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Pr E. Dorval :
Le SII est défini
depuis de nombreuses années
par les critères diagnostiques
dits de “Rome” devant l’asso-
ciation de douleurs abdomi-
nales chroniques, avec ou sans
troubles du transit et avec ou
sans une sensation de ballonne-
ment ou de distension. L’élément
qu’il me semble important de
retenir est la présence d’une
douleur abdominale et/ou d’un
inconfort digestif.
Pr E. Dorval :
En effet, ces cri-
tères posent deux problèmes
difficiles, à savoir quelles en
sont la sensibilité et la spécifi-
cité. Lorsqu’on regarde les
séries de la littérature utilisant
les différents critères élaborés,
que ce soit les critères de
Manning ou les critères de
Rome, qui se fondent unique-
ment sur la clinique, ou bien le
score clinico-biologique de
Kruis, qui intègre le résultat
d’examens biologiques stan-
dards, leurs sensibilités respec-
tives sont très bonnes, y com-
pris lorsqu’ils sont traduits en
français pour les critères de
Manning. En revanche, leur
spécificité est très variable en
fonction des populations aux-
quelles l’on s’adresse. Elle est
bonne si l’on compare une
population de patients ayant
un SII à des sujets sains
contrôles ne manifestant pas
de symptômes digestifs, mais,
à l’inverse, elle peut être extrê-
mement mauvaise si l’on com-
pare des patients ayant un SII à
ceux souffrant d’une patholo-
gie organique du tube digestif,
comme un cancer colique ou
une maladie de Crohn. De ce
fait, l’intérêt de ces critères
pour le diagnostic positif de
SII me semble limité. Ils lais-
sent une grande place aux
explorations complémentaires
dont le but est clairement de
faire le diagnostic différentiel
des symptômes.
Pr E. Dorval :
De temps en
temps, les tests biologiques
standards retrouvent des ano-
malies des tests hépatiques, un
bilan thyroïdien anormal, une
infection urinaire ou la présence
de parasites dans les selles. En
fait, ces anomalies sont retrou-
vées avec une fréquence relati-
vement basse, lorsqu’ils sont
réalisés de manière systéma-
tique. Ainsi, je ne pense pas
qu’il faille recommander d’ef-
fectuer de manière systéma-
tique un bilan biologique
exhaustif chez un malade pour
lequel on suspecte un diagnos-
tic de SII. En revanche, je
pense qu’il faut se laisser gui-
der par les signes cliniques
retrouvés lors de l’interroga-
toire. On peut effectuer un exa-
men parasitologique des selles
chez un patient souffrant d’une
diarrhée ou bien faire un dosa-
ge de la TSH chez un patient
constipé pour dépister une
hypothyroïdie peu symptoma-
tique ne s’exprimant que par
un trouble du transit. Quant
aux examens de coprologie
fonctionnelle, je dirai qu’ac-
tuellement ils ne présentent
guère d’utilité même chez des
patients ayant une diarrhée
d’allure fonctionnelle.
Pr E. Dorval :
L’échographie
abdominale est un examen
d’accès facile, non invasif, qui
pourrait être préconisé chez
des patients pour lesquels on
évoque un diagnostic de SII
dans le cadre du diagnostic dif-
férentiel. Singulièrement, son
utilité n’a fait l’objet que d’une
étude récente, publiée en 1996
par Francis et coll. Dans plus
de 20 % des cas, une anomalie
échographique était retrouvée.
Il s’agissait d’une lithiase vési-
culaire chez environ 5 % des
patients, mais aussi d’autres
anomalies hépatiques, comme
une stéatose hépatique, de
tumeurs hépatiques localisées,
comme des angiomes, ou
d’anomalies gynécologiques,
de loin les plus fréquentes,
comme des kystes de l’ovaire
ou des anomalies utérines. En
réalité, dans cet essai, la pré-
sence d’une anomalie échogra-
phique n’a jamais été imputée
comme étant responsable des
symptômes ayant amené les
patients à consulter. Enfin, la
conclusion des auteurs était
que la découverte fortuite
d’une lésion n’a pas le rôle ras-
surant attendu, mais qu’au
contraire elle inquiète le
patient et le médecin. Cela sera
source de confusion et génèrera
de nouveaux examens complé-
mentaires coûteux et probable-
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (13), n° 3, mars 1999 86
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Avec le Pr E. Dorval
Syndrome de l’intestin
irritable : indication
et utilité des explorations
à visée diagnostique
* Service de gastroentérologie,
hôpital Trousseau,
Chambray-les-Tours.
Gastroentérologie : Pr Dorval,
comment peut-on définir le syn-
drome de l’intestin irritable (SII)
en 1999 ?
Gastroentérologie : Mais, selon
vous, ces critères diagnos-
tiques “académiques” ont-ils
une utilité pour la pratique quo-
tidienne du praticien, généra-
liste ou spécialiste ? Gastroentérologie : Parmi les
différents examens biologiques pos-
sibles, lesquels doit-on réaliser ?
Gastroentérologie : Qu’en est-
il de la place des examens mor-
phologiques et, en premier lieu de
l’échographie abdominale ?
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ment inutiles. Cette conclusion
recouvre assez bien celle propo-
sée par un groupe d’experts
français, piloté par l’ANAES,
qui avait recommandé de ne pas
réaliser d’échographie abdomi-
nale en première intention chez
des patients ayant des signes cli-
niques de SII. Pour ces experts,
ce qui devrait inciter à réaliser
une échographie première est la
présence de signes d’alarme,
comme l’apparition des symp-
tômes après 50 ans, un contexte
alcoolo-tabagique, des symp-
tômes nocturnes ou, bien enten-
du, lorsqu’il existe une anoma-
lie à l’examen clinique ; je
pense à un amaigrissement, une
masse abdominale ou une hépa-
tomégalie. Toutefois, dans ces
cas précis, on s’éloigne complè-
tement de la définition du SII. Il
s’agit alors d’un patient ayant
des signes cliniques de SII, mais
pour lequel on retrouve d’autres
anomalies, sauf peut-être en ce
qui concerne l’âge. Car, l’appa-
rition des symptômes après 50
ans est un fait clinique qui doit
être pris en considération.
Pr E. Dorval :
L’exploration
morphologique colique repose
sur la coloscopie, et ce problème
quotidien est difficile. Pour
essayer de mieux le cerner, il
faut regarder le nombre de
coloscopies nécessaires pour
dépister un cancer colique en
fonction de l’indication. Si
l’on se réfère à l’indication de
saignement, que ce soit un sai-
gnement extériorisé ou une
anémie par saignement chro-
nique, on dépiste un cancer
chaque fois que l’on fait une
dizaine de coloscopies ; le ren-
dement est donc assez élevé. Si
l’on prend comme indication à
la coloscopie le fait d’être un
homme de plus de 60 ans, il fau-
dra effectuer environ 60 colosco-
pies pour diagnostiquer un can-
cer. Enfin, si l’on prend en
compte les troubles digestifs
comme indication de l’examen
sans hémorragie extériorisée ni
anémie et sans critère d’âge, plus
de 100 coloscopies seront néces-
saires pour dépister un cancer.
Cela démontre à l’évidence que
le fait d’avoir des symptômes de
SII n’est pas un facteur de risque
pour le cancer colorectal. Il n’y a
donc pas lieu d’avoir une attitude
de dépistage particulière chez les
patients ayant un SII. Ces sujets
doivent, tout comme les autres,
être soumis à un dépistage endo-
scopique si un dépistage de
masse est institué ou si des fac-
teurs prédisposant sont retrouvés
par l’interrogatoire.
Pr E. Dorval :
À l’évidence, la
coloscopie possède une réelle
vertu “anxiolytique”, à la fois
pour le patient et pour le méde-
cin. Dans un essai de suivi de
cohorte de patients ayant un
SII, que nous avions publié il y
a quelques années, plus de
90 % des patients avaient subi
une coloscopie, bien que cette
population ne soit pas considé-
rée comme risquant un cancer
du côlon. Mais on ne sait pas si
la réalisation de la coloscopie
va modifier la demande de
soins ultérieure. Même si une
telle attitude ne doit pas être
recommandée, cela montre
bien qu’en pratique courante
l’exploration morphologique
est très souvent pratiquée.
En dehors du dépistage d’un
cancer, la coloscopie peut avoir
une certaine utilité pour le dia-
gnostic différentiel du SII. Je
pense notamment aux patients
ayant une colite microscopique
dont les symptômes vont se
manifester par une diarrhée pré-
dominante, qui est indiscernable
cliniquement du SII. Dans ce cas
précis, il y a indication à une
coloscopie avec biopsie en cas
de muqueuse normale. Je pense
qu’une autre indication raison-
nable de la coloscopie intéresse
les patients âgés de plus de
50 ans, qui doivent être soumis à
une coloscopie de dépistage,
non en raison de leurs symp-
tômes, mais à cause de leur âge.
Enfin, il reste le cas des patients
ayant un SII et une constipation
sévère, pour lesquels on veut éli-
miner à tout prix un obstacle.
Ces patients finiront un jour ou
l’autre par avoir une coloscopie.
Toutefois, et cela a été bien sou-
ligné par le groupe de réflexion
piloté par l’ANAES, il n’y a pas
lieu de répéter la coloscopie si
l’examen initial était stricte-
ment normal, sauf, bien enten-
du, en cas de modification per-
sistante des symptômes.
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Gastroentérologie : La grande
question chez ces patients est de
définir la place des examens
morphologiques du côlon.
Gastroentérologie : La colo-
scopie pourrait-elle lever certaines
angoisses du patient ?
Echographie abdominale et SII : rendement diagnostic
Anomalies organiques : environ 20 %
Lithiase vésiculaire, anomalies gynécologiques
Le plus souvent sans rapport avec le symptôme
Normale : environ 80 %
Dépistage de cancer recto-colique au cours
de la coloscopie en fonction de l’indication
Saignement extériorisé ou anémie : 1/10
Homme, âge > 60 ans : 1/60
SII : 1/100
Recommandations
Au cours du SII, réalisa-
tion :
d’une échographie abdo-
minale systématique :
NON ;
d’une coloscopie systéma-
tique : NON (en dehors des
situations cliniques où un
dépistage est justifié).
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Gastroentérologie : Ces der-
nières années, de très nombreux
travaux ont montré qu’il existait
des anomalies de la motricité
digestive et une hypersensibilité
digestive à la distension chez
des patients se plaignant d’un
SII. Faut-il les rechercher en pra-
tique courante ?
Gastroentérologie : Qu’en
est-il de l’intolérance au lactose,
faut-il la rechercher et comment ?
Intolérance au lactose
Situation clinique fréquente
Diagnostic :
résultats d’un régime
d’exclusion : OUI ;
test respiratoire spéci-
fique : NON.
Pr E. Dorval :
L’intolérance au
lactose existe, elle est même
très fréquente si l’on regarde
les données de la littérature en
Europe, et même aux États-
Unis, où à peu près un quart
des patients mentionnant des
symptômes évoquant un SII
souffrent en réalité d’une into-
lérance au lactose. On en veut
pour preuve les résultats du
test respiratoire au lactose,
mais aussi, et surtout, l’effica-
cité du régime sans lactose
chez ces patients. Compte tenu
de l’importance de ce chiffre,
il me paraît licite de rechercher
une intolérance au lactose chez
des patients ayant une diarrhée
ou des douleurs abdominales.
Cette recherche se fait essen-
tiellement par l’interrogatoire,
mais aussi en observant les
effets d’un régime d’épreuve
sans lactose, car la moitié des
malades ignorent qu’ils souf-
frent uniquement d’intolérance
à cette substance. Le recours à
un test respiratoire spécifique
pour retenir ce diagnostic ne
me paraît pas utile.
Pr E. Dorval :
À l’évidence, ce
concept de trouble de la motri-
cité et de la sensibilité a été
très largement exploré ces der-
nières années. Aujourd’hui, on
peut dire qu’il existe des
troubles de la motricité, à de
nombreux étages du tube
digestif, et notamment au
niveau de l’intestin grêle, de la
jonction iléo-cæcale et du
côlon. Cependant, ces troubles
moteurs sont extrêmement
variables d’un essai à l’autre et
finalement peu spécifiques et
peu sensibles. Actuellement, il
n’y a pas d’exploration motrice
validée qui permettrait de dire
que tel patient ayant tels symp-
tômes présente telle anomalie
motrice à tel endroit et donc
telle forme clinique du SII.
Cette mauvaise spécificité, le
caractère invasif, et une faisa-
bilité en routine loin d’être évi-
dente, font qu’il n’est pas pos-
sible de les utiliser de façon
pratique comme outil diagnos-
tique.
Le concept de viscérosensibilité
est un concept ancien, récem-
ment remis à l’honneur, à tel
point que l’équipe américaine
de Mayer a décrit, il y a
quelques années, l’hypersensi-
bilité rectale comme un mar-
queur biologique du SII, étant
entendu que presque la totalité
des patients se plaignant d’un
SII ont une anomalie de la sen-
sibilité rectale à la distension.
Ce concept est extrêmement
séduisant, et l’on aurait pu
imaginer qu’un test de disten-
sion rectale devienne un critère
diagnostique simple à mettre
en œuvre pour reconnaître le
SII. Malheureusement, cer-
taines réserves doivent être
apportées à ce travail. La pre-
mière étant que ces troubles de
la viscérosensibilité ne sont
pas limités au rectum, mais
diffus, car on les retrouve aussi
au niveau du sigmoïde, de l’in-
testin grêle, de l’estomac et
même de l’œsophage. D’autre
part, ce trouble de la viscéro-
sensibilité n’est pas spécifique
au SII, car il est présent au
cours d’autres troubles fonc-
tionnels digestifs, notamment
au cours de la dyspepsie. Le
caractère non spécifique de ces
troubles de la viscérosensibili-
té va tout à fait dans le même
sens qu’un article épidémiolo-
gique scandinave, qui montre
qu’un patient ayant à J1 un SII
typique peut se retrouver un an
plus tard avec un syndrome
dyspeptique typique sans signe
de SII. Ainsi, ce concept de
trouble de viscérosensibilité
rectale est probablement plus
spécifique des troubles fonc-
tionnels digestifs, au sens large,
que du SII.
Pr E. Dorval :
En effet, on aime-
rait bien posséder une méthode
permettant de poser un dia-
gnostic positif de SII. Un tra-
vail effectué en Europe du
Nord a en effet montré que le
recours aux soins, et donc les
dépenses engendrées, est plus
important chez des patients
ayant un SII et ne croyant pas
au caractère non organique de
leurs symptômes. Dans ces cas
particuliers, un test permettant
d’aboutir à un diagnostic posi-
tif serait tout à fait utile.
Cependant, à ce jour, ce test de
sensibilité viscérale n’a pas
encore obtenu de validation
consensuelle, n’est pas réalisé
en pratique courante et ne peut
être recommandé comme outil
diagnostique.
Pr E. Dorval :
Tout à fait, en
1999, le diagnostic du SII reste
essentiellement un diagnostic
clinique, malgré tous les pro-
grès qui ont été faits dans la
compréhension de sa physio-
pathologie. Les explorations
complémentaires que nous uti-
lisons ne doivent pas être sys-
tématiques ; elles ont pour but
d’éliminer une pathologie
associée qui pourrait entraîner
les mêmes symptômes. Au-
jourd’hui, nous manquons
d’examens permettant un dia-
gnostic positif parce que ceux
dont nous disposons ne sont
pas parfaitement spécifiques,
parce qu’ils ne sont pas de pra-
tique courante, parce que leur
type et leur place doivent être
précisés, et parce que leur
impact, notamment en ce qui
concerne le recours aux explo-
rations et aux soins ultérieurs,
n’a pas encore été évalué.
Gastroentérologie : Finalement,
la clinique reste essentielle pour
aboutir à un diagnostic de SII ?
croyant pas à l’absence d’anoma-
lies organiques lors des examens
standard ?
Gastroentérologie : Cependant,
ce concept ne pourrait-il pas débou-
cher sur un test diagnostique,
notamment chez des patients ayant
des symptômes sévères et ne
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (13), n° 3, mars 1999
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