α. En ce qui concerne les scores aux deux tests qui évaluent les symptômes neuropsychiatriques et neurovégétatifs, il n’y a pas de différence significative entre la supplémentation en DHA, en EPA comparé au placébo. Après 2 semaines de supplémentation, les groupes supplémentés en EPA et DHA présentent un taux de DHA augmenté dans les érythrocytes. Cela peut être expliqué par le fait que l’EPA va ensuite être métabolisé dans l’organisme en DHA. Donc, si on supplémente en EPA, on augmente le taux d’EPA mais aussi celui de DHA. Les auteurs concluent qu’une stratégie nutritionnelle visant à augmenter le taux d’AGPI n-3 dans l’organisme pourrait avoir des effets préventifs sur le développement d’une dépression, notamment en situation inflammatoire, comme chez les patients HCV-positifs traités par de l’IFNα. DISCUSSION Commentaire L. CAPURON La nouveauté dans cette étude est qu’il s’agit d’une prévention ciblée chez des sujets à risque et qui ne sont pas déjà dépressifs. Jusqu’à présent, les études s’attachaient à -121- étudier le rôle des oméga-3 sur une dépression établie. Les auteurs ont choisi l’interféron α mais ils auraient pu prendre un autre modèle. Ainsi, ce même groupe a démarré une étude sur la dépression post-partum pour voir si de telles supplémentations peuvent diminuer l’occurrence de la dépression post-partum. Dans cette étude, le groupe contrôle pose en effet problème car il reçoit 15 % d’acide linoléique et ce n’est peutêtre pas anodin. Qu’est-ce que veut dire une courbe de survie ? Ici la survie signifie « sans épisode dépressif majeur ». Comment mesure-t-on ces scores neuropsychiatriques ? L. C. L’échelle HAMD (ou échelle d’Hamilton de dépression) est une échelle qui permet de mesurer l’intensité des symptômes dépressifs. L’échelle de neurotoxicité NTRS est une échelle qui va mesurer les symptômes généraux : symptômes neurovégétatifs, neuropsychologiques. C. FOURRIER A la fin de l’étude, les scores ont plutôt tendance à diminuer alors que c’est à ce moment-là qu’on atteint 30 % de patients dépressifs. L. C. Parce qu’il s’agit là de la neurotoxicité justement (qui apparaît de manière très précoce), et non de dépression. Quelle dose d’EPA reçoivent les sujets ? C. F. Ils reçoivent 3,5g par jour d’EPA et 1,75g par jour de DHA. Ce sont des doses énormes donc des doses vraiment thérapeutiques. Est-ce que les auteurs émettent des hypothèses de mécanisme pour cet effet de l’EPA ? C. F. La demie vie du DHA est de 773 jours et j’ai pensé que le DHA allait sûrement rester dans l’organisme pendant une durée supérieure à deux semaines et que l’effet perdurait peut être après la fin de la supplémentation. Intervenante : Je pense que cette énorme dose de DHA qu’ils donnent pendant 2 semaines ne va pas forcément s’incorporer en totalité dans le cerveau. Je ne suis pas sure que l’effet puisse perdurer très longtemps. L’EPA est plutôt un anti-inflammatoire périphérique et il n’a pas besoin d’être incorporé dans les structures cérébrales L. C. Cet article est très récent et les pistes mécanistiques sont très peu soulevées. Ce n’est pas l’interféron lui-même qui induit la dépression. L’interféron induit la synthèse des cytokines, active l’axe corticotrope ce qui donne lieu à d’autres modifications neurochimiques Cette activation du réseau de cytokine se fait dès la première administration de l’interféron α. Chez des patients qui reçoivent de fortes doses d’interféron par voie intraveineuse, on est en mesure de distinguer les patients qui vont développer une dépression de ceux -122- qui n’en développent pas. Les patients qui vont développer une dépression présentent une réponse 3 ou 4 fois plus importante de l’axe corticotrope. Il y a des études notamment aux Etats-Unis qui administrent des tests de stress à ces patients dès le départ de façon à cibler les traitements antidépresseurs. A l’heure actuelle, il y a toujours un certain nombre de patients qui ne répond pas à ces traitements. On cherche donc des stratégies beaucoup plus acceptables et notamment nutritionnelles et qui permettraient de cibler l’ensemble des patients à risque. Intervenante Du coup, le traitement de 2 semaines à 3g/jour d’EPA empêche cette élévation précoce brutale. Est-ce qu’il n’y a pas un effet un peu anxiogène quand on dit à des gens qu’on va les suivre pour des études de dépression au début du protocole ? L. C. Les gens qui reçoivent ce type de traitement savent qu’il y a un risque de dépression. Au contraire, ça les rassure d’être suivis durant le traitement, donc il n’y a pas de problème en général d’adhésion à ce type d’étude sur la base d’effets anxiogènes. Si l’explication de la différence entre EPA et DHA est un effet anti-inflammatoire, pourquoi est-ce qu’on n’essaye pas de traiter les gens avec des anti-inflammatoires ? L. C. Il y a deux réponses. Chez les patients qui présentent des affections somatiques, c’est délicat d’administrer des anti-inflammatoires étant donné qu’on donne un traitement pour booster la réponse immunitaire. Par contre, dans d’autres populations, on utilise maintenant de plus en plus de traitements anti-TNF. L’étanercept, par exemple, qui est utilisé pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde ou du psoriasis, traite également la dépression. -123- Lucile Capuron, INRA, UMR Nutrition et neurobiologie intégrée, Bordeaux Articles analysés > Article 1 : présenté par Mara GALMARINI, Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, Dijon ω-3 fatty acid intakes are inversely related to elevated depressive symptoms among United States women, Beydoun et al., The Journal of Nutrition, 143: 1743-1752, 2013 > Article 2 : présenté par Mathilde GUERVILLE, Alimentation, adaptations digestives, nerveuses et comportementales, Rennes Ingestion of Lactobacillus strain regulated emotional behavior and central GABA receptor expression in a mouse via the vagus nerve, Bravo et al., PNAS, vol. 108, no. 38, 16050-16055, 2011 > Article 3 : présenté par Frédéric TANTOT, Nutrition et neurobiologie intégrée, Bordeaux Diet-induced obesity promotes depressive-like behavior that is associated with neural adaptations in brain reward circuitry, Sharma and Fulton, International Journal of Obesity, 37, 382-389, 2013 > Article 4 : présenté par Célia FOURRIER, Nutrition et neurobiologie intégrée, Bordeaux Omega-3 fatty acids in the prevention of interferon-α-induced depression: results from a randomized, controlled trial, Su et al., Biol Psychiatry, vol. 76, no. 7, 559-566, 2014 -124- 6 Session 6 Isabelle est une chercheuse du département AlimH. Elle travaille à l’INRA de Jouy-en-Josas dans un laboratoire du département Phase (Physiologie Animale et Systèmes d’Elevage) intitulé « neurobiologie de l’olfaction ». Monique Lavialle, qui était alors directrice à Jouy de l’unité NuRéLiCe (nutrition et régulation lipidique des fonctions cérébrales) dans lequel travaillait Isabelle, était venue, lors de l’école d’été de juillet 2005, nous parler des acides gras polyinsaturés et des performances cérébrales ; j’avais trouvé cela extraordinaire. Aujourd’hui, Isabelle va nous parler des oméga-3 (ω3) et de leurs actions possibles sur le stress et le vieillissement. Implication des ω3 dans la physiologie cérébrale : rôle possible dans la prévention des altérations liées au stress et au vieillissement. Isabelle Denis Introduction Avant de commencer ma présentation, je tenais à vous dire à quel point c’est important d’apprendre, et j’ai beaucoup appris au cours des cinq sessions précédentes. Humainement, j’ai pris plaisir à rencontrer tous ces jeunes qui sont passionnés et intéressés par notre métier. A eux de prendre le relais. Je dois dire que cette expérience est aussi gastronomiquement très intéressante. Je vais maintenant essayer de faire le point, de la façon la plus scientifique possible, sur les mythes et réalités des ω3. Depuis près de deux décennies, le marketing s’est emparé de ces acides gras polyinsaturés qui, d’après les médias, seraient la solution à tous nos maux. Pourtant, en matière de recherche, beaucoup reste à faire, car les avancées ont été minimes. Dans un premier temps, je vous dirai en quoi les ω3 constituent un enjeu nutritionnel. Puis, je vous ferai un rapide historique -125- sur l’histoire des ω3 et du cerveau. Enfin, je vous présenterai les résultats que nous avons obtenus au cours d’un projet que nous venons de terminer et qui a duré quatre ans. Les ω3: un enjeu nutritionnel Qu’est-ce qu’un ω3 ? Les ω3 sont des acides gras polyinsaturés, ce qui signifie qu’ils ont au moins deux doubles liaisons (insaturations) dans leur chaîne carbonée. On distingue (schéma 1) deux familles qui diffèrent par la position de la première double liaison sur la chaîne carbonée : sur le troisième carbone (à partir de l’extrémité méthyle) pour les ω3 et sur le sixième carbone pour les ω6. L’Homme, comme la plupart des animaux, ne possède pas les enzymes permettant la formation de doubles liaisons sur ces positions et doit donc trouver les chefs de file (ou précurseurs) des deux familles (l’acide α-linolénique (LNA) pour la famille des ω3 et l’acide linoléique (LA) pour la famille des ω6) dans leur alimentation via les huiles végétales. Or, toutes les huiles végétales n’ont pas la même composition. Les huiles de consommation massive, comme l’huile de tournesol ou l’huile d’arachide, sont riches en ω6, tandis que les huiles de consommation plus restreinte, comme l’huile de colza ou l’huile de noix, sont riches en ω3. Une fois ingérés, les précurseurs sont métabolisés dans le foie des animaux, qu’il s’agisse des mammifères ou des poissons. Ils subissent alors une série d’élongations et de désaturations, ce Schéma 1 -126- qui conduit à une augmentation de la longueur de la chaîne carbonée et du nombre d’insaturations de ces acides gras. Les dérivés les plus importants sont l’acide docosahexaénoique, ou DHA, pour la série ω3 et l’acide arachidonique, ou AA, pour la série ω6. Ces composés à longue chaîne (respectivement 22 carbones et 6 insaturations pour le DHA, 20 carbones et 4 insaturations pour l’AA) sont ensuite incorporés dans les membranes de toutes les cellules de l’organisme au niveau des phospholipides. Les enzymes qui conduisent à la production de ces deux constituants membranaires (les élongases et les désaturases) sont les mêmes pour les deux séries. Cela signifie que les quantités de DHA et d’AA produites dépendent du niveau des apports en précurseurs de chaque série. La problématique nutritionnelle dans les pays occidentaux. La quantité d’AA dans l’ensemble des tissus animaux est beaucoup plus importante que celle du DHA. Comme les huiles de consommation massive sont riches en ω6, les besoins en AA des êtres humains sont largement couverts. En revanche, une augmentation trop importante de la consommation d’ω6 par rapport à celle d’ω3 risque de mettre en péril la production de DHA. De nombreuses études menées dans les pays européens, les États-Unis ou l’Australie ont montré que l’alimentation humaine est déséquilibrée en faveur des ω6. L’évolution des apports de ces deux acides gras au cours des dernières décennies (schéma 2) montre une augmentation de la concentration du précurseur ω6 (LA) dans le lait de femmes (teneur représentative de Schéma 2 -127- la consommation en LA), alors que celle du précurseur ω3 (LNA) est restée constante. Aujourd’hui, dans les populations occidentales, le ratio ω6/ ω3 est compris entre 10 et 15, alors qu’une production correcte de DHA nécessite un ratio aux environs de 4. Le déséquilibre de ces apports est essentiellement lié à l’industrialisation de l’alimentation. Nous pourrons en reparler lors de la discussion. Ω3 et cerveau Le ratio ω6/ω3 conditionne la fourniture de DHA aux différents tissus de l’organisme, et en particulier au cerveau. Ce dernier est l’organe le plus riche en DHA. Les membranes des cellules cérébrales sont même les seules à avoir un peu plus de DHA que d’AA (schéma 3). Pour que les teneurs en DHA soient optimales au niveau des structures cérébrales, je vous ai dit que le ratio ω6/ω3 doit être voisin de Schéma 3 4. Lorsque l’apport en ω6 est en excès, la production de DHA à partir des précurseurs de la série ω3 diminue. La production du DHA à partir du LNA est naturellement faible, de 0,1 à 5 % en fonction de l’âge et du sexe. Le rendement est plus élevé chez la femme et plus faible chez les personnes âgées. Le seul apport direct possible en DHA provient des produits de la mer et, en particulier, du poisson. Or, une partie de la population ne consomme pas ou peu de poisson. Les expérimentations sur les modèles animaux, dès les années 80, ont montré que, chez des rats soumis à une alimentation apportant des ω6 mais dépourvue d’ω3 (apport en lipides = huile d’arachide ou de tournesol), le taux de DHA diminue de moitié dans les structures cérébrales par rapport à celui de rats ayant reçu un régime équilibré (lipides = huile de colza), lorsque la carence est induite dès la gestation. Chez les rats carencés en ω3, le DHA est remplacé par un autre acide gras polyinsaturé : le DPA ou acide docosapentaénoique. Ce dernier possède, comme le DHA, 22 carbones, mais c’est un ω6 et il a une double liaison en moins. Pour faire face à la carence en ω3 l’organisme essaie donc de produire un acide gras à plus longue chaîne à partir des acides gras dont il dispose, c’est-à-dire des ω6. Cette perte d’une double liaison n’est pas sans conséquences sur le fonctionnement de l’organisme et notamment du cerveau. -128- Chez l’homme, des mesures chez des jeunes bébés décédés de mort subite confirment la réduction de la teneur cérébrale en DHA lorsque l’alimentation est déficiente en ω3 (laits artificiels pauvres en ω3). Cette diminution de la teneur en DHA reste plus limitée dans le cerveau que dans les autres tissus, ce qui indique que le maintien de la teneur en DHA dans le cerveau est une priorité pour l’organisme. Chez l’adulte, les données proviennent essentiellement du laboratoire de Stanley Rapoport aux États-Unis. Il a d’abord montré, chez le rat adulte, un taux de renouvellement quotidien du DHA et de l’AA de l’ordre de 5 à 8 %. Une carence en ω3 de quatre mois chez des rats adultes entraîne une diminution du DHA plasmatique de 90 % et du DHA cérébral de 37 %. Chez l’homme, il a estimé que le turn-over cérébral est de 4 à 5 mg de DHA par jour et de 18 mg pour l’AA. Ce renouvellement est largement assuré au quotidien si on suit les recommandations actuelles de l’ANSES. Ces recommandations sont cependant difficiles à suivre puisqu’un apport en EPA (20:5n-3) et en DHA de 500 mg par jour correspond à une consommation de poisson deux à trois fois par semaine, et qu’une consommation de LNA (18:3n-3) de 2,2 g par jour correspond à une grosse cuillérée à soupe d’huile de colza ou de noix, huiles qui restent trop peu consommées en France. Actions cellulaires du DHA et de l’AA Ces deux acides gras sont des constituants des phospholipides membranaires. Leur présence et leur taux déterminent certaines propriétés des membranes. Le DHA est l’acide gras le plus insaturé. Grâce au nombre important de ses doubles liaisons, il peut adopter une multitude de conformations et se trouve en perpétuel mouvement, contrairement aux acides gras saturés. Sa mobilité permanente facilite les changements de conformation des protéines présentes dans la membrane, qu’il s’agisse des canaux ou des récepteurs. L’autre action de ces acides gras est due à leur aptitude à être des molécules signal. Une fois libérés des membranes par les phospholipases A2 (PLA2), ils peuvent jouer euxmêmes un rôle de signal ou donner naissance à une multitude de dérivés sous l’action des cyclo-oxygénases (Cox), des lipo-oxygénases (Lox) et du cytochrome P450. Par oxydation non enzymatique, l’AA peut aussi donner naissance à des isoprostanes et le DHA à des neuroprostanes. La plupart de ces molécules sont extrêmement réactives et certaines ont une demi-vie extrêmement courte. On connaît très mal l’action de tous ces dérivés dans les différents tissus. Dans de nombreuses revues, il est souvent écrit que les dérivés de l’AA sont plutôt pro-inflammatoires et que ceux du DHA sont plutôt antiinflammatoires. Ces affirmations doivent être nuancées, car les effets de -129- ces dérivés sont encore très mal connus. Il semble qu’effectivement les résolvines issues des ω3 ont un rôle actif dans la résolution des épisodes inflammatoires et que les neuroprotectines aient des effets bénéfiques sur les processus cérébraux. Le DHA, l’AA et certains de leurs dérivés impactent également le fonctionnement cellulaire par activation des facteurs de transcription PPAR. Si les actions possibles des ω3 sont encore mal connues, on sait que ces molécules sont au cœur des processus cellulaires et qu’elles interviennent dans la signalisation et sur l’activité des récepteurs et des transporteurs. hyperactivité (ADHD). Les premières études cliniques d’intervention chez l’homme datent de la fin des années 2000. Certaines suggèrent un effet bénéfique des apports en ω3 sur le déclin cognitif associé au vieillissement et sur le risque d’apparition des démences et de la dépression. Cependant, dans leur ensemble, les études chez l’Homme restent impuissantes à démontrer l’implication réelle des apports en ω3 dans ces pathologies ou dans le vieillissement, et à expliquer leur mode d’action. Je vais vous présenter les conséquences cognitives d’un défaut d’apport en ω3 chez le rongeur dans trois domaines : La diminution des capacités d’apprentissage et de mémorisation Petite histoire sur les liens entre les ω3 et le cerveau Les premières expérimentations sur les liens entre ω3 et cerveau ont été menées chez le rongeur à partir des années 80. Elles ont montré qu’une carence en ω3 réduisait la teneur cérébrale en DHA et altérait les capacités de mémorisation et d’apprentissage. Au début des années 90, elles ont montré que cette carence agissait aussi sur le comportement émotionnel et sur la sensibilité au stress. Les études d’observation chez l’homme se sont multipliées au début des années 2000. Elles ont mis en évidence une relation entre les ω3 et différentes neuro-psycho-pathologies comme la maladie d’Alzheimer, la dépression, la schizophrénie, la maladie de Parkinson, les troubles déficitaires de l’attention avec Il faut garder à l’esprit que les fortes carences en ω3 que l’on impose aux animaux n’ont rien à voir avec l’insuffisance des apports en ω3 que l’on peut estimer chez l’homme. Les rongeurs chez qui on a provoqué une chute de 50 à 80 % du DHA cérébral, montrent une augmentation du temps d’apprentissage et du nombre d’erreurs dans la plupart des tests mesurant leurs capacités mnésiques. On observe également une diminution de la plasticité cognitive : un animal carencé s’adapte moins bien à un changement de consignes qu’un animal équilibré en ω3. Plusieurs tests de comportement et d’apprentissage ont été utilisés, comme le labyrinthe spatial de Barnes ou la piscine de Moris. Ils reposent -130- sur la reconnaissance spatiale, la discrimination olfactive ou visuelle et le conditionnement. Si chaque test présente des défauts, ils rejoignent la même conclusion : une carence en ω3 entraîne une diminution des capacités d’apprentissage et de mémorisation. L’hyperactivité locomotrice Les ω3 agissent aussi sur l’émotivité. Un animal carencé présente une activité locomotrice plus élevée. Dans mon laboratoire, nous avons beaucoup travaillé avec des hamsters. Chez ces animaux, il est facile de mesurer l’activité locomotrice en continu en enregistrant leur activité spontanée dans une roue. Un jeune hamster carencé en ω3 fait deux fois plus de tours de roue qu’un animal non carencé au cours de sa journée. Les animaux âgés sont moins représentatifs car ils sont plus fatigués, moins vifs et moins rapides. Nous avons retrouvé cette hyperactivité en utilisant des tests mesurant l’activité induite, sur une plus courte durée, chez des rats carencés en ω3. L’altération de l’émotivité et, en particulier, l’augmentation de la sensibilité au stress Les animaux carencés en ω3 sont généralement plus impulsifs, plus nerveux. Les animaliers reconnaissent assez systématiquement un animal carencé à son comportement. Nous avons, par exemple, mesuré l’intensité du sursaut de rats, carencés ou non, provoqué par un son de 120 dB. Le sursaut des rats carencés est significativement plus important que celui des animaux équilibrés. Nous avons aussi étudié la réponse des animaux à un stress chronique (contention de 6 heures par jour pendant 3 semaines). Ce protocole induit une augmentation du temps de toilettage des animaux, observé dans le dispositif « openfield », traduisant la fébrilité du rongeur « stressé ». Chez les animaux non stressés, il n’y a pas de différence dans le temps de toilettage entre les animaux carencés et les animaux équilibrés. Par contre, l’augmentation du temps de toilettage induite par le stress est plus élevée chez les animaux carencés que chez les animaux équilibrés. Projet Neuromega-3 Premiers résultats obtenus chez le rat Ce projet qui a mobilisé des équipes de différents organismes (Inra, Inserm, Cnrs, Unilever) s’est déroulé sur quatre ans (2010-2014). Nous avions pour objectif d’étudier le rôle neuroprotecteur des ω3 vis-à-vis du stress et du vieillissement. En effet, plusieurs études suggèrent que le stress accentue certaines caractéristiques du vieillissement. Protocole d’étude Nous avons donné à des rats Wistar un de ces trois régimes : un régime carencé en ω3, un régime équilibré en précurseurs ω3 et ω6 ou un régime supplémenté en ω3 à longue chaîne (huile de poisson). -131- Les rats ont ensuite été soumis, vers l’âge de six mois, à un stress de contention de six heures par jour pendant cinq semaines, puis d’une semaine par mois jusqu’à la fin de leur vie. Composition lipidique des membranes du cortex Chez les animaux carencés, on observe (schéma 4) une chute de la teneur cérébrale en ω3 qui correspond essentiellement à une chute du DHA. Cette chute est compensée par la production de DPA, un acide gras de la série ω6 qui, rappelons-le, possède le même nombre de carbone que le DHA et une double liaison de moins. Les animaux équilibrés ont transformé le précurseur LNA en DHA et les membranes de leur cerveau ont été correctement approvisionnées. Chez les animaux supplémentés en huile de poisson, la teneur en DHA est légèrement augmentée par rapport aux rats équilibrés. Impact des ω3 sur le stress Les seuls paramètres sur lesquels nous avons mis en évidence un effet du stress sont le poids corporel, la corticostérone plasmatique, le temps de toilettage et le temps d’exploration en openfield. Dès que l’on commence à stresser les rats, vers l’âge de six mois, les animaux qui ont reçu un régime carencé ou un régime équilibré réduisent leur consommation alimentaire, ce qui entraîne une baisse de leur poids corporel. Chez les animaux supplémentés, le stress n’entraîne pas de diminution de la consommation alimentaire ni du poids corporel. Chez les animaux supplémentés, l’augmentation de la corticostérone plasmatique induite par le stress est atténuée comparativement aux animaux équilibrés ou carencés. L’augmentation du temps de toilettage (mesuré dans l’Openfield) induite par le stress est plus importante chez les rats carencés que chez les rats équilibrés ou supplémentés. La diminution du Schéma 4 -132- temps d’exploration (dans l’Openfield) induite par le stress chez les rats carencés et équilibrés est abolie chez les rats supplémentés. Nous avons donc montré que la carence en ω3 aggrave certaines réponses au stress et qu’une supplémentation en ω3 à longue chaîne atténue ces réponses. Nous savons peu de choses sur les mécanismes impliqués. Il est probable que l’axe HPA joue un rôle puisqu’on observe des modulations de la corticostérone plasmatique. Concernant la physiologie cérébrale, nous n’avons pas observé, au niveau de l’hippocampe, d’altération caractérisée ni sur la neurotransmission glutamatergique, ni sur les récepteurs GR (dont l’expression peut être modulée par l’activation de l’axe HPA), ni sur la plasticité synaptique, ni sur les régulations astrocytaires. vé aucun effet. Quelques effets positifs, mais surtout l’absence d’effet des ω3 se retrouvent également dans les études d’intervention. Les méta-analyses réalisées ces derniers temps ne permettent pas non plus de conclure. Elles suggèrent un possible rôle préventif des ω3 sur le déclin cognitif, mais ciblé sur des caractéristiques individuelles différentes selon les méta-analyses. On peut se demander pourquoi des études qui ont été menées avec rigueur sur des cohortes importantes aboutissent à des résultats contradictoires ? Plusieurs biais permettent d’expliquer les limites des études chez l’homme. Ω3 et vieillissement chez l’homme : l’impasse actuelle Le premier biais est celui des facteurs confondants. Les ω3 proviennent essentiellement de la consommation des poissons. Or, celle-ci est étroitement associée à un régime sain ; les personnes qui mangent le plus de poisson sont aussi celles qui ont un apport plus élevé en vitamines et en fruits et légumes. Ces personnes ont aussi un niveau socioculturel et des performances cognitives plus élevés et un mode de vie plus favorable à la santé. Il faut noter que le principal facteur protecteur vis-à-vis du déclin cognitif est le niveau d’études. Chez l’homme, les études ont commencé dans les années 90. Les premières étaient des études d’observation. Si plusieurs d’entre elles, menées dans des pays différents, avec des cohortes différentes, ont conclu à un impact positif des ω3 sur la diminution du risque de la maladie d’Alzheimer et sur le ralentissement du déclin cognitif au cours du vieillissement, d’autres n’ont trou- Le deuxième biais est celui des limites des études nutritionnelles par rapport à une démarche clinique. Dans les études nutritionnelles, le témoin 0 n’existe pas, puisque tout le monde consomme des ω3. On ne peut mesurer qu’une différence de niveau d’apports. De plus, les apports en ω3 sont plus difficiles à estimer que beaucoup d’autres nutriments et, comme pour la plupart Tout ce que l’on peut dire à partir de ces données c’est que les ω3 atténuent la sensibilité au stress, ce qui pourrait contribuer à ralentir le vieillissement cérébral. -133- des nutriments, les effets attendus d’une insuffisance modérée sont de faible amplitude. Le troisième biais est celui des limites des évaluations cognitives. Les variations individuelles sont extrêmement fortes au cours du déclin cognitif, et plus on vieillit plus les variations entre les personnes sont fortes. Il existe aussi des interactions entre performances cognitives et émotivité, et les ω3 interviennent aussi sur le stress et la dépression. La quatrième limite est due à la méconnaissance du rôle des ω3 sur les processus physiologiques cérébraux. Dans les études sur les ω3, il est important de connaître aussi les apports en ω6. En effet, le statut nutritionnel est très différent entre, par exemple, une personne qui ne mange pas de poisson et utilise de l’huile de colza et une personne qui consomme de grandes quantités d’huile d’arachide. On ne connaît toujours pas précisément les cibles cognitives spécifiques des ω3, ni leur rôle lors d’une exposition au stress. Toutes ces remarques m’incitent à penser qu’il est peut-être illusoire de vouloir démontrer l’intérêt des ω3 sur le vieillissement et le déclin cognitif chez l’homme. Aujourd’hui, les études expérimentales restent indispensables. Beaucoup de pistes, de modèles, de modes de supplémentation, de paramètres ont été évalués. Nous avons maintenant besoin d’études mécanistiques intégrées dans une même approche. C’est ce que nous avons essayé de faire au cours de ces quatre dernières années au laboratoire. Je vais maintenant vous présenter les principaux résultats que nous avons obtenus. Ω3 et vieillissement chez le rat Dès la gestation, nous avons soumis nos rats Wistar à l’un des trois régimes : carencés en ω3, équilibrés en précurseurs ω3 (LNA)/ ω6 (LA) ou supplémentés en huile de poisson. Nous avons étudié l’effet de ces régimes sur des rats âgés de six mois (adultes jeunes) et de 23-24 mois (rats âgés, car les rats Wistar survivent rarement au-delà de 24-25 mois). Sur ce même modèle, nos collègues du CNRS à Orsay (P.Gisquet, UMR 8620) se sont intéressés aux capacités cognitives via un test d’apprentissage. Nos collègues de l’INSERM de Paris (B.Potier & JM Billard, U894) ont étudié l’activité synaptique par des mesures d’électrophysiologie. Au laboratoire, nous nous sommes attachés aux fonctions cellulaires synaptiques. Compositions en AGPI des phospholipides cérébraux Le schéma 5 montre que : z chez les animaux équilibrés en précurseurs, on observe une légère diminution significative du DHA d’environ 15 % chez les rats âgés par rapport aux sujets jeunes. L’acide arachidonique (AA) ne subit pas de baisse significative avec le vieillissement. -134- Schéma 5 zchez les animaux carencés, on a, comme prévu, une chute importante du DHA cérébral, qui est plus marquée chez les jeunes que chez les vieux. Cette chute est compensée par une augmentation du DPA. zchez les animaux supplémentés en huile de thon, on observe une légère élévation du taux de DHA (vs rats équilibrés). La supplémentation en DHA permet de plus d’éviter la diminution du DHA associée au vieillissement, observée chez les rats équilibrés. En résumé, on peut dire : 1) qu’une carence en ω3 réduit le DHA cérébral de 60 % ; 2) qu’une supplémentation en huile de poisson prévient la diminution de 15 % du DHA cérébral lié au vieillissement. Apprentissage spatial : labyrinthe de Barnes Le labyrinthe de Barnes est plus adapté aux animaux âgés que la piscine de Morris, car il est plus facile pour eux de se déplacer en marchant qu’en nageant (les rats Wistar âgés peuvent devenir très gros et peser jusqu’à un kilo). Les rats n’aimant pas la lumière, ils doivent trouver pour s’y réfugier une petite cachette située sur une plate-forme très éclairée. Nous avons montré que les performances d’apprentissage des rats âgés sont inférieures à celles des rats jeunes, que la différence jeunes/vieux est plus marquée chez les rats carencés et qu’elle n’est plus significative chez les rats supplémentés. Les capacités d’apprentissage des rats âgés carencés -135- Efficacité et plasticité de la synapse glutamatergique synaptique libère du glutamate auquel le neurone post-synaptique réagit en émettant des potentiels excitateurs. Dans la zone CA1 de l’hippocampe, la plasticité de cette synapse, qui peut être potentialisée (LTP) ou au contraire déprimée (LTD) à long terme, est identifiée comme un des supports de la mémorisation spatiale. La synapse glutamatergique dans l’hippocampe est impliquée dans la mémorisation spatiale et est profondément altérée au cours du vieillissement. L’hippocampe est l’une des premières structures à s’altérer au cours du vieillissement. Une synapse implique la rencontre entre deux neurones (schéma 6) : le neurone pré- Une partie de l’activité synaptique est contrôlée par des régulations astrocytaires qui interviennent, notamment, dans la capture du glutamate libéré. L’accumulation de glutamate est neurotoxique. C’est d’ailleurs l’un des processus qui favorisent le vieillissement et la mort neuronale dans cette région du cerveau au cours du vieillissement. est significativement plus faible que celle des rats âgés supplémentés. En résumé, la carence en ω3 aggrave l’altération de la mémoire spatiale au cours du vieillissement et la supplémentation en huile de thon la prévient. Schéma 6 -136- L’astrocyte est une cellule qui possède des prolongements extrêmement mobiles. Ces derniers peuvent entourer la synapse et exercer des régulations très précises ou, au contraire, se rétracter de la synapse libérant un peu d’espace autour de celle-ci. Nous nous sommes intéressés aux astrocytes car le dialogue astrocytes/neurones joue un rôle extrêmement important dans la plasticité synaptique. La présence astrocytaire joue en particulier un rôle dans la consolidation des synapses. Cette plasticité morphologique de l’astrocyte, qui participe à la plasticité synaptique, est altérée au cours du vieillissement. L’efficacité synaptique Par des mesures d’électrophysiologie, nos collègues de l’Inserm ont montré que la carence en ω3 aggrave l’altération de l’efficacité synaptique associée au vieillissement et que la supplémentation en huile de poisson prévient cette altération et améliore l’efficacité synaptique chez le jeune. La PPF est une autre mesure électrophysiologique qui renseigne sur la partie pré-synaptique de la neurotransmission : plus la PPF est élevée, plus la libération pré-synaptique de glutamate est faible. En d’autres termes, plus d’une synapse est efficace, Schéma 7 -137- plus la PPF est faible. Le schéma 7 montre une légère augmentation de la PPF chez les rats âgés par rapport aux rats jeunes. L’augmentation n’est pas significative chez les animaux équilibrés, mais elle l’est chez les animaux carencés. Cela signifie que la carence en ω3 aggrave l’altération de la libération pré-synaptique du glutamate au cours du vieillissement. On observe aussi que la supplémentation en huile de poisson augmente cette libération pré-synaptique, aussi bien chez les jeunes que chez les rats âgés. Plasticité synaptique : potentialisation à long terme (LTP) Nous avons montré que chez le rat âgé supplémenté, l’amplitude de la LTP est augmentée de façon significative par rapport à celle des animaux âgés équilibrés. La supplémentation en huile de poisson semble donc favoriser la plasticité synaptique qui est en lien direct avec le processus de mémorisation. L’astrogliose Avec le vieillissement, les astrocytes perdent leur phénotype régulateur et s’hypertrophient. Les photos cidessous illustrent la zone C1 de l’hippocampe. Chez les rats âgés, les prolongements des astrocytes sont plus épais, plus nombreux et plus tortueux que ceux des rats jeunes. L’astrogliose peut être mesurée par des western-blot du marqueur principal de ces prolongements : la GFAP (glial fibrillary acidic protein). L’augmentation caractéristique de l’astrogliose chez les animaux âgés est encore renforcée chez les animaux âgés déficients. Cet accroissement de l’astrogliose s’accompagne d’une légère augmentation du nombre des astrocytes. Le schéma 8 montre clairement que la carence en ω3 aggrave l’astrogliose liée au vieillissement et que la supplémentation en huile de poisson prévient son apparition. Régulations astrocytaires Grâce à des expériences menées ex vivo, nous avons montré une diminution de la capacité de capture astrocytaire du glutamate d’environ 30 % chez les rats âgés comparativement aux rats jeunes. Cette diminution est plus marquée chez les rats carencés. Ces résultats confirment que la carence en ω3 aggrave le vieillissement y compris au niveau des régulations astrocytaires. Photos Résumé Le schéma 9 résume les principaux résultats obtenus dans le cadre du projet Neuromega-3. Le vieillissement altère les capacités d’apprentissage -138- Schéma 8 Schéma 9 -139- spatial, agit sur les synapses, en particulier sur la libération présynaptique du glutamate, mais aussi sur l’efficacité synaptique globale. Il n’y a pas d’effet sur la potentialisation à long terme (LTP) chez le rat âgé. La déficience en ω3 aggrave l’ensemble de ces paramètres. A contrario, la supplémentation en huile de poisson préserve les capacités cognitives au niveau de l’apprentissage spatial, améliore la libération pré-synaptique du glutamate, potentialise l’efficacité synaptique, améliore la LTP chez les animaux âgés et abolit les altérations astrocytaires qui accompagnent le vieillissement. Faute de temps, je ne vous présenterai pas les résultats que nous avons obtenus sur les astrocytes en culture in vitro. Sachez cependant que l’on retrouve les effets du DHA sur les astrocytes : il augmente le couplage jonctionnel et favorise la plasticité morphologique, ce qui va dans le sens d’une plus grande efficacité du réseau astrocytaire. Conclusion Chez le rat, les altérations de la neurotransmission glutamatergique dans l’hippocampe et de sa plasticité sont modulées par le statut en ω3. Les deux cibles des ω3 sont, d’une part, la libération pré-synaptique du neurotransmetteur et, d’autre part, les astrocytes. Schéma 10 -140- D’après nos études chez le rat, une extrapolation pour des études chez l’homme devrait concerner la mémorisation hippocampique, c’està-dire la mémoire de travail (à court terme), et les événements qui favorisent l’astrogliose, une des cibles premières des ω3 (neuro-inflammation, stress...). Le schéma 10 propose des pistes complémentaires et des perspectives de recherche. Discussion Il me semble que le caractère essentiel des gras polyinsaturés a été démontré au début des années 60. L’augmentation importante de la consommation des ω6 aux ÉtatsUnis s’explique en grande partie par les recommandations qui étaient faites pour prévenir les risques cardio-vasculaires et la cholestérolémie. Elles préconisaient de diminuer les apports en acides gras saturés et d’augmenter ceux en acides gras insaturés. Or, dans ce pays, on consomme surtout de l’huile de tournesol et de l’huile de soja, deux huiles riches en ω6. On ne s’intéressait pas encore aux ω3. I.D. Je suis d’accord, mais il y a aussi d’autres facteurs liés à l’agriculture productiviste. Par exemple, lorsqu’une vache est nourrie à l’herbe, sa viande contient naturellement des ω3. Si elle est nourrie avec des tourteaux de soja, sa viande et son lait ne contiennent quasiment plus d’ω3. De même, si on nourrit une poule non plus avec du blé mais avec du maïs, les œufs qu’elle produit sont riches en ω6 et ne contiennent plus que très peu d’ω3. De plus, les industriels ont surtout sélectionné les huiles riches en ω6, qui étaient les premiers acides gras polyinsaturés à avoir été découverts. Mais ils l’ont aussi fait pour des raisons technologiques. En effet, une huile riche en ω6 se conserve beaucoup mieux et s’oxyde beaucoup moins que les huiles riches en ω3, qui possèdent une double liaison supplémentaire. C’est à cause de leur fragilité à l’oxydation que les huiles riches en ω3 sont réservées à l’assaisonnement. Lorsqu’on les chauffe, elles dégagent une odeur désagréable de poisson. Je suis surpris quand tu dis que la contention ne stresse pas les animaux. Si je me souviens bien, la contention durait plusieurs heures et pendant plusieurs semaines. Peut-être les animaux ont-ils fini par s’habituer ? I.D. C’est une question que l’on peut se poser et, comme toi, je pense que les animaux se sont probablement habitués au stress. Nous avons réalisé un stress chronique classique sur cinq semaines car nous voulions que cette série de stress ait un impact sur le vieillissement. Contrairement à ce que d’autres équipes ont observé, nous n’avons pas vu d’effets cognitifs de ce stress à long terme. -141- Article 1 Exposure to a maternal n-3 fatty acid deficient diet during brain development provokes excessive hypothalamicpituitary-adrenal axis responses to stress and behavioral indices of depression and anxiety in male rat offspring later in life présenté par Yoottana anthakhin Introduction Le cerveau est l’organe qui contient le plus de DHA. Chez le rat, le DHA s’accumule entre le sixième jour de la période prénatale et le seizième jour postnatal. Chez l’homme, il s’accumule surtout pendant la période qui va du troisième trimestre de la gestation à deux ans. Certaines études ont montré qu’une carence nutritionnelle en DHA d’une rate en gestation était associée à un risque plus élevé, pour sa descendance, de développer des maladies chroniques, comme l’hypertension, le diabète de type II, certains cancers et des troubles neuropsychiatriques. On sait aussi que le stress maternel a un impact important sur l’activité de l’axe HPA des descendants. Or, cette activité est régulée soit par le circuit GABAergique, soit par un système de rétro-contrôle négatif du glucocorticoïde. Dans cette étude, les auteurs voulaient savoir si une déficience en DHA pendant la phase de développement du cerveau des fœtus (gestation et lactation) pouvait provoquer une dérégulation de l’axe HPA des animaux arrivés à l’âge adulte. Ils ont émis l’hypothèse que la déficience en DHA hypothalamique pendant le développement du cerveau modulait l’expression d’une enzyme qui intervient dans la production de GABA : GAD 67. En altérant l’activité de l’axe HPA, qui est régulé par le circuit GABAergique, la déficience conduirait ultérieurement à un comportement de type anxieux et dépressif. Leur modèle d’étude est décrit dans le schéma cidessous. -142- Résultats Il n’y a pas de différence d’activité chez les animaux en post-sevrage. Taux de DHA hypothalamique La déficience en DHA maternel entraîne une diminution du taux de DHA hypothalamique chez les petits au moment du sevrage. Poids de la descendance mâle À l’âge de trois semaines, c’est-à-dire au moment du sevrage, le poids des petits est significativement diminué dans le groupe prew-Def par rapport au groupe prew-Adq. Il n’y a pas de différence significative de poids chez les animaux en post-sevrage, c’est-àdire à 10 semaines. Comportement de type anxieux (évaluation dans l’Elevated Plus Maze ou EPM) Le temps passé dans les bras ouverts est plus faible chez les animaux du groupe prew-Def que chez ceux du groupe prew-Adq. Il n’y a pas de différence concernant le temps passé et le nombre d’entrées dans les bras ouverts pour les animaux en post-sevrage (groupes postw-Def et postw-Adq). Comportement de type dépressif (évaluation par le test de nage forcée ou FST) Le temps passé à escalader est plus faible chez les animaux du groupe prew-Def par rapport à celui du groupe prewAdq. Par contre, le temps d’immobilité est augmenté dans le premier groupe. Le temps passé à nager est le même dans les deux groupes en pré-sevrage. Changements du taux de corticostérone sérique après le stress de contention Il n’y a pas de différence dans le taux de cortisone sérique chez les animaux en pré-sevrage au repos. Par contre, après le stress de contention, le taux augmente de manière significativement plus élevée chez les animaux du groupe prew-Def. Trente minutes après le stress, le taux de corticostérone revient à son niveau basal chez les animaux prew-Adq, mais reste plus élevé chez les animaux prew-Def. Les changements du taux de corticostérone sont sensiblement les mêmes chez les animaux en post-sevrage. Changements de l’expression de la protéine hypothalamique GAD 67 Après le stress de contention, l’expression de la protéine est plus faible chez les animaux du groupe prew-Def, alors qu’elle augmente chez les animaux non déficients. Effets de l’injection de bicuculline. La bicuculline est un antagoniste du récepteur GABA Elle entraîne une augmentation de la fréquence cardiaque, de la pression sanguine et de la température corporelle, plus importante chez les animaux prew-Def par rapport aux animaux prew-Adq et chez les animaux postw-Def par rapport aux animaux postw-Adq. -143- Conclusion zLa déficience en DHA pendant la période de pré-sevrage pourrait induire des réponses excessives de l’axe HPA au stress et augmenter des comportements de type anxieux et dépressif chez la descendance mâle à l’âge adulte. zL’effet d’une déficience en DHA cérébral pendant le développement du cerveau sur l’activité de l’axe HPA pourrait impliquer un mécanisme médié par le récepteur GABAa. Discussion I.D. Les auteurs ont montré qu’à 10 semaines post-natal les rats carencés durant la gestation/lactation avaient récupéré un taux de DHA cérébral « normal ». Cette récupération est très rapide puisqu’elle se fait en 7 semaines. Cela peut s’expliquer par le fait que les animaux reçoivent à partir de l’âge de 3 semaines un régime standard qui contient probablement des quantités correctes en précurseurs oméga 3. Toutes les différences que les auteurs ont montrées (stressabilité, axe corticotrope vraisemblablement modifié…) ont donc été obtenues avec des animaux qui possèdent la même composition cérébrale en oméga 3 et en oméga 6. Qu’en déduisez-vous ? Y.J. Cela montre que la période périnatale est une période critique. C’est une période où les animaux sont plus sensibles au stress. l’axe corticotrope, peut être en relation avec le GABA dans l’hypothalamus. Par contre, quand les rats en post-sevrage sont soumis au régime carencé, on observe des différences à 10 semaines : leur taux de DHA est significativement diminué mais les effets sur l’axe HPA ne sont pas observés. Quels sont les points importants que l’on doit retenir de cet article ? I.D. Il montre que pour certains paramètres, et en particulier pour le stress, il existe des fenêtres très précises où les oméga 3 ont un impact sur l’axe HPA, peut-être via le GABA. Y.J. On voit aussi que la maturation de HPA est complète à l’adolescence. Je travaille sur la programmation fœtale, c’est pourquoi je suis étonnée que les auteurs n’aient pas différencié le régime pendant la gestation de celui durant la lactation. Il peut se produire des effets de rattrapage de certains paramètres pendant la lactation ; je pense au poids par exemple. Or, les auteurs n’ont mesuré le poids qu’à la naissance et à la fin du sevrage. I.D. C’est exact, mais l’article était déjà assez compliqué. Cela aurait nécessité de transférer des nouveaux-nés chez des mères ayant reçu un autre régime pour pouvoir différencier gestation et lactation, ce qui est plus lourd expérimentalement. I.D. Oui. Cela signifie que c’est au cours de la période périnatale que « quelque chose » se met en place au niveau de -144- Article 2 Improved spatial learning performance of fat-1 mice is associated with enhanced neurogenesis and neuritogenesis by docosahexaenoic acid présenté par Julie Mazzocco Introduction Cet article a été publié en 2009 dans PNAS par l’équipe de Kang. Il concerne l’amélioration de l’apprentissage spatial par des souris fat-1 qui est associé à l’augmentation de la neurogenèse et de la neuritogenèse par le DHA. Je rappelle que le DHA est un acide gras polyinsaturé à longue chaîne de la famille des ω3 (22 : 6n-3). Il est présent à de fortes concentrations dans le système nerveux central, en particulier au niveau des membranes synaptosomales, des vésicules synaptiques et de la rétine. Du fait du grand nombre de doubles liaisons, il a une mobilité moléculaire qui facilite les changements de conformation des protéines membranaires. Il intervient donc dans la structure des membranes, mais aussi dans la modulation neurochimique et la régulation de certains gènes. Dans cet article, les auteurs s’intéressent au gyrus dentelé, une zone de l’hippocampe où a lieu la neurogenèse et où se construit la mémoire. Leur but est d’étudier l’effet du DHA sur la neurogenèse et la neuritogenèse, in vivo et in vitro, ainsi que sur l’apprentissage spatial. Afin de s’affranchir des biais qui accompagnent les régimes enrichis en DHA ou les injections de DHA chez la souris, ils utilisent des souris transgéniques Fat-1 dont le gène, issu du nématode Caenorhabditis elegans, est capable de convertir les ω6 en ω3. Résultats La neurogenèse est plus importante dans l’hippocampe des souris Fat-1 que dans celui des souris témoins Pour obtenir ce résultat, les auteurs ont injecté à des souris âgées de 10 à 12 semaines, tous les jours et pendant cinq jours, un nucléoside synthétique analogue de la thymine, le BRDU. Ils ont ensuite compté les cellules qui se sont multipliées, c’est-à-dire celles qui ont intégré le BRDU. La neuritogenèse est plus importante dans l’hippocampe des souris transgéniques que dans celui des souris sauvages Pour cela, les auteurs ont étudié la densité des épines dendritiques des neurones pyramidaux présents dans la partie CA1 de l’hippocampe. In vitro, le DHA promeut la croissance des neurites, ainsi que la différenciation et la prolifération des cellules neurales Pour obtenir ces résultats, les auteurs ont induit la différenciation en neurones de cellules souches embryonnaires, avec ou sans DHA, puis ils ont regardé le nombre, la longueur -145- et la densité des neurites au niveau des cellules et des corps embryonnaires. Ils ont obtenu des résultats similaires après immunomarquage des cellules souches embryonnaires différenciées en neurones. Ils ont aussi retrouvé une prolifération neuronale plus importante en présence de DHA en utilisant le BRDU. Les capacités d’apprentissage spatial sont meilleures chez les souris Fat-1 Les tests comportementaux ont été faits en piscine de Morris. Il s’agit d’un bassin rond rempli d’eau trouble dans laquelle on a placé une plate-forme légèrement immergée et donc invisible. L’expérience consiste à voir combien de temps les souris mettent à trouver la plate-forme pour pouvoir se reposer. Grâce aux objets qui entourent la piscine, les souris apprennent à se repérer dans l’espace. Après cinq tests, les auteurs observent que les souris Fat-1qui ont été supplémentées en ω3 trouvent plus rapidement la plateforme que les souris sauvages. Conclusion z Le DHA augmente la neurogenèse et la neuritogenèse in vivo et in vitro. z le DHA pourrait améliorer les capacités d’apprentissage spatial. zUne supplémentation en DHA pourrait avoir un rôle préventif et curatif sur les lésions nerveuses et les maladies neurodégénératives. Discussion Merci pour cette présentation très claire et énergique. Qu’as-tu pensé de cet article ? J.M. Je me suis posée plusieurs questions. 1) Aurait-on obtenu les mêmes résultats avec un régime standard ? Le régime des deux groupes de souris était très enrichi en ω6 (6,88 % d’ω6 contre 0,06 % d’ω3). Les souris témoins étaient donc carencées en ω3. Personnellement, j’aurais fait un troisième groupe de souris à qui j’aurais donné un régime équilibré en ω3. Je trouve que malgré un enrichissement cérébral en ω3 très différent, les effets observés ne sont pas énormes. 2) Les auteurs ne précisent pas dans l’article quel âge avaient les souris lorsqu’ils ont fait le profil lipidique. 3) De même, ils ont fait des tests de RT-qPCR, mais ils ne disent rien des contrôles qu’ils ont dû faire, ni des résultats qu’ils ont obtenus. Par contre, j’ai apprécié qu’ils fassent tous leurs comptages et leurs mesures en double aveugle. 4) Pour moi, le test de la piscine de Morris n’est pas pertinent. Certes, ils observent une différence entre les deux groupes de souris durant les cinq premiers essais, mais que se passerait-il aux sixième et septième essais ? Les souris sauvages mettraient-elles moins de temps à trouver la plate-forme ? Finiraient-elles par égaler les souris Fat-1 ? 5) Après le cinquième essai, les auteurs utilisent ce qu’ils appellent le « probe test », c’està-dire qu’ils enlèvent la plate-forme. Ils n’observent alors pas de différence -146- entre les souris sauvages et les souris Fat-1 : elles passent le même temps au même endroit. Je pense que, pour être sûr du résultat, il aurait fallu faire d’autres tests d’apprentissage comme le labyrinthe à huit branches ou celui de Barnes, la boîte de Skinner, ou des tests de reconnaissance d’objets. Je vais commencer par répondre à tes questions. I.D. Les tests comportementaux d’apprentissage spatial sont toujours basés sur un certain nombre d’essais. Ces tests sont laborieux à faire et très coûteux en temps. C’est la raison pour laquelle, dès que l’on constate que l’apprentissage est acquis, on ne va pas au-delà. On considère que cinq essais c’est correct. Je regrette également que les auteurs n’aient pas discuté les résultats qu’ils ont obtenus avec le probe test, car il apporte une donnée très intéressante. Avec le test de la piscine, ils ont mesuré la capacité à apprendre en cinq jours. Le probe test réalisé 48 heures après la fin de l’apprentissage permet de mesurer la mémoire à plus long terme. Puisqu’ils observent un effet sur l’apprentissage, mais pas d’effet avec le probe test, cela signifie que les souris Fat-1 apprennent plus vite, mais qu’elles n’ont pas de meilleures performances de mémoire à long terme. Concernant ta remarque sur le profil lipidique, je pense que si tu avais présenté les différences de composition lipidique, tu aurais vu que les différences entre les Fat-1 et les témoins ne sont pas énormes : 14 % de DHA pour les premières et 10 % pour les souris carencées, ce qui est raisonnable. J.M. Il me semblait que 6 % d’ω6 par rapport à 0,06 % d’ω3 constituait un gros déséquilibre. I.D. C’est ce que l’on fait quand on carence nos animaux. On peut, peutêtre, critiquer leur façon de présenter, mais n’oublions pas que c’était une des premières manips qui utilisaient des souris transgéniques pour comparer des variations de la teneur cérébrale en DHA en s’affranchissant des biais associés aux régimes (la comparaison porte sur deux groupes de souris ayant reçu strictement le même régime). Ce modèle transgénique comporte également des biais et est maintenant très critiqué. J.M. Surtout quand on sait que les Fat-1 ne convertissent pas tous les ω6 en ω3. Je trouve, cependant, que ce modèle très intéressant ne permet pas de conclure aussi directement qu’ils l’ont fait. Je pense qu’il aurait été intéressant de voir si on obtenait les mêmes résultats avec des souris recevant un régime enrichi en ω3. I.D. Dans chacune de leurs conclusions, les auteurs mentionnent « comme d’autres l’ont déjà montré », ce qui signifie que le niveau d’originalité de l’article n’est pas très élevé. S’ils -147- n’avaient pas utilisé ce modèle original de souris transgéniques, leur article n’aurait sans doute jamais été publié dans PNAS. Pourquoi les auteurs ont-ils mesuré la neuritogenèse au niveau de la zone CA1 de l’hippocampe, alors qu’ils ont regardé la neurogenèse dans les gyrus denté ? I.D. Le gyrus denté est le site de la neurogenèse et les neurones nouvellement formés deviennent des inter-neurones. La zone CA1 est celle où se réalisent les processus mnésiques. Il est donc logique d’étudier la neuritogenèse au niveau de cette zone. Quelle critique majeure peut-on faire sur les expériences qu’ils ont menées in vitro ? I.D. Lorsqu’on observe un effet du DHA sur des cellules cultivées in vitro, on obtient de toute façon un effet « acide gras ». C’est pourquoi, il faut absolument faire un contrôle avec un autre acide gras. Dans notre laboratoire, nous avons trouvé rigoureusement les mêmes effets trophiques et métaboliques sur la formation des neurites avec l’acide arachidonique qu’avec le DHA. Une publication qui ne traite que des effets du DHA in vitro n’est pas un bon article. Le modèle Fat-1 est-il bon, dans la mesure où les souris transforment les ω6 en ω3 ? G.M. Elles ne transforment pas tous les ω6 en ω3, mais elles en transforment beaucoup. Personnellement, je suis assez dubitatif quant aux effets soidisant différents entre les ω6 et les ω3. Je n’ai jamais vu de différences que ce soit sur des mécanismes biochimiques, cellulaires ou autres. En créant des déséquilibres extrêmement drastiques, on observe des différences qui me semblent mineures. I.D. Je reconnais que les ω6 et les ω3 ont un grand nombre d’effets communs, comme par exemple sur la différenciation des cellules souches. Cependant, nous avons obtenu des différences très nettes entre le DHA et l’acide arachidonique, en particulier sur les astrocytes, la régulation synaptique par l’astrocyte, le couplage par les jonctions GAP, y compris en terme d’activation de la signalisation calcique. L’AA et le DHA ont en commun notamment des effets métaboliques et c’est la raison pour laquelle il faut toujours pouvoir comparer les deux dans un modèle pour distinguer un éventuel effet propre des ω3. Quand on utilise du DHA sur des cellules in vitro, faut-il utiliser un vecteur ? I.D. C’est une excellente question. Les études des acides gras in vitro sont toujours très compliquées. On met généralement une dose excessive d’acides gras et il faut les mettre sur un support. Au laboratoire, on les mélange à du sérum pour qu’ils se fixent sur des protéines sériques et on ajoute systématiquement de la vitamine E afin de limiter les phénomènes de peroxydation toxiques pour les cellules. Dans un milieu de culture, le DHA est une « bombe oxydative ». Quel que soit -148- le vecteur utilisé, l’addition d’acides gras dans le milieu de culture place les cellules dans une situation très artificielle. Nous avons mis au point une méthode alternative pour comparer les effets d’un enrichissement en DHA ou en AA en culture. Il s’agit de cultiver les cellules en présence de sérum de rats carencés ou supplémentés en ω3, en remplacement du sérum de veau fœtal. Avec notre modèle, nous obtenons des différences de composition membranaire aussi importantes que si l’on avait ajouté du DHA dans le milieu, mais de façon beaucoup plus physiologique pour les cellules. Le plus compliqué c’est d’obtenir du sérum de rat présentant de façon stable une composition similaire hormis les différences lipidiques, et ce n’est pas simple. Article 3 Docosahexaenoic acid signaling modulates cell survival in experimental ischemic stroke penumbra and initiates long-term repair in young and aged rats présenté par Fanny Lemarie Introduction L’article que je vais vous présenter a été publié en 2012 dans Plos one par l’équipe américaine de Bazan. Dans cet article, les auteurs s’intéressent à l’effet d’une injection de DHA consécutive à un accident vasculaire cérébral provoqué expérimentalement chez le rat jeune et le rat âgé. Rappelons que les AVC constituent la quatrième cause de décès et la première cause de handicap aux États-Unis. Le risque principal de survenue d’un AVC est l’âge. Il résulte soit de l’obstruction, soit de la rupture d’un vaisseau sanguin, privant le cerveau d’oxygène. Deux zones sont particulièrement endommagées. La première zone, dite de « dommages irréversibles », subit une sévère ischémie et ses cellules finissent par se nécroser. La deuxième zone est appelée « zone de pénombre ». Elle entoure la zone de nécrose et peut survivre à l’AVC si l’ischémie est supprimée rapidement. Les auteurs s’intéressent ici à la survie des cellules consécutive à l’injection de DHA dans la zone de pénombre. La gravité d’un AVC dépend de plusieurs facteurs et notamment de la peroxydation des lipides qui crée un stress oxydant. La sévérité des dommages cérébraux peut aussi être augmentée par la réponse inflammatoire ou l’apparition d’un œdème. Par contre, l’activation de certaines voies métaboliques (AKTphosphorylation) permet aux cellules de survivre. Les auteurs se basent sur le fait que le DHA diminue les séquelles physiques et réduit la taille de l’infarctus, donc de la zone endommagée et de l’œdème, après une ischémie induite expérimentalement. Ils avaient précédemment démontré, -149- mais uniquement chez le rat jeune, que le DHA a un effet neuroprotecteur car il agit sur la phosphorylation des protéines AKT. Dans cet article, les auteurs se sont donnés pour objectifs : 1) d’explorer les effets bénéfiques du DHA chez le sujet jeune, mais surtout chez le sujet âgé, après une ischémie ; 2) de définir les mécanismes qui permettent au DHA de rétablir les signaux en cascade qui conduisent à la survie cellulaire ; 3) de comprendre l’influence de l’âge sur les mécanismes de neuroprotection liée au DHA. Rappels succincts Lors d’une ischémie cérébrale, on observe la formation de radicaux libres qui endommagent les cellules, ainsi qu’un relargage de calcium qui active l’enzyme PLA2. Celle-ci clive le DHA et l’acide arachidonique, ce qui entraîne une réaction inflammatoire et augmente les dommages cellulaires. Le DHA permet aussi l’internalisation de la protéine AKT qui peut alors être phosphorylée et conduire à la phosphorylation de la protéine GSK puis à celle de la protéine S6. Cette voie permet la survie cellulaire et l’activation du métabolisme. Le DHA agit aussi sur la neuroprotectine D1, ou NPD1. Celle-ci a été précédemment mise en évidence par l’équipe de Bazan. Il semble que NPD1 soit un métabolite du DHA et qu’elle intervienne, notamment, dans la neuroprotection durant les stress oxydants. Elle interviendrait aussi dans la synthèse de BCL2 qui est un facteur anti-apoptotique. L’inhibition de l’apoptose se produit également au niveau de la rétine. Enfin, on observe un rétrocontrôle de NFκb, qui est un facteur pro-inflammatoire, et une inhibition de facteurs proapoptotiques. Matériels et méthodes Une ischémie expérimentale réalisée sous anesthésie est pratiquée chez des rats jeunes (3-4 mois) et des rats âgés (15-17 mois). La circulation sanguine est rétablie au bout de deux heures et les fonctions neurologiques sont évaluées. Seuls les animaux qui présentent un déficit neurologique sont conservés pour la suite des expériences. Une heure après le rétablissement de la circulation sanguine, on injecte du DHA ou du NPD1 ou une solution saline (contrôle négatif). Les fonctions neurologiques sont évaluées au bout de 1, 2, 3 et 7 jours. Une partie des rats est sacrifiée après 4 heures et 24 heures afin d’analyser les 3 protéines qui ont été phosphorylées (AKT, GSK, pS6). Des coupes de cerveau sont ensuite utilisées pour les études d’histopathologie. Trois bio-marqueurs spécifiques sont utilisés : GFAP pour l’observation des astrocytes, Cd68/ED-1 pour celle des macrophages et des microglies, et NeuN pour les neurones. Les auteurs dosent aussi la neuroprotectine D1. -150- Résultats Effets bénéfiques du DHA chez les rats jeunes et âgés après une ischémie L’injection de DHA ou celle de NPD1améliore la récupération des capacités neurologiques chez le rat jeune mais aussi, ce qui est assez surprenant, chez le rat âgé. De même, l’injection de DHA diminue de 73 % le volume de l’infarctus (c’est-à-dire la taille de la zone lésée) dans la zone corticale du rat jeune et de 39 % celui de la zone subcorticale. Chez le rat âgé, l’amélioration est encore plus impressionnante, puisqu’on observe la disparition des dommages dans la zone corticale après l’injection de DHA ou de NPD1. Dans la zone subcorticale, les lésions ont également beaucoup diminué. L’injection de DHA entraîne le maintien du nombre d’astrocytes et une diminution de l’infiltration des microglies chez le sujet jeune. Elle conduit à une augmentation des mécanismes de réparation et de survie neuronale et à une diminution inflammation. Chez le rat jeune, ils observent, une augmentation de la phosphorylation en position 473 et 308 4 heures après l’injection de DHA, mais pas 24 heures après l’ischémie. Ils notent, sans le discuter, que la phosphorylation d’AKT est également augmentée chez les rats contrôles. Par ailleurs, ils trouvent que la phosphorylation de GSK est augmentée 24 heures après l’injection de DHA ; pourtant la phosphorylation de la protéine S6, située en aval de GSK, est déjà phosphorylée quatre heures après l’injection. Ce résultat surprenant n’est pas non plus discuté dans l’article ; peut-être l’a-t-il été dans une précédente publication. Chez le rat âgé, il n’y a pas d’augmentation de la phosphorylation d’AKT 4 heures après l’injection de DHA ou de NPD1 en position 308. Par contre, la phosphorylation de la protéine S6 est augmentée assez nettement. On peut se demander pourquoi cette protéine est phosphorylée dans la mesure où celles qui sont censées l’activer ne le sont pas. Il existe peut-être une autre voie métabolique, mais les auteurs n’en parlent pas. Par ailleurs, ils ont observé que la quantité de NPD1 produite augmente fortement chez les rats âgés 4 heures après l’injection de DHA. Mécanismes permettant au DHA de rétablir les signaux en cascade qui conduisent à la survie cellulaire chez le rat jeune ou âgé Conclusion Grâce à des western Blot réalisés sur différentes parties du cerveau, les auteurs mettent en évidence deux sites de phosphorylation sur la protéine AKT. zAprès une ischémie expérimentale, l’administration de DHA induit le rétablissement des cellules de la zone de pénombre et active les processus de réparation des neurones et des -151- astrocytes chez le rat jeune comme chez le rat âgé. zChez de sujets jeunes, le DHA agit en activant la voie AKT dès 4 heures après le début de l’ischémie. Après 24 heures, il n’a plus d’effet sur la phosphorylation d’AKT. On observe aussi une augmentation de la phosphorylation de GSK et de la protéine S6. z Chez le rat contrôle, seule la phosphorylation d’AKT est augmentée, mais la protéine n’a pas une activité prolongée. zChez le sujet âgé, le DHA agit sur la phosphorylation de la protéine S6. La voie AKT pourrait être perturbée chez les rats âgés puisque, chez eux, on n’observe pas d’augmentation de la phosphorylation des protéines AKT et GSK. zLe rat âgé a toujours la capacité de synthétiser NPD1, protéine qui joue un rôle dans la neuroprotection et la survie cellulaire. L’administration de DHA augmente cette synthèse. zAvec l’âge, les risques de séquelles en cas d’ischémie sont plus élevés. Cette augmentation pourrait être davantage liée à un déficit en DHA-NPD1 qu’à l’âge lui-même. Discussion Qu’as-tu pensé de cet article ? F.L. C’est une étude intéressante et assez complète. Les auteurs présentent beaucoup d’analyses protéiques, histologiques et comportementales qui leur ont permis d’obtenir de nombreux résultats. Le fait qu’ils utilisent des rats âgés était novateur, puisque toutes les études qui s’intéressaient à l’effet du DHA suite à un AVC avaient été réalisées chez le rat jeune. Pourtant, on sait que l’âge est le principal facteur de l’AVC. Par contre, j’ai noté un certain nombre d’imprécisions, et même parfois un manque de clarté, d’hypothèses et d’explications pour cette publication qui était censée expliquer les voies mécanistiques du DHA. Par exemple, ils ne précisent pas l’endroit où ils provoquent l’ischémie. Lorsqu’ils étudient la phosphorylation de la protéine AKT, ils font leurs analyses sur l’ensemble du cerveau, et pas seulement sur la zone de pénombre qu’ils voulaient étudier. J’ai trouvé que les western blot étaient parfois difficiles à interpréter. J’ai eu du mal à voir ce qui, dans cette publication, était inédit, car ils font souvent référence à des résultats qu’ils ont préalablement démontrés. Commentaires I.D. Je te félicite, car cet article est très compliqué et difficile à lire. Je l’ai choisi car il était impensable de ne pas parler des travaux de Bazan et de son équipe. Ce n’est pas le plus facile, mais c’est l’un des plus récents. C’est sans doute la meilleure équipe qui s’intéresse aux effets du DHA sur la neuroprotection, en particulier en utilisant ce modèle d’ischémie. Leurs travaux sont impressionnants en termes d’efficacité. -152- Je suis d’accord avec toi quant au manque d’explications, mais tu as très bien compris l’article et tu l’as très bien restitué. Comme tu l’as dit, ils se sont intéressés ici à ce qui se passe chez le rat âgé. Autre nouveauté : ils ont injecté directement la neuroprotectine D1. Il faut savoir que Bazan est « l’inventeur » de NPD1. Il est peut-être même le seul à l’avoir isolée et à l’avoir synthétisée (NPD1 dérive du DHA suite à l’action d’une lipoxygénase), c’est pourquoi certains chercheurs doutent de son existence. Concernant ta question sur la localisation des prélèvements, j’ai lu dans des publications précédentes qu’ils pratiquaient une ischémie massive qui impactait une grande partie du cerveau, et en particulier le striatum et les aires corticales. G.M. Pour moi, cette littérature n’est pas convaincante, mais peut-être aije tort, et cela pour plusieurs raisons. L’injection d’acides gras dans du tampon salin est questionnable, il aurait été préférable d’utiliser de la BSA comme vecteur. Un bon contrôle aurait été un acide gras de la série n-6 possédant le même nombre de doubles liaisons, perfusé, lié à de la BSA délipidée au maximum pour être sûr que la liaison se fasse de la même façon. Par ailleurs, les anti-oxydants sont susceptibles dans ce modèle d’annuler tous les effets des acides gras polyinsaturés. Existe-t-il des études bien menées qui démontrent l’existence de différences entre DHA et DPA, par exemple ? Les auteurs disent observer des effets sur AKT, mais ils ne disent rien des mécanismes impliqués. Quand je m’intéressais à ce sujet, nous n’avions pas vu de différence entre les effets des acides gras de la série n-6 et ceux de la série n-3. I.D. Je suis tout à fait d’accord avec toi et c’est l’éternel problème. Le DHA sert de tampon de peroxydation plus efficacement que ne le font les dérivés de la série n-6 qui ont moins de doubles liaisons. La DHA et la neuroprotectine ne s’incorporant pas dans les membranes, a priori dans ce modèle de perfusion rapide, on peut se poser la question du mécanisme par lequel ils interviennent. Or, les auteurs n’en parlent pas. Lors d’une ischémie, l’oxydation est très importante. Les injections massives de DHA ou de NPD1 constituent une source métabolique potentielle, mais ces molécules servent aussi de capteurs de dérivés réactifs de l’oxygène (ROS). Dans ce modèle, la neuroprotectine D1a des effets plus marqués que ceux du DHA ; il serait intéressant de savoir si elle peut aussi capter davantage de molécules pro-oxydantes. Je travaille sur la mort cellulaire et, habituellement, après une ischémie, les cellules meurent par nécrose. Dans cette étude, les auteurs se sont intéressés aux protéines qui sont impliquées dans l’autophagie (comme AKT) ou dans l’apoptose (comme NPD1), mais pas à celles qui interviennent dans la nécrose, comme la pepsine ou la calpaïne. Savez-vous pourquoi ? -153- I.D. La voie AKT est bien activée au moment de l’ischémie, c’est pourquoi je trouve qu’il est pertinent de l’étudier dans ce cas. On peut regretter qu’ils n’aient montré aucune relation de causalité, mais c’est souvent le cas dans ce type d’étude, avant tout descriptive. Ils ont observé, et c’est un peu paradoxal, un effet plutôt désactivateur du DHA sur la microglie, dont l’une des fonctions est de digérer tous les débris cellulaires. Quand on regarde la zone du cerveau endommagée chez les jeunes et les vieux, on a l’impression que l’âge est plus protecteur que le DHA. De plus, dans les tests comportementaux, il n’y a pas vraiment de différences entre les rats jeunes et les rats vieux. Pour moi, leur étude manque de contrôles. I.S. Je pense qu’ils ne maîtrisent pas complètement le volume de l’infarctus qu’ils provoquent. Celui-ci dépend des animaux et n’a pas toujours la même taille. Il est possible aussi que, chez le rat âgé, la microglie et les astrocytes soient davantage présents et que le système se tamponne plus rapidement. Article 4 The polyunsaturated fatty acids, EPA and DPA exert a protective effect in the hippocampus of the aged rat présenté par Sarah Valentino Introduction Cet article a été publié en 2011 par l’équipe de Lynch dans Neurobiology of aging. Il traite d’un possible effet protecteur d’une supplémentation en EPA et DPA sur l’hippocampe chez le rat âgé. Le schéma 1 situe ces deux acides gras dans la série n-3. Il montre que le DPA est un métabolite direct de l’EPA. Les auteurs s’intéressent aux altérations de la fonction neuronale liées à l’âge. Celles-ci se traduisent par : 1) une diminution des performances dans les tâches cognitives, 2) une réduction de la plasticité synaptique caractérisée par une altération de la LTP (Long Term Potentiation), considérée comme un support de la mémorisation, mais aussi d’une Schéma 1 -154- Schéma 2 diminution de la densité neuronale et du volume de l’hippocampe, 3) une activation du stress cellulaire via la voie caspase 3, 4) une augmentation de l’activité de la caspase 3 liée à celle du cytochrome C cytosolique. Ce dernier est considéré comme un indicateur de changement de perméabilité de la membrane mitochondriale. En d’autres termes, l’âge entraîne une augmentation de la neuroinflammation qui est elle-même associée à une augmentation de l’activation microgliale. Cela conduit à une réduction du maintien de la LTP et donc à une réduction de la fonction neuronale. L’âge entraîne également une augmentation du stress oxydant, qui conduit lui aussi à une diminution de la fonction neuronale. Le schéma 2 illustre les effets connus des acides gras EPA et DHA sur les neurones corticaux. Dans les altérations neuronales liées à l’âge et dans certaines pathologies comme la maladie d’Alzheimer, le peptide amyloïd-β augmente l’activité de la sphingomyélinase, ce qui conduit à une hausse de la production de céramide, puis des ROS et à une plus forte activation de la caspase 3. Ce peptide a donc une action pro-apoptotique. En inhibant l’activité de la sphingomyélinase, EPA et DHA s’opposent aux effets délétères du peptide et conduisent à une restauration des neurones des rats âgés. Dans cette étude, les auteurs voulaient savoir si le DPA pouvait lui aussi restaurer la fonction neuronale chez les rats âgés. -155- Résultats de l’âge lorsque les animaux sont traités avec de l’EPA ou du DPA. Activités enzymatiques corticales Chez les rats âgés (20-22 mois), les activités de la caspase 3 (C3) et de la sphingomyélinase (SGM) sont augmentées par rapport aux rats jeunes (3-4 mois). Par contre, lorsque les rats âgés sont traités au DPA ou à l’EPA, l’activité des deux enzymes est atténuée. Analyses lipidiques Les résultats des dosages sont présentés sous la forme de rapports entre la sphingosine-1-phosphate (S1P) et trois céramides (C16, C18, et C20). Le traitement au DPA conduit à une augmentation significative des trois rapports (S1P/C16, S1P/C18 et S1P/ C20) et donc à une résistance à la mort cellulaire. Avec l’EPA, seul le rapport S1P/C18 est augmenté de façon significative. Stress oxydant et activation microgliale Les dégâts oxydatifs de l’ADN sont mesurés à l’aide du marqueur 8-OHdG. Ils sont plus importants chez les rats âgés que chez les rats jeunes. Chez les animaux ayant reçu de l’EPA ou du DPA, on n’observe plus d’effet de l’âge. Le marqueur de l’activation microgliale est le MHCII. Les auteurs ont fait des mesures dans le cortex et l’hippocampe. Comme pour le stress oxydant, l’activation microgliale est plus importante chez les rats âgés que chez les rats jeunes et il n’y a pas d’effet Mesures électrophysiologiques de la LTP Au bout de quelques minutes, les rats âgés n’arrivent plus à maintenir leur LTP au même niveau que les rats jeunes et l’écart se creuse avec le temps. Les rats âgés présentent en parallèle des problèmes de mémorisation. Un traitement au DPA ou à l’EPA gomme ces effets de l’âge. Analyses comportementales Elles sont faites en utilisant la piscine de Morris. L’expérience est menée pendant cinq jours avec quatre essais par jour chez des rats jeunes et vieux, répartis en trois groupes (contrôle, DPA et EPA). Chez les rats jeunes, quel que soit le groupe, le phénomène de mémorisation apparaît dès le deuxième jour et le temps de latence pour atteindre la plate-forme est rapide, contrairement aux rats âgés. La mémorisation est meilleure chez les rats âgés qui ont reçu du DPA, mais elle reste plus faible que chez les jeunes. L’amélioration est encore plus marquée avec l’EPA. C’est la seule analyse pour laquelle les auteurs ont montré que le traitement à l’EPA était plus efficace que celui au DPA. Conclusion zLe DPA a un effet neuroprotecteur assez similaire à celui de l’EPA. Il l’exerce en modulant la voie SGM (vérification faite par les auteurs sur -156- des cultures in vitro). Son effet antioxydant est aussi robuste que celui de l’EPA. zLe DPA réduit l’activation microgliale et les dégâts oxydatifs sur l’ADN liés à l’âge. Il restaure la fonction cognitive et la plasticité synaptique chez le rat âgé. Discussion Question traditionnelle : qu’as-tu pensé de l’article ? S.V. Je l’ai trouvé très intéressant car il propose un panel très large de techniques et aborde différents aspects de physiologie et de mécanistique. Par contre, il me semble que les analyses statistiques ne sont pas adaptées, puisque les auteurs ont fait des ANOVA sur des lots de quatre à six individus. De même, concernant l’analyse comportementale, j’aurais choisi d’autres tests que celui de la piscine de Morris qui me semble mal adaptée à des rats âgés. Le temps de latence plus important des rats âgés pour atteindre la plate-forme pourrait aussi être dû à un problème de motricité et pas seulement à une baisse de la mémorisation. Concernant les cultures in vitro de neurones d’hippocampe, je trouve qu’il manque des analyses de mort neuronale (TUNNEL). Enfin, je pense qu’il aurait été bon de vérifier la production des céramides qu’ils utilisent dans les ratios S1P/céramides. Commentaires I.D. Je te félicite car pour quelqu’un qui ne connaissait pas du tout le domaine tu as fait de cet article une présentation très claire. Je trouve aussi que tes critiques sont justifiées. La piscine de Morris n’est pas adaptée pour mener des expériences avec des rats Wistar âgés. Les études de cette équipe irlandaise dirigée par Marina Lynch sont souvent intéressantes, élégantes et assez convaincantes, même si je les trouve parfois répétitives et systématiquement en accord avec les hypothèses de départ. Te souviens-tu de ce qu’ils ont donné aux rats du groupe contrôle ? Était-ce seulement une solution saline ou la solution contenait-elle un autre acide gras ? I.D. Ils avaient pris soin d’ajouter un acide gras mono-insaturé, ce qui était déjà mieux qu’une simple solution saline. -157- Isabelle Denis, Neurobiologie de l’olfaction, INRA, Jouy-en-Josas Articles analysés > Article 1 : présenté par Yoottana Janthakhin, Nutrition et neurobiologie intégrée, Bordeaux Exposure to a maternal n-3 fatty acid-deficient diet during brain development provokes excessive hypothalamic-pituitary-adrenal axis responses to stress and behavioral indices of depression and anxiety in male rate offspring later in life, Chen et al., Journal of Nutritional Biochemistry 24 (2013) 70-80 > Article 2 : présenté par Julie Mazzocco, Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, Dijon Improved spatial learning performance of fat-1 mice is associated with enhanced neurogenesis and neuritogenesis by docosahexaenoic acid, He et al., PNAS, 7 July 2009, vol. 106, no. 27, 11370-11375 > Article 3 : présenté par Fanny Lemarie, USC Biochimie, Rennes Docosahexaenoic acid signaling modulates cell survival in experimental ischemic stroke penumbra and initiates long-term repair in young and aged rats, Eady et al., Plos One, October 2012, vol. 7, no. 10, e46151 > Article 4 : présenté par Sarah Valentino, Biologie du Développement et Reproduction, Jouy-en-Josas The polyunsaturated fatty acids, EPA and DPA exert a protective effect in the hippocampus of the aged rat, Kelly et al., Neurobiology of Aging, 32 (2011) 2318.e1 – 2318.e15 -158- Zoom sur les écoles d’été précédentes Du 15 au 17 juillet 2003 Radicaux libres, stress oxydant, anti-oxydants Du 15 au 18 juillet 2004 Système nerveux, fonctions cognitives et comportement alimentaire Du 14 au 17 juillet 2005 Croissance et vieillissement* Du 10 au 13 juillet 2006 Tube digestif : interface avec l’environnement* Du 9 au 12 juillet 2007 Evaluation du risque toxicologique des aliments* Du 7 au 10 juillet 2008 Comportement du consommateur* Du 6 au 9 juillet 2009 Homéostasie et nutrition* Du 5 au 8 juillet 2010 Phyto-micro-constituants alimentaires : du végétal au consommateur* Du 11 au 13 juillet 2011 La bactérie et son hôte* Du 9 au 12 juillet 2012 Les lipides : de la calorie au neuromédiateur* Du 8 au 11 juillet 2013 La nutrition périnatale et ses conséquences chez l’adulte* *Ces éditions font également l’objet d’un document de synthèse disponible sur le site internet du Département : www.alimh.inra.fr 147, rue de l’Université 75338 Paris Cedex 07 France Tél. : + 33 1 42 75 94 19 Fax : + 33 1 42 75 91 72 www.inra.fr