ENTRELACS DU RELIGIEUX ET DU LAIC DANS LES MILIEUX

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ENTRELACS
DU RELIGIEUX
ET DU LAIC
DANS LES MILIEUX JUIFS EN BELGIQUE
par
WillyBOK
La plupart des tendances idéologiques juives sont représentées
dans la communauté juive belge, qui compte à peu près 35.000
membres. Les attitudes politiques et religieuses ont tendance à
être polarisées selon la distribution régionale. Les juifs d'Anvers
forment une communauté orthodoxe très unie, stimulée par un
mouvement hassidique actif. A Bruxelles et dans les autres
communautés plus petites, l'engagement juif implique une
participation à des institutions religieuses ou laïques particulières.
Depuis l'arrivée des Juifs de l'Europe de l'Est au cours de la
deuxième décennie de ce siècle, le caractère originel du Consistoire
Napoléonien, cette institution religieuse globale, a changé. Sous
l'influence croissante des Juifs orthodoxes, le Consistoire est
devenu traditionnel et orienté vers Israël. En 1971, un conseil
d'organisations juives - principalement centré sur la judéité
comme ethnie et comme peuple - a été fondé dans le but de
devenir l'institution représentative politique de la communauté
juive belge. Cependant beaucoup de juifs n'acceptaient pas sa
prétention de représenter la communauté tout entière comme une
définition objective de l'identité juive. La position du nouveau
Consistoire semble être aujourd'hui plus forte qu'avant, car
beaucoup préfèrent être représentés par une institution religieuse
comme en témoigne l'attitude de ceux qui se déclarent ou qui se
sont déclarés "séculiers".
333
I. Introduction
Depuis
la fin de la Seconde
Guerre
Mondiale,les
conditions
socio-économiques et politiques de la judaïcité occidentale, ses croyances et ses
attitudes ont connu de profondes transformations. L'évolution de la judaïcité
belge reflète par de nombreux aspects les changements survenus. En effet, elle
est constituée de plusieurs groupes de population dont le premier s'est établi
avant l'indépendance nationale. Le mouvement migratoire des juifs vers la
Belgique se poursuit encore de nos jours, mais dans une moindre proportion.
Tous ces groupes sont le produit de la conjugaison d'une certaine "idée judaïque"
et de leurs cultures et histoires respectives qui les séparent. A leur arrivée, les
immigrants furent souvent confrontés à des formes de vie juive organisée qui leur
étaient étrangères. En un premier temps, ils fondèrent leurs propres institutions,
mais
à la suite du processus
d'acculturation
et de leur insertion
socio-économique, une certaine interpénétration s'est produite et a créé une
nouvelle articulation socio-culturelle.
Ainsi, par exemple, les communautés
religieuses régies autrefois selon une conception strictement confessionnelle ont,
d'une part, contribué à l'intégration des nouvelles couches de population et,
d'autre part, ont évolué sous l'influence des traditions culturelles et historiques
de leurs "nouveaux" membres.
Cette esquisse des inter-relations existant entre phénomènes socio-culturels
et vie religieuse fait ressortir la nécessité d'étudier l'existence juive selon une
perspective globale, c'est-à-dire diachronique et synchronique.
TI serait vain de vouloir analyser la judaïcité belge sans tenir compte de ses
traditions historiques spécifiques et de l'évolution de la société belge ou en
ignorant ses rapports passés et présents avec l'ensemble de la judaïcité.
Le but de cette communication vise à répondre à la question suivante: quelle
est l'orientation idéologique actuelle des associations juives du pays? Elle en
implique une autre: comment ont-elles intégré l'existence de l'Etat d'Israël dans
leurs doctrines explicites ou implicites?
Nous adoptons dans cette communication la terminologie forgée par A.
Memmi qui distingue:
a) la judaïcité: "l'ensemble des personnes juives";
b) le judaïsme: "l'ensemble de doctrines, croyances, institutions";
c) la judéité : "le fait et la manière d'être juif' (Memmi A., 1962 :16-17)
Nous n'évoquerons ici que quelques aspects de la socio-démographie des
334
Juifs en Belgique (II), de la typologie de l'identité juive (Ill), de la doctrine des
associations juives et des relations que celles-ci entretiennent avec la judaïcité au
niveau national et local (lV).
Cette communication est avant tout un essai qui s'appuie sur des travaux
précédents n'ayant pas le même objectif (voir références bibliographiques),
l'observation du milieu et la lecture de divers documents.
II. Aspects
socio-dêmographlques
Selon diverses estimations, il semble que la population juive du pays, toutes
tendances confondues, compte actuellement environ 35.000 personnes.
Elle est principalement urbaine et serait distribuée de la manière suivante:
quelque 18.000 personnes dans l'agglomération de Bruxelles et sa périphérie,
environ 13.000 personnes à Anvers et ses faubourgs. Les autres collectivités
juives à Liège, Charleroi, Arlon, Gand et Ostende comprendraient au total entre
4.000 et 5.000 personnes.
Des enquêtes partielles ont révélé que la judaïcité belge présente des
caractères socio-démographiques différents selon les régions du pays. D'une
manière générale, les judaïcités de Wallonie ont subi les effets conjugués d'une
faible natalité et d'une forte émigration. Les perspectives démographiques de la
plus importante collectivité du pays, établie à Bruxelles et son agglomération, ne
sont guère plus encourageantes.
La population reste dispersée en dépit de
quelques nouveaux regroupements géographiques. Cette disparité régionale est
due notamment au fait que la judaïcité d'Anvers a connu après la Seconde Guerre
Mondiale un apport proportionnellement plus important que les autres collectivités
juives. En outre, un certain nombre d'immigrants établis à Anvers présentaient,
dès leur arrivée, des traits spécifiques, entre autres, une plus grande piété que les
conditions propres de la communauté allaient accentuer.
Après les épreuves de la Seconde Guerre Mondiale et leurs séquelles, la
plupart des Juifs connus ont atteint un niveau de vie qui objectivement les situe
dans la classe moyenne. lis exercent leurs activités en tant qu'indépendants dans
différentes branches de l'industrie légère et du commerce. L'activité principale
des Juifs d'Anvers se concentre dans l'industrie et le commerce du diamant. Un
grand nombre de Juifs exercent aussi des professions libérales et des fonctions de
cadres dans les entreprises commerciales et industrielles. D'aucuns assument des
responsabilités dans les domaines de l'éducation, de la culture et de la science.
335
Cette diversification professionnelle accrue favorise 1'accélération des processus
d'intégration. Divers indices en témoignent, entre autres : un grand nombre de
Juifs sont à présent citoyens belges; la presse 'yiddish' autrefois florissante en
Belgique a disparu; le nombre de mariages dits mixtes est en augmentation, même
à Anvers. Ainsi, à la fm des années soixante, pouvait-on noter avec satisfaction le
déclin de la pauvreté. Mais la crise économique que connaît le pays a frappé
particulièrement les artisans, les petits négociants, les représentants de commerce
et les salariés, obligeant ceux-ci à se diriger vers d'autres débouchés et, par
conséquent, à se détacher davantage des activités traditionnelles.
III. Typologie de l'identité juive
D'un point de vue analytique, la judaïcité en Belgique peut être répartie en
trois groupes :
A. Ceux qui se rattachent d'une manière ou d'une autre à une association juive
qui poursuit des buts
l.religieux (deux pôles: religion israélite "dénationalisée" qui se caractérise par
un messianisme universel et judaïsme orthodoxe qui préserve la stricte
observance des préceptes religieux ainsi que .le messianisme particulariste,
c'est-à-dire la dimension ethnique du judaïsme);
2.nationalistes ou nationalitaires (1'accent est mis sur 1'idée du peuple juif. Le
nationalisme juif a conduit à la formation du sionisme comportant plusieurs
tendances socio-politiques et philosophiques, à celle du diasporisme mettant en
avant 1'autonomie culturo-nationale en Europe orientale avec le 'yiddish'
comme langue nationale, du territorialisme prônant un territoire provisoire ou
permanent autre que la Palestine pour la réalisation des objectifs nationaux);
3.socialistes (ce courant souligne les aspects sociaux et économiques de la
"question juive". li fut à l'origine de la formation du 'Bund' (Alliance des
ouvriers juifs en Lituanie, Pologne et Russie) fondé en 1897, qui après
quelques années d'hésitation, adopta une position favorable à l'autonomie
culturo-nationale pour les Juifs, considérés en tant que peuple, avec le 'yiddish'
comme langue exclusive. Opposé au sionisme, le Bund refusa de prendre
position à 1'égardde 1'assimilation);
336
4.communautaires
(solidarité, entraide, lutte contre l'antisémitisme,
l'Alliance Israélite Universelle,
par exemple,
fondée à Paris en 1860, en vue de travailler
partout à l'émancipation et aux progrès moraux des israélites).
Ces divers types d'appréhension
de la judéité ont évolué avec le temps. Au
niveau existentiel, ils peuvent coexister chez un même individu.
pas rare de voir des Juifs adhérer à plusieurs
associations
Ainsi n'est-il
ayant des finalités
différentes et quelquefois contradictoires.
B. Le second groupe comprend des Juifs qui ne sont affiliés à aucune association
juive.
Toutefois,
lors de certaines
d'événements exceptionnels,
étapes
de l'existence
ou à l'occasion
ils se joignent à l'une ou l'autre association juive de
leur choix.
Tant pour le premier que pour le deuxième groupe, l'expression de la judéité
et de sa fréquence varient en fonction de plusieurs facteurs objectifs tels que le
lieu de résidence, la classe sociale, la présence ou l'absence d'institutions juives
et le dynamisme de leurs dirigeants.
C. Enfin, certaines personnes récusent au niveau conscient tout lien avec la
judaïcité soit par désir de fusion avec le milieu environnant,
appartiennent
à des groupes
d'événements
mobilisateurs,
dont l'idéologie
soit parce qu'elles
est totalisante.
comme la résurgence
Même
de l'antisémitisme,
lors
elles
évitent toute forme de solidarité qui pourrait paraître suspecte de particularisme
aux yeux de leurs pairs.
IV. Les associations représentatives de la judeité en
Belgique
A. Au niveau national: Le Consistoire Central Israélite de Belgique
Depuis le début du XIXe siècle, le culte israélite est reconnu en Belgique.
y a de nos jours quatorze communautés
reconnaissance
à Bruxelles,
bénéficient
deux de rite 'ashkenase'
à Anvers et une communauté
Gand et Ostende.
Israélite
qui
n
de cette
et de l'intervention matérielle de l'Etat: cinq de rite 'ashkenase' et
une de rite 'séfarade'
'séfarade'
religieuses
par ville à Arlon, Charleroi,
Chacune de celles-ci est représentée
de Belgique
et une de rite
par un ou plusieurs
337
délégués
au Consistoire
selon le nombre
Liège,
Central
de ses
membres. Le Consistoire a pour mission de défendre les intérêts temporels du
culte auprès des autorités civiles. Sa doctrine s'inspirait à l'origine des principes
adoptés par le Grand Sanhédrin réuni par Napoléon en 1808 selon lesquels le
judaïsme est essentiellement une confession religieuse et non un "corps de
nation". Jusqu'au début du XXe siècle, ce type de judaïsme dit "consistorial"
constituait la doctrine explicite des communautés religieuses du pays. Elles
avaient adopté, en outre, le programme social et politique de l'Alliance Israélite
Universelle.
On estime que les quatorze communautés représentées au Consistoire
regroupent près de cinq mille chefs de famille, soit environ la moitié de la
judaïcité belge. Aucune autre organisation du pays n'englobe autant de membres
affiliés. En dépit de l'uniformisation de leurs structures juridiques, chaque
institution religieuse reconnue conserve sa personnalité spécifique: certaines sont
des congrégations, d'autres se rapprochent de la communauté au sens plein du
terme.
Les communautés juives d'autrefois permettaient la création d'institutions
spécialisées destinées à servir des besoins autres que religieux, mais elles les
contrôlaient plus ou moins étroitement. De nos jours, le relâchement des liens
entre la communauté religieuse et les institutions "ad hoc" atteste un plus faible
degré de religiosité débouchant sur une autre conception de l'identité juive. TIy a
lieu, dès lors, d'examiner au niveau local l'existence ou l'absence de relations
entre les principales institutions. Nous n'envisagerons ici que la situation des
judaïcités d'Anvers et de Bruxelles.
B. Au niveau local
1. La judaïcité d'Anvers
Par bien des aspects, la judaïcité d'Anvers constitue un groupe uni par un
ensemble d'intérêts socio-religieux et professionnels. En effet, la densité de la
population juive dans certains quartiers est très élevée, la concentration
professionnelle très forte. On estime qu'environ 80 % des Juifs d'Anvers sont
membres d'une communauté religieuse et qu'environ 90 % des enfants de 3 à 18
ans fréquentent des écoles juives à plein temps (en 1983-1984: population
scolaire totale: 2.319 enfants et jeunes gens). Cette adhésion est entretenue par le
recours au 'yiddish' comme langue véhiculaire - mais non littéraire - dans les
338
oratoires et écoles orthodoxes et hassidiques, et souvent dans les milieux
d'affaires.
TI y a au moins vingt-quatre synagogues et oratoires dans une même zone de
petite superficie. Ils sont placées sous l'autorité des trois communautés
reconnues:
la communauté
'Shomré-Hadass'
(gardiens
israélite
d'Anvers,
de la foi),
appelée
également
la communauté
orthodoxe
'Machsiké-Hadass' (Mainteneurs de la foi) et la petite communauté de rite
portugais ou séfarade. La première résulte d'une fusion réalisée, déjà en 1931,
entre
l'ancienne
communauté
israélite
et l'association
culturelle,
'Shomré-Hadass', fondée en 1920. Celle-ci était dirigée à l'époque par le rabbin
Moshé A. Amiel, un des doctrinaires du 'Mizrachi', mouvement sioniste
religieux, créé en 1902 à Vilna, en tant que formation religieuse de l'Organisation
Sioniste Mondiale. Le but de 'Mizrachi' est exprimé dans la devise: "La Terre
d'Israël pour le peuple d'Israël selon la 'Torah' (Loi) d'Israël". Le sionisme
religieux ne s'est pas confiné aux seuls orthodoxes, il s'est étendu à d'autres
mouvements religieux plus libéraux.
D'une manière générale, la 'Shomré-Hadass'
se veut, à l'instar du
'Mizrachi', à la fois orthodoxe et moderne. Son orthodoxie se traduit notanunent
par une stricte observance des préceptes religieux, par la disposition traditionnelle
de l'aménagement de l'intérieur de ses synagogues et oratoires et par le choix de
ses dirigeants spirituels. Toutefois elle compte parmi ses membres un certain
nombre d'observants irréguliers ou laxistes. Sa modernité réside dans l'attitude
positive qu'elle adopte à l'égard de la culture profane, en général, et, en
particulier, de la langue et de la littérature hébraïques modernes. Dans l'école
primaire et le lycée appelés Tachkemoni' qu'elle soutient, les classes sont mixtes
sauf celle pour l'étude de la 'Guemara', réservée aux jeunes gens (en 1974-1975:
population scolaire totale: 761 inscrits).
L'autre grande communauté se rattache à une tendance plus rigoriste. Elle
est en outre stimulée par des groupements autonomes très pieux, les 'hassidim',
particulièrement dynamiques et natalistes. La 'Machsiké-Hadass' a été fondée à
Anvers, en 1892, et reconnue par l'Etat en 1910. Elle s'inspire des principes
adoptés par l'organisation religieuse mondiale, 'Agoudath Israël' (Union
d'Israël) fondée en 1912 à Kattowice. Celle-ci se donna pour objectif de
contrecarrer la diffusion d'idées anti-religieuses et d'encourager la stricte
observance des préceptes de la Torah' dans la vie juive. Au départ, cette
organisation était antisioniste puisque seul, d'après la tradition, le Messie peut
339
rétablir le peuple juif en Terre sainte, mais, à présent. tout en n'ayant pas adopté
l'idéologie sioniste, elle reconnaît l'existence de l'Etat juif sur le plan politique.
Pour réaliser son idéal religieux,la 'Machsike-Hadass' a favorisé et soutenu la
création d'un vaste réseau scolaire, 'Jesode Hatorah Beth Jacov', allant du jardin
d'enfants au séminaire 'talmudique' y compris un lycée et une école normale, Les
classes ne sont pas mixtes; la 'Guemara' est commentée en 'yiddish' et l'étude de
l'hébreu a pour seul objectif la compréhension des textes de la littérature
religieuse et des prières (en 1974-1975: population scolaire totale: 1.252
inscrits).
Bien que les deux principales communautés soient indépendantes et
quelquefois antagonistes, elles poursuivent. au niveau des pratiques religieuses,
les mêmes objectifs. li n'est pas étonnant dans ce contexte que la plupart des
autres associations juives d'Anvers aient des buts spécifiques. Deux institutions,
le 'Maccabi', organisation sportive, et le Centre culturel Romi Goldmuntz ont des
fonctions sociales plus vastes, mais elles évitent de prendre des positions
doctrinales.
2. La judaïcité de Bruxelles
La judaïcité de Bruxelles présente des caractéristiques qui contrastent avec
celles d'Anvers. Outre les traits socio-démographiques déjà mentionnés, la
majorité des Juifs ont fréquenté ou fréquentent encore les écoles officielles.
Entre 1879 et 1947, il n'y avait aucune école juive à plein temps à Bruxelles.
Le rôle des institutions laïques juives de diverses tendances idéologiques fut
considérable lors de la reconstruction après la guerre. Des organisations comme
Solidarité juive (communistes), le Bund (socialistes antisionistes) et des
formations sionistes socialistes (travaillistes et socialistes de gauche) créèrent des
écoles complémentaires, aujourd'hui disparues, dont le programme était
d'inspiration culturo-nationale ou culturo-autonomiste. En 1948, les sionistes
regroupés au sein du 'Mizrachi' ne représentaient que cinq pour cent de
l'électorat sioniste à Bruxelles tandis qu'à Anvers ce parti constituait avec
l'Agoudath Israël' la majorité. L'Aide aux Israélites Victimes de la Guerre, la
plus importante organisation sociale, dont l'action visait principalement la
réadaptation individuelle, regroupait des hommes d'horizons philosophiques
différents.
340
Après la création de l'Etat d'Israël, le courant laïque connut une phase de
récession à la suite des dissensions, d'une part, au sein de la Fédération Sioniste,
et, d'autre part, dans les milieux de gauche.
Entre-temps, la Communauté israélite de Bruxelles, la plus ancienne
communauté du pays et le bastion du judaïsme dit consistorial, se reconstituait.
L'assemblée générale des membres réunie le 30 octobre 1949 exprima le souhait
de voir la communauté s'étendre à "tous les aspects et les problèmes nouveaux de
la vie juive". De nouveaux administrateurs furent nommés notamment un des
dirigeants de la Fédération Sioniste. La même année, la communauté fit appel à
un rabbin formé au Séminaire israélite de France, ayant des sympathies pour le
'Mizrachi'.
n allait, par ses nombreuses
initiatives, développer en un premier
temps une conception pluraliste de l'appartenance juive.
Cette nouvelle
dimension de la conscience juive suscita sur le plan local le rapprochement des
communautés religieuses.
La communauté accepta de patronner une école
primaire à plein temps, de tendance mizrachiste, créée, en 1947, à l'initiative de
la communauté orthodoxe de Bruxelles.
Cet établissement comprend
actuellement également une section secondaire, l'Athénée Maïmonide (en
1983-1984 : population scolaire totale:
quelque 500 inscrits).
La même
communauté principale suscita la formation d'une Centrale d'Oeuvres Sociales
Juives destinée à regrouper les efforts de collecte en faveur des institutions
sociales. Ainsi des liens s'établirent entre des dirigeants d'associations laïques et
ceux des communautés religieuses. Toutefois la communauté israélite principale
conservait
les innovations
esthétiques
du XIXe siècle telles que
l'accompagnement des orgues et celui d'un choeur mixte pendant les services du
samedi et des fêtes solennelles. Mais, progressivement le terme "israélite" qui
connotait une conception confessionnelle de l'appartenance juive et une position
asioniste fut écarté des discours des dirigeants. Dès la reconnaissance par la
Belgique de l'Etat d'Israël, des prières en faveur de cet Etat furent introduites
dans la liturgie.
Ce n'est qu'à partir des années soixante que le courant laïque se reforma au
sein d'une association qui allait s'appeler "Le Centre Communautaire Laïc Juif';
l'association comprenait également d'anciens communistes.
Elle parvenait à
composer une synthèse originale des diverses tendances nationalitaires et
culturelles qui s'étaient précédemment manifestées, mais en évinçant celle qui
considérait l'assimilation comme un phénomène inévitable. Depuis lors, son
influence politique et culturelle n'a fait que s'accroître en dépit des efforts
341
conjugués
de l'establishment
politique
et religieux.
Ses positions
critiques à
l'égard de la politique menée par la gouvernement
d'Israël ont suscité à sa droite
et à sa gauche la formation d'autres associations
laïques.
années,
le Centre
Communautaire
d'inspiration
"folkiste".
représentants
de diverses
charismatique
et ultra-orthodoxe),
Depuis plus de dix
Laïc Juif s'oriente
TI n'hésite
pas à accueillir
tendances
du mouvement
vers un judaïsme
à sa tribune
hassidique
soit des rabbins orthodoxes.
soit des
(mystique,
TI encourage
tacitement la pratique de certains rites religieux liés aux observances saisonnières
(circoncision,
'Bar-Mitzvah',
respect des fêtes austères).
Son espèce
de religion
reconstructionnisme
mariage
religieux,
repas pascal modernisé
et
Sa pratique s'éloigne de plus en plus de sa doctrine.
du peuple
juif sans Dieu est assez analogue
au
américain pour lequel "la religion juive existe pour le peuple
juif' et non l'inverse.
En d'autres termes, dans ses discours et actes explicites, le
Centre Communautaire
Laïc Juif a recours
plus qu'autrefois
à la tradition
religieuse.
Deux écoles primaires à plein temps et une récente section secondaire ont été
créées dans la mouvance de la "laïcité juive" à Bruxelles.
écoles respectent la 'kasherut' (les lois alimentaires)
Comme en Israël, ces
et les fêtes religieuses
(en
1983-1984: population scolaire totale: environ 350 inscrits).
Entre-temps, le courant religieux de tendance orthodoxe parvenait à sortir de
son isolement à la suite d'une politique de présence dans la vie juive. Ce regain
fut encouragé
Robert
par l'ancien rabbin de la communauté
Dreyfus,
devenu
grand rabbin
de Belgique
Consistoire lui-même qui favorisa la reconnaissance
groupements
religieux
orthodoxes
notamment
M.
et par le
par l'Etat de trois nouveaux
religieux
des enseignants
d'Afrique du Nord, plus traditionalistes
C.
(1963-1978)
(en 1968, 1971, et en 1979).
Rabbin étendit le réseau de l'enseignement
officiels en recrutant
israélite principale,
Le Grand
dans les établissements
parmi les Juifs originaires
que les 'ashk:enases' sécularisés.
Efforts de coordination nationale de toutes les organisations juives
Jusqu'à l'arrivée des Juifs d'Europe orientale, le Consistoire Central Israélite
de Belgique était la seule institution centrale du judaïsme belge. Les immigrants
créèrent leurs propres institutions
reconnaissance
de l'Etat.
religieuses
Conscient
et réclamèrent
le bénéfice de la
qu'il devait favoriser leur intégration,
le
Consistoire adopta à leur égard une attitude positive et soutint leur demande.
Il
342
évoluait ainsi vers une conception pluraliste du judaïsme qu'il s'efforça de faire
respecter, mais, déjà en 1931, la communauté principale d'Anvers passait sous
l'autorité d'un rabbin orthodoxe et nationaliste. En raison de la lente influence
que les nouvelles communautés exercèrent sur le consistoire, celui-ci adopta une
position plus traditionaliste. Son refus de reconnaître l'Union libérale Israélite,
une association religieuse liée au mouvement réformé, fondée en 1966 par des
Belges et des Américains résidant en Belgique, et qui pourtant fait preuve d'une
grande vitalité et dont le nombre de membres dépasse le quorum requis par
l'administration, reflète bien l'orientation idéologique suivie par le Consistoire
qui adopte, en l'occurrence, l'attitude de l'orthodoxie en Israël. La pression des
communautés orthodoxes s'est également exercée récemment surla communauté
israélite principale de Bruxelles. Pour éviter une rupture au sein du Consistoire,
celle-ci a dû renoncer à son projet de nommer un rabbin américain de tendance
conservatrice (le 'Conservative Mouvement' aux Etats-Unis adopte une position
médiane entre l'orthodoxie et le judaïsme réformé) également réprouvée par les
rabbins orthodoxes.
En outre, la communauté israélite principale a dû
abandonner récemment l'usage des orgues lors des services du Shabbat et des
fêtes chômées afin de pouvoir engager un rabbin.
Ces concessions d'apparence anodine marquent définitivement la fin d'une
tradition qui remonte au début du XIXe siècle. Ce retour à l'authenticité est
autant dicté par de sérieuses motivations religieuses que par des considérations
politiques dont l'enjeu dépasse largement le pays. Les mouvements conservateur
et libéral sont majoritaires aux Etats-Unis. Les dirigeants orthodoxes tant en
Israël qu'aux Etats-Unis sont parvenus à convaincre leurs collègues européens de
la nécessité de faire front pour éviter qu'une communauté en Europe occidentale
n'adopte une position conservatrice ou libérale. L'objectif est de reconstituer sur
le plan religieux l'unité du peuple juif selon la conception orthodoxe.
Ainsi, dans la plupart des communautés religieuses reconnues du pays, le
point de vue de 'Mizrachi' soutenu pour des raisons religieuses par l"Agoudath
Israël' s'est imposé. Ces formations sont parvenues à gagner à Bruxelles sur le .
plan religieux officiel ce qu'elles ont perdu au niveau politique. li est vrai aussi
que depuis la création de l'Etat d'Israël, la distinction entre sionistes et
non-sionistes s'est progressivement estompée. Pour la majorité des Juifs, la
reconnaissance d'Israël comme foyer de renouveau de la culture et de la
spiritualité juives n'implique aucune modillcation de sa condition en Belgique, ni
de son insertion comme collectivité religieuse. Comme le proclamait déjà le
343
rabbin David Berman, en 1947, beaucoup de juifs belges "seront reliés à elle (la
nation juive) par la communauté
de la tradition
religieuse
dont elle sera le
centre ... ".
Certes,
orientation
des organisations
générale.
laïques
A l'initiative
se sont efforcées
de changer
du Centre Communautaire
cette
Laïc Juif, un
Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique a été constitué, en
1971, dans le but de mobiliser
et de coordonner
chaque fois qu'une action publique serait requise.
devenir
l'institution
politique
représentative
l'activité
de ses membres,
Son objectif initial était de
de la communauté.
A son
programme initial, figuraient notamment la modification radicale des structures
communautaires,
la création d'un "parlement juif' représentatif
direct et l'unification
des campagnes
religieuses
ni la Communauté
d'Anvers,
accepté de s'y joindre.
de collecte.
élu au suffrage
Aucune des communautés
israélite principale
de Bruxelles
n'a
Le Consistoire ni aucune des grandes organisations
de
collecte n'en fait partie. Bien que le Comité de Coordination
tous les courants d'opinion,
à l'exception
se veuille ouvert à
de celui qui s'opposerait
à l'idée de
l'existence de l'Etat d'Israël, son ambition de représenter la totalité de la judaïcité
belge est en soi une tentative de définir objectivement
au niveau
Néanmoins,
politique,
ce à quoi beaucoup
l'identité juive, du moins
de juifs en Belgique
s'opposent.
la formation de ce comité a suscité une prise de conscience de la
nécessité d'intervenir dans le domaine public, qui s'est étendue à la plupart des
institutions,
mêmes
religieuses.
Pour plusieurs
associations,
possibilité de rompre l'isolement dans lequel elles se trouvaient.
lors que les organisations
juives ne puissent
il offrait
pas se mettre d'accord
programme permanent d'action politique, même minimum.
la
il semble dès
sur un
Cette situation a sans
doute pour origine deux conceptions divergentes de l'appartenance juive: les uns
estiment qu'aucune activité politique ne peut être menée collectivement au nom de
l'ensemble des Juifs du pays, ils s'identifient explicitement ou implicitement
conception défendue par le Consistoire
à la
selon lequel le religieux et le politique
doivent rester séparés; les autres - les nationalitaires
- considèrent
au contraire
qu'une présence politique permanente constitue un mode d'expression adéquat de
leur identité juive dans ses rapports avec la société globale.
344
Conclusions
et synthèse
La cohésion des Juifs d'Anvers résulte de leur mode de vie et pensée
spécifiques et de leur activités professionnelles ainsi que de la situation de la
métropole comme centre commercial et industriel.
Par bien des aspects,
l'insertion à la vie anversoise s'effectue de manière collective, en ce sens que la
judaïcité est perçue et acceptée comme une de ses composantes singulières. Elle
forme une véritable société où le religieux imprègne et oriente toute la vie juive.
La judaïcité de Bruxelles se caractérise par une tension entre, d'une part la
notion laïque de "peuple juif' et, d'autre part, la notion de "religion juive". Entre
ces deux pôles, il y a des relais qui permettent à l'occasion d'événements
exceptionnels de former un ensemble articulé, mais celui-ci se défait aussitôt que
la crise est surmontée.
En définitive, aucune organisation juive n'a réussi à regrouper de manière
durable la totalité des Juifs conscients. Le ralliement du Consistoire et de la
Communauté israélite principale de Bruxelles à l'orthopraxie et à un sionisme
religieux modéré n'a aucune conséquence sur la conception politique des
membres des communautés religieuses du pays.
Surmontant enfin les
traumatismes du racisme dont la résurgence certes les inquiète, et après bien des
détours historiques, ils renouent progressivement avec l'idée fondamentale du
judaïsme occidental, à savoir que l'appartenance juive est un phénomène de
conscience et non le résultat de forces historiques ou sociologiques irrésistibles.
Cette appartenance ne peut s'exprimer dès lors que par une adhésion librement
consentie à une institution dont la doctrine repose sur cette liberté. li est vrai que
le ralliement au sionisme religieux risque d'avoir des répercussions en Israël en
contribuant à renforcer indirectement une tendance opposée à la séparation de la
Synagogue et l'Etat, mais cette dimension est soit occultée, soit ignorée par la
plupart d'entre ceux qui ont choisi de vivre ici. Malgré tous les efforts de
rapprochement, la réalité d'Israël est liée à un registre plus profond de la
conscience dont ils se détachent pour de nombreuses raisons y compris des
considérations politiques. On comprend mieux dans ce contexte le renouveau de
religiosité même chez les "laïcs" qui n'hésitent pas à collaborer aux activités du
Consistoire Central Israélite de Belgique et réclament sa reconnaissance. En
effet, seule cette institution incarne le principe de la séparation du religieux et du
politique auquel ils découvrent être profondément attachés.
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Références bibliographiques
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