Le théâtre est le parent pauvre de la culture au

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Nourredine Ayouch : « <i>Le théâtre est le parent pauvre de la culture au Maroc</i> ».
Le théâtre pour Nourredine Ayouch est bien plus qu’une passion. Il lui est essentiel. Enfant, il
passait son temps à inventer des personnages qu’il interprétait ensuite avec ses camarades de
classe. Des années plus tard, toujours épris, il décide d’étudier le théâtre. Montant sur scène, il
y joue de grandes pièces. Il écrit aussi. Camus, Sartre, Molière, Shakespeare l’accompagnent
et Bertolt Brecht est son préféré. Ses études parisiennes achevées, Nourredine Ayouch rentre
au pays avec des projets plein la tête pour le théâtre marocain. Mais il est confronté à une
situation politique peu favorable à l’expression théâtrale et artistique tout court. On lui fait
comprendre que ces projets doivent attendre, que ce n’est pas le bon moment. Malgré les
années, sa passion pour cet art ne faiblit pas et il continue à espérer en ce jour où les
Marocains rempliront les salles de théâtre. Mais, cette heure, à son grand regret, n’est pas
encore venue. La 6 ième édition du Festival International Théâtre et Culture s’est achevée sur ce
triste constat, à savoir quel théâtre est devenu, selon lui,
« le parent
pauvre de la culture au Maroc »,
. Les Marocains ont abandonné le théâtre, ancêtre du cinéma et de la télévision. C’est une
grande incompréhension pour cet homme, Nourredine Ayouch pour qui toute la beauté, toute la
puissance d’un texte réside dans sa lecture sur scène. D’où son refus de baisser les bras et sa
volonté de continuer à militer pour que la jeunesse marocaine ne tourne pas le dos à cet art
majeur..
Quels ont été les points forts de cette édition du Festival international Théâtre et
Culture ?
Cette édition a eu un écho favorable de la part du public et ceci grâce un programme varié, qui
a mélangé la musique et les textes théâtraux, ce qui a fait son originalité. Le public est venu en
grand nombre à deux spectacles, »La Mégère apprivoisée », et « Cyrano de Bergerac ». Pour
les autres pièces comme « L’opéra des gueux
» ou « Le boxeur poète
», il y a eu peu de spectateurs.
Comment s’opère le choix du thème, des troupes ?
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Nourredine Ayouch : « <i>Le théâtre est le parent pauvre de la culture au Maroc</i> ».
Chaque année, le comité de la fondation se rassemble pour discuter du choix de la
programmation. Pour la première édition, il y a dix ans de cela, nous avons choisi de débuter
par Garcia Lorca. Après, ce fut le thème de l’Afrique, ensuite celui de la Méditerranée, Molière
et l’avant dernier thème a été autour de la tolérance. Cette année, nous avons choisi la
thématique de la musique. Après avoir organisé des éditions sur des thèmes de grand hommes
de théâtre, autour de sujet assez sérieux, nous avons choisi le thème de la musique pour son
originalité, car cela n’a jamais été fait auparavant. Toutes les pièces présentées ont été
accompagnées de musique, y compris les pièces marocaines. La plupart des troupes que l’on a
eues cette année, ont été majoritairement sélectionnées lors du célèbre Festival d’Avignon en
France. C’est l’internationalité du festival qui pousse à une sélection plus étrangère des pièces
et des créations théâtrales. A la différence, un autre Festival, celui d’ «Allons au théâtre »
présente en majorité des pièces marocaines.
Après six éditions, qu’est-ce que le festival a apporté au théâtre marocain ?
Pas grand-chose malheureusement ! Je suis déçu, parce que le public vient de moins en moins.
Juste pour les ouvertures et les clôtures ! Pour les spectacles marocains, je croyais que les
salles allaient être pleines à craquer, que les gens allaient venir en grand nombre mais, à ma
grande surprise, les salles sont restées à moitié vides car les gens ne veulent plus payer pour
venir au théâtre. Ce constat me rend malade, car après tant d'efforts et de travail pour organiser
un tel événement, il y a de quoi être déçu. On n'encourage plus les jeunes à aller au théâtre.
Avant, il y avait des programmes qui incitaient les jeunes à découvrir le monde du théâtre, mais
il n'en existe plus malheureusement. La seule fois où nous avons eu un grand nombre de
jeunes étudiants, c'était pendant l'édition sur Molière. Et ceci pour la simple et bonne raison
que nous avions eue l'idée de faire participer certains établissements à cette édition-là. L'Etat a
besoin, doit former des éducateurs pour aider les jeunes à monter et à jouer des pièces de
théâtre ! Les jeunes ont besoin du théâtre pour les aider à se cultiver, à ne plus passer leur
temps entre Internet et la télévision.
Il faut encourager la création. Le ministère a commencé cette année. J'aurai aimé que cela se
fasse plus tôt mais c'est une bonne démarche.
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Nourredine Ayouch : « <i>Le théâtre est le parent pauvre de la culture au Maroc</i> ».
Avec un constat aussi désastreux, qu’est- ce qui vous pousse à continuer à organiser ce
festival ?
Quand on aime quelque chose, il ne faut pas laisser le terrain vide. On se dit qu’on a une
responsabilité. Déjà à l’école primaire, j’avais la tête dans les nuages et je rêvais de théâtre, et
des rôles que je pouvais créer. Je veux aussi que les enfants de cette génération aient une
passion, comme celle que j’ai pour le théâtre. Je veux amener les jeunes d’aujourd’hui à aimer
la culture, la poésie, et le théâtre. Qu’ils se remplissent la tête de bonnes choses, qu’ils
lisent…Les Marocains ne lisent pas, ne s’intéressent pas à la culture. Quand vous voyez des
pays comme l’Islande, la Finlande, la Norvège, ces pays qui aiment le théâtre et qui
encouragent la créativité … Les théâtres, les cafés théâtres y sont toujours ouverts, pour attirer
le maximum de jeunes à cet art. Tout récemment, j’ai visité la Finlande, et pendant mon séjour(
une semaine), écoles, collèges et universités ont présenté des pièces de théâtre mises en
scène et créées par les élèves eux-mêmes. Voilà un bon exemple d’un pays qui a compris
l’importance d’engager la jeunesse dans la créativité et l’expression artistiques.
Dans notre pays, je reste extrêmement déçu de la situation du théâtre devenu le parent pauvre
de la culture. C’est une triste situation, mais cela n’empêche pas de toujours continuer à faire
vivre cet art dans notre société. Car rien ne remplace le théâtre. Le théâtre fait partie de la vie.
Les grands noms de la littérature comme Camus ou Sartre, ont écrit des textes de théâtre, il
faut tout faire pour garder ces pièces vivantes et qu’elles ne tombent pas dans l’oubli.Rien ne
remplace la vie décrite sur une scène de théâtre, parce que les émotions y sont beaucoup plus
fortes (qu’ailleurs).
Pour le Maroc, quelest, à votre avis, la solution ?
Je suis désespéré de constater que le peuple marocain ne part plus au théâtre. Que les
intellectuels et les hommes d’Etat, les présidents des grandes entreprises n’y vont pas
également, les professeurs non plus. Alors qui va au théâtre? Juste une petite minorité qu’on
compte sur le bout des doigts alors que je me rappelle que, dans ma génération, tout le monde
allait au théâtre. Il y en avait à chaque coin de rue. Aujourd'hui, les théâtres sont encore là mais
ils sont vides.
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Nourredine Ayouch : « <i>Le théâtre est le parent pauvre de la culture au Maroc</i> ».
C'est une situation qui ne peut plus durer ! Il ne suffit pas de construire de grands théâtres, il
faut aider à former des encadrants, des professeurs pour éduquer les jeunes au théâtre. Sans
éducation, sans amener le théâtre dans les écoles, et ce depuis les premières classes, la
situation ne s’améliorera pas et on gardera une jeunesse qui ne se nourrit que de séries
télévisées, d’internet et de chat…sans une vraie culture, seulement celle de la consommation
facile et rapide.
La première pièce que vous avez jouée ?
La toute première fois, c’était des textes de poésie arabe. De la classe terminale, je me suis
rendu en France à Paris où j’ai intégré l’Institut des études théâtrales de la Sorbonne,
l’université du Théâtre des nations où j’ai joué une pièce très connue « Les mardis de Mallarmé
»
qui m’a valu le deuxième
prix d’interprétation à la Biennale de Paris. Ensuite, j’ai monté mon propre spectacle autour des
œuvres de Camus «
Ca
mus, homme de théâtre
». J’ai aussi créé deux autres spectacles
« « L’exception à la règle »
de Bertolt Brecht, et aussi
« Oscarine ou les tournesols ».
Donc ma vie, depuis tout petit, a été toujours baignée de théâtre.
Si vous aviez à choisir entre metteur en scène ou acteur ?
Acteur. Lire les textes de Bertolt Brecht sur scène, c’est puissant, c’est fort.
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