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Gastroentérologie : Ces der-
nières années, de très nombreux
travaux ont montré qu’il existait
des anomalies de la motricité
digestive et une hypersensibilité
digestive à la distension chez
des patients se plaignant d’un
SII. Faut-il les rechercher en pra-
tique courante ?
Gastroentérologie : Qu’en
est-il de l’intolérance au lactose,
faut-il la rechercher et comment ?
Intolérance au lactose
Situation clinique fréquente
Diagnostic :
◗ résultats d’un régime
d’exclusion : OUI ;
◗ test respiratoire spéci-
fique : NON.
Pr E. Dorval :
L’intolérance au
lactose existe, elle est même
très fréquente si l’on regarde
les données de la littérature en
Europe, et même aux États-
Unis, où à peu près un quart
des patients mentionnant des
symptômes évoquant un SII
souffrent en réalité d’une into-
lérance au lactose. On en veut
pour preuve les résultats du
test respiratoire au lactose,
mais aussi, et surtout, l’effica-
cité du régime sans lactose
chez ces patients. Compte tenu
de l’importance de ce chiffre,
il me paraît licite de rechercher
une intolérance au lactose chez
des patients ayant une diarrhée
ou des douleurs abdominales.
Cette recherche se fait essen-
tiellement par l’interrogatoire,
mais aussi en observant les
effets d’un régime d’épreuve
sans lactose, car la moitié des
malades ignorent qu’ils souf-
frent uniquement d’intolérance
à cette substance. Le recours à
un test respiratoire spécifique
pour retenir ce diagnostic ne
me paraît pas utile.
Pr E. Dorval :
À l’évidence, ce
concept de trouble de la motri-
cité et de la sensibilité a été
très largement exploré ces der-
nières années. Aujourd’hui, on
peut dire qu’il existe des
troubles de la motricité, à de
nombreux étages du tube
digestif, et notamment au
niveau de l’intestin grêle, de la
jonction iléo-cæcale et du
côlon. Cependant, ces troubles
moteurs sont extrêmement
variables d’un essai à l’autre et
finalement peu spécifiques et
peu sensibles. Actuellement, il
n’y a pas d’exploration motrice
validée qui permettrait de dire
que tel patient ayant tels symp-
tômes présente telle anomalie
motrice à tel endroit et donc
telle forme clinique du SII.
Cette mauvaise spécificité, le
caractère invasif, et une faisa-
bilité en routine loin d’être évi-
dente, font qu’il n’est pas pos-
sible de les utiliser de façon
pratique comme outil diagnos-
tique.
Le concept de viscérosensibilité
est un concept ancien, récem-
ment remis à l’honneur, à tel
point que l’équipe américaine
de Mayer a décrit, il y a
quelques années, l’hypersensi-
bilité rectale comme un mar-
queur biologique du SII, étant
entendu que presque la totalité
des patients se plaignant d’un
SII ont une anomalie de la sen-
sibilité rectale à la distension.
Ce concept est extrêmement
séduisant, et l’on aurait pu
imaginer qu’un test de disten-
sion rectale devienne un critère
diagnostique simple à mettre
en œuvre pour reconnaître le
SII. Malheureusement, cer-
taines réserves doivent être
apportées à ce travail. La pre-
mière étant que ces troubles de
la viscérosensibilité ne sont
pas limités au rectum, mais
diffus, car on les retrouve aussi
au niveau du sigmoïde, de l’in-
testin grêle, de l’estomac et
même de l’œsophage. D’autre
part, ce trouble de la viscéro-
sensibilité n’est pas spécifique
au SII, car il est présent au
cours d’autres troubles fonc-
tionnels digestifs, notamment
au cours de la dyspepsie. Le
caractère non spécifique de ces
troubles de la viscérosensibili-
té va tout à fait dans le même
sens qu’un article épidémiolo-
gique scandinave, qui montre
qu’un patient ayant à J1 un SII
typique peut se retrouver un an
plus tard avec un syndrome
dyspeptique typique sans signe
de SII. Ainsi, ce concept de
trouble de viscérosensibilité
rectale est probablement plus
spécifique des troubles fonc-
tionnels digestifs, au sens large,
que du SII.
Pr E. Dorval :
En effet, on aime-
rait bien posséder une méthode
permettant de poser un dia-
gnostic positif de SII. Un tra-
vail effectué en Europe du
Nord a en effet montré que le
recours aux soins, et donc les
dépenses engendrées, est plus
important chez des patients
ayant un SII et ne croyant pas
au caractère non organique de
leurs symptômes. Dans ces cas
particuliers, un test permettant
d’aboutir à un diagnostic posi-
tif serait tout à fait utile.
Cependant, à ce jour, ce test de
sensibilité viscérale n’a pas
encore obtenu de validation
consensuelle, n’est pas réalisé
en pratique courante et ne peut
être recommandé comme outil
diagnostique.
Pr E. Dorval :
Tout à fait, en
1999, le diagnostic du SII reste
essentiellement un diagnostic
clinique, malgré tous les pro-
grès qui ont été faits dans la
compréhension de sa physio-
pathologie. Les explorations
complémentaires que nous uti-
lisons ne doivent pas être sys-
tématiques ; elles ont pour but
d’éliminer une pathologie
associée qui pourrait entraîner
les mêmes symptômes. Au-
jourd’hui, nous manquons
d’examens permettant un dia-
gnostic positif parce que ceux
dont nous disposons ne sont
pas parfaitement spécifiques,
parce qu’ils ne sont pas de pra-
tique courante, parce que leur
type et leur place doivent être
précisés, et parce que leur
impact, notamment en ce qui
concerne le recours aux explo-
rations et aux soins ultérieurs,
n’a pas encore été évalué.
Gastroentérologie : Finalement,
la clinique reste essentielle pour
aboutir à un diagnostic de SII ?
croyant pas à l’absence d’anoma-
lies organiques lors des examens
standard ?
Gastroentérologie : Cependant,
ce concept ne pourrait-il pas débou-
cher sur un test diagnostique,
notamment chez des patients ayant
des symptômes sévères et ne
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (13), n° 3, mars 1999